Une bâtisseuse de ponts entre les cultures
L’engagement d’aumôniers musulmans dans le centre fédéral pour demandeurs d’asile de Zurich a fait ses preuves. Mais les financements font actuellement défaut pour étendre l’initiative à l’ensemble de la Suisse.
Belkis Osman travaille deux après-midis par semaine au centre fédéral pour demandeurs d’asile de Zurich, dans le quartier d’Oerlikon. Cette aumônière musulmane part à la rencontre des résidents. Elle toque aux portes des chambres sans fenêtres, en bois aggloméré, installées comme des containers dans l’immense hall habituellement consacré à des expositions. Elle demande parfois aux demandeurs comment ils vont, parfois ce qu’ils sont en train de faire ou encore s’ils sont sortis récemment. «Je suis toujours contente de la voir», témoigne Amina*, une jeune irakienne. La majorité des personnes hébergées ici sont des femmes, des familles et des mineurs non accompagnés. Ils sont environ 140 à y vivre actuellement. Le hall d’exposition, qui compte plus de 150 places, est utilisé depuis la fin de l’été 2018 comme centre fédéral pour demandeurs d’asile. Réquisitionné pour un an, il sera en activité jusqu’à l’ouverture d’un nouveau centre sur le site du Duttweiler-Areal, dans le Kreis 5 de la ville, prévue à l’automne 2019. Les demandeurs d’asile hommes – actuellement hébergés au centre de Juch à Zurich-Altstetten, qui laissera sa place à un stade de hockey sur glace – seront également déplacés dans le nouveau centre dès sa mise en service.
«Je suis toujours contente de voir Mme Osman»
Amina*, jeune demandeuse d’asile irakienne
Contrairement au centre de Juch, celui d’Oerlikon ne dispose pas d’espace dédié aux rencontres avec les aumôniers, ce que déplore Belkis Osman. Être à l’abri des regards est souvent une condition sine qua non pour aborder librement des thématiques telles que la culpabilité, la peur, la sexualité ou l’appartenance à un groupe spécifique. Pour l’heure, les entretiens doivent cependant se tenir dans une salle de réunion de l’équipe soignante, dans le hall ou dans les chambres que se partagent quatre à six personnes.
En raison de la forte proportion de demandeurs d’asile de confession musulmane dans le système suisse, la présence d’aumôniers musulmans revêt une importance particulière: la proximité culturelle et linguistique joue en effet un rôle essentiel pour établir un lien de confiance, de même que la capacité des aumôniers à comprendre les crises existentielles comme les questions personnelles et familiales des demandeurs d’asile à travers un prisme religieux commun. Les habitantes du centre d’Oerlikon apprécient tout particulièrement de pouvoir se tourner vers une femme de confession musulmane: «Il est fondamental pour ces femmes de pouvoir faire appel à une aumônière», explique Belkis Osman. «Elles peuvent s’exprimer plus librement lorsqu’elles s’adressent à une autre femme. Certaines d’entre elles ont qui plus est vécu des expériences négatives avec des hommes durant leur exil».
Pour Belkis Osman, la mission de l’aumônerie consiste aussi à écouter les problèmes quotidiens. Les habitants ont souvent des questions concernant leur demande d’asile, sur ce que l’on attend précisément d’eux ou les documents qu’ils doivent fournir aux autorités. L’aumônière intervient également lorsqu’une demande d’asile est rejetée, car ce refus entraîne souvent des troubles dépressifs – voire des envies suicidaires – chez les demandeurs. «Dans de telles circonstances, je peux aider à désamorcer le problème», explique Mme Osman.
Pour Sara*, une femme enceinte originaire du Kurdistan irakien, les visites de la police sont par exemple particulièrement difficiles à vivre. Elle est heureuse de pouvoir en parler en arabe avec l’aumônière musulmane. «Ces entretiens m’apportent beaucoup», souligne Sara, qui a passé en tout trois mois au centre.
Belkis Osman est surtout à l’écoute. «J’offre du temps aux habitants du centre, et il m’arrive aussi de m’asseoir avec eux pour boire un café. Pour beaucoup d’entre eux, je suis une personne de confiance», explique-t-elle. Sortir du centre n’est pas facile pour les demandeurs d’asile, encore moins pour les femmes. La plupart d’entre elles n’en sortent que pour se rendre à des rendez-vous. Elles ne sont pas non plus habituées à se promener seules, et certaines ont peur de se perdre. «Ces personnes viennent de pays complètement différents du nôtre. Un élément familier est toujours un bon point de départ pour se sentir mieux. C’est une base sur laquelle il est possible de construire», remarque l’aumônière à propos de la langue et de la religion qu’ils ont en partage.
«Ces personnes viennent de pays complètement différents du nôtre. Un élément familier est toujours un bon point de départ pour se sentir mieux. C’est une base sur laquelle il est possible de construire»
Belkis Osman, aumônière musulmane
Belkis Osman intervient également auprès des non-musulmans, tout comme les aumôniers chrétiens du centre s’occupent des demandeurs de confession musulmane. «La religion est rarement le premier sujet abordé. Même si, pour beaucoup d’entre eux, la foi joue clairement un rôle.» Elle donne ainsi des bénédictions ou dédie ses prières aux personnes qui en font la demande. Selon elle, de nombreux demandeurs d’asile ne savent pas toujours comment évaluer une situation ni quel comportement adopter. Les femmes, par exemple, se demandent si elles doivent retirer leur foulard lorsqu’elles se font photographier – ou si le fait de se rendre à un interrogatoire de police tête nue peut jouer en leur faveur. Certaines d’entre elles sont mal à l’aise lorsqu’un homme inconnu leur pose la main sur l’épaule avec bienveillance. Rares sont par ailleurs les demandeuses d’asile qui refusent de s’exécuter lorsqu’on leur propose ou demande quelque chose, comme d’accompagner quelqu’un chez le médecin. Elles demandent alors conseil à l’aumônière, qui leur explique que nul n’est tenu de répondre à toutes les questions posées, ni de fournir des informations sur son identité en toutes circonstances.
Une initiative qui a fait ses preuves
Ce projet pilote d’aumônerie musulmane a été lancé par le Secrétariat d’État aux Migrations (SEM) au centre fédéral d’Altstetten, à Zurich, de mi-2016 à mi-2018. C’est également dans ce centre qu’a été testée la nouvelle procédure d’asile accélérée. Le SEM souhaitait alors évaluer les bénéfices que présenterait la mise en place d’une aumônerie musulmane dans l’ensemble des centres fédéraux du pays. Ce projet pilote a été mené en collaboration avec l’Association des organisations islamiques de Zurich (VIOZ). Trois aumôniers musulmans – deux imams et Belkis Osman, également vice-présidente de la VIOZ – se partageaient dans ce cadre un poste à 70%. Mme Osman est arabophone. Ayant grandi ici, elle comprend sans problème le fonctionnement de la société suisse et a même suivi une formation d’aumônerie spécialisée pour les migrants à l’Université de Berne. La mission est donc parfaitement adaptée à son profil.
De l’avis de toutes les parties impliquées, l’intervention d’aumôniers musulmans a fait ses preuves. Selon le SEM, ils sont devenus des médiateurs entre les pays d’origine des demandeurs et la Suisse. Le SEM déclarait aussi, à la mi-février 2018, que l’aumônerie musulmane représente une réelle plus-value, tant du point de vue des demandeurs d’asile que du personnel soignant ou encore des aumôniers chrétiens. Ces déclarations s’appuient sur un rapport d’évaluation rédigé par le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg, qui estime que les aumôniers musulmans favorisent notamment le dialogue interreligieux. La Fédération des Églises protestantes de Suisse note par ailleurs que ce service permet de prévenir des conflits et contribue à l’amélioration du vivre ensemble dans les centres fédéraux.
Selon le rapport du CSIS, les aumôniers musulmans se sont tenus à disposition des demandeurs pour des échanges spontanés et se sont entretenus de façon approfondie avec des demandeurs d’asile originaires d’une vingtaine de pays. Ces entretiens ont dans l’ensemble été évalués très positivement par les demandeurs, tout particulièrement en raison du cadre de confiance dans lequel ils se déroulent. La collaboration étroite entre les aumôniers et le personnel soignant, dont la mutualisation des compétences a permis de résoudre certains problèmes de santé et psychologiques des demandeurs, a elle aussi été évaluée positivement.
Financements recherchés
Malgré une évaluation globalement très positive, l’initiative ne sera pas étendue à l’ensemble des centres fédéraux pour le moment. En effet – et comme l’expliquait un porte-parole du SEM en novembre dernier dans une interview à la RTS – l’absence de base légale rend impossible sur le long terme un financement de l’aumônerie musulmane par la Confédération.
Le projet a toutefois pu être prolongé à Zurich. Actuellement, un financement est assuré par le biais d’une association créée pour l’aumônerie des Hôpitaux du canton de Zurich. Belkis Osman et l’un de ses collègues conservent leur accréditation auprès du SEM et peuvent ainsi poursuivre leur mission dans le centre fédéral zurichois.
Cette incertitude complique cependant le travail de Mme Osman: elle empêche une planification sur le long terme, bien qu’un financement soit désormais assuré jusqu’en août 2020. L’espoir demeure cependant – à l’issue d’une phase pilote couronnée de succès – qu’une solution durable soit trouvée pour ancrer ce service dans le nouveau système d’asile suisse. Il serait par ailleurs très positif, de l’avis de Belkis Osman, que des espaces adaptés à des entretiens plus approfondis soient prévus pour l’ouverture du nouveau centre sur le site du Duttweiler-Areal.
*Nom connu de la rédaction
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