Un reportage de la Monde Académie : A quoi rêvaient les candidats de la primaire à 20 ans ?
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Un reportage de la Monde Académie : A quoi rêvaient les candidats de la primaire à 20 ans ?

Les journalistes de la Monde Académie ont enquêté sur la jeunesse des candidats à la primaire de la droite.

Le Monde | • Mis à jour le

« Je préfère être premier de ce village que second à Rome ». À côté de sa lampe de chevet, un jeune lycéen regarde la devise accrochée au mur. C’est un cadeau de sa mère après son échec d’intégration en filière du baccalauréat scientifique. Il ne s’appelle pas César, mais Jean-François Copé. Qu’importe son niveau scolaire, comme ses camarades l’entendent à longueur de journée : plus tard, il voudra être le premier, plus tard, il voudra être président. Car gamin, déjà, Jean-François Copé se poste devant sa télévision, captivé par les retransmissions des discours politiques. À 10 ans, le duel entre Giscard et Mitterrand le “fascine”. Cette sensibilité, il l’éprouve aussi pour le piano. Son orgue électrique aurait pu remplacer le pupitre de ses meetings. « Ce sont les deux choses qui ont créé en moi une petite lumière. J’ai toujours aimé le monde des artistes, le spectacle », nous raconte-t-il
comme une phrase maintes fois répétée.

D’autres préfèrent s’encanailler avec les poings plutôt qu’avec les mots. Comme cette fois, en 1976, où Sarkozy se querelle avec des grévistes lors d’un rassemblement devant la faculté de Nanterre. Provoquant, il monte sur la tribune pour s’exprimer : « Faire la grève, c’est pour les prétentieux ! » La bagarre éclate, Sarkozy en vient aux mains. Contacté par Le Monde, son ami Jean-Marie Chaussonière, avocat à Cergy-Pontoise et présent ce jour-là, le justifie à sa manière : « c’était pour l’empêcher de parler ! Au bout de quelques minutes, ils lui ont arraché son micro ».

Fillon renvoyé du lycée

Et quand certains se bagarrent, d’autres piquent en douce la voiture de leurs parents. Sourcils froncés, le regard noir, le jeune Fillon traînait les baskets en soirée dans les bourgades de la Sarthe. Au volant de la Citroën 2 CV de son père, il s’improvise pilote de course. Christine Kelly, journaliste écrivain de l’ouvrage, Fillon : le secret et l’ambition, rapporte ces scènes ; qu’il confirme aux médias pour contrer son image austère. Au printemps 1971, le quotidien des lycéens est soudainement perturbé à Notre-Dame de Sainte-Croix au Mans. : une bande de jeunes brandissent des affiches, des banderoles. On entend crier sans retenue. « Démission ! Démission ! Démission ! » Le jeune Fillon, en tête du cortège, demande le départ d’une professeur d’anglais qu’il juge incompétente. Il est renvoyé du lycée.

Des bêtises de jeunesse, tous n’en ont pas fait. Quand, à 14 ans, Fillon fait le mur pour assister aux manifestations de mai 68, Alain Juppé fuit l’événement. Alors qu’il étudie à Paris dans le quartier latin, épicentre du mouvement de l’opposition, il reste en retrait. À 22 ans, il est déjà installé dans une vie d’adulte et demande à sa femme de quitter Paris avec leur fils. « Alain Juppé se révèle davantage en petit comité, ce n’est pas un agitateur de foule », précise Camille Vigogne le Coat, auteure de sa biographie Je serai président !

Discret, Bruno Le Maire l’était aussi. Sage, assidu, il s’épanouit dans des études littéraires, en dépit de la désapprobation paternelle. Son père exige de lui le meilleur. Cette rigueur, Nathalie Kosciusko-Morizet la connaît bien. Dès 19 ans, elle intègre polytechnique, comme son père avant elle. L’étudiante est surtout remarquée pour « son sérieux et son assiduité pendant ses classes », raconte Soazig Quéméner dans NKM, la présidente. Embarquée sur le Le Var, bateau amiral, durant son service militaire, elle tient tête à son commandant pour garder ses cheveux longs, à peine réglementaires.

NKM façon Che Guevara

Mais Jean-Marc Callois, un ancien camarade polytechnicien, a en tête une soirée déguisée, où l’étudiante, « assez marquée à droite », est venue habillée en une sorte de « guérillero sud-américain », façon Che Guevara. « Malgré son côté’’bourge’’ qui lui colle à la peau, elle pouvait être assez décalée ! ». Patrick Vauterin, ancien conseiller lorsqu’elle était ministre, qui l’a aussi connu à polytechnique, n’imaginait pas qu’elle impose ses initiales dans les médias : « À l’époque je n’aurai pas misé un kopeck sur elle en politique ». Un pas, puis un autre dans la politique : l’engagement tient parfois à un détail, une bonne rencontre ou une triste nouvelle. Mais les candidats ont aussi su tirer les cordes, allonger le bras, atteindre le haut de la sphère pour satisfaire une ambition. S’ils ne sont pas tous passés par l’ENA, les relations familiales, les réseaux académiques, ont su les attraper en vol.

Comme pour Fillon, pour qui la décision n’est pas évidente. Fils d’un notaire et d’une
historienne, il profite de leur réseau. Joël le Theule, ami de ses parents et député de
la Sarthe, l’a d’abord convaincu d’être son assistant parlementaire. « Un mi-temps,
je prenais ça comme un job étudiant »
, raconte Fillon à Christine Kelly. Contacté par Le
Monde, Jean-Marie Tissot, ancien maire de Solesmes et ami de la mère de François, se souvient : « Il ne voulait pas se lancer dans la politique, il voulait être journaliste ». Quand Joël Le Theule décède brutalement d’une crise cardiaque, la question du successeur se pose. « François Fillon hésitait mais c’était lui qui connaissait le mieux les dossiers de Le Theule. On a fini par le convaincre, avec sa mère, de se présenter ». Le 14 juin 1981, à 27 ans, François Fillon prend la succession de Joël Le Theule et est élu député de la 4e circonscription de la Sarthe
dès le premier tour.

Jacques Chirac, aussi, a été un personnage central. À la recherche d’un « agrégé sachant écrire », c’est Alain Juppé qu’on lui présente. À l’époque, avec l’effervescence de mai 68, peu de normaliens se retrouvaient dans les valeurs de droite. Pas pour Alain Juppé : gaulliste de la première heure, il est là au bon moment. Jeune trentenaire, c’est son premier pas en politique. Nicolas Sarkozy aussi a su tirer profit de l’ancien président de la République. À force d’affiches placardées, de discours et de militantisme, le jeune homme se fait remarquer. Drôle, il séduit. Sa jeunesse, il en fait un atout. Il se rend aux assises nationales de l’UDR, à Nice, en 1976.

Catherine Nay, dans Un pouvoir nommé désir, détaille une scène où Jacques Chirac, un de ses futurs adversaires, l’invite à faire son discours : « C’est toi, Sarkozy ? Tu as deux minutes ». Le jeune homme aux cheveux longs se retrouve alors sous le feu des projecteurs. Les applaudissements ne tardent pas à retentir. Alain Juppé voulait devenir Pape. Copé se voyait conquérant. NKM visait l’excellence. Bruno Le Maire souhaitait écrire de grands mots. Fillon était meneur de l’ombre. Sarkozy cherchait les projecteurs. Les gaullistes s’accordent, « toutes les doctrines, toutes les écoles, toutes les révoltes, n’ont qu’un temps ».

Lisa Burek, Jules Le Pallec, Juliette Fèvre, Léa Ménard, Marie Dewilde

Cet article a été réalisé dans le cadre de la Monde Académie, pendant la semaine de formation au journalisme politique organisée du 5 au 10 septembre. Retrouvez tous les articles ici.

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