« Le plus dur est d’accompagner le souhait des populations à se prendre en charge »
Entre le Lac Tchad, Bosso, la Nationale 1, et à quelques kilomètres du Nigéria, la ville de Toumour est un carrefour des déplacements forcés. Selon Many Orthe Boucar, Maire de Toumour, 4 personnes sur 5 vivant dans la commune de Toumour sont des déplacés forcés qu’ils soient réfugiés, retournés ou déplacés internes. Ils seraient plus de 35,000.
Les maires de Diffa sont des acteurs centraux dans la gestion de la crise. A l’instar de tous les maires, Mr Orthe Boucar était à Niamey pour l’atelier de planification des opérations 2017 - 2018 de l’UNHCR pour la région de Diffa.
Mr Le Maire, après 2015, c’est votre seconde participation à un atelier de planification de l’UNHCR. Quelle est votre appréciation de ce type d’exercice ?
Cet exercice est une bonne chose pour que les différents acteurs puissent s’accorder sur une vision commune et sur un paquet minimum d’intervention à réaliser. Pour nous élus locaux, c’est aussi un moment important car nous pouvons partager nos soucis, nos inquiétudes et nos propositions. Nous nous sentons écoutés. C’est très constructif.
Depuis l’atelier de planification de 2015 vous avez l’air d’avoir pris de l’âge. Est-ce que c’est les marques de la fatigue après deux jours de route pour se rendre de Diffa à Niamey ou le volume de choses à gérer dans votre commune ?
Je vous avoue que nous vivons une situation difficile. C’est une fatigue psychosomatique. Il est dur de trouver le sommeil. Nous sommes en première ligne, nous sommes les fusibles. Nous les maires sommes sollicités en permanence que ce soit lorsque nous sommes sur le terrain mais aussi au niveau de la mairie. Ce qui est notamment compliqué lors de nos échanges avec les communautés c’est qu’ils ne comprennent pas toujours les mécanismes de l’aide et que la commune à elle seule ne peut répondre à tous les besoins.
Nous sommes aussi à 15 kilomètres de la frontière donc il y a aussi beaucoup de travail dans la gestion des rumeurs et de la psychose mais aussi par exemple des problèmes liés au rapt de bétail. Nous sommes en train de gérer en permanence des urgences. Le développement de la commune a été mis en stand-by.
Quels sont pour vous les principaux besoin au niveau de Toumour ?
En dehors des besoins de base qui ne sont toujours que partiellement couverts, les gros problèmes que nous rencontrons se concentrent autour de la promiscuité. Les interventions réalisées par l’UNHCR autour de l’urbanisme dans les autres communes pourraient nous faire le plus grand bien si elles étaient répétées chez nous. L’essentiel est que chacun trouve une place pour s’installer décemment. Nous savons que beaucoup ne vont pas repartir au Nigeria. Les plus nantis cherchent à acquérir des terrains mais même cela est difficile.
Un autre problème toujours en lien avec la promiscuité est celui de l’assainissement tant en termes d’infrastructures que d’usage par les ménages. Concernant l’usage, il faut comprendre c’est les personnes que nous accueillons viennent des zones rurales et frontalières et ont donc une relation distante, même une méconnaissance, de l’utilisation des services et infrastructures publiques ce qui explique notamment le manque d’utilisation des latrines. On retrouve aussi cette situation au niveau des services de santé : alors que les soins et médicaments sont gratuits pour la population, beaucoup sont ceux qui continuent à acheter les médicaments dans la rue ou se tournent vers la médecine traditionnelle. Beaucoup pensent que ces services ne sont pas pour eux.
Mais au-delà de fournir l’assistance pour les besoins de base, le plus dur est d’accompagner le souhait des populations à se prendre en charge pour acheter condiments, bois, s’habiller ou encore participer aux cérémonies. J’insiste sur les cérémonies : nous vivons dans une zone où les dépenses en lien avec la socialisation coutent cher et où elles sont un élément central du processus d’intégration des nouvelles familles. L’incapacité à contribuer aux mariages ou aux baptêmes amène très souvent l’exclusion et affecte la psychologie des personnes. Il faut aussi prendre en considération qu’avant la crise la population de Diffa avait un niveau de vie plus élevé que ce que l’on peut retrouver ailleurs au Niger. Maintenant, la situation c’est totalement inversée.
Vous évoquez la complexité pour les populations de se prendre en charge. Comment faire dans un environnement économique totalement déstructuré ?
Il va falloir assainir l’environnement économique. La production et le commerce du poivron qui rapportait des milliards se sont toujours fait dans un cadre informel, et nous savons que cela nous a porté préjudice. Si le marché du poivron avait fonctionné dans un cadre plus formel avec une meilleure organisation de toute la chaine, il aurait pu se maintenir malgré la situation. La région a un savoir-faire reconnu dans la production maraichère, et notamment de poivron. Il faut s’appuyer sur ce savoir-faire mais sans travailler en ordre dispersé. Il faut que l’Etat joue un rôle central pour revitaliser le secteur agricole de Diffa mais tout cela reste conditionné au retour de la sécurité.
De l’énergie solaire en appui aux centres de santé de Diffa
En 2014, l’UNHCR a enclenché dans la région de Diffa un vaste programme d’installation d’équipements photovoltaïques au niveau de différents centres de santé. Cette année-là, à travers l’ONG ACTED, 4 centres furent équipés et leur personnel formé à l’entretien et la réparation des panneaux photovoltaïques (http://unhcrniger.tumblr.com/post/96544102669/projet-énergie-unhcracted-la-fin-dun). En 2015, le programme a été étendu à 5 nouveaux centres qui fonctionnent aujourd’hui à l’énergie solaire. A Diffa, le renforcement des services sociaux de base pour tous (population déplacée et population hôte) est une priorité. En ce sens améliorer l’accès à l’énergie est incontournable. Les délestages et la non électrification des zones rurales accentuent les problèmes de fonctionnement de centres de santé fragiles avant la crise des déplacés et sous-pression aujourd’hui. L’installation de panneaux photovoltaïques permet notamment d’améliorer la conservation des médicaments et des vaccins mais aussi d’augmenter les heures d’ouverture.
En présence des autorités locales et régionales, notamment du Gouverneur de Diffa, les installations réalisées au niveau de Sayam Forage ont été réceptionnées il y a quelques jours. La télévision publique nigérienne a couvert cet évènement.
Le nouveau visage du camp de Sayam Forage dans la région de Diffa
Construction en cours des « abris transitionnels » dans le camp de Sayam Forage, Diffa: Photo @ UNHCR/ Ibrahim Abdou UNHCR
Aujourd’hui, un nouveau visage se dessine au camp de Sayam Forage avec les nouveaux abris implantés et toutes les infrastructures misent en place. Un nouvel espoir de vie pour la communauté des réfugiés et d’avenir pour leurs enfants est en train d’être ressenti, de la concrétisation des efforts du HCR et de ses partenaires, notamment l’ONG COOPI, pour la mise en place des solutions durables pour ces populations réfugiées du camp de Sayam Forage.
Le camp connait actuellement une implantation des « abris transitionnels » au profit des populations réfugiées en remplacement des abris d’urgence vétustes. L’action de la confection et l’implantation des nouveaux abris constitue une superbe chaine d’accompagnement pour les jeunes issus de la formation du Centre Professionnelle et Technique de Diffa sur fonds UNHCR. Ils étaient recrutés à cet effet par COOPI pour les travaux de confection. Aussi, 20 réfugiés du camp jouissent de prise en charge journalière par le système « Cash for Work ».
En effet, l’atelier de soudure mis en place pour la confection de ces abris est composé de 20 jeunes parmi les populations déplacées et autochtones vulnérables de Diffa. Ils avaient bénéficié d’une formation au Centre de Formation Professionnelle et Technique de Diffa pour l’apprentissage de métiers à travers le partenaire IEDA Relief sur fonds UNHCR, l’an dernier. Quatre superviseurs sont également recrutés pour l’encadrement technique des travaux.
Pour la prestation ces jeunes ont un contrat de travail, chacun bénéficie d’au moins 150.000 FCFA de salaire mensuel. Ces jeunes, sont bien contents aujourd’hui comme ils le laissent entendre par la voix de Baana Balimbé:
« Nous sommes heureux d’être formés à un métier et d’être embauchés pour vivre de ce que nous avons appris ». « La formation a été bénéfique pour nous et nous continuons d’apprendre au niveau de l’atelier de soudure où nous découvrons de nouvelles choses ».
Vision d’avenir, Yacouba Abdo, en ces termes s’exprime:
« Nous épargnons de l’argent dans ce que nous gagnons pour qu’à l’avenir nous puissions payer de matériels de travail et nous mettre à notre compte ».
Les jeunes travaillant à l’atelier de soudure mis en place pour la confection des « abris transitionnels » a Diffa Photo @ UNHCR/ Ibrahim Abdou UNHCR
Le deuxième groupe de réfugiés sur le camp qui participe au montage des abris, est composé de 20 personnes qui perçoivent 2,500 FCFA par jour pour du « Cash for Work ». Ils travaillent à monter leurs propres abris par groupe de 5 personnes.
Les pensées des bénéficiaires ont été exprimées par Malam Adji, en ces termes :
« Nous avons appris avec COOPI à monter les abris. Les abris que nous montons sont les nôtres et, pour cela nous sommes payés. C’est vraiment bien qu’on trouve le moyen de travailler et de gagner. L’argent que nous recevons, nous permet de couvrir quelques petits besoins des ménages ». « Les nouveaux abris sont meilleurs à ce qu’on avait avant, vraiment merci au HCR qui a tout fait pour nous. Sans nul doute, ces nouveaux abris nous protègent plus du froid et nous offre un meilleur espace pour abriter nos famille ».
Aujourd’hui, il y a 150 abris transitionnels implantés au camp de Sayam Forage et 50 en cours d’implantation au camp de Kabléwa dans la région de Diffa. L’UNHCR à travers le partenaire de mise en œuvre du projet des abris transitionnels, COOPI, a l'intention de compléter le nombre des abris sur les deux camps pour atteindre le total de 1,000 abris transitionnels dans les deux camps. Ça sera suffisant pour abriter la population entière vivant dans ces deux camps.
9 mois après, retour dans la zone de Bosso pour les agences des Nations-Unies
Depuis les attaques de février 2015, parmi les acteurs internationaux seul MSF mais surtout le CICR continuent à travailler de manière quotidienne dans le département de Bosso, zone la plus exposée sur le plan sécuritaire. L’ONG nigérienne Karkara intervient aussi dans la zone. Pour pallier à ces problèmes d’accès l’UNHCR a notamment mis en place un mécanisme dit de « remote management » permettant d’amener l’assistance là où l’organisation ne peut se rendre de par les contraintes sécuritaires. A travers l’ONG nigérienne APBE, les soins de santé primaire via une clinique mobile et des abris d’urgence ont été apporté tout spécifiquement sur le site de Yébi accueillant un nombre considérable de déplacés en provenance du Nigéria et de déplacés internes majoritairement en provenance du Lac Tchad.
9 mois après l’attaque des terroristes sur Bosso, le 18 novembre, les Agences des Nations-Unies ont pu enfin retourner. Là-bas, le Préfet, Lieutenant Boureima Seyni a dressé à l’intention des humanitaires un état des lieux de la situation. Extraits :
Sécurité : « Nous observons actuellement un calme relatif dans la zone mais qui n’est encore pas total. Des incursions sont toujours probables et d’actualité. Mais pour une attaque de masse cela est une chose quasi impossible à l’heure actuelle dans la zone car nous y veillons de jour comme de nuit ».
Sécurité alimentaire : « Bosso est à 100% déficitaire à la fin de période hivernale. Il n’il y a pas eu de culture de vivres. Le fourrage n’est plus abondant dû au regroupement intense des animaux ».
Education : « L’Education va très mal, je dirai surtout à cause de la réticence des parents à envoyer leurs enfants à l’école. Les enseignants sont tous présents au niveau des établissements mais la psychose et la crainte de nouvelles attaques, rétractent le bon fonctionnement du système éducatif ».
Besoins humanitaires globaux : « Les regroupements de populations aux horizons multiples drainent leurs lots de maladie. Tous les besoins sont présents : vivres, abris, eau, hygiène, santé, vêtements pour cette période de froid qui commence ; etc… . Je vous exhorte à ce que nous travaillons ensemble pour consolider les efforts sur le terrain. Nous espérons un appui imminent à Bosso et sollicitons de vive voix votre présence pour aussi la relocalisation des populations déplacées dans les camps ».
Le Préfet a institué la mise en place de réunions mensuelles avec les acteurs humanitaires dans le département de Bosso. La prochaine aura lieu à Toumour, village de destination de plusieurs milliers de déplacés.
Depuis Bosso, le Premier Ministre Nigérien Brigi Rafini lance un appel à la solidarité nationale et internationale
Préparation d’un plan de contingence pour la Région de Diffa
Le mardi 3 juin, l’UNHCR et la Commission Nationale d’Eligibilité, ont réuni l’ensemble des acteurs engagés auprès des populations déplacées dans la région Diffa (Système des Nations Unis, Mouvement de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, ONG nationales et internationales) pour travailler collectivement à l’élaboration d’un plan de contingence spécifique à cette région affectée par les violences qui frappent le nord Nigéria.
Cet exercice collectif est une nouvelle étape d’un processus amorcé par l’UNHCR depuis plusieurs semaines. Le plan de contingence est un document clé permettant à l’UNHCR et à ses partenaires de disposer de lignes directrices et d’orientations opérationnelles claires afin de pouvoir, le cas échéant, apporter assistance et protection à un nombre total de 100 000 personnes déplacées, contre une estimation de 50 000 actuellement. Ce plan de contingence vient compléter le plan multirisque de la région de Diffa.
Les Comités d’Action Communautaire : des acteurs essentiels dans l’accueil de la population déplacée
Beram du CAC de Bosso en train de procéder à l’enregistrement de nouveaux arrivants. ©UNHCR
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Dans son travail auprès des populations déplacées de la région de Diffa, l'UNHCR s'attache à prendre en compte et à renforcer les dynamiques insufflées par les populations locales. Parmi ces dynamiques se trouvent les Comités d'Action Communautaire (CAC). Ces groupes d'individus représentatifs de l’ arène locale sont aujourd'hui des acteurs incontournables dans l'aide aux réfugiés.
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Journal Liberation: “Les réfugiés ont autant peur de l'armée que de Boko Haram”
Journal Liberation du mercredi 12 mars 2014
Par JEAN-LOUIS LE TOUZET
Envoyé spécial à Bosso et Diffa (Niger)
Les villages du Niger proches de la frontière accueillent de milliers des personnes qui fuient les tueries des islamistes ou les représailles des militaires au Nigéria.
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Photo Benedicte Kurwen, the New York Times, REDUX REA.
UNHCR -IRC/ Communiqué de presse conjoint: Situation préoccupante au niveau du Lac Tchad et dans la région de Diffa (Niger) | UNHCR-IRC/ Joint Press Release:Worrying situation at the Lake Chad level and in the region of Diffa (Niger) | |
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L’UNHCR et tous les acteurs humanitaires expriment leurs plus grandes préoccupations au regard des violences au Nigéria et en particulier de celles au niveau du Lac Tchad. Ils appellent l’ensemble des belligérants à épargner les vies et les biens de la population civile et à respecter les conventions internationales sur la conduite des conflits armés. Il est également nécessaire que la communauté internationale se mobilise et vienne en aide à la population déplacée et aux habitants de la région de Diffa lesquels, malgré une pauvreté rampante, la désertification et une crise alimentaire qui se profile, accueillent leurs voisins du Nigeria. Plus de détails http://data.unhcr.org/SahelSituation/download.php?id=845 |
UNHCR and all humanitarian actors also express their gravest concerns as regards the violence in Nigeria and in particular in the areas along Lake Chad. They call on all belligerents to spare the lives and properties of the civilian population and to respect the international conventions on the conduct of armed conflict There is also a need for the international community to mobilize and to come to the rescue of the displaced population and the inhabitants of Diffa region who, despite of rampant poverty, desertification and a looming food crisis, keep on hosting their neighbours from Nigeria |
RFI: Niger - des réfugiés nigérians fuient Boko Haram et l’armée nigériane
Au Niger, le Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies met en garde face au risque d'afflux de migrants issus du Nigéria.
Cliquez ici http://www.rfi.fr/afrique/20140310-niger-nigeria-refugies-boko-haram-armee-nigeriane/