Beldjoudi c. France
Publisher | Council of Europe: European Court of Human Rights |
Publication Date | 26 February 1992 |
Citation / Document Symbol | 55/1990/246/31; 12083/86 |
Cite as | Beldjoudi c. France, 55/1990/246/31; 12083/86, Council of Europe: European Court of Human Rights, 26 February 1992, available at: https://www.refworld.org/cases,ECHR,4029f7134.html [accessed 27 May 2023] |
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La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée,
conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de
sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales
("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son
règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
C. Russo,
A. Spielmann,
J. De Meyer,
N. Valticos,
S.K. Martens,
R. Pekkanen,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold,
greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil
les 25 octobre 1991 et 26 février 1992,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________
Notes du greffier
* L'affaire porte le n° 55/1990/246/317. Les deux premiers
chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les
deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour
depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la
Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11),
entré en vigueur le 1er janvier 1990.
_______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission
européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le
12 novembre 1990, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les
articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la
Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12083/86)
dirigée contre la République française et dont un
ressortissant algérien, M. Mohand Beldjoudi, et son épouse, de
nationalité française, Mme Martine Teychene, avaient saisi la
Commission le 28 mars 1986 en vertu de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48
(art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française
reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour
(article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une
décision sur le point de savoir si les faits de la cause
révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des
articles 8 (art. 8) - considéré isolément ou combiné avec
l'article 14 (art. 14+8) -, 3, 9 et 12 (art. 3, art. 9,
art. 12).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d)
du règlement, les requérants ont manifesté le désir de
participer à l'instance et ont désigné leur conseil
(article 30).
3. Le président a estimé le 22 novembre 1990 qu'il y avait
lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice,
de confier l'examen de la présente cause à la chambre
constituée le 24 mai 1990 pour connaître de l'affaire Djeroud*
(article 21 par. 6 du règlement). Elle comprenait de plein
droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française
(article 43 de la Convention) (art. 43), et
M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du
règlement), les sept membres tirés au sort (articles 43
in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43)
étant M. F. Matscher, M. J. Pinheiro Farinha, Sir Vincent
Evans, M. C. Russo, M. J. De Meyer, M. N. Valticos et
M. R. Pekkanen. Ultérieurement, MM. S.K. Martens et
A. Spielmann, suppléants, ont remplacé Sir Vincent Evans et
M. Pinheiro Farinha, qui avaient donné leur démission et dont
les successeurs à la Cour étaient entrés en fonctions avant
l'audience (articles 2 par. 3, 22 par. 1 et 24 par. 1 du
règlement).
_______________
* Note du greffier: affaire n° 34/1990/225/289, rayée du rôle
le 23 janvier 1991 à la suite d'un règlement amiable (série A
n° 191-B).
_______________
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21
par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par
l'intermédiaire du greffier l'agent du Gouvernement, le
délégué de la Commission et le conseil des requérants au sujet
de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38).
Conformément aux ordonnances rendues en conséquence, le
greffier a reçu le mémoire des requérants le 29 avril 1991 et
celui du Gouvernement le 30. Le 8 juillet, le secrétaire de
la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait de vive
voix.
5. Les 14 et 17 octobre respectivement, le conseil des
requérants et l'agent du Gouvernement ont écrit au président
au sujet de la possibilité pour M. Beldjoudi de se présenter
en personne à l'audience malgré son incarcération (article 4
par. 1 a) de l'Accord européen concernant les personnes
participant aux procédures devant la Commission et la Cour
européennes des Droits de l'Homme).
6. Ainsi que l'avait décidé le président, les débats se sont
déroulés en public le 21 octobre 1991, au Palais des Droits de
l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une
réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. J.-P. Puissochet, directeur des affaires
juridiques au ministère des Affaires
étrangères, agent,
Mme E. Florent, conseiller de tribunal
administratif détaché à la direction des
affaires juridiques du ministère des
Affaires étrangères,
M. R. Riera, sous-directeur du contentieux,
direction des libertés publiques et des
affaires juridiques, ministère de
l'Intérieur, conseils;
- pour la Commission
M. H. Danelius, délégué;
- pour les requérants
Me B. Donche, avocat, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en
leurs réponses à ses questions, M. Puissochet pour le
Gouvernement, M. Danelius pour la Commission et Me Donche
pour les requérants.
M. Beldjoudi a pu assister en personne à l'audience.
7. A l'occasion de celle-ci, l'agent du Gouvernement et le
représentant des requérants ont produit plusieurs pièces. Le
même jour et le lendemain, le premier a aussi fourni des
renseignements.
8. Le 18 novembre, l'agent a communiqué d'autres
informations et remarques ainsi que quelques documents; le
président l'y avait invité en séance.
Par une lettre parvenue au greffe le 6 décembre, l'avocat
des requérants a formulé des observations sur les documents en
question et fourni un relevé de frais et honoraires.
Le 21 février 1992, le Gouvernement a envoyé une "note en
délibéré".
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
A. Introduction
9. Citoyen algérien et mécanicien de profession, M. Mohand
Beldjoudi est né le 23 mai 1950 en France, à Courbevoie
(Hauts-de-Seine). Jusqu'en octobre 1969, il vécut dans la
région parisienne chez ses parents. Ces derniers sont nés
respectivement en 1909 et 1926 en Algérie, pays qui formait à
l'époque un département français et a accédé à l'indépendance
le 3 juillet 1962 après les "accords" d'Evian du 19 mars 1962.
Tout comme leurs enfants, ils sont réputés avoir perdu la
nationalité française au 1er janvier 1963 (loi du
20 décembre 1966 - paragraphe 58 ci-dessous), faute d'avoir
souscrit avant le 27 mars 1967 une déclaration recognitive de
ladite nationalité (article 2 de l'ordonnance du
21 juillet 1962 - paragraphe 57 ci-dessous). Le père est
arrivé en métropole en 1926 et a servi dans l'armée française
de 1931 à 1955. Ensuite et jusqu'à sa retraite en 1970, il a
occupé à Paris un poste - réservé aux ressortissants
français - d'auxiliaire puis d'employé au ministère de la
Santé publique et de la Population. Il est décédé à Colombes
(Hauts-de-Seine) en 1986.
La mère de Mohand Beldjoudi, qui a quitté l'Algérie en
1948, et quatre des frères et soeurs de celui-ci, tous nés en
France métropolitaine avant le 1er janvier 1963, possèdent
chacun une carte nationale d'identité algérienne; ils
demeurent en France et sont titulaires d'un certificat de
résidence, valable dix ans et renouvelable. La soeur cadette
a été réintégrée dans la nationalité française le
20 juillet 1988.
10. Mme Martine Teychene est née en France le 8 novembre 1951
de deux parents français. De nationalité française, elle
exerce la profession de secrétaire.
11. Les requérants se marièrent le 11 avril 1970 à Colombes,
après avoir cohabité quelque temps. Sans enfant, ils sont
domiciliés à La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine).
12. Au fil des ans, M. Beldjoudi s'est vu infliger les
condamnations ci-après à des peines privatives de liberté:
- le 27 mars 1969, huit mois d'emprisonnement pour coups et
blessures volontaires (tribunal correctionnel de Paris);
- le 29 juillet 1974, six mois d'emprisonnement pour conduite
d'un véhicule sans permis et détention de munitions ou d'une
arme de la première ou quatrième catégorie (même tribunal);
- le 10 janvier 1976, dix-huit mois d'emprisonnement, dont
quatorze avec sursis, et quatre ans de mise à l'épreuve pour
vol (cour d'appel de Paris);
- le 25 novembre 1977, huit ans de réclusion criminelle pour
vol qualifié (cour d'assises des Hauts-de-Seine);
- le 28 mars 1978, trois mois d'emprisonnement pour
acquisition et détention de munitions ou d'une arme de la
première ou quatrième catégorie (tribunal correctionnel de
Nanterre);
- le 4 février 1986, dix-huit mois d'emprisonnement, dont dix
avec sursis, et cinq ans de mise à l'épreuve pour coups et
blessures volontaires ainsi que pour destruction de biens
mobiliers (même tribunal).
13. Les périodes de privation de liberté subies par lui avant
1991, à titre provisoire ou après condamnation, sont les
suivantes:
- du 20 juillet au 17 septembre 1968, soit un mois et
vingt-huit jours;
- du 25 août au 8 octobre 1973, soit un mois et
quatorze jours;
- du 3 avril au 21 août 1974, soit quatre mois et dix-huit
jours;
- du 26 mars 1975 au 4 décembre 1981, soit six ans, huit mois
et huit jours;
- du 20 octobre 1985 au 25 avril 1986, soit six mois et cinq
jours.
Elles totalisent près de sept ans, dix mois et deux
semaines.
14. Le 17 janvier 1991, le requérant fut placé en détention
provisoire à Fleury-Mérogis (Essonne) et son épouse sous
contrôle judiciaire à Ecos (Eure), un juge d'instruction près
le tribunal de grande instance de Melun (Seine-et-Marne) les
ayant inculpés tous deux de recel de vols aggravés.
Par un arrêt du 23 janvier 1992, la chambre d'accusation
de la cour d'appel de Paris a ordonné l'élargissement de
M. Beldjoudi sous contrôle judiciaire.
B. La procédure d'expulsion
1. L'arrêté d'expulsion
15. Le 2 novembre 1979, le ministre de l'Intérieur avait pris
contre M. Beldjoudi un arrêté d'expulsion, au motif que sa
présence sur le territoire français était de nature à
compromettre l'ordre public.
Conforme à l'avis de la Commission d'expulsion des
étrangers, ledit arrêté fut notifié à l'intéressé le
14 novembre 1979 au centre de détention de Melun.
2. Les demandes de retrait
16. Par cinq fois, M. Beldjoudi pria le ministre de
l'Intérieur de rapporter l'arrêté. Seule sa dernière demande,
du 8 août 1984, reçut une réponse, adressée à son conseil, le
4 décembre 1989, par le directeur des libertés publiques et
des affaires juridiques au ministère de l'Intérieur et ainsi
conçue:
"A la suite de la décision du 11 juillet 1989 rendue
par la Commission européenne des Droits de l'Homme,
déclarant recevable la requête de M. Beldjoudi
[(paragraphe 62 ci-dessous)], vous avez à nouveau appelé
mon attention sur le cas de votre client. Vous
souhaitiez notamment savoir si le ministère serait
disposé à envisager de régler cette affaire à l'amiable.
Un réexamen très attentif du cas de M. Beldjoudi a
conduit le ministre à prendre le 31 août 1989 un arrêté
d'assignation à résidence, dans le département des Hauts-
de-Seine où l'intéressé a son domicile habituel.
Le titre de séjour qui lui a été délivré est assorti de
l'autorisation d'exercer une activité salariée.
Cette décision de bienveillance prise en faveur de
M. Beldjoudi, en raison de ses attaches familiales,
pourra être maintenue, si son comportement ne s'y oppose
pas.
En revanche, je vous confirme qu'il n'est pas apparu
possible, compte tenu de la gravité comme de la
multiplicité des faits commis par l'intéressé, d'abroger
l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. Beldjoudi.
(...)"
17. La notification de l'arrêté d'assignation à résidence eut
lieu en novembre 1989.
3. Le recours en annulation
a) Devant le tribunal administratif de Versailles
18. Le 27 décembre 1979, M. Beldjoudi introduisit devant le
tribunal administratif de Paris un recours en annulation
contre l'arrêté d'expulsion. Né en France de parents eux-
mêmes français à l'époque, il devait passer pour français et
donc inexpulsable; en outre, il n'avait aucune attache avec
l'Algérie et se trouvait marié à une Française depuis près de
dix ans.
19. Le Conseil d'Etat attribua l'affaire au tribunal
administratif de Versailles, territorialement compétent.
20. Le 27 novembre 1980, celui-ci ordonna un supplément
d'information: il invita le ministre de l'Intérieur à
présenter ses observations sur le dernier mémoire de
l'intéressé et à produire une ampliation du décret du
16 septembre 1970 refusant à celui-ci la nationalité française
(paragraphe 32 ci-dessous).
21. Par un jugement avant dire droit du 14 octobre 1983, il
décida de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité
judiciaire eût tranché la question de la nationalité de
M. Beldjoudi (paragraphes 34-35 ci-dessous).
22. Le 8 février 1984, ce dernier refusa l'autorisation
provisoire de séjour que la préfecture des Hauts-de-Seine lui
avait proposée, au motif qu'en l'acceptant il se reconnaîtrait
de nationalité algérienne.
23. M. Beldjoudi reprit la procédure le 20 janvier 1988 en
déposant un mémoire ampliatif, sans attendre l'issue de son
pourvoi en cassation (paragraphe 41 ci-dessous). Il tirait
argument d'une loi du 9 septembre 1986 qui avait modifié
l'article 25, deuxième alinéa, de l'ordonnance de 1945 sur
laquelle reposait l'arrêté d'expulsion: ayant sa résidence
habituelle en France depuis sa naissance, il ne pouvait faire
l'objet d'un tel arrêté puisqu'on ne l'avait pas condamné à un
emprisonnement d'au moins six mois sans sursis ou un an avec
sursis, pour des crimes ou délits commis après l'entrée en
vigueur de la loi en question.
24. Le 18 février, M. Beldjoudi compléta son mémoire
ampliatif. Sur le terrain de l'article 8 (art. 8) de la
Convention, il soutenait que la mise en oeuvre dudit arrêté
porterait gravement atteinte au respect dû à sa vie privée et
familiale; il rappelait à cet égard que, marié depuis 1970 à
une Française, il était né en France, y avait résidé sans
discontinuer et y avait reçu une culture et une éducation
françaises.
25. Le 21 avril 1988, le tribunal rejeta le recours par les
motifs suivants:
"Considérant que par l'arrêté en date du
2 novembre 1979, le ministre de l'Intérieur, suivant
l'avis de la commission spéciale instituée par
l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, a
prononcé l'expulsion de M. Beldjoudi, ressortissant
algérien, qui avait été condamné le 25 novembre 1977 par
la juridiction pénale à une peine de huit ans de
réclusion criminelle pour vol qualifié;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier
qu'en décidant que la présence de M. Beldjoudi
constituait une menace pour l'ordre public et en
prononçant en conséquence son expulsion, le ministre
n'ait pas examiné l'ensemble des éléments relatifs au
comportement du requérant, ni qu'il se soit livré à une
appréciation de ce comportement qui serait entachée
d'erreur manifeste; qu'il n'est pas allégué que cette
appréciation repose sur des faits matériellement
inexacts;
Considérant que M. Beldjoudi n'est pas fondé à faire
valoir des dispositions issues de la Déclaration des
Droits de l'Homme et du Citoyen en invoquant à cet effet
le bénéfice de dispositions de l'article 25 de
l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée dans une
rédaction postérieure à la décision attaquée; qu'eu égard
au caractère de nécessité pour la sûreté publique
présenté par la mesure prise à son encontre, le requérant
n'est pas recevable à se prévaloir des dispositions de
l'article 8 (art. 8) de la Convention européenne des
Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales;"
b) Devant le Conseil d'Etat
26. M. Beldjoudi saisit le Conseil d'Etat le 17 juin 1988,
afin qu'il annulât le jugement du 21 avril 1988 et, pour excès
de pouvoir, l'arrêté du 2 novembre 1979.
27. Le commissaire du gouvernement, M. Ronny Abraham,
présenta les conclusions ci-après:
"La plupart des moyens de la requête ne devraient pas
vous retenir longtemps. L'un d'entre eux, toutefois,
doit vous conduire à réexaminer, et selon nous à
modifier, votre jurisprudence sur un point dont
l'importance n'est pas négligeable.
(...)
Selon le requérant, la mesure d'expulsion qui le frappe
méconnaît [l']article 8 (art. 8) [de la Convention] car
elle porte à sa vie familiale une atteinte excessive.
M. Beldjoudi est marié à une Française depuis le
11 avril 1970; il l'était donc depuis plus de neuf ans à
la date de l'arrêté attaqué.
En l'état de votre jurisprudence, le moyen ainsi
soulevé devrait être écarté comme inopérant.
Vous avez jugé en effet dans une décision du
25 juillet 1980, Touami ben Abdeslem, aux [tables du
Recueil Lebon], p. 820, et au JCP [Juris-Classeur
périodique] 1981.II.19.613, note Pacteau, que l'étranger
'ne peut utilement se prévaloir (...) des dispositions de
l'article 8 (art. 8) de la Convention européenne de
sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés
fondamentales (...) à l'appui de ses conclusions tendant
à l'annulation de la mesure d'expulsion dont il a fait
l'objet'. Dans le même sens, mais avec une rédaction un
peu différente, un arrêt Chrouki du 6 décembre 1985
relève que l'article 8 (art. 8) de la Convention
européenne des Droits de l'Homme ne fait pas obstacle à
l'exercice du pouvoir conféré au ministre de l'Intérieur
par l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, pour
écarter le moyen sans autre examen (req. n° 55912).
Telle est bien la ligne dominante de votre
jurisprudence, même si l'on relève aussi quelques
décisions dans lesquelles vous avez paru vous placer
plutôt sur le fond et dans les circonstances de l'espèce
pour rejeter le moyen: par exemple, une décision Bahi du
6 février 1981 indique que les stipulations de
l'article 8 (art. 8) de la Convention ne sauraient en
l'espèce faire obstacle à une mesure d'expulsion, mais
cette rédaction est trop lapidaire pour qu'on puisse y
voir un véritable infléchissement de votre jurisprudence.
Quoi qu'il en soit de ces incertitudes, nous allons
vous proposer aujourd'hui d'abandonner clairement la
solution consacrée par la décision Touami ben Abdeslem et
d'adopter une démarche entièrement nouvelle sur la
question qui nous occupe.
Trois raisons majeures nous conduisent à vous proposer
cette approche nouvelle.
La première est négative: c'est que nous ne voyons pas
très bien ce qui peut justifier la solution radicalement
défavorable adoptée en 1980.
Vous n'avez certes pas entendu dénier à l'article 8
(art. 8) de la Convention son caractère de norme
directement applicable dans l'ordre interne. Toute votre
jurisprudence est fixée dans le sens de l'effet direct de
la Convention européenne des Droits de l'Homme, et la
rédaction même de l'arrêt Touami ne suggère aucunement
une telle interprétation, puisque l'article 8 (art. 8)
n'est pas écarté en raison de sa nature propre, mais
seulement dans la matière de l'éloignement des étrangers.
Avez-vous entendu, plutôt, faire application de la
technique de la 'loi-écran', et considérer que la loi
définissant de façon complète et exclusive les conditions
légales de l'expulsion, l'adjonction de conditions
supplémentaires tirées de conventions internationales
reviendrait à méconnaître la volonté du législateur ? Si
telle était la justification de votre jurisprudence à
l'époque, elle ne serait évidemment plus valable
aujourd'hui, depuis votre décision d'Assemblée du
20 octobre 1989 dans l'affaire Nicolo, qui fait prévaloir
les traités sur les lois même postérieures. Mais nous
doutons même que ce fût l'explication de votre décision
Touami: celle-ci est relative à un arrêté d'expulsion de
1978; or, à cette date, la législation interne applicable
n'était pas postérieure, mais antérieure à la
ratification par la France de la Convention et
l'explication par la théorie de la 'loi-écran' ne tient
donc pas.
Plus simplement, il nous semble vraisemblable que vous
avez estimé qu'une mesure d'expulsion n'était pas, par
son objet même, de nature à porter atteinte à la vie
familiale de l'étranger: si celui-ci a des attaches
familiales sur le territoire français, rien n'interdit
aux autres membres de la cellule familiale de quitter la
France avec lui. Mais c'est là une vue bien théorique
des choses. Il est sans doute exact que dans certains
cas rien ne s'oppose à ce que la famille quitte le
territoire; mais dans d'autres cas, et spécialement si
l'étranger a un conjoint ou des enfants de nationalité
française, il peut être pratiquement et même
juridiquement difficile aux autres membres de sa famille
de le suivre, si bien que la mesure d'éloignement
compromet la poursuite d'une vie familiale normale. En
tout cas, il est impossible d'affirmer, selon nous,
qu'une mesure d'expulsion ne serait jamais, par nature,
susceptible de porter atteinte à la vie familiale de
l'intéressé, et il n'y a pas de raison d'écarter a priori
comme inopérant le moyen tiré de l'article 8 (art. 8).
Un deuxième motif nous renforce dans cette conviction:
votre jurisprudence n'est pas du tout en harmonie avec
celle qu'a développée, ces dernières années, la Cour
européenne des Droits de l'Homme.
C'est dans un arrêt Berrehab c. Pays-Bas, du
21 juin 1988, que la Cour de Strasbourg a été amenée à
préciser, pour la première fois, les incidences que
pouvait comporter l'article 8 (art. 8) dans la matière
des mesures d'éloignement d'étrangers. Elle a jugé, en
substance, que lorsque l'étranger possède sur le
territoire de l'Etat où il réside des liens familiaux
réels et que la mesure d'éloignement est de nature à
compromettre le maintien de ces liens, cette mesure n'est
justifiée au regard de l'article 8 (art. 8) que si elle
est proportionnée au but légitime poursuivi, c'est-à-
dire, en d'autres termes, si l'atteinte à la vie
familiale qui en résulte n'est pas excessive eu égard à
l'intérêt public qu'il s'agit de protéger. Cette balance
entre l'intérêt public et l'intérêt privé a conduit la
Cour, dans l'affaire Berrehab, à relever une violation de
la Convention de la part des Pays-Bas, s'agissant d'un
étranger père d'un enfant né d'un mariage - dissous -
avec une Néerlandaise et auquel le renouvellement de son
titre de séjour avait été refusé pour des raisons
purement économiques, légitimes certes, mais aboutissant
au cas d'espèce à des conséquences d'une gravité
disproportionnée à l'intérêt public poursuivi.
Une telle démarche intellectuelle ne devrait pas être
de nature à vous déconcerter, et nous ne voyons pas ce
qui s'opposerait à ce que vous la fassiez désormais vôtre
en matière d'expulsion d'étrangers, pour autant bien sûr
que l'article 8 (art. 8) de la Convention soit invoqué.
Le contrôle de proportionnalité fait partie de vos
techniques les plus éprouvées, et la notion de balance à
établir entre des intérêts divergents, publics et privés,
ne vous est certes pas inconnue, puisque vous la mettez
en oeuvre couramment en certaines matières. Certes, le
domaine de l'expulsion est plutôt, jusqu'à présent,
dominé par la notion de pouvoir discrétionnaire et son
corollaire, le contrôle restreint limité à l'erreur
manifeste d'appréciation. Mais même dans cette matière,
vous pratiquez lorsque les textes l'exigent un contrôle
entier - ainsi pour les notions d''urgence absolue' et de
'nécessité impérieuse pour la sécurité nationale' qui
permettent exceptionnellement l'expulsion des étrangers
appartenant à des catégories en principe à l'abri d'une
telle mesure, sous l'empire de la législation postérieure
à 1981 - et il doit en aller de même, selon nous,
lorsqu'il s'agit de faire application de l'article 8
(art. 8) de la Convention.
D'autant plus, et nous en venons à notre dernier
argument, que le maintien de votre jurisprudence Touami
ben Abdeslem aurait pour fâcheuse conséquence d'ouvrir
directement le recours auprès des organes de Strasbourg
aux étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement
et se plaignant de l'atteinte portée à leur vie
familiale, sans obligation pour eux d'avoir préalablement
saisi les juridictions nationales.
On sait en effet que selon la jurisprudence constante
de la Commission européenne des Droits de l'Homme la
règle de l'épuisement préalable des voies de recours
internes, qui conditionne selon l'article 26 (art. 26) de
la Convention la recevabilité des requêtes individuelles
qui peuvent lui être présentées, doit s'entendre comme
faisant seulement obligation au requérant de former
préalablement les recours internes non dépourvus de
chances raisonnables de succès, notamment eu égard à la
jurisprudence des juridictions suprêmes, si bien qu'une
jurisprudence fixée dans un sens défavorable a priori à
la prise en compte de l'article 8 (art. 8) de la
Convention autorise l'étranger à porter directement ses
prétentions devant les organes européens.
La présente affaire en fournit une parfaite
illustration. Sans attendre votre décision, donc avant
d'avoir épuisé toutes les ressources des voies de recours
internes, M. Beldjoudi a saisi la Commission européenne
des Droits de l'Homme d'une requête dénonçant la
violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention dont
il soutient être victime. En dépit de la procédure
encore pendante devant vous, la Commission européenne des
Droits de l'Homme a déclaré la requête recevable, par une
décision du 11 juillet 1989, en se référant notamment à
votre jurisprudence Touami ben Abdeslem.
Aussi la Commission européenne des Droits de l'Homme
a-t-elle, après avoir adopté son rapport, transmis la
requête à la Cour européenne des Droits de l'Homme, et la
même affaire se trouve donc simultanément soumise à votre
juridiction et à celle de Strasbourg, qui statuera sans
doute dans l'année: situation exceptionnelle, et que l'on
ne saurait regarder comme satisfaisante et normale au
regard du mécanisme de contrôle institué par la
Convention européenne des Droits de l'Homme, qui repose
sur l'idée de subsidiarité du contrôle européen par
rapport au contrôle national.
La seule manière d'éviter le renouvellement d'une telle
situation, et plus encore la dépossession pure et simple
du juge national au profit du juge européen, consiste à
exercer vous-mêmes le contrôle du respect de l'article 8
(art. 8) plutôt que d'en laisser la tâche aux organes de
Strasbourg, auxquels vous rendriez d'ailleurs un bien
mauvais service en permettant aux requérants d'y avoir
immédiatement accès.
Si vous nous suivez sur cette question de principe,
vous devrez alors trancher deux points d'espèce: d'une
part, l'expulsion de M. Beldjoudi constitue-t-elle, pour
reprendre les termes de l'article 8 (art. 8), une
'ingérence' dans le 'droit au respect de sa vie
familiale' ? D'autre part, cette 'ingérence' est-elle,
dans les circonstances de l'espèce, nécessaire et
proportionnée au but poursuivi?
Nous vous proposons de répondre par l'affirmative à ces
deux questions.
Il n'est pas douteux, selon nous, que l'expulsion du
requérant compromet dans une certaine mesure sa vie
familiale.
Sans doute n'est-il pas exclu que son épouse française
puisse le suivre à l'étranger, c'est-à-dire pratiquement
en Algérie. Mais il faut admettre que cela n'est guère
facile et que des obstacles juridiques et pratiques
pourraient compromettre l'installation du couple à
l'étranger.
Cependant la gravité des faits commis par l'intéressé
nous paraît justifier la mesure d'expulsion décidée à son
égard, et l'atteinte portée à la vie familiale du
requérant n'est pas en l'espèce disproportionnée au
regard de la menace pour l'ordre public que représentait
le 2 novembre 1979, date à laquelle vous devez vous
placer, la présence de l'intéressé sur le territoire
français.
Nous sommes loin en effet des circonstances qui ont
donné lieu à l'arrêt Berrehab précité.
A partir de 1969, dès l'âge de dix-neuf ans,
M. Beldjoudi a commis plusieurs infractions qui lui ont
valu diverses condamnations correctionnelles: coups et
blessures volontaires, conduite d'un véhicule sans
permis, port d'arme prohibé.
Surtout, le 5 février 1975, il s'est introduit de nuit,
en compagnie de complices, dans la résidence de deux
personnes sur lesquelles les malfaiteurs ont exercé des
violences en vue de leur soustraire leurs économies.
Pour ces faits, le requérant a été condamné le
25 novembre 1977 à huit ans de réclusion criminelle pour
vol qualifié.
Dans ces conditions, la décision prise à son égard en
1979 ne nous paraît pas avoir été disproportionnée au but
poursuivi, ni excessive compte tenu même des conséquences
familiales qu'elle comporte pour l'intéressé.
Sur un plateau de la balance, il faut placer l'intérêt
public qui s'attache à éloigner un individu qui constitue
une menace grave pour la sécurité des biens et des
personnes. Sur l'autre, il faut tenir compte des
difficultés qu'il y aurait pour M. Beldjoudi et son
épouse - le couple est sans enfant - à se réinstaller à
l'étranger sans rupture de la vie familiale. La balance
nous paraît pencher dans le sens de l'intérêt public.
Nous n'aurions aucun doute sur cette conclusion si, il
nous faut vous en parler à présent, la Commission
européenne des Droits de l'Homme n'avait adopté un point
de vue inverse dans le rapport qu'elle a établi sur cette
affaire en application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1)
de la Convention et qu'elle a transmis à la Cour en même
temps que la requête.
Par douze voix contre cinq, la Commission a été d'avis
que l'expulsion de M. Beldjoudi constituait une violation
de l'article 8 (art. 8).
Il faut évidemment tenir le plus grand compte d'un tel
avis, mais il ne faut pas méconnaître cependant qu'il ne
s'agit que d'une opinion, certes très autorisée et
estimable, puisque la Commission exerce en quelque sorte
devant la Cour la fonction de votre commissaire du
gouvernement, ce qui suffit à en indiquer l'importance,
mais que la Cour n'est pas tenue de suivre; aussi bien,
dans le passé, la Cour s'est-elle à plusieurs reprises
dissociée des conclusions de la Commission.
Pour notre part, nous ne pouvons adhérer au
raisonnement suivi par cette dernière. Il est évident, à
la lecture de son rapport, qu'elle s'est fondée moins sur
les liens matrimoniaux de M. Beldjoudi, que sur la
circonstance que l'intéressé est né en France, qu'il y a
toujours vécu, qu'il n'a semble-t-il pas de relations
personnelles en Algérie, qu'il ne maîtrise pas la langue
arabe, et que, comme l'écrit la Commission, 'le lien de
nationalité du requérant - s'il correspond à une donnée
juridique - ne correspond toutefois à aucune réalité
humaine concrète' (paragraphe 64 du rapport).
Nous comprenons l'importance humaine de ces éléments;
sous l'empire de la législation postérieure à 1981, ils
auraient peut-être mis M. Beldjoudi, en dépit de la
gravité des faits commis par lui, à l'abri d'une mesure
d'expulsion. Mais ils nous paraissent étrangers à la
notion de 'vie familiale' protégée par l'article 8
(art. 8), et tout autant à celle de 'vie privée' sur
laquelle deux membres de la Commission, dans une opinion
concordante mais séparée, annexée au rapport, ont proposé
de fonder de préférence le constat d'une violation de
l'article 8 (art. 8).
En réalité, ce que la Commission a entendu protéger,
c'est non pas la 'vie familiale' ou la 'vie privée' mais
plutôt la vie personnelle, la vie sociale du requérant.
Mais cela nous paraît sortir du cadre de la disposition
invoquée.
Nous ajouterons pour votre complète information que
l'expulsion de M. Beldjoudi n'a pas été matériellement
exécutée et que, dans un souci de conciliation,
l'administration l'a assigné à résidence dans le
département des Hauts-de-Seine où il se trouve toujours.
Par l'ensemble de ces motifs, nous concluons au rejet
de la requête."
28. Le 18 janvier 1991, le Conseil d'Etat suivit lesdites
conclusions en se fondant sur les raisons que voici:
"Sur la régularité du jugement attaqué
Considérant, d'une part, que, contrairement à ce que
soutient le requérant, le jugement attaqué n'a pas omis
de statuer sur le moyen tiré de l'application de
l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte d'un arrêt de
la cour d'appel de Versailles du 14 octobre 1987, rendu
antérieurement au jugement attaqué, que l'intéressé est
de nationalité algérienne; qu'ainsi le tribunal
administratif a pu à bon droit considérer comme tranchée
la question de nationalité sur laquelle il avait sursis à
statuer par un précédent jugement et s'abstenir de
répondre au moyen tiré de la nationalité française de
M. Beldjoudi, que ce dernier avait abandonnée;
Sur la légalité de l'arrêté du ministre de l'Intérieur du
2 novembre 1979
Considérant que M. Beldjoudi, qui n'a soulevé, devant
le tribunal administratif, aucun moyen relatif à la
légalité externe de l'arrêté ordonnant son expulsion,
n'est, en tout état de cause, pas recevable à soulever,
pour la première fois [en] appel, des moyens tirés du
défaut de motivation de l'avis de la commission
d'expulsion, de l'arrêté prononçant cette mesure et du
bulletin qui en porte notification, qui reposent sur une
cause juridique différente de celle qui fondait sa
demande de première instance;
Considérant qu'aux termes de l'article [23] de
l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction en
vigueur à la date de la décision attaquée, antérieure à
la loi du 29 octobre 1981: 'l'expulsion peut être
prononcée par arrêté du ministre de l'Intérieur si la
présence de l'étranger sur le territoire français
constitue une menace pour l'ordre public ou le crédit
public'; qu'il ressort des pièces du dossier que la
mesure précitée a été prise par le ministre de
l'Intérieur après que celui-ci a pris en considération
non les seules condamnations pénales encourues par
M. Beldjoudi mais l'ensemble du comportement de
l'intéressé; qu'elle n'est donc pas entachée d'erreur de
droit;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 (art. 8) de la
Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme
et des Libertés fondamentales: '1. Toute personne a
droit au respect de sa vie privée et familiale, de son
domicile et de sa correspondance - 2. Il ne peut y avoir
ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce
droit que pour autant que cette ingérence est prévue par
la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique
du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des
infractions pénales, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés
d'autrui'; que la mesure attaquée, fondée sur la défense
de l'ordre public, était, eu égard au comportement du
requérant et à la gravité des actes commis par lui,
nécessaire pour la défense de cet ordre; que, dans ces
conditions, elle n'a pas été prise en violation de
l'article 8 (art. 8) de ladite Convention;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que
M. Beldjoudi n'est pas fondé à demander l'annulation du
jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de
Versailles a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté
du ministre de l'Intérieur du 2 novembre 1979 lui
enjoignant de quitter le territoire national;"
(Recueil Lebon 1991, p. 18)
4. Les requêtes en sursis à exécution
29. Le 27 décembre 1979, M. Beldjoudi avait déposé au greffe
du Conseil d'Etat une requête en sursis à exécution. La Haute
Assemblée la rejeta le 16 mai 1980: à ses yeux, "aucun des
moyens invoqués ne paraissait de nature à justifier
l'annulation de l'arrêté d'expulsion".
30. Pendant l'instruction de son recours en annulation devant
le tribunal administratif de Versailles (paragraphes 18-25 ci-
dessus), l'intéressé sollicita un tel sursis à deux reprises.
Enregistrées les 26 mars 1986 et 22 février 1988, ses demandes
furent jointes au fond et repoussées le 21 avril 1988
(paragraphe 25 ci-dessus).
C. Les demandes de recouvrement ou de reconnaissance de la
nationalité française
1. La demande de recouvrement
31. Le 1er avril 1970 - soit onze jours avant son mariage -,
M. Beldjoudi souscrivit devant le tribunal d'instance de
Colombes une déclaration en vue de recouvrer la nationalité
française. Il invoquait l'article 3 de la loi du 20 décembre
1966 qui accordait une telle faculté aux enfants mineurs nés
avant le 1er janvier 1963 et dont les parents n'avaient pas
formulé pareille déclaration.
32. Un décret du premier ministre, adopté le
16 septembre 1970 sur avis conforme du Conseil d'Etat et
notifié le 3 février 1972, refusa de lui reconnaître ladite
nationalité (article 4 du décret du 27 novembre 1962).
33. Recensé à sa demande avec la classe 1973, le requérant
obtint le 7 juillet 1971, à Blois, une attestation d'aptitude
au service national, délivrée par le commandant du centre de
sélection n° 10 du contingent de l'armée française. Il
n'accomplit pourtant pas le service en question: le
25 juin 1971, le commandant du bureau de recrutement de
Versailles l'avait rayé des tableaux de recensement.
2. La demande de reconnaissance
a) Devant le tribunal d'instance de Colombes
34. Le 17 juin 1983, M. Beldjoudi déposa une déclaration de
nationalité devant le tribunal d'instance de Colombes, en
l'accompagnant de justificatifs. Il affirmait avoir joui de
façon constante de la possession d'état de Français.
35. Le 15 juillet, le juge retourna le dossier à l'avocat du
requérant et lui indiqua que ce dernier devait s'adresser à la
préfecture des Hauts-de-Seine pour solliciter sa
naturalisation.
36. Le 21 décembre, M. Beldjoudi pria le juge en question de
lui délivrer un certificat de nationalité française. Le
magistrat s'y refusa par un avis du 28, les éléments fournis
ne permettant pas de prouver que l'intéressé jouissait de la
nationalité française.
b) Devant le tribunal de grande instance de Nanterre
37. Le 17 janvier 1984, le requérant assigna le procureur de
la République près le tribunal de grande instance de Nanterre
afin de se voir reconnaître la nationalité française.
38. Le tribunal rejeta la demande le 15 décembre 1985, au
motif que l'intéressé avait perdu ladite nationalité le
1er janvier 1963, en application de l'article 1, deuxième
alinéa, de la loi du 20 décembre 1966 (paragraphe 58 ci-
dessous).
c) Devant la cour d'appel de Versailles
39. M. Beldjoudi attaqua le jugement devant la cour d'appel
de Versailles le 7 mars 1986. Il soutenait que son père ne
lui avait transmis aucun élément l'autorisant à se réclamer de
l'identité algérienne par la culture et la langue, que la
religion coranique lui était étrangère, qu'il avait la
possession d'état de Français et que la contestation de sa
nationalité française sur la base de son statut coranique
représenterait une ingérence discriminatoire, manifestement
contraire aux articles 3, 8, 9, 12 et 14 (art. 3, art. 8,
art. 9, art. 12, art. 14) de la Convention, dans sa liberté de
conscience et dans son droit à mener une vie familiale
normale.
40. La cour d'appel le débouta le 14 octobre 1987. Elle se
fondait sur les raisons ci-après:
"Considérant que le statut civil se transmet par la
filiation; que l'enfant né de deux parents de statut
civil de droit local possède ce statut; qu'antérieurement
à l'indépendance de l'Algérie, M. Beldjoudi père, ainsi
qu'il en avait la possibilité, n'a pas déclaré renoncer à
son statut civil personnel de droit local pour accéder au
statut civil de droit commun; que l'appartenance de M.
Mohand Beldjoudi au statut civil de droit local musulman
ne concernait que les règles applicables à l'exercice de
ses droits civils mais respectait la liberté de ses
convictions religieuses et n'impliquait pas la nécessité
d'adhérer à la religion coranique; que contrairement à
ses prétentions M. Beldjoudi ne peut revendiquer pour
lui-même et son père la possession d'état de Français
alors que selon une correspondance du préfet, commissaire
de la République du département des Hauts-de-Seine du
4 juin 1984, son père, ses frères et soeurs sont tous
titulaires depuis de nombreuses années de la carte
nationale d'identité algérienne et de titres de séjour
d'étrangers, et que lui-même n'a jamais eu, depuis
l'indépendance de l'Algérie, de documents tels que carte
nationale d'identité française, passeport français,
justifiant de sa possession d'état de Français mais a
fait l'objet le 2 novembre 1979 d'un arrêté d'expulsion
qui apparemment ne lui a pas interdit jusqu'alors de
mener en France une vie familiale normale; que dès lors,
le dernier moyen qu'il invoque, tiré de la possession
d'état de Français et de la violation de la Convention
européenne des Droits de l'Homme, d'ailleurs non en
vigueur lorsqu'il a perdu la nationalité française, doit
être écarté;"
L'arrêt fut notifié à l'intéressé le 20 juillet 1989.
d) Devant la Cour de cassation
41. M. Beldjoudi avait formé dès le 15 février 1989 un
pourvoi que la Cour de cassation (première chambre civile)
repoussa le 12 mars 1991 par les motifs suivants:
"Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué
(Versailles, 14 octobre 1987), que M. Mohand Beldjoudi,
né à Courbevoie le 23 mai 1950 de Seghir Beldjoudi, né le
9 avril 1909 à Sidi-Moufouk (Algérie), et de Hanifa
Khalis, née en 1926 à Elflaya (Algérie), a engagé une
instance pour se voir reconnaître la nationalité
française; qu'il a été débouté de sa demande au motif
que, mineur de dix-huit ans à l'entrée en vigueur de
l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962, il avait
suivi, en ce qui concerne les effets sur sa nationalité
de l'accession de l'Algérie à l'indépendance, la
condition de ses parents, originaires de ce territoire et
de statut civil de droit local, et que, n'ayant pas
bénéficié de l'effet collectif d'une déclaration
recognitive de nationalité souscrite par son père en
temps utile, il était réputé avoir perdu la nationalité
française au 1er janvier 1963, conformément à
l'article 1er, alinéa 2, de la loi n° 66-945 du 20
décembre 1966;
Attendu que M. Beldjoudi fait grief à l'arrêt attaqué
de s'être déterminé par un motif inopérant, selon lequel
le contrôle de constitutionnalité de la loi du
20 décembre 1966 n'appartenait pas aux tribunaux
judiciaires, pour écarter le moyen pris de ce que ce
texte était contraire aux dispositions de l'article 5, d
III, de la convention internationale du 7 mars 1966 pour
l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale, ratifiée par la France et publiée au Journal
officiel du 10 novembre 1971, qui interdisait toute
discrimination fondée sur les origines, notamment
ethniques, pour l'attribution ou le retrait de leur
nationalité aux ressortissants des Etats membres;
Mais attendu que l'arrêt attaqué a relevé que la loi
n° 66-945 du 20 décembre 1966 se fondait, pour régler les
conséquences sur la nationalité de l'accession de
l'Algérie à l'indépendance, sur le statut civil des
personnels originaires de ce territoire et non sur un
critère prohibé par la convention précitée;
D'où il suit que l'arrêt n'encourt pas le grief qui lui
est fait par le moyen, lequel ne peut être accueilli;"
II. Le droit interne pertinent
A. L'expulsion des étrangers
42. L'expulsion des étrangers obéit aux dispositions de
l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions
d'entrée et de séjour des étrangers en France. Le texte de
cette dernière a été remanié à plusieurs reprises, notamment
après le 2 novembre 1979, date d'adoption de l'arrêté
ministériel frappant le requérant (paragraphe 15 ci-dessus).
Les lois en question ne comportaient pas de dispositions
transitoires.
1. Les motifs d'expulsion
a) La situation en 1979
43. En 1979, l'article 23 de l'ordonnance de 1945 se lisait
ainsi:
"(...) l'expulsion peut être prononcée par arrêté du
ministre de l'Intérieur si la présence de l'étranger sur
le territoire français constitue une menace pour l'ordre
public ou le crédit public."
b) La situation après 1979
44. Une loi du 29 octobre 1981 modifia l'article 23, en
subordonnant désormais l'expulsion à l'existence d'une menace
"grave pour l'ordre public".
Toutefois, et sauf pour les étrangers mineurs de dix-huit
ans, l'article 26 de la nouvelle loi ménageait une dérogation:
"En cas d'urgence absolue (...), l'expulsion peut être
prononcée lorsqu'elle constitue une nécessité impérieuse
pour la sûreté de l'Etat ou pour la sécurité publique.
(...)"
45. Ces règles furent remaniées par une loi du
9 septembre 1986.
L'article 23 reprit son libellé original, celui de 1945.
Il ajouta cependant que "L'arrêté d'expulsion [pouvait] à tout
moment être abrogé par le ministre de l'Intérieur".
Quant à l'article 26, il précisa qu'"une menace [pour
l'ordre public] présentant un caractère de particulière
gravité" pouvait, en cas d'urgence absolue, justifier une
expulsion.
46. Une loi du 2 août 1989 est revenue aux textes de 1981.
47. En 1990, le ministre de l'Intérieur a pris 383 arrêtés
d'expulsion. Cent un d'entre eux se fondaient sur
l'article 26 de l'ordonnance de 1945, dont 54 pour des crimes
ou délits de droit commun et 47 pour des infractions contre la
sûreté extérieure ou intérieure de l'Etat.
2. Les sujets de l'expulsion
a) La situation en 1979
48. L'ordonnance de 1945 ne définissait pas de catégories de
personnes à l'abri de toute mesure d'expulsion.
b) La situation après 1979
49. Une fois amendé par la loi du 29 octobre 1981,
l'article 25 de ladite ordonnance indiquait en revanche:
"Ne peuvent faire l'objet d'un arrêté d'expulsion, en
application de l'article 23:
1° L'étranger mineur de dix-huit ans;
2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider
en France habituellement depuis qu'il a atteint au plus
l'âge de dix ans;
3° L'étranger qui justifie par tous moyens résider en
France habituellement depuis plus de quinze ans ainsi que
l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus
de dix ans;
4° L'étranger marié depuis au moins six mois, dont le
conjoint est de nationalité française;
5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français
résidant en France à la condition qu'il exerce, même
partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet
enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins;
6° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du
travail ou de maladie professionnelle servie par un
organisme français et dont le taux d'incapacité
permanente est égal ou supérieur à 20 %;
7° L'étranger résidant régulièrement en France sous
couvert de l'un des titres de séjour prévus par la
présente ordonnance ou les conventions internationales
qui n'a pas été condamné définitivement à une peine au
moins égale à un an d'emprisonnement sans sursis.
Toutefois par dérogation au 7° ci-dessus, peut être
expulsé tout étranger qui a été condamné définitivement à
une peine d'emprisonnement sans sursis d'une durée
quelconque pour une infraction prévue aux articles 4 et 8
de la loi n° 73-548 du 27 juin 1973 relative à
l'hébergement collectif, à l'article L.364-2-1 du code du
travail ou aux articles 334, 334-1 et 335 du code pénal.
(...)"
50. La loi du 9 septembre 1986 restreignait les cas de non-
expulsion, mais la loi du 2 août 1989 a opéré un retour à la
législation de 1981.
3. L'exécution de l'expulsion
51. En droit français, l'expulsion s'analyse en une mesure de
police et non en une sanction pénale. L'étranger concerné ne
bénéficie pas de la rétroactivité des dispositions nouvelles
plus favorables. Il ne peut donc les invoquer à l'appui d'une
requête en annulation de la décision qui le frappe.
52. Adopté par le ministre de l'Intérieur, l'arrêté
d'expulsion demeure en vigueur sans limite de temps.
L'étranger visé peut à tout moment, et autant de fois qu'il le
désire, en solliciter l'abrogation.
53. Quand l'intéressé a quitté le territoire français depuis
plus de cinq ans et entend obtenir pareille abrogation, une
commission composée uniquement de magistrats examine sa
demande. Si elle formule un avis favorable, il lie le
ministre.
54. Il arrive très souvent au ministre de l'Intérieur de
renoncer à faire exécuter un arrêté d'expulsion tout en se
refusant à l'abroger. En pareil cas, l'étranger est assigné à
résidence dans l'espoir de sa réinsertion. S'il continue à
troubler l'ordre public, il peut se voir expulser. Il s'agit
alors d'une décision nouvelle, détachable de l'arrêté et
attaquable en elle-même devant le juge administratif.
S'il est saisi, ce dernier s'interroge sur le
comportement de l'intéressé pendant le laps de temps où l'on a
toléré sa présence sur le sol français. Pour apprécier la
légalité de la mesure, il se place donc à la date à laquelle
il statue.
4. La jurisprudence du Conseil d'Etat
55. Pendant une dizaine d'années, le Conseil d'Etat a
considéré comme inopérant à l'encontre d'un arrêté d'expulsion
le moyen tiré de l'article 8 (art. 8) de la Convention (voir
par exemple les arrêts Touami ben Abdeslem du 25 juillet 1980,
Recueil Lebon 1980, p. 820, et Juris-Classeur périodique 1981,
jurisprudence, n° 19613, avec la note de M. Bernard Pacteau,
et Chrouki du 6 décembre 1985).
Son arrêt Beldjoudi du 18 janvier 1991 (paragraphe 28
ci-dessus) marque l'abandon de cette jurisprudence. La Haute
Assemblée accepte désormais de substituer au contrôle de
l'erreur manifeste d'appréciation au regard de la seule menace
pour l'ordre public un entier contrôle de proportionnalité, ce
qui a parfois entraîné l'annulation d'arrêtés d'expulsion
(voir par exemple l'arrêt Belgacem du 19 avril 1991
(Assemblée), avec les conclusions de M. le commissaire du
gouvernement Ronny Abraham, Revue française de droit
administratif 1991, pp. 497-510, et l'arrêt Hadad du
26 juillet 1991 (président de la section du contentieux), à
paraître dans le Recueil Lebon).
B. L'acquisition de la nationalité
1. La reconnaissance de la nationalité
a) La loi du 28 juillet 1960
56. La loi du 28 juillet 1960 a inséré dans le code de la
nationalité un titre VII, "De la reconnaissance de la
nationalité française".
Limitée aux territoires d'outre-mer (T.O.M.), elle
instituait au profit de certaines catégories de "domiciliés"
et de leurs descendants un moyen original de se faire
reconnaître la nationalité française, à la double condition de
se fixer sur le sol français et de souscrire une déclaration.
b) L'ordonnance du 21 juillet 1962
57. Lors de son accession à l'indépendance, l'Algérie ne
possédait pas le statut de T.O.M. Cela conduisit le
législateur français à édicter l'ordonnance du 21 juillet 1962
relative à certaines dispositions concernant la nationalité.
En vertu de ce texte, ont conservé de plein droit la
nationalité française les personnes de statut civil de droit
commun, plus celles de statut civil de droit local auxquelles
la loi algérienne n'a pas conféré la nationalité algérienne.
Pour les autres personnes de statut civil de droit local
- catégorie à laquelle appartient la famille du requérant -,
l'article 21 prévoyait qu'à compter du 1er janvier 1963 elles
ne pouvaient - de même que leurs enfants - établir leur
nationalité française qu'en démontrant avoir souscrit une
déclaration de "reconnaissance de la nationalité française".
c) La loi du 20 décembre 1966
58. La loi du 20 décembre 1966 a mis un terme, à dater du
21 mars 1967, à l'application de l'ordonnance de 1962. Elle a
rendu effective la perte de la nationalité française en
l'absence de déclaration recognitive.
Son article 1, alinéa 2 c), disposait:
"Les personnes de statut civil de droit local originaires
d'Algérie qui n'ont pas souscrit à cette date la
déclaration prévue à l'article 152 du code de la
nationalité sont réputées avoir perdu la nationalité
française au 1er janvier 1963. Toutefois, les personnes
de statut civil de droit local, originaires d'Algérie,
conservent de plein droit la nationalité française si une
autre nationalité ne leur a pas été conférée
postérieurement au 3 juillet 1962."
Son article 3 offrait néanmoins une possibilité de
réintégration dans la nationalité française aux enfants
mineurs nés avant le 1er janvier 1963 - tel le requérant -
lorsque le parent dont ils suivaient la nationalité n'avait
pas souscrit la déclaration recognitive.
d) La loi du 9 janvier 1973
59. La loi du 9 janvier 1973 a supprimé l'institution de la
reconnaissance et retiré ce mot du code de la nationalité. Le
titre VIII de ce dernier, complètement réécrit, prévoit pour
l'avenir des modalités particulières de réintégration en
faveur de certaines catégories de personnes ayant perdu la
nationalité française par suite de l'accession de leur pays à
l'indépendance.
2. La naturalisation
60. La naturalisation est accordée par décret. Peut en
bénéficier, entre autres, "le ressortissant ou ancien
ressortissant des territoires ou Etats sur lesquels la France
a exercé soit la souveraineté, soit un protectorat, un mandat
ou une tutelle" (article 64, alinéa 5, du code de la
nationalité).
Toutefois, "L'étranger qui a fait l'objet d'un arrêté
d'expulsion ou d'un arrêté d'assignation à résidence, n'est
susceptible d'être naturalisé que si cet arrêté a été rapporté
dans les formes où il est intervenu" (article 65, premier
alinéa). En outre, "Nul ne peut être naturalisé s'il n'est
pas de bonne vie et moeurs ou s'il a fait l'objet de l'une des
condamnations visées à l'article 79 (...)" (article 68).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
61. Dans leur requête du 28 mars 1986 à la Commission
(n° 12083/86), M. et Mme Beldjoudi alléguaient que la mesure
d'expulsion frappant le premier enfreignait plusieurs
dispositions de la Convention: l'article 8 (art. 8), pour
atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et
familiale; l'article 3 (art. 3), car le refus probable des
autorités algériennes de délivrer à M. Beldjoudi un passeport
lui permettant de quitter l'Algérie constituerait un
traitement inhumain et dégradant; l'article 14 combiné avec
l'article 8 (art. 14+8), pour discrimination fondée sur les
croyances religieuses ou l'origine ethnique de M. Beldjoudi;
l'article 9 (art. 9), pour entrave à leur liberté de pensée,
de conscience et de religion; l'article 12 (art. 12), pour
méconnaissance de leur droit de se marier et de fonder une
famille.
62. La Commission a retenu la requête le 11 juillet 1989.
Dans son rapport du 6 septembre 1990 (article 31) (art. 31),
elle conclut
a) que l'expulsion de M. Beldjoudi violerait le droit de
celui-ci et de son épouse au respect de leur vie familiale au
sens de l'article 8 (art. 8) (douze voix contre cinq), mais
n'enfreindrait pas l'article 3 (art. 3) (unanimité);
b) qu'il n'y a eu manquement aux exigences ni de l'article 14
combiné avec l'article 8 (art. 14+8) (unanimité) ni des
articles 9 et 12 (art. 9, art. 12) (unanimité).
Le texte intégral de son avis et des deux opinions
séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent
arrêt*.
_______________
* Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y
figurera que dans l'édition imprimée (volume 234-A de la série
A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer
auprès du greffe.
_______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
63. Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour "de
bien vouloir juger qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation de
l'article 8 (art. 8) de la Convention ni des autres articles
invoqués par les requérants".
64. Quant au conseil des requérants, il a formulé ainsi ses
conclusions:
"M. et Mme Beldjoudi demandent qu'il plaise à la Cour,
Dire que l'arrêté d'expulsion pris le 2 novembre 1979
par le gouvernement français contre M. Mohand Beldjoudi
constitue une violation tant de l'article 8 (art. 8) de
la Convention (...) que des articles 8 et 14 combinés de
(art. 14+8) ladite Convention.
Dans l'hypothèse où le gouvernement français
s'abstiendrait de faire cesser sans délai cette
violation, les époux Beldjoudi demandent, en réparation
du préjudice résultant de ces violations, la condamnation
de la France à leur payer la somme de 10 000 000 francs
français de dommages et intérêts et celle de 100 000
francs français à titre de remboursement des frais
irrépétibles exposés pour les besoins de leur défense
devant la Commission et la Cour européennes des Droits de
l'Homme."
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 8 (art. 8)
65. Selon les requérants, la décision d'expulser M. Beldjoudi
porte atteinte à leur vie privée et familiale. Ils invoquent
l'article 8 (art. 8) de la Convention, ainsi libellé:
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée
et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité
publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que
cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle
constitue une mesure qui, dans une société démocratique,
est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, au bien-être économique du pays, à la défense
de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à
la protection de la santé ou de la morale, ou à la
protection des droits et libertés d'autrui."
Le Gouvernement combat cette thèse, mais la Commission y
souscrit au moins quant à la vie familiale.
A. Paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1)
66. A l'origine, le Gouvernement a exprimé des doutes sur
l'existence d'une vie familiale effective entre, d'une part,
M. Beldjoudi et, de l'autre, ses parents, ses frères et soeurs
ainsi que son épouse. Il n'est pas revenu sur la question
devant la Cour.
67. Celle-ci se borne à noter, avec la Commission, que
l'exécution de la mesure d'expulsion constituerait une
ingérence de l'autorité publique dans l'exercice du droit des
requérants au respect de leur vie familiale, garanti par le
paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1).
B. Paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2)
68. Il échet, dès lors, de déterminer si l'expulsion
litigieuse remplirait les conditions du paragraphe 2
(art. 8-2), c'est-à-dire serait "prévue par la loi", tournée
vers un ou plusieurs des buts légitimes qu'il énumère et
"nécessaire", "dans une société démocratique", pour les
réaliser.
1. "Prévue par la loi"
69. La Cour relève, avec les comparants, que l'arrêté
ministériel du 2 novembre 1979 se fonde sur l'article 23 de
l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions
d'entrée et de séjour des étrangers en France (paragraphe 43
ci-dessus). Le Conseil d'Etat en a d'ailleurs constaté la
légalité par son arrêt du 18 janvier 1991 (paragraphe 28
ci-dessus).
2. But légitime
70. Gouvernement et Commission estiment que l'ingérence en
cause viserait des fins pleinement compatibles avec la
Convention: la "défense de l'ordre" et la "prévention des
infractions pénales". Les requérants ne le contestent pas.
La Cour arrive à la même conclusion.
3. "Nécessaire", "dans une société démocratique"
71. D'après les requérants, l'expulsion de M. Beldjoudi ne
saurait passer pour "nécessaire dans une société
démocratique".
Ils invoquent notamment plusieurs circonstances:
l'intéressé est né en France de parents originaires d'un
territoire alors français, l'Algérie; il y a toujours vécu, de
même que ses frères et soeurs (paragraphe 9 ci-dessus); il
déclare ignorer la langue arabe et a reçu une éducation et une
culture françaises; il a épousé en 1970 une Française
(paragraphes 10-11 ci-dessus), qui se verrait contrainte de
s'exiler de son propre pays pour ne pas se séparer de son
mari; il aurait joui de la possession d'état de Français
jusqu'au 3 février 1972, date de la notification du décret du
premier ministre refusant de lui reconnaître la nationalité
française (paragraphe 32 ci-dessus); le préfet des Hauts-de-
Seine lui a proposé, au début de 1984, une autorisation
provisoire de séjour (paragraphe 22 ci-dessus) et le ministre
de l'Intérieur a pris en sa faveur, le 31 août 1989, un arrêté
d'assignation à résidence (paragraphe 16 ci-dessus); il
n'aurait pu faire l'objet d'une mesure d'expulsion si l'entrée
en vigueur des lois des 29 octobre 1981 et 9 septembre 1986
avait eu lieu plus tôt (paragraphes 44-45 ci-dessus).
Bref, M. Beldjoudi - qui ne se considère nullement comme
un "immigré de la seconde génération" - et sa femme affirment
avoir en France toutes leurs attaches familiales, sociales,
culturelles et linguistiques; ils allèguent l'absence de
circonstances exceptionnelles propres à justifier l'expulsion.
72. La Commission souscrit pour l'essentiel à cette thèse,
mais elle attache un poids particulier à deux éléments
supplémentaires. D'abord, Mme Beldjoudi pourrait avoir de
bonnes raisons de ne pas suivre son mari en Algérie, d'autant
qu'elle avait lieu de croire, lors de son mariage, qu'elle
pourrait continuer à vivre avec lui en France. Ensuite, les
infractions accomplies par M. Beldjoudi - avant et après
l'arrêté d'expulsion - ne seraient pas telles, malgré tout,
que les impératifs de l'ordre public doivent l'emporter sur
les considérations de caractère familial.
73. Le Gouvernement, lui, invoque d'abord la nature des faits
justifiant l'expulsion. Il souligne la multiplicité et la
gravité des infractions commises - toutes à l'âge adulte - par
le requérant et qui s'échelonnent sur une période de quinze
ans (paragraphe 12 ci-dessus). Il relève aussi la lourdeur
des peines infligées par les juridictions françaises,
notamment par la cour d'assises des Hauts-de-Seine pour un
acte qualifié crime (paragraphe 12 ci-dessus); elles dépassent
au total dix ans de privation de liberté. Il rappelle enfin
que l'intéressé a persévéré dans la délinquance même après la
notification de l'arrêté d'expulsion et se trouve actuellement
en détention provisoire, sous l'inculpation d'un nouveau délit
(paragraphes 12 et 14 ci-dessus). En résumé, la dangerosité
de M. Beldjoudi rendrait intolérable pour la collectivité la
présence de celui-ci sur le territoire français.
D'autre part, le Gouvernement estime qu'il ne faut pas
exagérer l'ampleur de l'ingérence incriminée. Seule se
trouverait en cause la vie familiale des requérants en tant
que conjoints: M. Beldjoudi n'habite plus chez ses parents
depuis 1969 et ne participe pas à l'entretien de ses frères et
soeurs; en outre, le couple n'a pas d'enfants. Or les époux
ont dû se séparer pendant de longues périodes en raison des
incarcérations de M. Beldjoudi. De surcroît, ce dernier ne
démontre pas que sa femme, s'il devait effectivement quitter
le territoire français, ne pourrait l'accompagner soit en
Algérie - Etat qui aurait conservé de multiples liens avec la
France -, soit dans un pays tiers. En définitive, les
difficultés d'une réinstallation hors de France, sans rupture
de la vie familiale, n'auraient rien d'insurmontable.
74. La Cour reconnaît qu'il incombe aux Etats contractants
d'assurer l'ordre public, en particulier dans l'exercice de
leur droit de contrôler, en vertu d'un principe de droit
international bien établi et sans préjudice des engagements
découlant pour eux de traités, l'entrée, le séjour et
l'éloignement des non-nationaux (arrêts Abdulaziz, Cabales et
Balkandali c. Royaume-Uni du 28 mai 1985, série A n° 94,
p. 34, par. 67, Berrehab c. Pays-Bas du 21 juin 1988, série A
n° 138, pp. 15-16, paras. 28-29, et Moustaquim c. Belgique du
18 février 1991, série A n° 193, p. 19, par. 43).
Toutefois, leurs décisions en la matière, dans la mesure
où elles porteraient atteinte à un droit protégé par le
paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1), doivent se révéler
nécessaires dans une société démocratique, c'est-à-dire
justifiées par un besoin social impérieux et, notamment,
proportionnées au but légitime poursuivi.
75. En l'occurrence, le passé pénal de M. Beldjoudi apparaît
beaucoup plus chargé que celui de M. Moustaquim (arrêt
précité, série A n° 193, p. 19, par. 44); le Gouvernement le
souligne à juste titre. Il importe donc de rechercher si les
autres circonstances de la cause - communes aux deux
requérants ou propres à l'un d'eux - suffisent à compenser
cette donnée d'un poids considérable.
76. Les intéressés ont introduit une requête unique et
soulevé les mêmes griefs. Compte tenu de leur âge et de
l'absence d'enfants à leur foyer, l'ingérence litigieuse
touche au premier chef leur vie familiale d'époux; le
Gouvernement a raison de le soutenir.
Or ils se sont mariés en France il y a plus de vingt ans
et y ont toujours eu leur domicile conjugal. Les périodes de
détention de M. Beldjoudi les ont certes empêchés de cohabiter
pendant de longues périodes, mais elles n'ont pas interrompu
leur vie familiale, laquelle demeurait protégée par
l'article 8 (art. 8).
77. Sujet direct de l'expulsion, M. Beldjoudi est né en
France de parents alors français; il a possédé la nationalité
française jusqu'au 1er janvier 1963. Il est réputé l'avoir
perdue à cette date, ses parents n'ayant pas souscrit avant le
27 mars 1967 une déclaration recognitive (paragraphe 9
ci-dessus). Il ne faut pourtant pas oublier que l'intéressé,
mineur à l'époque, ne pouvait se prononcer en personne. En
outre, dès 1970, soit un an après sa première condamnation
mais plus de neuf ans avant l'adoption de l'arrêté
d'expulsion, il a manifesté sa volonté de recouvrer la
nationalité française; recensé à sa demande en 1971, il a été
reconnu apte au service national par les autorités militaires
françaises (paragraphes 31 et 33 ci-dessus).
En second lieu, le requérant a épousé une Française.
Toute sa proche famille a conservé la nationalité française
jusqu'au 1er janvier 1963 et réside en France depuis plusieurs
dizaines d'années.
Enfin, M. Beldjoudi a passé en France son existence
entière, soit plus de quarante ans, a suivi sa scolarité en
français et ne semble pas connaître la langue arabe. Il ne
paraît pas avoir avec l'Algérie d'autres liens que celui de la
nationalité.
78. Quant à Mme Beldjoudi, née en France de parents français,
elle y a toujours vécu et en possède la nationalité. Si elle
suivait son mari après l'expulsion, elle devrait se fixer à
l'étranger, sans doute en Algérie, Etat dont elle ignore
probablement la langue. Pareil déracinement pourrait lui
causer de grandes difficultés d'adaptation et se heurter à de
réels obstacles pratiques et même juridiques; le commissaire
du gouvernement l'a d'ailleurs reconnu devant le Conseil
d'Etat (paragraphe 27 ci-dessus). Dès lors, l'ingérence
litigieuse risquerait de mettre en péril l'unité, voire
l'existence du ménage.
79. Eu égard à ces diverses circonstances, il apparaît, quant
au respect de la vie familiale des requérants, que la décision
d'expulser M. Beldjoudi, si elle recevait exécution, ne serait
pas proportionnée au but légitime poursuivi et violerait donc
l'article 8 (art. 8).
80. Pareille conclusion dispense la Cour de rechercher si
l'expulsion méconnaîtrait aussi le droit des intéressés au
respect de leur vie privée.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 14 COMBINE
AVEC L'ARTICLE 8 (art. 14+8)
81. Vu le constat figurant au paragraphe 79 ci-dessus, la
Cour n'estime pas nécessaire d'étudier de surcroît le grief
selon lequel les requérants subiraient, en cas d'expulsion de
M. Beldjoudi, une discrimination contraire à l'article 14
(art. 14) dans la jouissance de leur droit au respect de leur
vie familiale.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DES ARTICLES 3, 9 ET 12
(art. 3, art. 9, art. 12)
82. Devant la Commission, les requérants invoquaient aussi
les articles 3, 9 et 12 (art. 3, art. 9, art. 12).
Ils ne les ont plus mentionnés devant la Cour et elle ne
juge pas devoir examiner ces questions d'office.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)
83. Aux termes de l'article 50 (art. 50),
"Si la décision de la Cour déclare qu'une décision
prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire
ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se
trouve entièrement ou partiellement en opposition avec
des obligations découlant de la (...) Convention, et si
le droit interne de ladite Partie ne permet
qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette
décision ou de cette mesure, la décision de la Cour
accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une
satisfaction équitable."
En vertu de ce texte, les requérants demandent la
réparation d'un dommage et le remboursement de frais.
84. Aucune infraction à l'article 8 (art. 8) n'a encore eu
lieu. Néanmoins, la Cour a conclu que la décision
ministérielle d'expulser M. Beldjoudi en entraînerait une si
elle était mise en oeuvre; partant, il faut considérer
l'article 50 (art. 50) comme applicable en l'espèce (voir,
mutatis mutandis, l'arrêt Soering c. Royaume-Uni du
7 juillet 1989, série A n° 161, p. 49, par. 126).
A. Dommage
85. Se prétendant lésés par le non-respect des exigences de
la Convention, M. et Mme Beldjoudi réclament 10 000 000 f.
Le Gouvernement trouve ce montant sans aucune espèce de
précédent et surtout de justification, la mesure d'expulsion
n'ayant pas été exécutée.
Le délégué de la Commission estime lui aussi la
prétention excessive. Il suggère toutefois l'octroi pour tort
moral d'une somme raisonnable, inférieure à celle qu'a obtenue
M. Moustaquim, obligé de vivre plusieurs années hors de
Belgique après son expulsion.
86. Les requérants ont dû éprouver un préjudice moral, mais
le présent arrêt leur fournit une compensation suffisante à
cet égard.
B. Frais et dépens
87. M. et Mme Beldjoudi sollicitent le remboursement des
frais et dépens qu'ils auraient supportés pendant la procédure
menée devant les organes de la Convention, soit 100 000 f.
Selon le Gouvernement, le relevé fourni par le conseil
des requérants pèche par son imprécision. Une somme de
40 000 f. serait toutefois acceptable, sauf circonstances
particulières dûment établies.
88. Compte tenu des détails ultérieurement communiqués, la
Cour estime raisonnable d'allouer 60 000 f. à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par sept voix contre deux, qu'il y aurait violation
de l'article 8 (art. 8) dans le chef des deux requérants si la
décision d'expulser M. Beldjoudi recevait exécution;
2. Dit, par huit voix contre une, qu'il ne s'impose pas
d'examiner aussi l'affaire sous l'angle de l'article 14
combiné avec l'article 8 (art. 14+8), ni des articles 3, 9
et 12 (art. 3, art. 9, art. 12);
3. Dit, à l'unanimité, quant au dommage moral subi par les
requérants, que le présent arrêt constitue par lui-même une
satisfaction équitable suffisante aux fins de l'article 50
(art. 50);
4. Dit, à l'unanimité, que l'Etat défendeur doit verser aux
requérants, dans les trois mois, 60 000 (soixante mille)
francs français pour frais et dépens;
5. Rejette, à l'unanimité, les prétentions des requérants
pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience
publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le
26 mars 1992.
Signé: Rolv RYSSDAL
Président
Signé: Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51
par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement,
l'exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion dissidente de M. Pettiti;
- opinion séparée de M. De Meyer;
- opinion dissidente de M. Valticos;
- opinion concordante de M. Martens.
Paraphé: R.R.
Paraphé: M.-A. E.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE PETTITI
Je n'ai pas voté pour la violation de l'article 8
(art. 8), me séparant de la majorité.
Certes, l'arrêt n'a qu'une portée limitée au cas d'espèce
et à des circonstances particulières: M. Beldjoudi a passé en
France à ce jour quarante et un ans de sa vie et il est marié
à une Française depuis vingt-deux ans. Mais ni le
raisonnement de principe ni la motivation de l'arrêt ne me
paraissent concorder avec une exacte interprétation et
appréciation de l'article 8 (art. 8) de la Convention
européenne, en ce qui concerne l'expulsion des étrangers
délinquants.
La majorité a bien tenu compte de ce que l'arrêté
d'expulsion remontait au 2 novembre 1979, avant les
condamnations des 28 mars 1978 et 4 décembre 1986; mais elle
paraît retenir comme critères ou motifs complémentaires le
refus des autorités d'accorder en 1970 la nationalité
française demandée par M. Beldjoudi, ainsi que l'absence de
liens avec l'Algérie. Elle considère que l'expulsion ne
serait pas proportionnée au but légitime sans suffisamment
préciser les données de cette proportionnalité en réponse aux
distinctions opérées par le Conseil d'Etat.
La Convention ne limite pas le droit souverain des Etats
à décider l'expulsion de son territoire d'étrangers
délinquants ou criminels.
Le droit pour un étranger de résider sur le territoire
d'une Haute Partie Contractante n'est pas garanti en tant que
tel par la Convention. Egalement le droit d'asile et le droit
à ne pas être expulsé ne figurent pas, comme tels, au nombre
des droits et libertés garantis par la Convention (en ce sens
plusieurs décisions de la Commission).
Seulement dans des circonstances exceptionnelles,
l'expulsion peut impliquer une violation de la Convention, par
exemple lorsqu'il y a un risque très sérieux qu'un traitement
contraire à l'article 3 (art. 3) soit infligé dans l'Etat de
destination, surtout s'il n'y a aucune possibilité d'expulsion
dans un autre Etat démocratique. L'arrêt Moustaquim
s'inscrivait dans un autre cadre, s'agissant d'un jeune
adolescent n'ayant de racines que dans le pays où vivait sa
famille et s'étant réinséré.
Dans le cas d'espèce Beldjoudi, les circonstances sont à
l'opposé: adulte, récidiviste, individu entrant dans l'orbite
de l'atteinte à l'ordre public, son sort se situait dans le
cadre des expulsions légitimes.
De surcroît, il paraît avoir refusé d'acquérir la
nationalité française par mariage et il avait même refusé
l'assignation à résidence ...
La Cour européenne paraît aussi avoir retenu comme
motivation implicite la non-attribution de la nationalité
française. C'est oublier que les accords d'Evian sont un
traité international. La détermination de la nationalité a
été fixée par la France et l'Algérie ainsi que les
possibilités d'option. Il ne s'agit donc pas d'une décision
unilatérale de la France. L'Algérie avait aussi exigé de
telles options pour sa part et elle ne se prive pas d'expulser
des Français délinquants, même si ceux-ci sont nés en Algérie
et y ont vécu. Un tel traité bilatéral est basé sur la
réciprocité et le droit international public. La France ne
peut être taxée de violation de la Convention européenne des
Droits de l'Homme dans la mesure où elle a appliqué pour la
nationalité de M. Beldjoudi les accords d'Evian et le code de
la nationalité. En outre, comme tout Etat, elle est
souveraine pour octroyer ou non la naturalisation.
La majorité de la Cour paraît aussi avoir considéré que
M. Beldjoudi était un quasi-Français, notion inconnue du droit
international.
Le fait d'avoir vécu constamment dans un pays d'accueil
ou de séjour ne peut être un empêchement absolu contraire au
droit d'expulser des délinquants. On ne saurait considérer
que le rapport particulier France-Algérie serait en soi de
nature à empêcher l'expulsion, car d'autres Etats membres du
Conseil de l'Europe connaissent des situations du même ordre
de relations historiques Allemands-Polonais, Autrichiens-
Italiens, Britanniques- ressortissants du Commonwealth, etc.,
et de telles relations ne font pas obstacle aux expulsions
justifiées.
Les Etats membres expulsent les citoyens délinquants de
façon courante. La seule exception générale possible serait
la référence à l'article 3 (art. 3), sinon il suffirait d'une
longue durée de séjour pour invoquer l'article 8 (art. 8).
De très nombreuses expulsions d'étrangers en Europe seraient
en jeu.
La majorité retient certes l'aspect considérable
résultant du passé pénal et du comportement du délinquant,
même après l'arrêté d'expulsion de 1979; mais elle met cet
aspect en balance avec la vie personnelle et familiale de
M. Beldjoudi, au titre de la proportionnalité. Encore
faudrait-il fixer les critères précis de cette mise en
balance, ce que la Cour européenne fait très généralement.
Dans cet arrêt on ne précise pas le seuil de périls et de
récidives qui devrait déterminer ou non des expulsions
d'étrangers délinquants. La majorité paraît aussi avoir
considéré que le départ vers l'Algérie était inéluctable en
cas d'expulsion, ce qui n'est pas certain.
Le grave problème des expulsions d'étrangers délinquants,
très différent de celui des expulsions administratives non
causées par des condamnations pénales, dont certaines ont des
conséquences dramatiques pour les familles, fait l'objet des
préoccupations de la Communauté économique européenne, du
Conseil de l'Europe et de l'organisation internationale
Interpol. C'est une politique globale européenne qui doit
être recherchée dans l'esprit de la Convention de sauvegarde
des droits fondamentaux.
La décision de la majorité comporte, à mon avis, une
source de contradictions dans une interprétation exponentielle
de l'article 8 (art. 8) si l'atteinte à la vie privée ou
familiale du délinquant récidiviste suffit à empêcher la
mesure d'expulsion, car la situation du récidiviste
équivaudrait à une sorte d'immunité au profit de celui-ci. En
effet, comme toute détention, toute expulsion affecte la vie
privée ou familiale. S'il y a une nouvelle récidive,
l'atteinte se vérifierait encore. Or dans ce cas la vie
privée est affectée par le comportement de l'intéressé.
Or chaque Etat membre reste maître de sa politique
criminelle de même qu'il reste maître de fixer le quantum des
peines. Pour de nombreux Etats, l'expulsion est un facteur
d'exemplarité qui accompagne la peine. Dans les pays à forte
densité de population d'étrangers, la mesure d'expulsion
beaucoup plus que la menace de la prison constitue une
protection contre la récidive et renforce le consensus
national à l'accueil des immigrés exemplaires qui, par leur
travail, participent à la prospérité de la nation. La mesure
d'expulsion telle qu'acceptée en criminologie, en politique
criminelle, est aussi une mesure de protection contre des
victimes potentielles de récidivistes, surtout dans les pays à
forte recrudescence criminelle et à forte densité de
délinquance organisée.
Or la Convention des Droits de l'Homme ne peut
méconnaître la dimension des droits d'autrui et leur
nécessaire protection. Certes, on aurait pu préférer que le
gouvernement français, compte tenu des nouvelles dispositions
(plus proches de l'article 8 de la Convention) (art. 8) des
lois des 29 octobre 1981 (articles 23 et 25) et
2 août 1989, renonce dans ce cas particulier à l'expulsion,
compte tenu de la situation de l'épouse française. Si la Cour
européenne, dans des cas similaires et pour tous les Etats
membres, voulait s'orienter vers un contrôle des expulsions,
elle devrait se placer soit sous l'article 6 (art. 6) si
celui-ci était violé par rapport à la procédure interne vue
sous l'angle de la Convention européenne des Droits de
l'Homme, soit sous l'article 3 (art. 3) (traitements inhumains
et dégradants). La notion d'équilibre d'intérêts dans
l'utilisation éventuelle et non certaine de l'article 8
(art. 8) exigerait une application de proportionnalité
rigoureuse dont à mon sens est dépourvue la motivation de
l'arrêt Beldjoudi. Le droit pour l'Etat d'expulser les
étrangers délinquants et criminels est dans une certaine
mesure pour l'intérêt général la contrepartie du large accueil
des bénéficiaires du droit d'asile et des migrants, élément
clé de la solidarité internationale et de la protection des
droits de l'homme.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE DE MEYER
Comme la plupart de mes collègues j'estime qu'il y aurait
violation des droits fondamentaux des requérants "si la
décision d'expulser M. Beldjoudi recevait exécution".
Mais de quel droit ou de quels droits s'agit-il ?
Notre collègue M. Martens s'est demandé, à juste titre,
si l'affaire ne concernait pas tout autant leur droit au
respect de leur vie privée que leur droit au respect de leur
vie familiale. Je souscris, dans une très large mesure, à ses
observations*.
Il me semble toutefois que dans le fond des choses,
compte tenu des circonstances rappelées dans les paragraphes
77 et 78 de l'arrêt, l'expulsion de M. Beldjoudi
constituerait, à l'égard des deux requérants, non seulement
une atteinte inadmissible à leur vie privée et familiale, mais
surtout un traitement inhumain**.
Il en serait ainsi, non pas indirectement, en raison de
ce qui pourrait les attendre en Algérie - là n'est pas la
question en l'espèce*** -, mais directement, en ce que M.
Beldjoudi serait chassé, après plus de quarante ans, d'un pays
qui, même s'il n'en a pas la "nationalité", a toujours, en
fait, été "le sien" depuis la naissance.
S'il est vrai que, comme l'indique le dossier, M.
Beldjoudi a déjà été condamné pour de nombreuses infractions,
en général plutôt graves, et se trouve encore maintenant
suspecté d'en avoir commis d'autres****, l'application des
lois pénales suffit à l'en punir.
_______________
* Voir ci-après, pp. 37 à 39.
** C'est parce qu'à mon avis l'affaire aurait aussi dû être
examinée sous cet angle que je n'ai pu approuver le point 2 du
dispositif de l'arrêt: j'y souscris sans difficulté dans la
mesure où il concerne les articles 9, 12 et 14 (art. 9,
art. 12, art. 14) de la Convention.
*** A cet égard la présente affaire est différente des
affaires Soering (série A n° 161) et Cruz Varas (série A n°
201).
**** Voir les paragraphes 12, 14, 73 et 75 de l'arrêt.
_______________
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE VALTICOS
Je dois, à regret, exprimer mon dissentiment avec
l'opinion de la majorité de la Cour, qui a considéré qu'il y
avait eu, dans le cas présent, violation de l'article 8
(art. 8) de la Convention, notamment pour ce qui est de la vie
familiale du requérant.
Mon explication peut être brève, car elle s'appuie, pour
l'essentiel, sur l'opinion dissidente que j'ai exprimée dans
l'affaire analogue, bien que non identique, qui concernait le
jeune Moustaquim.
Les différences entre ces deux affaires vont dans les
deux sens: d'une part, dans le cas présent, il s'agit des
liens d'un mari avec sa femme et non de ceux d'un jeune avec
sa famille. D'autre part, la délinquance du jeune Moustaquim
comportait des délits très nombreux, mais pour la plupart
d'une gravité assez relative d'un adolescent, alors qu'ici il
s'agissait d'infractions répétées de violence faite par une
personne d'une quarantaine d'années condamnée, en moins de
dix-sept ans, à près de onze années d'emprisonnement. La Cour
reconnaît, du reste, qu'il s'agissait ici d'un passé pénal
"beaucoup plus chargé".
Or l'expulsion des étrangers, dont on peut concevoir
qu'elle ait été envisagée dans un cas de cette gravité,
constitue une prérogative des Etats, et la Convention n'en
limite l'usage (Convention, article 5 par. 1 f) (art. 5-1-f),
et Protocole nos 4 et 7) (P4, P7) que dans des cas bien
déterminés. Celui-ci n'est pas parmi eux.
Certes, la Cour fait intervenir, dans le cas présent, la
notion de vie familiale que protège l'article 8 (art. 8) de la
Convention. Elle considère qu'il y a eu, de la part du
Gouvernement, ingérence de l'autorité publique dans l'exercice
du droit des requérants au respect de leur vie familiale. On
peut cependant se demander si l'article 8 (art. 8) est bien
applicable dans un cas comme celui-ci et s'il a été conçu pour
interdire l'expulsion d'étrangers mariés à des citoyennes du
pays. Une telle interprétation pourrait ouvrir la voie à bien
des abus.
En tout cas, il ne me semble pas possible d'utiliser
l'article 8 (art. 8) de la Convention pour limiter le droit
des Etats de prendre des mesures d'expulsion qu'ils ont des
raisons valables de décider pour la sauvegarde de la sûreté
publique, leurs effets sur la vie familiale n'en étant qu'un
effet indirect.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE MARTENS
(Traduction)
1. Je souscris aux conclusions de la Cour, mais j'aurais
préféré, dans la mesure où il s'agit de M. Beldjoudi, la voir
fonder sa décision a) sur un raisonnement moins casuistique et
b) sur une atteinte au droit au respect de la vie privée.
2. Le paragraphe 1 de l'article 3 du Protocole n° 4 (P4-3-1)
à la Convention interdit d'expulser des nationaux. Dans une
Europe où une seconde génération d'immigrés1 est déjà en train
d'élever des enfants (et où l'on assiste à une montée
alarmante de la xénophobie violente), il est grand temps de se
demander si cette prohibition ne devrait pas s'étendre aux
étrangers nés et ayant grandi dans un Etat membre, ou s'y
étant autrement, par la force d'une longue résidence,
totalement intégrés (donc complètement détachés de leur pays
d'origine)2.
Selon moi, la simple nationalité ne constitue pas une
justification objective et raisonnable pour une différence
quant à la possibilité d'expulser quelqu'un de ce que l'on
peut appeler, dans les deux cas, son "propre pays". Aussi
n'hésité-je pas à répondre par l'affirmative à la question ci-
dessus. Je pense qu'un nombre croissant des Etats membres du
Conseil de l'Europe acceptent le principe selon lequel les
"étrangers intégrés" ne devraient, pas plus que les nationaux,
pouvoir être expulsés3, une dérogation ne se justifiant, et
encore, que dans des circonstances très exceptionnelles. Mon
propre pays fait partie de ces Etats4 et, depuis 1981, sauf
pour la période 1986-1989, il en va de même de la France5.
A mon sens, la Cour aurait mieux fait de fonder sa
décision sur ledit principe et de constater l'absence, en
l'espèce, de circonstances très exceptionnelles autorisant à
s'en écarter. Une décision ainsi motivée aurait permis
d'atteindre ce que n'ont pu réaliser l'arrêt Moustaquim c.
Belgique6 et le présent arrêt: l'instillation d'une dose de
sécurité juridique qui, spécialement dans ce domaine, paraît
hautement désirable.
3. Ainsi que M. Schermers l'a justement souligné7, cette
dernière considération plaidait également en faveur d'une
motivation axée - si possible - sur une atteinte au droit au
respect de la vie privée, car si les "étrangers intégrés"
menacés d'expulsion ne sont pas tous mariés, tous ont une vie
privée.
J'estime possible une telle motivation. L'expulsion
rompt de manière irrévocable tous les liens sociaux entre
l'expulsé et la communauté où il vit, et je pense que
l'ensemble de ces liens peut être réputé relever de la notion
de vie privée au sens de l'article 8 (art. 8).
Certes, du moins à première vue, ce texte semble militer
pour une autre opinion. Considéré en bloc, il paraît garantir
l'immunité d'un cercle intime à l'intérieur duquel chacun peut
vivre sa propre vie, sa vie privée, à son gré. Cette notion
de "cercle intime" présuppose un "monde extérieur" logiquement
non compris dans la notion de vie privée. A mieux y réfléchir
toutefois, ce concept de "cercle intime" se révèle trop
restrictif. Les mots "vie familiale" élargissent déjà le
cercle, mais il y a des proches avec lesquels on n'a pas de
vie de famille au sens strict. Néanmoins, les rapports avec
de telles personnes, par exemple ses parents, entrent, à n'en
pas douter, dans la sphère dont l'article 8 (art. 8) exige le
respect. On peut en dire autant des relations avec amants et
amis. Je partage donc l'avis de la Commission, qui a déclaré
à plusieurs reprises que le "respect de la vie privée"
"comprend également, dans une certaine mesure, le droit
d'établir et d'entretenir des relations avec d'autres
êtres humains, notamment dans le domaine affectif, pour
le développement et l'accomplissement de sa propre
personnalité"8.
A mes yeux, les arrêts de la Cour dans les affaires
Dudgeon c. Royaume-Uni, Rees c. Royaume-Uni, Cossey c.
Royaume-Uni et B. c. France9 reposent aussi sur l'idée que,
dans une certaine mesure, les relations "externes" d'une
personne avec d'autres (en dehors du "cercle intime") se
situent bien dans le domaine de la vie privée10.
A la base de l'interdiction précitée, pour un Etat,
d'expulser ses ressortissants figure probablement la même
idée: quand on parle des nationaux, on songe presque toujours
en premier lieu à ceux dont les liens avec un pays donné sont
particulièrement étroits et multiples parce qu'ils y sont nés
et y ont été élevés11 dans une famille qui s'y trouve établie
depuis des générations12; on a manifestement jugé inacceptable
qu'un Etat, en forçant de telles personnes à quitter le pays
et à ne jamais y revenir, puisse rompre ces liens de manière
irrévocable.
En résumé, je pense que l'expulsion d'un individu,
surtout (comme en l'espèce) vers un pays où les conditions de
vie diffèrent nettement de celles auxquelles il est habitué et
où, étranger au pays où on l'envoie, à sa culture et à ses
habitants, il risque d'avoir à vivre dans un isolement social
presque complet, porte atteinte a son droit au respect de sa
vie privée.
_______________
NOTES
1. Je me rends compte, bien sûr, que la présente espèce peut
se distinguer d'un cas ordinaire d'expulsion d'un immigré de
la seconde génération en ce que les parents de M. Beldjoudi,
quand ils se sont établis en France, n'étaient pas des
"immigrants" au sens strict, mais des citoyens français venant
vivre dans leur propre pays. Il me semble toutefois légitime
de négliger ici cette différence.
2. La question a évidemment une portée plus limitée dans les
Etats membres où, en vertu du principe du droit du sol, les
immigrés de la seconde génération ont le droit de citoyenneté
du seul fait de leur naissance sur le territoire; il est dès
lors probablement plus exact de parler d'expulsion
d'"étrangers intégrés" que d'expulsion d'"immigrés de la
seconde génération".
3. Principe déjà accepté dans le contexte du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, dont
l'article 12 par. 4 porte: "Nul ne peut être arbitrairement
privé du droit d'entrer dans son propre pays"; il en résulte
une interdiction d'expulser non seulement ses propres
nationaux, mais aussi - ainsi qu'il ressort de la genèse de la
formule "son propre pays" - tous les "étrangers intégrés"
(tels les immigrés de la seconde génération): voir M. Nowak,
CCPR-Kommentar, art. 12, Randnummern 45-51; Van Dijk et Van
Hoof, De Europese Conventie, 2e édition, p. 551; Velu et
Ergec, La Convention européenne des Droits de l'Homme,
par. 372 (p. 322).
4. Voir la version 1990 de la "Circular on Aliens",
Nederlandse Staatscourant 12 mars 1990, n° 50; voir aussi à ce
sujet, entre autres: Groenendijk, Nederlands Juristenblad
1987, pp. 1341 et suivantes; Swart, Preadvies, Nederlandse
Juristen-vereniging 1990, par. 35 (pp. 242 et suivantes).
5. Voir les paragraphes 42-50 de l'arrêt de la Cour.
6. Arrêt du 18 février 1991, série A n° 193.
7. Voir son opinion concordante annexée à l'avis de la
Commission en l'espèce, pp. 48 et 49.
8. Voir notamment Décisions et rapports n° 5, pp. 86-87;
Décisions et rapports n° 10, p. 100; série B n° 36, pp. 25-26.
Si, ce faisant, la Commission a entendu donner une
définition de la "vie privée" au sens de l'article 8 (art. 8)
(ainsi que l'a avancé Doswald-Beck, Human Rights Law Journal
1983, p. 288), je ne suis pas d'accord: il est très difficile
de définir la notion et, d'après moi, le temps n'est pas
encore venu de s'atteler à une pareille tâche.
9. Arrêts des 22 octobre 1981, 17 octobre 1986, 27 septembre
1990 et 25 mars 1992, série A nos 45, 106, 184 et 232-C.
10. Voir en outre: Velu et Ergec, La Convention européenne
des Droits de l'Homme, par. 652 (pp. 535 et suivantes).
11. Voir le paragraphe 88 de l'arrêt rendu par la Cour le
28 mai 1985 en l'affaire Abdulaziz, Cabales et Balkandali c.
Royaume-Uni (série A n° 94, p. 41).
12. Pour l'idée selon laquelle l'histoire personnelle d'un
individu et ses souvenirs personnels peuvent être réputés
entrer dans le domaine dont l'article 8 (art. 8) exige le
respect, voir l'arrêt rendu par la Cour le 7 juillet 1989 en
l'affaire Gaskin c. Royaume-Uni (série A n° 160).