Labita c. l'Italie
Publisher | Council of Europe: European Court of Human Rights |
Publication Date | 20 October 1997 |
Citation / Document Symbol | 26772/95 |
Cite as | Labita c. l'Italie, 26772/95, Council of Europe: European Court of Human Rights, 20 October 1997, available at: https://www.refworld.org/cases,ECHR,402a06f94.html [accessed 31 May 2023] |
Disclaimer | This is not a UNHCR publication. UNHCR is not responsible for, nor does it necessarily endorse, its content. Any views expressed are solely those of the author or publisher and do not necessarily reflect those of UNHCR, the United Nations or its Member States. |
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 20 octobre 1997 en présence de
M. S. TRECHSEL, Président
Mme G.H. THUNE
Mme J. LIDDY
MM. E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
B. CONFORTI
N. BRATZA
I. BÉKÉS
J. MUCHA
D. SVÁBY
G. RESS
A. PERENIC
C. BÎRSAN
K. HERNDL
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
M. VILA AMIGÓ
Mme M. HION
MM. R. NICOLINI
A. ARABADJIEV
M. M. de SALVIA, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 10 avril 1994 par Benedetto LABITA
contre l'Italie et enregistrée le 21 mars 1995 sous le N° de
dossier 26772/95 ;
Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Vu les renseignements fournis par le Gouvernement défendeur le
23 février 1996 et les commentaires du requérant en date du 7 mai
1996 ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur les
19 février, 7 mars et 16 juin 1997, après prorogation du délai imparti,
et les observations en réponse présentées par le requérant le 24 avril
1997 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, citoyen italien né en 1955, réside à Alcamo
(province de Trapani). Sa profession actuelle n'est pas connue. En tout
cas, avant d'être arrêté et jusqu'en septembre 1991, il a été employé
auprès d'une société financière privée.
Devant la Commission il est représenté par Me Vito di Graziano,
avocat à Alcamo.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les
parties, peuvent se résumer comme suit.
La détention du requérant et le déroulement de la procédure
engagée à son encontre
Le requérant fut arrêté le 21 avril 1992 sur ordonnance de mise
en détention du tribunal de Trapani du 18 avril 1992. Il était en effet
soupçonné d'appartenir à la mafia de la petite ville d'Alcamo et de
diriger une société financière pour le compte de son beau-frère V.M.,
chef du groupe mafieux local dominant. Les accusations portées à
l'encontre du requérant, ainsi qu'à l'encontre de 45 autres personnes,
se fondaient notamment sur les déclarations faites par un mafieux soi-
disant "pentito" (ci-après désigné "repenti"), B.F., qui avait mis en
cause un nombre important de personnes soupçonnées d'appartenir à deux
clans mafieux qui s'étaient livrés à une guerre sanglante.
Le requérant fut d'abord incarcéré à la prison de Palerme, où il
resta trente-cinq jours en isolement. Il s'adressa ensuite au tribunal
de la liberté de Trapani et demanda sa mise en liberté.
Le 6 mai 1992, le tribunal de Trapani débouta le requérant de son
recours. Le tribunal considéra en particulier que les déclarations
faites par B.F. sur l'appartenance du requérant à la mafia d'Alcamo en
tant que trésorier, bien que dépourvues de tout renseignement sur le
rôle et l'activité exercés concrètement par le requérant et de tout
élément de preuve objectif, pouvaient bien constituer un indice
suffisant pour justifier la détention du requérant, étant donné la
crédibilité et la fiabilité des diverses déclarations faites par B.F.
quant à d'autres personnes ou épisodes relatifs aux agissements de la
mafia locale (critère de la "crédibilité globale" - "attendibilità
complessiva"). En outre, il fallait également tenir compte du fait que
B.F. avait indiqué le requérant comme étant le beau-frère du chef de
l'une des familles mafieuses d'Alcamo, au sein de laquelle il occupait
selon lui une place importante, et avait déclaré le reconnaître sur une
photo. Enfin, B.F. avait soutenu que le requérant gérait une société
financière et était co-titulaire de parts dans une société gérant une
discothèque avec une autre personne, dont l'appartenance à la mafia
avait été alléguée par B.F. dans d'autres déclarations.
Par ailleurs, la détention du requérant se justifiait également
par la nécessité de sauvegarder les preuves recueillies, s'agissant
surtout de preuves orales et donc susceptibles d'être mises en péril
par des pressions sur les témoins.
Le requérant, qui entre-temps avait été transféré à la prison de
Pianosa, se pourvut en cassation. Il fit valoir en particulier que sa
détention reposait uniquement sur les déclarations de B.F., qui
n'étaient corroborées par aucun élément de fait. En effet, tel ne
pouvait être considérée notamment l'allégation selon laquelle le
requérant aurait été le gérant d'une société financière, ce qui selon
les juges confirmait sa position de cadre dans la finance locale et
donc renforçait l'accusation d'être le trésorier d'une branche de la
mafia. En effet, au sein de ladite société, le requérant n'était en
réalité qu'un employé et dans le passé avait même été soumis à une
procédure disciplinaire. Ce pourvoi fut cependant rejeté le 2 octobre
1992.
Le requérant s'adressa à nouveau au juge des investigations
préliminaires (ci-après désigné "G.I.P."), mais cette demande fut
rejetée le 29 décembre 1992.
Le requérant interjeta alors appel, qui fut cependant rejeté par
le tribunal de Trapani, section d'appel compétente en matière de
détention, le 8 février 1993, au motif que le requérant n'avait pas
prouvé la disparition des exigences de l'enquête justifiant son
maintien en détention, étant donné en particulier que d'après
l'article 275 par. 3 du Code de procédure pénale (ci-après "C.P.P."),
l'existence de ces exigences était présumée pour certaines infractions,
parmi lesquelles figurait celle reprochée au requérant. Ce dernier
s'était en effet borné à invoquer l'écoulement du temps.
Sur demande du ministère public, par ordonnance du 8 avril 1993
le tribunal de Trapani prorogea les délais maxima de détention
provisoire en application de l'article 305 par. 2 C.P.P.
A cette époque les accusations portées à l'encontre du requérant
se fondaient toujours uniquement sur les déclarations de B.F. Par
ailleurs, au cours de l'enquête d'autres repentis avaient déclaré ne
pas connaître le requérant.
Ce dernier interjeta appel de cette ordonnance près la section
d'appel compétente en matière de détention du même tribunal, faisant
valoir la nullité de l'ordonnance attaquée au motif que la demande du
ministère public n'avait pas été notifiée préalablement à son avocat,
et en outre que la nécessité de proroger les délais avait été motivée
d'une façon générique et sans se rapporter directement à sa situation.
Le tribunal de Trapani, section d'appel compétente en matière de
détention, rejeta l'appel du requérant le 21 juin 1993. Il considéra
en particulier que la loi se bornait à exiger que l'avocat soit entendu
sur la demande du ministère public, ce qui avait bien été fait en
l'espèce, et non pas une notification préalable et formelle de pareille
demande. Quant à la nécessité de la mesure incriminée, le tribunal fit
valoir que bien que l'ordonnance attaquée fût motivée d'une manière
plutôt succincte, elle avait mis en évidence le danger d'altération des
preuves, les caractéristiques spécifiques du crime d'association de
type mafieux reproché aux prévenus et le danger de répétition de graves
délits tels que des homicides, surtout dans le contexte de lutte entre
clans dans lequel se situait l'affaire. En outre, le ministère public
avait amplement expliqué les exigences de l'instruction ayant motivé
sa demande, à savoir la nécessité de procéder à des enquêtes complexes
de nature bancaire et fiscale, afin d'éclaircir l'étendue du contrôle
exercé sur le territoire par les prévenus. Le tribunal souligna
également qu'au demeurant, la nature du crime en question exigeait des
enquêtes concernant l'association mafieuse dans son ensemble et donc
forcément tous les prévenus.
Le requérant se pourvut en cassation, alléguant le non-respect
des droits de la défense en ce que la demande du ministère public ne
lui avait pas été notifiée au préalable, mais il fut débouté par arrêt
du 18 octobre 1993.
A une date qui n'a pas été précisée, le requérant fut renvoyé en
jugement pour association de type mafieuse (article 416bis du Code
pénal).
Par jugement du 12 novembre 1994, déposé au greffe le 10 février
1995, le tribunal de Trapani acquitta le requérant pour n'avoir pas
commis les faits qui lui avaient été reprochés. Le tribunal observa en
particulier que les faits concernant le rôle du requérant au sein de
l'organisation mafieuse avaient été relatés par B.F. sur la base de ce
qu'il avait appris de deux autres personnes, qui cependant étaient
entre-temps décédées, ce qui rendait impossible une confirmation
externe de sa version des faits. Par ailleurs, cette version avait été
contredite par d'autres témoignages et éléments de fait.
Nonobstant que le jugement d'acquittement eût été prononcé le
12 novembre 1994 et que le dispositif du jugement ordonnât la
libération du requérant, ce dernier ne fut en réalité remis en liberté,
par la prison de Termini Imerese, que le 13 novembre 1994. En effet,
le requérant fut accompagné en audience le 12 novembre à 07h30 et il
retourna en prison à 15h25, en raison du report de l'audience. Il se
rendit de nouveau au tribunal de Trapani à 19h40 et ce ne fut qu'à
00h25 du 13 novembre qu'il rentra en prison, selon lui avec des
menottes, afin d'accomplir les formalités nécessaires pour sa mise en
liberté et que le chef de l'escorte remit au personnel pénitentiaire
le jugement d'acquittement. Cependant, le requérant ne put être libéré
immédiatement après en raison de l'absence de l'employé du bureau de
la matricule, dont l'intervention était nécessaire dans le cas d'un
détenu soumis à un régime de détention spécial. Par conséquent, il
passa la nuit dans sa cellule et fut remis en liberté le lendemain à
08h30.
Le procureur de la République interjeta appel.
Par arrêt du 14 décembre 1995, devenu définitif quant au
requérant le 25 juin 1996, la cour d'appel de Palerme confirma son
acquittement, conformément à l'avis exprimé par le procureur général.
Les mauvais traitements que le requérant prétend avoir subis dans
la prison de Pianosa
1. Les traitements incriminés
Le requérant fut d'abord détenu dans la prison de Termini Imerese
jusqu'au 20 juillet 1992, date à laquelle il arriva à la prison de
Pianosa. Le requérant resta détenu dans cette dernière prison d'une
façon ininterrompue jusqu'au 29 janvier 1993. Par la suite, il fit
l'objet de fréquents transfèrements temporaires afin de pouvoir
participer aux différentes phases du procès le concernant.
Du tableau clinique de la prison de Pianosa il ressort qu'à son
arrivée dans cette prison, le requérant était en bonne condition de
santé générale.
Dans la prison de Pianosa le requérant aurait été soumis à des
mauvais traitements, en particulier entre juillet et septembre 1992.
Le requérant allègue avoir été souvent giflé et avoir subi des
lésions à son pouce droit. On lui aurait également pressé les
testicules, pratique qui, selon le requérant, était systématiquement
infligée à tous les détenus.
Une fois, alors que le requérant était battu, son tricot aurait
été déchiré. Le requérant aurait fait des remontrances. Deux heures
plus tard, un gardien lui aurait enjoint de se taire, l'aurait insulté
et ensuite frappé, en lui causant la rupture d'une prothèse dentaire,
outre l'endommagement de ses lunettes.
Le requérant allègue ensuite avoir été malmené à d'autres
occasions. Ainsi, il relate que les détenus avaient la permission de
poser dans les couloirs adjacents à leurs cellules des produits
d'hygiène. Parfois, les gardiens de la prison provoquaient le
déversement de ces produits sur le sol et y faisaient tomber en même
temps de l'eau, ce qui rendait le sol glissant. Les détenus étaient
ensuite contraints de courir dans les couloirs, entre deux files de
gardiens, ce qui provoquait des chutes, auxquelles les gardiens
réagissaient en matraquant et en frappant les détenus qui étaient
tombés.
Le requérant relate également qu'il aurait dû subir souvent des
fouilles corporelles pendant qu'il prenait sa douche, et que lors des
visites médicales il devait garder ses menottes.
Enfin, selon le requérant les transfèrements de la prison aux
tribunaux lors des audiences étaient faits dans des conditions
inhumaines, à savoir dans la cale des bateaux, sans air, lumière,
hygiène ou nourriture.
Du tableau médical de la prison de Pianosa il ressort qu'en date
du 9 septembre 1992, le requérant avait signalé l'instabilité d'une
prothèse dentaire. Le médecin avait demandé en conséquence une visite
de dentiste.
En avril 1993, une visite chez un dentiste en vue de fixer la
prothèse instable fut à nouveau demandée.
Le 10 août 1993, le service médical de la prison de Pianosa
demanda des radiographies et une visite orthopédique, le requérant
faisant état de douleurs aux genoux. Après des examens, une visite
orthopédique en date du 22 septembre 1993 établit la présence d'ennuis
aux genoux, bien que l'état du dossier ne permette pas d'en déterminer
la nature exacte.
Le 17 mars 1994, le dentiste releva la rupture définitive de la
prothèse et la nécessité d'une réparation en atelier.
Le requérant a en outre produit un rapport médical daté du
24 mars 1995, faisant état de calcifications au niveau de
l'articulation du genou. Une échographie datée du 3 avril 1996 a par
ailleurs relevé deux petites lésions d'origine traumatique dans la
partie antérieure externe du même genou.
Enfin, le requérant a produit un certificat médical daté du
20 mars 1996, faisant état de troubles psychologiques (asthénie, état
confusionnel, dépression), ayant débuté trois ans auparavant.
2. Le recours tenté par le requérant
Le requérant dénonça avoir subi des traitements inhumains et
dégradants une première fois le 2 octobre 1993, lors de l'audience
préliminaire devant le G.I.P. près le tribunal de Trapani, en même
temps qu'un autre détenu. A cette occasion, le requérant se plaignit
en particulier des mauvais traitements, tels que des "tortures,
humiliations et sévices", qu'il alléguait avoir subis dans la prison
de Pianosa jusqu'en octobre 1992. Il déclara avoir subi en particulier
la fracture d'un doigt et la rupture de dents. Même si cette situation
s'était améliorée à partir du mois d'octobre 1992, le requérant se
plaignit que le traitement global auquel il était soumis, et qui
découlait notamment de l'application de l'article 41bis de la loi
n° 354 de 1975, était inhumain et très lourd d'un point de vue
affectif.
Le juge informa par la suite le parquet de Libourne, qui ouvrit
une enquête (n° 629/93). Selon le requérant, cette plainte aurait été
réitérée le 5 janvier 1994 devant les autorités de la prison de
Pianosa. Le Gouvernement a fait valoir à cet égard que la présentation
de cette plainte n'est confirmée par aucun document.
Le requérant fut entendu par les carabiniers le 5 janvier 1993,
auxquels il décrit les mauvais traitements qu'il alléguait avoir subis.
Il précisa cependant ne pas pouvoir reconnaître les gardiens
responsables puisque les détenus étaient obligés de garder la tête
baissée lorsqu'ils étaient en relation avec des gardiens.
Le requérant fut ensuite entendu par le G.I.P. près le tribunal
de Libourne, auquel il déclara avoir été maltraité et matraqué. Selon
une note du parquet de Libourne datée du 5 août 1996, ces traitements
n'avaient pas laissé de traces et le requérant n'avait en tout cas pas
fait constater des lésions éventuelles par un médecin. Cependant, le
requérant mentionna aussi un coup lui ayant causé le détachement d'une
prothèse dentaire et cette lésion, comme le reconnaît le parquet de
Libourne dans sa note susmentionnée, ressortait effectivement du
tableau médical de la prison.
Dans le cadre de l'enquête qui s'en suivit, le 9 mars 1995 le
requérant fut convoqué par les carabiniers de Trapani, sur mandat du
parquet de Libourne promoteur de l'enquête, qui lui présentèrent la
photocopie des photos de 262 gardiens de prison ayant travaillé à la
prison de Pianosa. Le requérant déclara ne pas reconnaître la personne
qu'il accusait de l'avoir maltraité, tout en observant que les photos
remontaient à une époque antérieure aux faits et en plus il ne
s'agissait que de photocopies. Il ajouta également qu'il n'aurait eu
aucune difficulté pour reconnaître le gardien en question s'il avait
pu le voir en personne.
Compte tenu du résultat négatif de la tentative d'identifier le
ou les auteurs des faits dénoncés, le parquet de Libourne demanda le
18 mars 1995 le classement sans suite de la plainte, ce qui fut fait
par décret du G.I.P. près le tribunal de Libourne en date du 1er avril
1995, au motif que les auteurs des faits dénoncés ne pouvaient pas être
identifiés ("perché ignoti gli autori del reato").
3. Le rapport du juge d'application des peines de Libourne sur les
conditions de détention dans la prison de Pianosa
Le 5 septembre 1992, le juge d'application des peines de Libourne
avait envoyé un rapport au ministre de la Justice ainsi qu'à d'autres
autorités pénitentiaires et administratives compétentes, concernant les
conditions de détention dans la prison de Pianosa.
Ce rapport, qui était issu d'une première inspection sur les
lieux en août 1992, faisait état notamment de violations répétées des
droits des détenus et de plusieurs épisodes de mauvais traitements,
aussi bien dans la section spéciale "Agrippa" que dans les sections
ordinaires. A titre d'exemple, on peut rappeler que ce rapport avait
relevé :
- que les conditions d'hygiène étaient lamentables ;
- que la correspondance des détenus, bien qu'autorisée sous
censure, était totalement bloquée, et les télégrammes étaient
remis aux intéressés avec des retards importants ;
- que les détenus étaient obligés de se rendre dans la cour de
promenade en courant, probablement à l'aide de coups de matraque
sur les jambes ;
- que les détenus faisaient parfois l'objet de matraquages et
d'autres mauvais traitements (par exemple, un détenu aurait été
contraint de se déshabiller complètement et d'effectuer des
exercices au sol - "flessioni" -, suivis d'un contrôle rectal,
qui selon le juge d'application des peines n'était pas du tout
nécessaire, le détenu en question venant de terminer un travail
accompli en présence d'autres gardiens ; ce détenu, qui pendant
qu'il se rhabillait aurait été giflé, s'était ensuite adressé au
médecin de la prison ; pendant la nuit, trois gardiens se
seraient rendus dans sa cellule et l'auraient battu) ;
- que d'autres épisodes de ce genre semblaient s'être produits par
la suite, bien que plus récemment la situation paraissait s'être
améliorée, probablement à la suite d'interventions près les
gardiens de la prison ; quoi qu'il en était, le juge
d'application des peines se réservait de rapporter ces faits au
parquet.
A la suite des informations faisant état de violences sur les
détenus dans la prison de Pianosa, relatées également par la presse,
le procureur de la République de Libourne se rendit sur l'île pendant
une journée et déclara à la presse n'avoir trouvé aucun élément
confirmant les informations susmentionnées.
Par ailleurs, le 30 juillet 1992 l'inspection de l'administration
pénitentiaire pour la Toscane avait informé le département de
l'administration pénitentiaire du ministère de la justice que selon
certaines informations provenant de sources dignes de foi, de graves
épisodes de mauvais traitements envers les détenus avaient eu lieu dans
la prison de Pianosa. Ce rapport mentionnait en particulier l'épisode
d'un détenu handicapé transporté à l'intérieur de la prison sur une
brouette sous la dérision des gardiens, ou encore celui d'un autre
détenu contraint de s'agenouiller devant un cierge.
Le 12 octobre 1992, une note du directeur général du département
de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice, adressée
au chef de cabinet du ministre, estima notamment que suite à une
inspection par des fonctionnaires du ministère, les épisodes de mauvais
traitements dénoncés devaient être réduits à leurs justes proportions
et que les conditions relevées par le juge d'application des peines de
Libourne étaient à imputer surtout au fait que 55 détenus avaient été
transférés à Pianosa d'urgence la nuit entre le 19 et le 20 juillet
1992, après l'attentat où avait perdu la vie un autre juge anti-mafia,
ce qui avait posé des problèmes pratiques pouvant expliquer en grande
partie les inconvénients relevés. En outre, des travaux de
restructuration en cours dans la prison avaient posé quelques problèmes
supplémentaires.
Le 28 octobre 1992, le même directeur général remit au chef du
cabinet du ministre, ainsi qu'au parquet, les conclusions d'un groupe
d'experts nommés par le département. Selon ceux-ci, sur la base des
éléments fournis par les détenus interrogés sur place les allégations
de mauvais traitements étaient dénuées de tout fondement, à l'exception
de l'épisode du transport d'un détenu handicapé par une brouette, dû
cependant à l'absence d'un fauteuil roulant dans la prison.
A la suite du rapport du juge d'application des peines, une
enquête fut néanmoins ouverte et les actes recueillis furent envoyés
au parquet près le juge d'instance de Libourne, dans la mesure où il
avait été possible de restreindre le champ de l'enquête à deux
gardiens, les seuls que l'on avait pu identifier, soupçonnés des délits
de lésions personnelles (article 582 du Code pénal) et abus d'autorité
sur des personnes arrêtées ou détenues (article 608 du Code pénal).
Le parquet demanda le classement sans suite des deux chefs
d'accusation, respectivement pour défaut de plainte et prescription.
Cette demande fut accueillie quant au chef de lésions personnelles,
mais fut rejetée quant à l'autre accusation, et le 20 décembre 1996 le
G.I.P. demanda des renseignements complémentaires. Cette enquête serait
toujours en cours.
Le régime des visites de la part des membres de la famille du
requérant et la censure sur sa correspondance
1. L'application de l'article 41bis de la loi sur l'administration
pénitentiaire et le régime des visites
Le 20 juillet 1992, le ministère de la Justice prit un décret
imposant au requérant, jusqu'au 20 juillet 1993, le régime spécial de
détention prévu par l'article 41bis de la loi n° 354 de 1975. Le
ministère considéra que pareille mesure s'imposait notamment pour de
graves raisons d'ordre et de sûreté publique, compte tenu de l'action
de plus en plus agressive et impitoyable de la mafia, qui venait
d'ailleurs d'assassiner trois magistrats et huit policiers et de
commettre des attentats à la voiture piégée dans des grandes villes
italiennes. La situation rendait dès lors nécessaire de couper les
contacts de certains détenus avec leur milieu d'origine. Le requérant
était visé par la mesure en question en considération de sa
personnalité et dangerosité, qui laissaient présumer qu'il avait en
fait gardé des contacts avec le milieu criminel dont il était issu et
qu'il aurait pu les utiliser pour impartir des directives ou instaurer
des liens avec le monde extérieur, pouvant porter atteinte à l'ordre
public et à la sûreté des établissements pénitentiaires. En outre, il
était raisonnable de penser que de tels détenus pouvaient recruter des
adeptes chez les autres détenus ou établir avec ces derniers, dans la
prison, un rapport de suprématie et de vexation semblable à celui
existant dans une organisation criminelle.
A l'égard du requérant, la mesure en question entraînait en
particulier :
- la suppression de toute conversation téléphonique ;
- la suppression de tout colloque ou correspondance épistolaire ou
télégraphique avec un autre détenu, même si membre de la famille
ou concubin/e ;
- toute la correspondance au départ ou en arrivée devait être
toujours soumise au visa de censure du directeur de la prison ou
d'un autre membre de l'administration pénitentiaire délégué par
le directeur ;
- interdiction de colloques avec des tierces personnes ;
- la limitation des colloques avec d'autres membres de la famille
ou concubins à une seule fois par mois et à une seule heure à la
fois, indépendamment du nombre de personnes admises au colloque ;
- interdiction de recevoir ou d'envoyer des sommes d'argent
supérieures aux limites fixées par le décret du Président de la
République (ci-après "D.P.R.") n° 431 du 29 avril 1976, mis à
part le paiement d'amendes et des frais de justice ;
- interdiction de recevoir des paquets de l'extérieur, sauf ceux
contenant de la lingerie ;
- interdiction d'organiser des activités culturelles, récréatives
et sportives ;
- interdiction de participer à la nomination ou aux activités des
représentations des détenus ;
- interdiction d'exercer des activités artisanales ;
- interdiction d'acheter des aliments destinés à la cuisson ;
- limitation de la promenade à deux heures par jour.
Le 20 juillet 1993, ces mesures furent prorogées jusqu'au
31 janvier 1994.
D'après les renseignements fournis par le requérant, que le
Gouvernement n'a pas contestés, ainsi que sur la base de certains
articles de presse, lors des entretiens le requérant était totalement
séparé de sa famille, y compris ses enfants, par une barrière en verre
et il pouvait communiquer avec eux uniquement par hygiaphone. Par
ailleurs, les visiteurs, et donc aussi l'épouse du requérant et leurs
enfants, étaient obligés de se déshabiller et de se soumettre à une
fouille corporelle avant chaque entrevue, nonobstant la présence de la
barrière en verre.
Le 22 décembre 1993, le requérant demanda l'autorisation de
rendre visite à son épouse en raison d'un grave deuil l'ayant atteinte.
En effet, deux frères de celle-ci venaient d'être assassinés dans le
cadre du conflit entre différents clans mafieux. Cette demande fut
rejetée le 28 décembre 1993, au motif que le requérant était soumis à
un régime spécial de détention en raison des graves délits qui lui
étaient reprochés, et compte tenu en outre de ce qu'un déplacement ne
paraissait en tout cas pas nécessaire, le requérant pouvant recevoir
des visites près la prison.
Le 30 janvier 1994, l'application de l'article 41bis fut prorogée
de six mois. Le requérant recourut alors au tribunal d'application des
peines de Florence.
Ce tribunal estima, le 24 mai 1994, que le rôle présumé du
requérant au sein de l'organisation incriminée imposait sa séparation
de son milieu d'origine et la réduction des contacts avec le monde
extérieur par les instruments fournis par l'article 41bis. Cette mesure
était motivée par les graves accusations portées à son encontre et par
son lien familial avec le chef de l'organisation mafieuse objet de
l'enquête, qui venait d'être éliminé par d'autres criminels pendant
qu'il était en fuite avec sa compagne. Les rapports de la police
confirmaient d'ailleurs sa position importante présumée au sein de
l'organisation.
A défaut, le requérant aurait pu, selon le tribunal, contribuer
à la prise de décisions ou à des agissements criminels par des mafieux
en liberté, "d'une manière qu'il n'était pas possible d'établir à
l'avance mais que l'on pouvait raisonnablement présumer et qui était
donc redoutable". La mesure en question était en conséquence
nécessaire. En ce qui concernait en revanche la nécessité de certaines
des mesures spécifiques découlant de l'application de l'article 41bis,
le tribunal annula l'interdiction de conversations téléphoniques entre
le requérant et sa famille, la limitation des colloques personnels à
une fois par mois, l'interdiction de recevoir des aliments à cuire et
enfin la limitation à deux heures de promenade par jour. En ce qui
concerne plus particulièrement les deux premiers points, le tribunal
estima, conformément à la jurisprudence en la matière selon laquelle
la nécessité de chaque mesure concrète doit être vérifiée à la lumière
des finalités poursuivies par l'article 41bis, que ces mesures ne se
justifiaient pas par le but final de réduire les contacts du requérant
avec le monde extérieur et surtout de couper ceux avec le milieu
criminel avec lequel il était accusé d'avoir coopéré. En effet, il
n'avait aucun sens d'interdire les conversations téléphoniques avec les
membres de sa famille si l'on admettait la possibilité de s'entretenir
avec eux lors de colloques directs et par ailleurs, une fois que l'on
admettait la possibilité de tels colloques il n'y avait aucune raison
de les limiter à une seule fois par mois.
Cependant, le 2 août 1994, le ministère de la Justice prorogea
une deuxième fois l'application au requérant du régime prévu par
l'article 41bis, jusqu'au 31 janvier 1995, en lui imposant de nouveau
les mêmes mesures qui avaient été adoptées par le premier décret,
nonobstant le contenu de la décision du tribunal d'application des
peines de Florence.
Le 23 août 1994, l'avocat du requérant présenta une instance au
ministère de la Justice faisant valoir que le dispositif de
l'ordonnance du tribunal d'application des peines de Florence du 24 mai
1994 devait s'appliquer également à la dernière prorogation de
l'application du régime prévu par l'article 41bis. A la même date,
l'avocat déposa également un recours ("reclamo") à l'encontre de cette
dernière décision.
Dans une note datée du 31 août 1994 et envoyée à plusieurs
autorités, parmi lesquelles figuraient le ministre de la Justice et le
directeur général du département de l'administration pénitentiaire, le
président du tribunal d'application des peines de Florence souligna que
l'administration était liée par les décisions des tribunaux et que la
prorogation par l'administration de l'application des mesures déclarées
illégales par l'autorité judiciaire était inadmissible.
2. La censure de la correspondance du requérant
Dès le 21 avril 1992, la correspondance du requérant fut soumise
à un visa de censure sur décision du tribunal de Trapani, qui ne
contenait pas de motivation spécifique. Cependant, la correspondance
du requérant ne fut pas contrôlée pendant qu'il se trouvait dans la
prison de Termini Imerese.
Le contrôle de la correspondance du requérant fut par la suite
ordonné également par le décret du ministère de la Justice du
20 juillet 1992, appliquant au requérant pour la première fois le
régime prévu par l'article 41bis.
Les courriers suivants furent en conséquence soumis à un visa de
censure :
a) lettre du requérant à son épouse, datée du 21 octobre 1992 ; la
remise de cette lettre fut retardée par la prison de Pianosa
puisqu'en raison de son contenu, jugé suspect par l'autorité
pénitentiaire, elle avait été préalablement envoyée à l'autorité
judiciaire ;
b) lettre envoyée au requérant par un premier avocat, datée du 7 mai
1993 (visa de censure de la prison de Pianosa) ;
c) lettre envoyée par le requérant à sa famille, datée du 28 février
1993 (visa de censure de la prison de Termini Imerese) ;
d) lettre envoyée par le requérant à sa famille, le cachet de la
poste indiquant le 7 mai 1993 (visa de censure de la prison de
Pianosa).
Dans cette dernière lettre, le requérant mentionne notamment le
fait que lors du précédent envoi à son épouse d'une lettre accompagnée
d'un certificat, celle-ci aurait reçu uniquement le certificat et non
pas la lettre, qui aurait été retenue par la prison. En fait, il
ressort d'une note de la prison de Termini Imerese que le 2 mars 1993
cette dernière prison avait remis au département de l'administration
pénitentiaire du ministère de la Justice une lettre du requérant, qui
selon la prison contenait des informations probablement calomnieuses
envers la prison, en demandant l'autorisation pour la remise de cette
lettre au requérant. Cette demande n'eut aucune suite et la lettre ne
fut en conséquence pas remise au requérant.
Suite à l'arrêt de la Cour constitutionnelle n° 349 du 28 juillet
1993 (voir infra, "Droit interne applicable", section "a."), par décret
du 15 septembre 1993 le ministère de la Justice révoqua la mesure du
contrôle de la correspondance contenue dans ses décrets d'application
de l'article 41bis.
La correspondance du requérant continua toutefois d'être
contrôlée en vertu de la décision du tribunal de Trapani du 21 avril
1992.
Le 21 février 1994, le tribunal de Trapani ordonna la révocation
du visa de censure sur la correspondance du requérant. A partir de
cette date et jusqu'au 10 juin 1994, la correspondance du requérant fut
néanmoins contrôlée, en l'absence de toute décision l'autorisant
conformément à la loi.
Le 12 mai 1994, alors qu'il se trouvait dans la prison de Termini
Imerese, le requérant demanda que sa correspondance soit soumise de
nouveau à un visa de censure, compte tenu du fait que l'autorité
judiciaire avait suspendu l'application du visa de censure. Dans cette
demande, qui fut verbalisée à la présence de deux gardiens de la
prison, le requérant précisa qu'il autorisait la direction de la prison
à soumettre sa correspondance à un visa de censure afin d'être admis
à fréquenter d'autres détenus face à la possibilité d'être enfermé seul
avec interdiction de rencontrer d'autres détenus.
Du 10 juin 1994 au 3 août 1994, la correspondance ne fut pas
contrôlée, suite à une décision de la direction de la prison. En effet,
le 10 juin 1994, la direction de la prison de Termini Imerese avait
ordonné que le requérant soit à nouveau soumis au régime normal de
détention, ce qui entraînait notamment la suppression du visa de
censure et la possibilité de bénéficier de quatre visites par mois.
Cependant, pendant cette même période au moins la lettre suivante
fit néanmoins l'objet d'un visa de censure :
- lettre envoyée au requérant par son épouse, datée du 28 juillet
1994 (visa de la prison de Pianosa).
Le visa de censure ne s'appuya à nouveau sur une décision
formelle qu'à partir du 13 août 1994, lorsque sur demande de la
direction de la prison de Pianosa cette mesure fut ordonnée par
décision du président de la section criminelle du tribunal de Trapani,
qui ne contenait pas de motivation spécifique. Après cette décision,
les lettres suivantes furent contrôlées :
a) lettre envoyée au requérant par un deuxième avocat, datée du
24 août 1994 (visa de la prison de Pianosa) ;
b) lettres envoyées au requérant par son épouse, datées
respectivement des 18, 21, 29 et 30 août 1994 et contenant deux
photos des enfants du requérant, portant chacune le cachet du
visa de censure (visa de la prison de Pianosa) ;
c) lettre envoyée par le requérant à sa famille, datée du 31 août
1994 (visa de la prison de Pianosa) ;
d) lettre envoyée au requérant par ses enfants, datée du
1er septembre 1994 (visa de la prison de Pianosa) ;
e) lettre envoyée au requérant par sa petite fille, datée du
16 octobre 1994 (visa de censure illisible) ;
f) lettres envoyées au requérant par son épouse, datées
respectivement des 18 et 20 octobre 1994 (visa de la prison de
Termini Imerese) ;
g) lettre envoyée au requérant apparemment par des membres de sa
famille, datée du 20 octobre 1994 (visa de la prison de Termini
Imerese).
Il faut ajouter également une lettre, non datée, envoyée au
requérant par sa petite fille (visa de la prison de Pianosa).
En revanche, la lettre envoyée par le requérant à sa famille le
26 septembre 1994, apparemment depuis une prison de Rome, ne porte pas
de visa de censure.
Quant à la correspondance du requérant avec son avocat, la
direction de la prison de Pianosa a précisé qu'aucune des deux lettres
soumises au visa de censure n'était reconnaissable comme concernant la
correspondance avec le défenseur au sens de l'article 35 des
dispositions transitoires du nouveau Code de procédure pénale italien
(voir infra, "Droit interne applicable", section "b.").
Les mesures de prévention appliquées au requérant après son
acquittement
Par décret du 10 mai 1993, le tribunal de Trapani, section
compétente en matière de mesures de prévention, décida d'appliquer à
l'encontre du requérant une série de mesures de prévention pendant une
période de trois ans. Le tribunal considéra en particulier que des
indices concrets, tels la participation du requérant, en même temps que
d'autres personnes soupçonnées d'appartenir à la mafia locale, dans la
société gérant une discothèque où se rencontraient des mafieux, ainsi
que les poursuites engagées à son encontre, prouvaient sa dangerosité.
En particulier, le requérant était obligé :
a) de ne pas s'éloigner de sa résidence sans avoir prévenu
l'autorité chargée de le surveiller ;
b) de vivre honnêtement ;
c) de ne pas susciter des soupçons ;
d) de ne pas s'associer à des personnes ayant fait l'objet d'une
condamnation ou soumises à des mesures de prévention ou de
sûreté ;
e) de ne pas rentrer chez soi après 20h00 et de ne pas en sortir
avant 6h00, sauf pour des motifs de nécessité dûment prouvés et
en tout cas après avoir prévenu l'autorité chargée de le
surveiller ;
f) de ne pas détenir ou porter d'armes ;
g) de ne pas fréquenter des bistrots et de ne pas participer à des
réunions publiques ;
h) de porter toujours sur soi la carte indiquant les obligations
spécifiques résultant des mesures de prévention appliquées à son
encontre, ainsi qu'une copie du décret du tribunal ;
i) de se présenter au bureau de police compétent chaque dimanche
entre 9h00 et 12h00.
Le requérant était également obligé de verser 5 millions de lires
(environ 15 000 FF) au bénéfice de la caisse des amendes.
Selon le requérant, on lui aurait également retiré son passeport,
son permis de conduire et sa carte d'identité valable pour sortir du
pays.
En revanche, le tribunal estima qu'en l'état du dossier il
n'était pas possible de conclure que ladite société servait de canal
de recyclage d'argent sale provenant des activités illicites de la
mafia. Il ordonna par conséquent la séparation de la procédure
concernant la saisie des quotes-parts du requérant dans la société en
question ainsi que de certains de ses biens immobiliers.
Le requérant interjeta appel mais il en fut débouté le 7 décembre
1993. Son pourvoi en cassation fut également rejeté par arrêt du
3 octobre 1994.
Suite à l'application de ces mesures, la Commission électorale
municipale d'Alcamo décida, le 10 janvier 1995, de rayer le requérant
des listes électorales pour déchéance de sa capacité électorale, en
application de l'article 32 du D.P.R. n° 223 du 20 mars 1967.
Le requérant saisit alors en appel, conformément à la loi, la
Commission électorale de circonscription, se plaignant avant tout de
l'absence de motivation de la décision de la commission électorale
municipale et faisant valoir que si la décision de le rayer des listes
électorales était due à l'application des mesures de prévention,
celles-ci avaient été prises sur la base de son arrestation pour
association de type mafieux et l'on ne pouvait ne pas tenir compte du
fait qu'il avait entre-temps été relaxé. Ce recours fut cependant
rejeté.
Le 13 février 1996, le requérant fut débouté d'une demande
d'autorisation à quitter Alcamo pour accompagner son épouse et l'un de
ses fils à l'hôpital de Palerme, où ceux-ci devaient effectuer des
examens médicaux. Le tribunal de Trapani, section compétente en matière
de mesures de prévention, estima en effet que les examens médicaux en
question ne portaient pas sur des maladies graves et que par
conséquent, les membres de la famille du requérant concernés auraient
bien pu s'y rendre seuls.
Entre-temps, le 8 janvier 1996 le requérant avait demandé au
tribunal de Trapani, section des mesures de prévention, la révocation
des mesures de prévention prises à son encontre, faisant valoir
notamment le fait d'avoir été désormais définitivement acquitté et se
plaignant de l'impossibilité de retrouver un emploi.
Le 11 juin 1996, le tribunal débouta le requérant de sa demande.
Il rappela tout d'abord la jurisprudence constante de la Cour de
cassation, selon laquelle les faits établis au cours d'un procès, bien
qu'insuffisants pour fonder la condamnation du prévenu, pouvaient tout
de même constituer, avec éventuellement d'autres éléments à l'appui,
des indices significatifs de nature à prouver le caractère dangereux
du prévenu acquitté. Selon le tribunal, tel était le cas en l'espèce,
en tenant compte du fait que des déclarations faites par B.F. il
ressortait que le requérant était proche du clan mafieux d'Alcamo,
comme le prouvait le fait que son beau-frère décédé avait été le chef
du clan dominant. Quant à l'impossibilité de retrouver un emploi, le
tribunal estima que ce fait n'était aucunement lié aux mesures de
prévention, étant donné qu'à tout moment le requérant aurait pu
demander une permission de travailler, à condition bien entendu que le
travail soit compatible avec les prescriptions découlant des mesures
de prévention.
Droit interne applicable
a. L'article 41bis de la loi n° 354 de 1975
L'article 41bis de la loi sur l'administration pénitentiaire (loi
n° 354 du 26 juillet 1975), tel qu'il a été modifié par la loi n° 356
du 7 août 1992, attribue au ministre de la Justice le pouvoir de
suspendre complètement ou partiellement l'application du traitement
normal des détenus, tel que prévu par la loi n° 354 de 1975, par décret
motivé et contrôlable par l'autorité judiciaire, pour des raisons
d'ordre et de sécurité publique, lorsque le régime normal de la
détention serait en conflit avec ces dernières exigences. Pareille
disposition peut être appliquée uniquement à l'égard des détenus
poursuivis ou condamnés pour les délits indiqués à l'article 4bis de
la même loi, parmi lesquels figurent des délits liés aux activités de
la mafia. Il est prévu que la disposition en question demeure en
vigueur jusqu'en 1999.
En pratique, l'article 41bis impose un régime de détention
particulièrement sévère et poursuit notamment le but de couper tout
lien entre la personne concernée et son milieu mafieux ou criminel
d'origine. En effet, il est arrivé à plusieurs reprises que des chefs
mafieux aient continué à communiquer avec l'extérieur et à transmettre
des ordres même en étant détenus. Cette disposition constitue
actuellement l'un des instruments principaux dans la lutte contre la
mafia à la disposition des autorités italiennes.
L'article 41bis ne contient aucune liste des restrictions
autorisées, qui doit être établie par décret du ministre de la Justice.
Au début de son application, cette disposition a été interprétée comme
attribuant également, au ministre de la Justice, le pouvoir d'appliquer
un visa de censure sur la correspondance du détenu.
La Cour constitutionnelle italienne a été saisie de la question
de savoir si le principe du domaine réservé au législateur est respecté
par un tel système. La Cour constitutionnelle (dans ses arrêts n° 349
et 410 de 1993) a estimé que l'article 41bis est compatible avec la
Constitution. Elle a en effet considéré que s'il est vrai que le régime
spécial de détention au sens de la disposition en question est
concrètement établi par le ministre, le décret de ce dernier peut
néanmoins être attaqué devant les juges d'application des peines, qui
exercent un contrôle tantôt sur sa nécessité, tantôt sur les mesures
concrètes devant être appliquées au détenu concerné lesquelles en tout
cas, ne peuvent jamais aboutir à un traitement inhumain.
Cependant, la Cour constitutionnelle a précisé, se fondant sur
l'article 15 de la Constitution, qui prévoit notamment que les
restrictions à la correspondance peuvent avoir lieu uniquement par acte
motivé de l'autorité judiciaire, que le pouvoir de soumettre la
correspondance d'un détenu à un visa de censure appartient
exclusivement à l'autorité judiciaire. Par conséquent, l'article 41bis
ne peut être interprété comme incluant le pouvoir, pour le ministre de
la Justice, de prendre des mesures à l'égard de la correspondance des
détenus.
Toutefois, la Cour de cassation avait pour sa part considéré que
les tribunaux d'application des peines devaient se limiter à contrôler
la légitimité du décret du ministère en tant que tel, sans pouvoir se
substituer à l'administration dans le choix des modalités d'application
concrètes. En revanche, dans la pratique les tribunaux d'application
des peines étaient allés jusqu'à contrôler la conformité de chaque
mesure concrète par rapport au but poursuivi par l'administration. Il
s'en est ensuivi que souvent les décisions des tribunaux d'application
des peines sont restées inexécutées, ce qui a donné lieu à des conflits
entre ces tribunaux et l'autorité administrative.
Ce n'est enfin que par arrêt n° 351 des 14 - 18 octobre 1996 que
la Cour constitutionnelle a établi que le pouvoir de contrôle des
tribunaux d'application des peines s'étend aux modalités concrètes
d'application de la mesure, à la fois par rapport au but poursuivi et
à la lumière des droits fondamentaux garantis par la Constitution. La
Cour de cassation avait d'ailleurs changé d'orientation à cet égard
avant même l'arrêt de la Cour constitutionnelle, en admettant la
possibilité pour le juge d'application des peines de révoquer
l'application, totalement ou partiellement, des mesures illégitimes
(voir arrêts n° 6873 du 12 février 1996 et 684 du 1er mars 1996).
b. Dispositions pertinentes en matière de contrôle de la
correspondance
Selon l'article 18 de la loi n° 354 du 26 juillet 1975, tel qu'il
a été modifié par l'article 2 de la loi n° 1 du 12 janvier 1977,
l'autorité compétente à décider en matière de visa de censure sur la
correspondance des détenus est le juge saisi de l'affaire, qu'il
s'agisse de la juridiction d'instruction ou de la juridiction de
jugement, jusqu'au jugement de première instance, et le juge
d'application des peines pendant le déroulement ultérieur de la
procédure. Cette disposition prévoit également que le magistrat
compétent peut ordonner le contrôle de la correspondance d'un détenu
par décision motivée, sans toutefois préciser les cas dans lesquels une
telle décision peut être prise.
Le visa de censure dont se plaint le requérant consiste
concrètement en l'interception et la lecture par l'autorité judiciaire
qui l'a ordonné, par le directeur de la prison ou par le personnel
pénitentiaire désigné par ce dernier, de toute la correspondance du
détenu qui fait l'objet d'une telle mesure, ainsi qu'en l'apposition
d'un cachet sur les lettres, qui sert à prouver la réalité dudit
contrôle (voir également l'article 36 du Règlement d'exécution de la
loi n° 354 ci-dessus, émis par le D.P.R. n° 431 du 29 avril 1976).
Cette mesure de contrôle ne peut pas résulter en l'effacement de mots
ou de phrases, mais suite au contrôle l'autorité judiciaire peut
ordonner qu'une ou plusieurs lettres ne soient pas remises. Dans ce
cas, le détenu doit en être aussitôt informé. Cette dernière mesure
peut également être ordonnée provisoirement par le directeur de la
prison, qui doit toutefois en donner communication à l'autorité
judiciaire.
Par ailleurs, l'article 103 du nouveau Code de procédure pénale
italien, entré en vigueur le 24 octobre 1989, interdit la saisie et
toute forme de contrôle de la correspondance entre un détenu et son
défenseur, à condition qu'elle soit reconnaissable comme telle et sauf
dans le cas où l'autorité judiciaire ait des motifs fondés de croire
que cette correspondance constitue le corps du délit. L'article 35 des
dispositions transitoires du nouveau Code de procédure pénale dispose
également que les dispositions relatives au visa de censure sur la
correspondance d'un détenu prévues par la loi n° 354 et le D.P.R.
n° 431 précités, ne s'appliquent pas à la correspondance entre le
détenu et son défenseur. Cependant, pour que la correspondance avec
l'avocat puisse bénéficier de l'exemption de tout contrôle l'enveloppe
doit indiquer les généralités du prévenu, celles de l'avocat ainsi que
la qualification professionnelle de ce dernier et la mention
"correspondance pour des raisons de justice" ("corrispondenza per
ragioni di giustizia"). En outre, cette dernière mention doit être
signée par l'expéditeur, lequel doit également préciser à quelle
procédure se réfère la lettre. Si l'expéditeur est l'avocat, sa
signature doit être certifiée conforme par le président du barreau ou
son délégué. En l'absence de ces indications, prescrites par
l'article 35 précité des dispositions transitoires, l'interdiction de
contrôler la correspondance avec le défenseur ne s'applique pas.
Enfin, quant aux recours disponibles contre la mesure incriminée,
la Cour de cassation italienne a soutenu dans plusieurs décisions que
la mesure litigieuse constitue en effet un acte de nature
administrative. Elle a par ailleurs affirmé, dans une jurisprudence
constante et bien établie, que la loi italienne ne prévoit pas de voies
de recours à cet égard, la mesure en question ne pouvant non plus faire
l'objet d'un recours en cassation, car elle ne concerne pas la liberté
personnelle du détenu (Cour de cassation italienne : arrêts n° 3141 du
14 février 1990 et 4687 du 4 février 1992).
c. Dispositions pertinentes en matière de durée de la détention
provisoire
Le premier paragraphe de l'article 273 du Code de procédure
pénale italien prévoit que "nul ne peut être soumis à des mesures de
détention provisoire s'il n'y a pas à sa charge de graves indices de
culpabilité".
L'article 274 prévoit ensuite que des mesures de détention
provisoire peuvent être prises :
"a) en présence d'exigences inéluctables ayant trait à l'enquête,
en relation avec des situations de danger concret pour l'administration
ou l'authenticité de la preuve ;
b) quand l'inculpé s'est enfui ou il y a un danger concret de
fuite, à condition que le juge estime qu'une peine supérieure à deux
ans d'emprisonnement puisse être infligée ;
c) quand, pour les modalités spécifiques et les circonstances des
faits et compte tenu de la personnalité de l'inculpé, il y a un danger
concret que celui-ci commette de graves délits par l'usage d'armes ou
d'autres moyens de violence contre les personnes, ou des délits contre
l'ordre constitutionnel, ou des délits en rapport avec le crime
organisé, ou encore des délits du même type que ceux reprochés à
l'inculpé."
Selon l'article 275 par. 3, tel qu'il a été modifié par les
décrets-lois n° 152 de 1991, converti en la loi n° 203 de 1991, et 292
de 1991, converti en la loi n° 356 de 1991, l'existence de ces
exigences est présumée pour certains délits particulièrement graves,
parmi lesquels figure celui reproché au requérant, sauf s'il y a des
éléments démontrant le contraire.
L'article 303 prévoit des délais maxima de détention provisoire
en fonction de l'état de la procédure. Etant donné que le requérant
était poursuivi pour le délit prévu par l'article 416bis du Code pénal,
les délais qui étaient applicables à sa situation au cours de la
procédure en première instance sont les suivants :
- un an du début de la détention jusqu'à la décision disposant le
procès ;
- un an du début du procès jusqu'au jugement de condamnation en
première instance.
L'article 303 dispose en particulier que si avant l'échéance de
ces délais n'ont pas été émis respectivement la décision disposant le
début du procès ou le jugement de condamnation de première instance,
la détention provisoire cesse d'être légale et l'inculpé doit être mis
en liberté.
Cependant, le par. 2 de l'article 304 prévoit que les délais
prescrits par l'article 303 peuvent être suspendus au cours du procès,
s'agissant de certains délits parmi lesquels figure celui prévu par
l'article 416bis du Code pénal, si les débats se révèlent
particulièrement complexes, et cela pendant la période où se tiennent
les audiences où le jugement de première instance est délibéré, ou
encore pendant la procédure d'appel. L'article 304 dispose que la durée
de la détention provisoire ne peut en tout cas dépasser les deux tiers
du maximum de la peine prévue pour le délit reproché à l'inculpé ou
infligée par le jugement de première instance.
D'autre part, le par. 2 de l'article 305 dispose qu'"au cours de
l'enquête préliminaire, le ministère public peut demander la
prorogation des délais de détention provisoire touchant à leur
échéance, en présence de graves exigences de précaution qui, dans le
cadre d'activités d'instruction particulièrement complexes, rendent
indispensable la continuation de la détention provisoire". Cette
disposition prévoit ensuite que pareille prorogation ne peut être
renouvelée qu'une seule fois et qu'en tout cas, les délais prévus par
l'article 303 ne peuvent pas être dépassés de plus de la moitié.
Enfin, quant aux formalités de mise en liberté, il est à noter
qu'en date du 29 mars 1996, le ministère de la Justice a informé tous
les établissements pénitentiaires de la nécessité d'assurer certains
services administratifs même de nuit, en vue de rendre possible non
seulement la mise en liberté de détenus, mais aussi, entre autres,
l'accueil de personnes arrêtées ou s'étant présentées spontanément, ou
encore l'hospitalisation d'urgence de détenus.
d. Dispositions pertinentes en matière de mesures de prévention de
nature personnelle
Les mesures de prévention ont été instituées par la loi n° 1423
du 27 décembre 1956. L'article 3 de cette loi permet de placer sous la
surveillance spéciale de la police des personnes dangereuses pour la
sécurité et pour la moralité publique. La mesure de la surveillance
peut être assortie au besoin soit de l'interdiction de séjourner dans
telle(s) commune(s) ou province(s) soit, si ces personnes présentent
un danger particulier, d'une assignation à résidence dans une commune
déterminée ("obbligo di soggiorno").
Ces mesures relèvent de la compétence exclusive du tribunal du
chef-lieu de la province. Le tribunal statue en chambre du conseil et
par une décision motivée, après avoir entendu le ministère public et
l'intéressé qui peut présenter des mémoires et se faire assister par
un avocat ou avoué. Le parquet et l'intéressé peuvent interjeter appel
dans les dix jours, sans effet suspensif. La décision de la cour
d'appel peut à son tour faire l'objet d'un pourvoi en cassation.
Lorsqu'il adopte l'une des mesures énumérées à l'article 3, le
tribunal en précise la durée - qui peut aller d'un an à un maximum de
cinq ans - et fixe les règles à observer par la personne en question.
La loi n° 575 du 31 mai 1965, amendée en 1982, complète la
première loi de 1956 par des dispositions spécifiques dirigées contre
les personnes soupçonnées d'appartenir à des groupes mafieux.
La loi n° 327 du 3 août 1988 a supprimé la possibilité
d'incarcérer l'intéressé pendant l'examen de la demande d'assignation
à résidence. En outre, la mesure d'assignation à résidence doit
désormais être exécutée dans la commune où la personne concernée a son
domicile ou sa résidence.
Enfin, la loi n° 55 du 19 mars 1990 prévoit que le juge a la
faculté de suspendre la procédure relative à l'application de mesures
de prévention lorsqu'un procès pénal est pendant et jusqu'à l'issue de
ce dernier.
e. Disposition pertinente en matière de radiation des listes
électorales
L'article 32, par. 1 (3), du D.P.R. 223 de 1967 dispose qu'en cas
de déchéance de la capacité électorale suite notamment à une décision
de l'autorité judiciaire ou de police imposant des mesures de
prévention, le préfet de police ("questore") compétent pour exécuter
pareilles mesures envoie une certification des décisions entraînant la
perte de capacité électorale à la commune de résidence. La commission
électorale constituée près cette dernière commune procédera alors à la
radiation de la personne concernée des listes électorales, même en
dehors de la période normale de révision desdites listes.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint en premier lieu de la violation de
l'article 3 de la Convention en raison des mauvais traitements, de
nature à la fois psychique et physique, qu'il allègue avoir subis dans
la prison de Pianosa, ainsi que lors des transfèrements d'une prison
à l'autre.
2. Il se plaint en deuxième lieu d'une violation de l'article 8 de
la Convention en raison du fait que sa vie familiale pendant sa
détention a été grièvement affectée. En effet, le régime de détention
auquel il était soumis ne lui permettait de voir sa famille, y compris
ses enfants, qu'une seule fois par mois et pendant uniquement une
heure. En outre, les rencontres, même celles avec ses enfants, étaient
rendues extrêmement difficiles et pénibles par la présence d'une
barrière en verre, qui empêchait tout contact physique, en particulier
entre le requérant et ses enfants, et en outre par le fait que les
communications orales n'étaient possibles que par le biais d'un
hygiaphone.
3. Le requérant se plaint ensuite du visa de censure auquel a été
soumise sa correspondance avec sa famille et avec son avocat. Quant à
la correspondance avec son défenseur, le requérant allègue également
une violation des droits de la défense et invoque l'article 6 de la
Convention.
4. Le requérant se plaint en outre de la durée de sa détention.
5. Le requérant allègue également que nonobstant le fait d'avoir été
acquitté le 12 novembre 1994, il n'a été remis en liberté que le
lendemain. A cet égard, il invoque l'article 5 de la Convention.
6. Le requérant se plaint par ailleurs du fait que nonobstant son
acquittement, il a fait l'objet d'une série de mesures de prévention.
Le requérant se plaint en particulier de ce que ces mesures entravent
sa réinsertion dans la société civile en limitant notamment sa liberté
de mouvement et en réduisant ses chances de trouver un travail.
7. Il se plaint ensuite d'une violation de l'article 6 de la
Convention au motif qu'il a été empêché de conférer avec ses défenseurs
et de préparer sa défense, à cause des conditions de détention dans la
prison de Pianosa et de l'application à son encontre du régime spécial
de détention prévu par l'article 41bis de la loi n° 354 de 1975.
8. Le requérant se plaint enfin de la durée de la procédure, en
invoquant l'article 6 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
La requête a été introduite le 10 avril 1994 et enregistrée le
21 mars 1995.
Des renseignements préliminaires ont été fournis par le
Gouvernement défendeur le 23 février 1996. Le requérant a présenté des
commentaires le 7 mai 1996.
Le 21 octobre 1996, la Commission a décidé de porter la requête
à la connaissance du Gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter
par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la
requête.
Le Gouvernement a présenté ses observations les 19 février,
7 mars et 16 juin 1997, après prorogation du délai imparti, et le
requérant a fait parvenir les siennes le 24 avril 1997.
Par ailleurs, le 7 mars 1997 la Commission avait décidé
d'accorder au requérant le bénéfice de l'assistance judiciaire.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint en premier lieu de la violation de
l'article 3 (art. 3) de la Convention en raison des mauvais
traitements, de nature à la fois psychique et physique, qu'il allègue
avoir subis dans la prison de Pianosa, ainsi que lors des
transfèrements d'une prison à l'autre.
Selon l'article 3 (art. 3) de la Convention, "nul ne peut être
soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants".
Quant aux transfèrements d'une prison à l'autre, le Gouvernement,
se fondant sur les relations du juge d'application des peines de
Libourne à l'époque des faits et du président du tribunal d'application
des peines de Florence, reconnaît qu'ils se sont déroulés dans des
conditions discutables. Le Gouvernement souligne néanmoins le climat
extrêmement tendu de cette période, après les attentats qui avaient
coûté la vie à deux hauts magistrats, l'épouse de l'un des deux et les
agents de leurs escortes respectives. Par ailleurs, le Gouvernement
précise que l'enquête ouverte à la suite du rapport du juge
d'application des peines est toujours en cours.
Pour ce qui concerne plus particulièrement les traitements
prétendument subis par le requérant, le Gouvernement fait valoir qu'il
s'agit d'actes imputables à des initiatives individuelles de la part
de certains gardiens de prison et certainement pas le résultat d'une
politique pénitentiaire générale. Aucune responsabilité, selon le
Gouvernement, ne saurait dès lors être imputée à l'Etat, qui par le
biais de ses organes judiciaires a tout mis en oeuvre pour trouver les
coupables, lesquels malheureusement n'ont pas pu être identifiés.
Par ailleurs, dans une note du 12 décembre 1996, annexée aux
observations du Gouvernement, le président du tribunal d'application
des peines de Florence précise que les faits ayant eu lieu dans la
prison de Pianosa avaient été voulus ou tolérés par le Gouvernement en
poste à l'époque. Plus particulièrement, celui-ci estime que les
transfèrements des détenus à la prison de Pianosa ont été effectués
suivant des méthodes discutables et injustifiées, visant en réalité à
intimider les détenus, alors que l'autorité de l'Etat aurait pu être
mieux réaffirmée par des méthodes correctes. Selon lui, les allégations
du requérant concernant les modalités des transfèrements sont tout à
fait vraisemblables. Il souligne en outre que la section de haute
sécurité de la prison de Pianosa fut mise en place en faisant appel à
des gardiens provenant d'autres prisons, qui n'avaient pas été soumis
à une sélection et qui avaient reçu carte blanche. Le résultat,
poursuit le président de ce tribunal, a été que la gestion de la
section en question a été dans un premier moment caractérisée par des
abus et des irrégularités, ce qui était inévitable, à son avis, compte
tenu de la manière dont elle avait été réalisée.
Pour sa part, le requérant se borne à observer que les éléments
ressortant des observations du Gouvernement, et en particulier du
rapport du juge d'application des peines de Libourne daté du
12 décembre 1996 et annexé à celles-ci, constituent une admission de
ses allégations.
La Commission estime que sur ce point la requête soulève des
questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être résolues
à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au
fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée
manifestement mal fondée en application de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
La Commission constate, par ailleurs, que ce grief ne se heurte
à aucun autre motif d'irrecevabilité.
2. Le requérant se plaint en deuxième lieu d'une violation de
l'article 8 (art. 8) de la Convention en raison du fait que sa vie
familiale pendant sa détention a été grièvement affectée. En effet, le
régime de détention auquel il était soumis ne lui permettait de voir
sa famille, y compris ses enfants, qu'une seule fois par mois et
pendant uniquement une heure. En outre, les rencontres, même celles
avec ses enfants, étaient rendues extrêmement difficiles et pénibles
par la présence d'une barrière en verre, qui empêchait tout contact
physique, en particulier entre le requérant et ses enfants, et en outre
par le fait que les communications orales n'étaient possibles que par
le biais d'un hygiaphone.
Aux termes de l'article 8 (art. 8) de la Convention,
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue
par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société
démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et
à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé
ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui."
Le Gouvernement soutient que les mesures en question étaient
totalement conformes aux exigences de l'article 8 (art. 8) de la
Convention. Le Gouvernement fait valoir en outre qu'à l'époque des
faits, la jurisprudence de la Cour de cassation excluait le pouvoir des
juges d'application des peines de contrôler les modalités d'application
concrètes du décret du ministre de la Justice, et c'est pourquoi ce
dernier réitéra envers le requérant certaines mesures nonobstant les
décisions contraires des juges d'application des peines.
Par ailleurs, dans sa note du 12 décembre 1996, annexée aux
observations du Gouvernement, le président du tribunal d'application
des peines de Florence fait valoir que l'article 41bis a été conçu pour
être soustrait à tout contrôle juridictionnel et a été initialement
appliqué avec approximation.
Le requérant observe qu'après son introduction, l'article 41bis
a été initialement appliqué avec beaucoup d'approximation quant aux
personnes devant faire l'objet de son application. Ainsi, cette mesure
lui a été appliquée malgré le fait qu'il n'avait jamais fait l'objet
de poursuites auparavant. En outre, le requérant souligne lui aussi que
l'article 41bis a été conçu depuis le début pour être soustrait à tout
contrôle judiciaire, étant donné son but ultime de répondre aux
meurtres des magistrats ci-dessus mentionnés. Ceci expliquerait, selon
le requérant, le fait que les décisions des tribunaux d'application des
peines déclarant l'illégalité de certaines mesures n'ont pas eu de
suite. Il en est allé de même concernant la mesure illégale de la
dénudation de l'épouse du requérant et de leurs enfants en vue des
entretiens en prison.
La Commission rappelle d'abord que la Convention n'accorde pas
aux détenus le droit de choisir le lieu de détention et que la
séparation et l'éloignement du détenu de sa famille constituent des
conséquences inévitables de la détention (voir par exemple n° 5229/71,
déc. 5.10.72, Recueil 42, p. 14, et 5712/72, déc. 15.7.74, Recueil 46,
p. 112). Néanmoins, le fait de détenir une personne dans une prison
éloignée de sa famille à tel point que toute visite s'avère en fait
très difficile, voire impossible, peut dans des circonstances
exceptionnelles, constituer une ingérence dans sa vie familiale, la
possibilité pour les membres de la famille de rendre visite au détenu
étant un facteur essentiel pour le maintien de la vie familiale (voir
n° 7819/77, déc. 6.5.78, D.R. 14, p. 186).
La Commission relève ensuite qu'en l'espèce, le droit du
requérant de recevoir les visites des membres de sa famille n'a pas été
totalement supprimé, mais a fait l'objet de certaines restrictions. Ces
restrictions s'analysent, cependant, en une ingérence d'une autorité
publique dans l'exercice d'un droit garanti par le paragraphe 1 de
l'article 8 (art. 8).
Pareille ingérence n'enfreint pas la Convention, si elle est
"prévue par la loi", vise un ou des buts légitimes au regard du
paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2) et peut passer pour une mesure
"nécessaire dans une société démocratique".
La Commission note que les mesures de sécurité ont été ordonnées
à l'encontre du requérant en conformité avec l'article 41bis de la loi
n° 354 de 1975. La Commission considère que les mesures en cause
poursuivaient des objectifs légitimes sous l'angle du paragraphe 2 de
l'article 8 (art. 8) de la Convention, à savoir la défense de l'ordre
et de la sûreté publique, ainsi que la prévention des infractions
pénales.
Quant à la nécessité de l'ingérence dans le droit du requérant
au respect de sa vie familiale, la Commission rappelle que pour revêtir
un caractère nécessaire "dans une société démocratique", une ingérence
doit se fonder sur un besoin social impérieux et notamment demeurer
proportionnée au but légitime recherché (voir, en dernier lieu, Cour
eur. D.H., arrêt C. c. Belgique du 7 août 1996, Recueil 1996-III,
fasc. 12, par. 31). La Commission relève qu'en l'espèce, les
restrictions du droit de visite des membres de la famille du requérant
étaient dictées par le risque de voir utiliser les contacts personnels
du requérant pour continuer à communiquer avec les structures du clan
mafieux auquel il était accusé d'appartenir. De l'avis de la
Commission, le requérant n'a pas démontré que le point de vue des
autorités était sans fondement ou déraisonnable, compte tenu de la
nature spécifique du phénomène mafieux, où les relations familiales
jouent souvent un rôle primordial, et du fait que le beau-frère du
requérant était soupçonné d'occuper une position importante au sein du
clan mafieux local dominant et a été d'ailleurs impliqué dans le
conflit entre clans et par la suite assassiné. Par ailleurs, ces
restrictions ont été allégées par la suite.
D'autre part, compte tenu des considérations qui précèdent et
face aux graves exigences des enquêtes en matière de mafia menées par
les autorités italiennes après le meurtre de deux hauts magistrats, on
ne saurait reprocher au Gouvernement de ne s'être conformé aux
décisions du tribunal d'application des peines de Florence prévoyant
la révocation des restrictions en cause, étant donné qu'après une
jurisprudence contraire de la Cour de cassation, ce n'est qu'en 1996
que la Cour constitutionnelle a établi que les décisions des tribunaux
d'applications des peines en la matière lient le ministère de la
Justice.
La Commission considère dès lors que les restrictions du droit
de visite du requérant ne sont pas allées au-delà de ce qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la défense de l'ordre et de la
sûreté publique et à la prévention des infractions pénales, au sens de
l'article 8 par. 2 (art. 8-2) de la Convention.
Il s'ensuit que, sur ce point, la requête est manifestement mal
fondée et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant se plaint ensuite du visa de censure auquel a été
soumise sa correspondance avec sa famille et avec son avocat. Quant à
la correspondance avec son défenseur, le requérant allègue également
une violation des droits de la défense et invoque l'article 6 (art. 6)
de la Convention.
L'article 8 (art. 8) de la Convention garantit le droit de toute
personne au respect de sa correspondance aux conditions rappelées au
point n° 2 ci-dessus.
Par ailleurs, l'article 6 (art. 6) de la Convention garantit
notamment le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue
équitablement et celui de tout accusé à avoir "l'assistance d'un
défenseur de son choix".
Dans une note du 31 janvier 1997, annexée aux observations du
Gouvernement, le ministère de la Justice italien reconnaît que les
décisions des 21 avril 1992 et 13 août 1994, ayant soumis la
correspondance du requérant à un visa de censure, ont été
insuffisamment motivées. Le ministère attribue cette carence au manque
de clarté du texte de l'article 18 de la loi n° 354 de 1975, qui
n'indique nullement les raisons pour lesquelles l'autorité judiciaire
compétente peut appliquer un visa de censure. Le ministère précise
d'ailleurs qu'à la lumière des arrêts de la Cour européenne des droits
de l'homme dans les affaires Diana c. Italie et Domenichini c. Italie
(arrêts du 15 novembre 1996), une réforme des dispositions pertinentes
est actuellement en préparation. Ce projet viserait à préciser qu'un
visa de censure pourrait être appliqué pour des raisons de sûreté et
d'ordre dans les établissements pénitentiaires, et en outre que
pareille mesure pourrait faire l'objet d'un recours devant le tribunal
d'application des peines quant aux détenus condamnés et devant le
tribunal ordinaire quant aux détenus prévenus. Les formes actuelles de
réclamation seraient donc supprimées.
Quant aux deux lettres provenant de l'avocat du requérant, le
Gouvernement fait valoir qu'elles n'ont pu être reconnues comme telles
par le personnel pénitentiaire puisqu'elles n'étaient pas conformes aux
prescriptions prévues par l'article 35 des dispositions transitoires
du nouveau Code de procédure pénale.
La Commission estime que sur ce point la requête soulève des
questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être résolues
à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au
fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée
manifestement mal fondée en application de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
La Commission constate, par ailleurs, que ce grief ne se heurte
à aucun autre motif d'irrecevabilité.
4. Le requérant se plaint en outre de la durée de sa détention.
La Commission rappelle qu'au sens du paragraphe 3 de l'article 5
(Art. 5-3) de la Convention, "toute personne arrêtée ou détenue, dans
les conditions prévues au paragraphe 1.c (...) doit être aussitôt
traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à
exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un
délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure (...)".
Le Gouvernement soutient que la détention du requérant était
justifiée par les graves indices pesant sur lui et fait valoir que sa
durée a été tout à fait raisonnable. Le Gouvernement souligne en
particulier que le requérant a été poursuivi dans le cadre d'un procès
complexe rentrant dans la catégorie des soi-disant "maxi-processi". La
procédure en cause a concerné un nombre important de coïnculpés et
surtout, elle a porté sur une réalité extrêmement complexe telle que
celle de la mafia. En effet, le phénomène criminel en question,
poursuit le Gouvernement, ne peut être saisi en profondeur que par une
vue d'ensemble, de sorte que plusieurs procédures distinctes ne
permettraient pas d'apprécier le rôle de chacun des coïnculpés dans le
cadre de l'organisation. Il s'ensuit, conclut le Gouvernement, que la
conduite d'une procédure pareille entraîne inévitablement une
instruction et des débats particulièrement complexes et d'une certaine
longueur.
Le requérant fait valoir en revanche que son arrestation se
fondait uniquement sur les déclarations faites par B.F., lui-même
condamné à plusieurs reprises, lequel n'avait jamais fait partie du
clan auquel le requérant était accusé d'appartenir et dont B.F. avait
dès lors une connaissance très approximative. Tout au long de
l'enquête, la détention du requérant est restée ancrée exclusivement
dans ces déclarations, nonobstant l'absence de tout autre élément et
nonobstant le fait que d'autres repentis avaient déclaré ne pas
connaître le requérant. Malgré ces circonstances, le parquet, lequel
du 21 avril 1992 jusqu'au 8 avril 1993 n'avait recueilli aucun autre
élément à la charge du requérant, a demandé et réussi à obtenir la
prorogation des délais maxima de détention provisoire. Le requérant
fait valoir qu'en réalité, il a eu la malchance, comme le reconnaît
implicitement le Gouvernement, d'être arrêté au lendemain du meurtre
d'un haut magistrat, de son épouse et des agents de son escorte : aucun
juge n'aurait à cette époque osé remettre en liberté une personne
accusée d'appartenir à la mafia. Dans ces circonstances, poursuit le
requérant, on pouvait raisonnablement s'attendre à son acquittement et
la durée de sa détention a certainement dépassé toute limite
raisonnable.
La Commission estime que sur ce point la requête soulève des
questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être résolues
à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au
fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée
manifestement mal fondée en application de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
La Commission constate, par ailleurs, que ce grief ne se heurte
à aucun autre motif d'irrecevabilité.
5. Le requérant allègue également que nonobstant le fait d'avoir été
acquitté le 12 novembre 1994, il n'a été remis en liberté que le
lendemain. A cet égard, il invoque l'article 5 (art. 5) de la
Convention.
Le Gouvernement défendeur explique le retard dans la mise en
liberté du requérant par la nécessité d'accomplir des formalités
d'administration pénitentiaires, telles la restitution des effets
personnels ou la déclaration de domicile, et précise que l'état de
détention du requérant a cessé au moment du prononcé de la décision
d'acquittement et de mise en liberté. Il admet cependant que l'absence
de l'employé du bureau de la matricule ne pouvait justifier un renvoi
dans la mise en liberté du requérant. En effet, le ministère de la
Justice, dans sa note du 31 janvier 1997, annexée aux observations du
Gouvernement, estime que la procédure de libération du requérant suivie
par la prison de Termini Imerese ne saurait être considérée comme étant
justifiée, puisqu'après les formalités ordinaires de libération,
l'absence de l'employé du bureau de la matricule ne pouvait pas
retarder la mise en liberté du requérant. Le ministère précise
néanmoins qu'indépendamment du cas du requérant, le 29 mars 1996 une
note contenant des prescriptions précises à cet égard a été transmise
à tous les directeurs de prison afin que certaines mesures, telles la
mise en liberté d'un détenu, soient toujours garanties, même pendant
la nuit.
Le requérant souligne que malgré le fait qu'il devait être
considéré en état de liberté immédiatement après le jugement
d'acquittement du tribunal, comme le précise le Gouvernement, il a été
raccompagné en prison avec des menottes et a passé une nuit de plus
dans sa cellule. Selon le requérant, les formalités de mise en liberté
auraient pu être accomplies les jours suivant sa mise en liberté, sans
qu'il soit nécessaire d'attendre en prison la présence de l'employé du
bureau de la matricule.
La Commission estime que sur ce point la requête soulève des
questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être résolues
à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au
fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée
manifestement mal fondée en application de l'article 27 par. 2
(art.27-2) de la Convention.
La Commission constate, par ailleurs, que ce grief ne se heurte
à aucun autre motif d'irrecevabilité.
6. Le requérant se plaint par ailleurs du fait que nonobstant son
acquittement, il a fait l'objet d'une série de mesures de prévention.
Le requérant se plaint en particulier de ce que ces mesures entravent
sa réinsertion dans la société civile en limitant notamment sa liberté
de mouvement et en réduisant ses chances de trouver un travail.
Quant à la mesure de l'assignation du requérant à résidence et
aux limitations à sa liberté de mouvement, la Commission rappelle que
cette mesure n'a pas entraîné une privation de liberté au sens de
l'article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention (voir Cour eur. D.H.,
arrêts Raimondo c. Italie du 22 février 1994, série A n° 281-A, p. 19,
par. 39, et Guzzardi c. Italie du 6 novembre 1980, série A n° 39,
p. 33, par. 92, ainsi que n° 12541/86, déc. 27.5.91, D.R. 70, p. 112).
Il y a lieu donc de déterminer si la mesure litigieuse a porté
atteinte au droit du requérant à la liberté de circuler, garanti par
l'article 2 du Protocole n° 4 à (P4-2) la Convention.
L'article 2 du Protocole n° 4 (P4-2) à la Convention dispose
notamment :
"1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un
Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement
sa résidence.
2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y
compris le sien.
3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres
restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des
mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public,
à la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d'autrui.
(...)".
Par ailleurs, quant à la radiation du requérant des listes
électorales, la Commission rappelle que l'article 3 du Protocole n° 1
(P1-3) à la Convention prévoit que "les Hautes Parties contractantes
s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections
libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre
expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif".
Le Gouvernement précise tout d'abord que la carte d'identité du
requérant ne lui a jamais été retirée. Par ailleurs, le Gouvernement
estime que conformément à la jurisprudence constante de la Commission
en la matière, l'assignation à résidence du requérant et les autres
mesures de prévention prises à son encontre sont conformes aux
exigences de l'article 2 du Protocole n° 4 à (P4-2) la Convention,
l'acquittement du requérant n'entraînant pas ipso facto la disparition
de sa dangerosité, compte tenu notamment de ses rapports d'affaires
avec des membres de la mafia locale ainsi que de sa proximité d'un chef
de clan dont il avait épousé la soeur.
En revanche, le Gouvernement n'a pas pris position quant la
radiation du requérant des listes électorales.
Le requérant considère qu'il est inadmissible qu'une personne
acquittée pour n'avoir pas commis les faits, en appel conformément à
la demande du procureur général en personne, puisse être soumise à des
mesures de prévention. Le requérant souligne à cet égard que la
motivation fournie par le tribunal de Trapani est insuffisante, puisque
ce dernier se réfère notamment aux rapports d'affaires entre le
requérant et des membres importants de la mafia locale, dont il
n'indique cependant pas les noms. Selon le requérant, le sacrifice de
sa liberté de circulation ne peut être justifié par la vague allégation
de la nécessité de combattre le phénomène mafieux, alors qu'un arrêt
définitif le considère comme un citoyen honnête.
Quant à sa radiation des listes électorales, le requérant affirme
être toujours en attente d'explications et d'être réinséré dans ledites
listes.
La Commission estime que sur ce point la requête soulève des
questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être résolues
à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au
fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée
manifestement mal fondée en application de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
La Commission constate, par ailleurs, que ce grief ne se heurte
à aucun autre motif d'irrecevabilité.
7. Le requérant se plaint ensuite d'une violation de l'article 6
(art. 6) de la Convention au motif qu'il a été empêché de conférer avec
ses défenseurs et de préparer sa défense, à cause des conditions de
détention dans la prison de Pianosa et de l'application à son encontre
du régime spécial de détention prévu par l'article 41bis de la loi
n° 354 de 1975.
Les parties n'ont pas pris position à cet égard.
La Commission note que le requérant n'a produit aucun élément
concret de nature à démontrer en quoi les conditions de détention
auraient effectivement et concrètement entravé sa défense. Elle
considère dès lors qu'à supposer même que le requérant puisse être
considéré comme ayant la qualité de victime à cet égard, ce grief n'a
en tout cas pas été étayé et qu'il doit être rejeté comme étant
manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de
la Convention.
8. Le requérant se plaint enfin de la durée de la procédure, en
invoquant l'article 6 (art. 6) de la Convention.
Les parties n'ont pas pris position à cet égard.
La durée de la procédure litigieuse, qui a débuté le 21 avril
1992, date de l'arrestation du requérant (voir Cour eur. D.H., arrêt
Wemhoff c. Allemagne du 27 juin 1968, série A n° 7, p. 26, par. 19),
et s'est terminée le 25 juin 1996, date du passage en force de chose
jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Palerme, est donc de quatre ans
et deux mois.
Selon le requérant, la durée de la procédure ne répond pas à
l'exigence du "délai raisonnable" (article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention).
La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée
d'une procédure doit s'apprécier suivant les circonstances de la cause
et à l'aide des critères suivants : la complexité de l'affaire, le
comportement des parties et le comportement des autorités saisies de
l'affaire (voir Cour eur. D.H., arrêt Kemmache c. France du 27 novembre
1991, série A n° 218, p. 27, par. 60).
La Commission note qu'entre l'arrestation du requérant et
l'ordonnance du tribunal de Trapani du 8 avril 1993, donnant suite à
la demande du ministère public de proroger les délais maxima de
détention provisoire, aucune activité d'instruction d'une certaine
importance ne semble avoir été accomplie. En outre, on sait que par la
suite le requérant a été renvoyé en jugement, mais le Gouvernement
défendeur n'a fourni aucune information précise sur le déroulement
concret de la suite de l'instruction et des débats.
Ces laps de temps peuvent sembler de prime abord excessifs.
Toutefois, si on les rapproche, comme il se doit, de la durée totale
de la procédure, ils apparaissent tolérables. En outre, la procédure
en appel n'a duré qu'un peu plus d'un an.
Partant, la Commission estime que la durée globale de la
procédure ne se révèle pas suffisamment importante pour que l'on puisse
conclure à une apparence de violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)
de la Convention.
Il s'ensuit que ce grief du requérant est manifestement mal fondé
et doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de
la Convention.
Par ces motifs, la Commission :
à la majorité, DECLARE IRRECEVABLE le grief du requérant
concernant le régime des visites en prison des membres de sa
famille ;
à l'unanimité, DECLARE IRRECEVABLES les griefs concernant le
respect des droits de la défense et la durée de la procédure
pénale au fond ;
à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE pour le surplus, tous
moyens de fond réservés.
M. de SALVIA S. TRECHSEL
Secrétaire Président
de la Commission de la Commission