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La requête présentée par Isse Barir et Amuur c. la France

Publisher Council of Europe: European Commission on Human Rights
Publication Date 18 October 1993
Citation / Document Symbol No.: 19776/92
Cite as La requête présentée par Isse Barir et Amuur c. la France, No.: 19776/92, Council of Europe: European Commission on Human Rights, 18 October 1993, available at: https://www.refworld.org/cases,COECOMMHR,3ae6b693c.html [accessed 6 June 2023]
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COMMISSION EUROPEENNE DE DROITS D'HOMME

SUR LA RECEVABILITE DE
La requête 19776/92 présentée par Isse BARIR et AMUUR ressortissants somaliens contre la France

 

ORIGIN: COMMISSION (Plénière)

TYPE: DECISION

PUBLICATION:

TITLE: BARIR ET AMUUR contre la FRANCE

APPLICATION NO.: 19776/92

NATIONALITY: Somalienne

REPRESENTED BY: TAELMAN, P., avocat, Créteil

RESPONDENT: France

DATE OF INTRODUCTION: 19920327

DATE OF DECISION: 19931018

APPLICABILITY: art. 6 non applicable

CONCLUSION: partiellement rayer du role ; partiellement recevable ; partiellement irrecevable

ARTICLES: 3 ; 5 ; 6 ; 13

RULES OF PROCEDURE:

LAW AT ISSUE:

Article 12 du décret du 27 mai 1982 ; Article 27 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; Article 35 bis de l'ordonnance de 1945

STRASBOURG CASE-LAW:

Cour Eur. D.H.

Arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A n° 43, p. 21, par. 46 ; Arrêt Boyle and Rice du 26 mars 1987, série A n° 131, p. 25, par. 59 ; Arrêt Cruz Varas et autres du 20 mars 1991, série A n° 201, pp. 28, 36, pars. 69-70, 100 Comm. Eur. D.H. No 6315/73, déc. 30.9.74, D.R. 1, p. 73 ; No 7011/75, déc. 3.10.75, D.R. 4, p. 215 ; No 7256/75, déc. 10.12.76, D.R. 8, p. 161 ; No 10078/82, déc. 13.12.84, D.R. 41, p. 103 ; No 12122/86, déc. 16.10.86, D.R. 50, p. 268 ; No 12461/86, déc. 10.12.86, D.R. 51, p. 258 ; No 13162/87, déc. 9;11.87, D.R. 54, p. 211 ; No 14312/88, déc. 8.3.89, D.R. 60, p. 284

SUR LA RECEVABILITE

de la No 19776/92 présentée par Isse BARIR et AMUUR ressortissants somaliens contre la France

La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 18 octobre 1993 en présence de

MM. C.A. NØRGAARD, Président

S. TRECHSEL

A. WEITZEL

F. ERMACORA

E. BUSUTTIL

G. JÖRUNDSSON

A.S. GÖZÜBÜYÜK

J.-C. SOYER

H.G. SCHERMERS

H. DANELIUS

Mme G.H. THUNE

MM. F. MARTINEZ

C.L. ROZAKIS

Mme J. LIDDY

MM. L. LOUCAIDES

J.-C. GEUS

M.P. PELLONPÄÄ

B. MARXER

M.A. NOWICKI

I. CABRAL BARRETO

B. CONFORTI

N. BRATZA

M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 27 mars 1992 par Mahad, Lahima, Abdelkader et Mohamed AMUUR ainsi que que par Nadifa ISSE BARIR et 17 autres ressortissants somaliens contre la France et enregistrée le 27 mars 1992 sous le No de dossier 19776/92 ;

Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 7juillet 1992 et les observations en réponse présentées par les requérants le 8 octobre 1992 ;

Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants sont vingt-deux ressortissants somaliens dont les noms et dates de naissance figurent en annexe de la présente décision. Ils sont représentés par Maître Pascale Taelman, avocat au barreau de Créteil.

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent être résumés comme suit :

Les requérants Mahad, Lahima, Abdelkader et Mohamed Amuur sont frères et soeur. Ils sont arrivés à l'aéroport de Paris-Orly, par vol de la compagnie Syrian Airlines en provenance de Damas, en date du 9 mars 1992. Les requérants ont exposé qu'ils appartiennent à la tribu Darob Marhan dont les membres étaient au pouvoir en Somalie à l'époque du régime du Président Mohamed Siyad Barre. Leur père serait militaire. Après le renversement du Président Siyad Barre par le Congrès de la Somalie Unifiée (ci-après "C.S.U."), en janvier 1991, des membres de la tribu Hawiya auraient pris la direction du pays. Les requérants auraient alors décidé de fuir Mogadiscio et de se réfugier à Kismayo. Ils ont exposé que leurs parents auraient été assassinés par des militants du C.S.U. Ils auraient quitté Kismayo et la Somalie en avril 1991, lorsque les forces du C.S.U. sont arrivées dans cette ville. Mahad, Lahima et Mohamed se sont rendus en bateau à Mombasa, au Kenya, avant de gagner Damas. Abdelkader aurait traversé la frontière qui sépare la Somalie du Kenya pour se rendre, dans un premier temps à Nairobi et, ensuite, à Damas où il a retrouvé ses frères et soeur.

Cinq autres requérants, Farxiya, Dilb, Falis, Lulle et Mursal Amuur, cousins germains des requérants susmentionnés, sont arrivés à Paris par le même vol. Ils ont exposé qu'ils ont dû fuir Mogadiscio en septembre 1991, après que leur domicile eut été attaqué par les forces du C.S.U. Leur père et deux de leurs frères auraient péri lors de cette attaque. Les requérants se sont rendus en Egypte, d'où ils sont passés à Damas pour y rejoindre leurs cousins.

La requérante Nadifa Isse Barir et ses sept enfants mineurs, ainsi que la requérante Ubah Ahmet Hashi et ses quatre enfants, sont arrivés, en date du 14 mars 1992, à l'aéroport de Paris-Orly, en provenance du Caire. Elles ont exposé qu'à cause de leur appartenance à la tribu Darob Marhan, elles ont dû quitter Mogadiscio fuyant les représailles du C.S.U. Plusieurs de leurs proches parents, y compris leurs époux, auraient été assassinés ou auraient disparu.

S'étant présentés au contrôle de la police de l'air et des frontières, les requérants se sont vu refuser l'admission au territoire français, leurs titres de voyage n'étant pas réguliers. Les requérants ont sollicité leur admission au titre de l'asile politique et leurs demandes ont été examinées par le ministre de l'Intérieur et par le ministre des Affaires étrangères, selon la procédure prévue à l'article 12 du décret du 27 mai 1982 qui dispose :

"Lorsque l'étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d'asile, la décision de refus d'entrée en France ne peut être prise que par le ministre de l'Intérieur après consultation du ministre des relations extérieures."

Les requérants ont été retenus en "zone de transit", dans les locaux de l'hôtel Arcade à l'aéroport d'Orly.

Le 25 mars 1992, les requérants se sont adressés par lettre à l'Office français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (O.F.P.R.A.) et ont sollicité le bénéfice du statut de réfugié. Le 31 mars 1992, l'O.F.P.R.A. s'est déclaré incompétent pour connaître de ces demandes d'asile qui lui avaient été adressées avant l'admission des requérants sur le territoire français.

Le 26 mars 1992, les requérants ont, suivant assignation en référé d'heure en heure, saisi le juge des référés près le tribunal de grande instance de Créteil d'une demande visant à ce qu'il soit mis fin à la voie de fait que constituait, selon eux, leur maintien à l'hôtel Arcade.

Le 29 mars 1992, à 13h30, après s'être vu opposer un refus d'entrée par le ministre de l'Intérieur, les requérants Mahad, Lahima, Abdelkader et Mohamed Amuur, ont été renvoyés en Syrie, qui, selon le Gouvernement, a accepté de les accueillir. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a informé le Ministère de l'Intérieur de l'admission de ces requérants en Syrie, par télécopie du 10 juin 1992, dont la teneur est la suivante :

"Les quatre personnes ont été réadmises sans difficulté sur le territoire syrien suite aux garanties que l'Ambassade de France avait obtenues en la matière auprès des autorités compétentes syriennes. Les quatre ressortissants somaliens devaient approcher ultérieurement notre Bureau en vue de la détermination de leur statut. Nous sommes cependant à ce jour sans nouvelles de leur part et vous tiendrons informés éventuellement de tout développement ultérieur."

Le 30 mars 1992, le renvoi des dix-huit autres requérants a été organisé à destination du Caire, après que ceux-ci eurent fait l'objet de décisions de refus d'admission. Toutefois, les requérants ont refusé d'embarquer et une procédure pénale a été engagée à leur encontre par le parquet de Créteil pour soustraction à l'exécution d'une mesure de refus d'entrée (article 27 de l'ordonnance du 2 novembre 1945). Ils ont ultérieurement été relaxés, par jugement du 7 août 1992 du tribunal correctionnel de Créteil.

Le 31 mars 1992, le tribunal de grande instance de Créteil, par ordonnance de référé, a constaté l'illégalité de la détention des requérants et a ordonné leur mise en liberté. La partie pertinente de la décision du tribunal se lit comme suit :

"Si la régularité des décisions de refus d'admission des étrangers ... ne saurait faire l'objet d'un contrôle de la part du juge des référés, ... il reste que la rétention actuellement exercée par le ministre de l'Intérieur dans des locaux qui, au demeurant, ne sont pas situés en zone internationale, n'est prévue par aucun texte de loi, ce qui est d'ailleurs implicitement reconnu par le ministre de l'Intérieur.

Au surplus, en l'état des textes applicables en France, qu'ils soient législatifs ou constitutionnels, aucune rétention ne peut être exercée par l'autorité administrative hors les cas prévus par l'ordonnance de 1945 dans son article 35 bis, lequel la soumet au demeurant au contrôle du juge judiciaire.

Il y a donc lieu de considérer en l'état actuel de notre droit, et quelles que soient les conditions matérielles d'entrée des étrangers concernés, qu'il y a privation arbitraire de liberté pour les demandeurs et, en conséquence, qu'il existe une voie de fait qu'il appartient au juge des référés de faire cesser.

Il sera donc fait injonction au ministre de l'Intérieur de remettre en liberté les demandeurs."

Les dix-huit requérants non renvoyés ont été accueillis dans des locaux de l'organisation non-gouvernementale "France Terre d'Asile".

Ils ont été reconnus réfugiés politiques par décision de l'O.F.P.R.A. du 25 juin 1992.

GRIEFS

Les requérants ont invoqué les articles 3, 5, 6 et 13 de la Convention. Ils ont d'abord soutenu qu'un éventuel renvoi vers leur pays d'origine, mais également vers la Syrie et l'Egypte, les exposerait à un risque réel de traitements prohibés par la Convention. Ils se sont plaints également de leur maintien en zone internationale en soutenant avoir été arbitrairement privés de leur liberté, ainsi que de la procédure de l'examen de leur cas par les autorités françaises, qui, selon eux, n'offrait pas des garanties suffisantes.

Les requérants, effectivement renvoyés en Syrie, se sont plaints que leur éloignement constituait une "mise sur orbite", prohibée par l'article 3 de la Convention. Ils soulignent par ailleurs que leurs cousins demeurés en France ont obtenu le statut de réfugié. De plus, dans la mesure où leur renvoi a eu lieu au moment où des procédures étaient pendantes, aussi bien devant les juridictions internes que devant la Commission, leurs droit procéduraux garantis aux articles 5 par. 4, 13 et 25 de la Convention ont été méconnus.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

Le 27 mars 1992, les requérants ont introduit une requête devant la Commission européenne des Droits de l'Homme qui a été enregistrée le jour même.

Par ailleurs, le Président de la Commission a décidé d'indiquer au Gouvernement défendeur, en vertu de l'article 36 du Règlement intérieur, qu'il serait souhaitable, dans l'intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas renvoyer les requérants en Somalie avant le 4 avril 1992.

En outre, le Président de la Commission a invité le Gouvernement défendeur à présenter certaines informations quant au sort qui a été réservé aux requérants.

Le 2 avril 1992, la Commission, après avoir pris connaissance des informations qui lui ont été présentées par le Gouvernement défendeur, en date du 1er avril 1992, et par les requérants, en date du 30 mars 1992, a décidé de renouveler l'indication en vertu de l'article 36 de son Règlement intérieur, qu'il serait souhaitable de ne pas renvoyer en Somalie ceux des requérants qui se trouvaient toujours en France. Cette mesure a été prolongée jusqu'au 10 juillet 1992. La Commission a également décidé d'inviter le Gouvernement défendeur à lui présenter par écrit, dans un délai échéant le 11 mai 1992, des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.

Après avoir obtenu une prorogation du délai imparti, le Gouvernement défendeur a présenté ses observations le 29 juin 1992.

Les observations en réponse des requérants ont été présentées le 8 octobre 1992. Les requérants ayant été admis au statut de réfugié y ont déclaré vouloir se désister de leur requête.

EN DROIT

1.Pour autant que la requête a été introduite par Nadifa Isse Barir et ses sept enfants, Ubah Ahmet Hashi et ses quatre enfants, et par Farxiya, Dilb, Falis, Lulle et Mursal Amuur, la Commission constate que lesdits requérants ont été admis, depuis le 25 juin 1992, au statut de réfugié et qu'ils n'entendent pas maintenir leur requête au sens de l'article 30 par. 1 a) (art. 30-1-a) de la Convention. Elle estime, par ailleurs, qu'aucune circonstance particulière touchant au respect des droits garantis par la Convention n'exige la poursuite de l'examen de la requête, au sens de l'article 30 par. 1 (art. 30-1) in fine de la Convention.

Dès lors, la Commission estime que cette partie de la requête doit être rayée de son rôle.

2.Quant aux quatre autres requérants, à savoir Mahad, Lahima, Abdelkader et Mohamed Amuur (ci-après "les requérants"), ils se plaignent d'abord que leur renvoi en Syrie les a exposés à un risque réel de traitements prohibés par l'article 3 (art. 3) de la Convention, qui est libellé comme suit :

"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants."

Le Gouvernement, dans ses observations, souligne que la requête a pour objet d'obtenir un droit de séjour en France, droit non garanti par la Convention.

La Commission rappelle d'emblée que, selon sa jurisprudence constante, la Convention ne garantit aucun droit de séjour ou d'asile dans un Etat dont on n'est pas ressortissant (voir N° 7256/75, déc. 10.12.76, D.R. 8 p. 161). Toutefois, selon la jurisprudence des organes de la Convention, la décision de renvoyer un individu dans un pays déterminé peut, dans certaines conditions, se révéler contraire à la Convention et, notamment à son article 3 (art. 3), lorsqu'il y a des raisons sérieuses de croire que cet individu sera soumis, dans l'Etat vers lequel il doit être dirigé, à des traitements prohibés par cet article (cf. par exemple N° 6315/73, déc. 30.9.74, D.R. 1 p. 73 ; N° 7011/75, déc. 3.10.75, D.R. 4 p. 215 ; N° 12122/86, déc. 16.10.86, D.R. 50 p. 268 ; Cour eur. D.H., arrêt Cruz Varas et autres du 20.3.91, série A n° 201, p. 28, par. 69-70).

La Commission est dès lors compétente ratione materiae pour connaître du grief des requérants.

Le Gouvernement soutient, par ailleurs, que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes dont ils disposaient en droit français. Selon le Gouvernement, ils auraient pu recourir à l'encontre de la décision de refus d'entrée devant le juge administratif qui peut contrôler la régularité, au regard de l'article 3 (art. 3) de la Convention, de la décision de refus d'entrée, mais aussi de la décision désignant le pays vers lequel le refoulement devait avoir lieu. Ayant omis de faire usage de cette voie de recours, les requérants n'ont pas satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes posée à l'article 26 (art. 26) de la Convention.

Les requérants observent que la saisine du juge administratif n'a pas d'effet suspensif et ne saurait donc, dans leur cas, constituer une voie de recours efficace.

La Commission rappelle que l'obligation d'épuiser les voies de recours internes se limite à celle de faire un usage normal des recours vraisemblablement efficaces, suffisants et accessibles. Lorsqu'un individu se plaint que son expulsion l'exposerait à un grave danger, les recours sans effets suspensifs ne peuvent être considérés comme efficaces (No 10078/82, déc. 13.12.84, D.R. 41 p. 103 ; No 12461/86, déc. 10.12.86, D.R. 51 p. 258 ; No 14312/88, déc. 8.3.89, D.R. 60 p. 284). Le Gouvernement défendeur n'a pas montré que la saisine du juge administratif aurait pour effet de suspendre l'exécution de la décision de refus d'entrée et le refoulement y consécutif des requérants. Dès lors, en l'espèce, ce recours ne peut être considéré comme efficace, selon les principes du droit international généralement reconnus, et l'objection de non-épuisement soulevée par le Gouvernement défendeur ne saurait être retenue.

Le Gouvernement observe, en outre, que les requérants ont été renvoyés en Syrie, pays dont ils venaient, et non en Somalie, où ils alléguaient risquer d'être assassinés ou soumis à des mauvais traitements. Il souligne que, par l'entremise de l'Ambassadeur de France en Syrie, il a obtenu des autorités syriennes et notamment du directeur syrien de l'immigration, toutes assurances selon lesquelles les requérants ne seraient pas renvoyés en Somalie.

Les requérants notent que la Syrie n'est pas partie à la Convention de Genève sur le statut des réfugiés et soutiennent que les garanties requises par le Gouvernement français auprès des autorités syriennes avaient été obtenues après leur éloignement de la France. Enfin et selon eux, ils auraient été arrêtés à leur arrivée à Damas et deux d'entre eux auraient été contraints de quitter à nouveau la Syrie à destination de la Russie. Ils allèguent que cette "mise sur orbite" constitue un traitement prohibé par l'article 3 (art. 3) de la Convention.

La Commission rappelle que lorsqu'un Etat contractant éloigne de son territoire un étranger en le renvoyant dans un pays déterminé, il engage sa responsabilité, au titre de l'article 3 (art. 3) de la Convention, dans la mesure où il l'expose directement à un risque de mauvais traitements. En l'espèce, les autorités françaises ont obtenu, ne serait-ce qu'après le départ des requérants, des assurances de la part des autorités du pays vers lequel ceux-ci ont été renvoyés quant à leur admission sur le territoire syrien et leur non-refoulement vers la Somalie. Il n'est d'ailleurs pas contesté que ceux-ci ont effectivement été admis sur le territoire syrien. Le fait que les requérants, à leur arrivée à Damas et avant leur admission, auraient fait l'objet d'une arrestation, à le supposer établi, ne constitue pas, en tant que tel, un traitement prohibé par l'article 3 (art. 3) de la Convention. Quant au fait que deux des requérants auraient à nouveau quitté la Syrie, à le supposer établi, il n'est pas de nature à engager la responsabilité de la Haute Partie Contractante mise en cause dans la présente affaire.

Dans ces conditions, la Commission estime que les éléments fournis par les parties ne permettent pas de déceler l'apparence d'un manquement de la part des autorités françaises à leurs obligations découlant en la matière de l'article 3 (art. 3) de la Convention.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

3.Les requérants se plaignent également de la procédure concernant leur demande d'asile. Ils soutiennent que leur demande n'a pas été examinée par les autorités compétentes en la matière, à savoir l'O.F.P.R.A. et, éventuellement, la Commission des recours des réfugiés. Ils estiment que dans ces conditions aucun recours effectif ne leur a été accordé en violation de l'article 13 (art. 13) de la Convention qui dispose :

"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles."

La Commission note que l'article 13 (art. 13) garantit l'existence d'un recours en droit interne permettant de se prévaloir des droits et libertés garantis par la Convention, tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés. Or elle rappelle à cet égard que la Convention ne garantit pas comme tel le droit d'asile. Elle ne saurait donc examiner si les requérants ont disposé d'un recours effectif en France pour se prévaloir de ce droit.

En revanche, la Convention et notamment son article 3 (art. 3) interdit qu'un individu soit refoulé vers un pays où il risque d'être soumis à des mauvais traitements. Par conséquent, la Commission est compétente pour examiner, au regard de l'article 13 combiné avec l'article 3 (art. 13+3) de la Convention, si les requérants ont disposé d'un recours effectif pour faire valoir devant une instance nationale le grief selon lequel leur renvoi en Syrie viole l'article 3 (art. 3) de la Convention.

La Commission rappelle cependant que cette disposition ne va pas jusqu'à exiger un recours pour toute plainte, si injustifiée soit elle, qu'un individu peut présenter sur le terrain de la Convention : il doit s'agir d'un grief défendable au regard de celle-ci (Cour eur.D.H. arrêt Boyle et Rice du 26 mars 1987, série A n° 131, p. 25, par. 59).

En l'espèce, la Commission a estimé manifestement mal fondé le grief tiré du renvoi des requérants en Syrie. Compte tenu des circonstances particulières de l'affaire et notamment des assurances obtenues par le Gouvernement défendeur quant à l'accueil des requérants en Syrie, elle estime non défendable, pour les besoins de l'article 13 (art. 13), l'allégation de risque de mauvais traitements dans ce pays.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

4.Les requérants se plaignent encore de la procédure concernant leur demande d'asile en invoquant l'article 6 (art. 6) de la Convention qui garantit, entre autres, le droit de toute personne à un procès équitable par un tribunal qui décidera de toute contestation sur ses droits et obligations de caractère civil.

Ils précisent que l'admission au statut de réfugié conduit à faire bénéficier l'intéressé d'un certain nombre de droits ainsi qu'à lui reconnaître des droits et obligations civils conformément au droit interne. Ils se réfèrent sur ce point aux articles 4, 12-1, 14 et 24 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés.

La Commission rappelle sa jurisprudence constante, selon laquelle la procédure relative à une demande d'octroi d'asile politique ne concerne ni une contestation sur des droits et obligations de caractère civil, ni une accusation en matière pénale (No 12122/86, déc. 16.10.86, D.R. 50 p. 268 ; No 13162/87, déc. 9.11.87, D.R. 54 p. 211). Certes, l'admission d'un individu au statut de réfugié lui permet de s'établir sur le territoire de l'Etat d'accueil et d'y conclure des contrats de caractère privé conformément au droit interne. Cependant, cette conséquence indirecte ne suffit pas pour qualifier de contestation sur un droit ou obligation de caractère civil le litige concernant l'octroi du statut de réfugié. Pour que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) soit applicable, "il faut que l'issue de la procédure ait été déterminante pour un droit de caractère civil (cf. Cour eur.D.H. arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A n° 43, p. 21, par. 46). Or, tel n'était pas le cas de la procédure critiquée et la disposition invoquée ne trouve donc pas à s'appliquer en l'espèce.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2).

5.Les requérants soutiennent, par ailleurs, que leur renvoi vers la Syrie constitue une entrave dans l'exercice de leur droit de recours auprès de la Commission. Ils invoquent l'article 25 (art. 25) de la Convention qui dispose :

"La Commission peut être saisie d'une requête adressée au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe par toute personne physique (...) qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties Contractantes des droits reconnus dans la présente Convention, dans le cas où la Haute Partie Contractante mise en cause a déclaré reconnaître la compétence de la Commission dans cette matière. Les Hautes Parties Contractantes ayant souscrit une telle déclaration s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit."

Il y a lieu de souligner que cette disposition confère aux requérants individuels un droit de nature procédurale et que les individus peuvent se plaindre de sa méconnaissance aux organes de la Convention. Cette disposition interdit les ingérences dans l'exercice du droit de porter et de défendre effectivement sa cause devant la Commission (arrêt Cruz Varas et autres, précité, p. 36, par. 100).

La Commission rappelle qu'elle avait indiqué au Gouvernement défendeur qu'il serait souhaitable, dans l'intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas procéder au renvoi des requérants vers la Somalie. Elle observe qu'en fait les autorités de l'Etat défendeur n'ont pas renvoyé les requérants en Somalie mais vers la Syrie, pays où ceux-ci avaient auparavant séjourné. Les autorités françaises ont, en outre, obtenu l'assurance que les requérants seraient effectivement admis dans ce pays. Tel fut, du reste, le cas.

Certes, l'éloignement des requérants du territoire français pouvait créer des difficultés pour ceux-ci, notamment en ce qui concerne les contacts avec leur conseil. Cependant, l'éloignement vers la Syrie n'était pas de nature à rendre impossible ces contacts et, en fait, le conseil des requérants a été en mesure d'agir en leur nom. Enfin, l'examen de la cause par la Commission n'a permis de déceler aucun élément pouvant indiquer que les requérants se sont trouvés empêchés de présenter ou de défendre effectivement leur cause.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

6.Les requérants se plaignent de leur maintien en zone internationale, à l'Hôtel Arcade, et soutiennent que cette "détention" n'est prévue par aucun texte et que, dès lors, elle ne respecte pas les voies légales, en violation de l'article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention.

Le Gouvernement soutient que le maintien des requérants dans la zone internationale ne constitue pas une privation de liberté. Les requérants n'ont en fait été ni arrêtés, ni détenus, mais ont dû séjourner en zone internationale. De l'avis du Gouvernement, cette mesure constituait une restriction à leur liberté individuelle, mais n'a pas atteint le seuil permettant de la qualifier de privation de liberté. De plus, les quatre requérants pouvaient contacter les personnes de leur choix et étaient libres de partir vers n'importe quelle direction. Enfin, le Gouvernement note que les requérants ont été hébergés dans un hôtel offrant les normes habituelles de confort.

A titre subsidiaire, le Gouvernement observe que le manquement allégué à l'article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention a, en tout état de cause, été redressé par la décision du tribunal de grande instance de Créteil qui a constaté que le maintien des requérants en zone internationale n'était pas autorisé par le droit français alors en vigueur. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les requérants ont obtenu gain de cause au plan interne et qu'ils n'ont plus d'intérêt à poursuivre la requête devant la Commission. Compte tenu de ce qui précède, ainsi que du fait que leur maintien en zone internationale a pris fin lors de leur renvoi en Syrie, le Gouvernement estime que les requérants ne peuvent plus se prévaloir de la qualité de victime d'une violation alléguée de la Convention, au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention.

Les requérants soutiennent avoir été illégalement privés de leur liberté en violation de la Convention.

Ayant examiné les arguments developpés par les parties, la Commission relève que cette partie de la requête pose des problèmes complexes de fait et de droit qui ne peuvent être résolus à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Dès lors, cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. La Commission constate, par ailleurs, que la requête ne se heurte sur ce point à aucun autre motif d'irrecevabilité.

7.Invoquant l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, les requérants prétendent n'avoir pas disposé d'un recours leur permettant de contester la légalité de leur "détention" en zone internationale et d'obtenir leur libération dans la mesure ou cette "détention" était illégale.

Le Gouvernement observe que les requérants ont introduit un recours devant le tribunal compétent le 26 mars 1992 et qu'ils ont obtenu, en date du 31 mars 1992, un jugement leur donnant satisfaction ordonnant au ministre de l'Intérieur de mettre un terme à leur maintien en zone internationale. Dans ces conditions, le Gouvernement estime qu'il n'y a eu aucun manquement à la disposition invoquée.

Les requérants observent qu'ils ont été éloignés vers la Syrie, le 29 mars 1992, avant le prononcé du jugement du tribunal de Créteil faisant droit à leur demande. Ils soutiennent que l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention doit être interprété comme exigeant que la décision ordonnant une libération puisse avoir des chances d'être appliquée.

La Commission observe que les requérants ont saisi, en date du 26 mars 1992, le juge des référés près le tribunal de grande instance de Créteil d'une demande tendant à ce qu'il soit mis fin à la voie de fait que constituait selon eux leur maintien en zone internationale et que, le 31 mars 1992, le juge a statué sur cette demande "à bref délai", comme l'exige la disposition invoquée. De plus, la Commission estime que la "détention" alléguée par les requérants avait, en tout état de cause, pris fin en date du 29 mars 1992.

Dans ces conditions, la Commission estime qu'aucune apparence de violation de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention ne peut être décelée en l'espèce.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

DECIDE DE RAYER DU ROLE la partie de la requête concernant les requérants Nadifa Isse Barir et ses sept enfants, Ubah Ahmet Hashi et ses quatre enfants, ainsi que par Farxiya, Dilb, Falis, Lulle et Mursal Amuur, à la majorité,

DECLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, le grief des requérants Mahad, Lahima, Abdelkader et Mohamed Amuur concernant leur maintien en zone internationale, à l'unanimité,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE, pour le surplus.

Le Secrétaire Le Président

de la Commission de la Commission

(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)

A N N E X E

Liste des requérants

1. AMUUR Mahad, né le 8 août 1970

2. AMUUR Lahima, née en 1971

3. AMUUR Abdelkader, né en 1973

4. AMUUR Mohamed, né en 1975

5. AMUUR Farxiya, née le 25 novembre 1958

6. AMUUR Dilb, née le 2 décembre 1967

7. AMUUR Falis, née le 20 décembre 1969

8. AMUUR Lulle, née le 30 décembre 1970

9. AMUUR Mursal, né le 5 décembre 1971

10. ISSE BARIR Nadifa, née en 1951

11. Fadumo, né en 1978)

12. Mohamed, né en 1980)

13. Asha, née en 1981)

14. Hamina, née en 1983) enfants de la requérante

15. Sadja, née en 1983) Nadifa Isse Barir

16. Hamdi, né en 1985)

17. Jamila, née en 1986)

18. AHMET HASHI Ubah, née en 1952

19. Mahomed, né en 1977)

20. Hersiyo, née en 1978 ) enfants de la requérante

21. Halima, née en 1979) Ubah Ahmet Hashi

22. Diriye, né en 1980)

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