Satwant Jhajj (Satwant Singh Jhaj) c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, le solliciteur général du Canada et le ministre de la Sécurité publique
Publisher | Canada: Federal Court |
Author | Federal Court of Canada |
Publication Date | 31 March 1995 |
Type of Decision | IMM-5192-93 |
Cite as | Satwant Jhajj (Satwant Singh Jhaj) c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, le solliciteur général du Canada et le ministre de la Sécurité publique, Canada: Federal Court, 31 March 1995, available at: https://www.refworld.org/cases,CAN_FC,3ae6b6e618.html [accessed 31 May 2023] |
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Répertorié: Jhajj c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1re inst.)
Section de première instance, juge Rothstein-Toronto, 16 juin, téléconférence 9 septembre 1994; Ottawa, 31 mars 1995.
Pratique - Res judicata - Portée de la Règle 1733, qui permet l'annulation ou la modification des jugements ou des ordonnances lorsque des faits sont survenus postérieurement - La Section de première instance de la Cour fédérale a rejeté une demande d'autorisation de contrôle judiciaire d'une décision de la SSR - Une décision postérieure de la C.A.F. peut-elle justifier un nouvel examen? - Motifs militant en faveur du principe de l'autorité de la chose jugée - Les jugements doivent revêtir un caractère définitif - Dans l'intérêt public, les poursuites doivent avoir une fin - La société ne peut pas se permettre un litige interminable - Personne ne devrait être poursuivi deux fois pour la même cause - La Règle 1733 est une exception à la règle générale - Les motifs formulés à la Règle 1733 sont difficiles à concilier avec le principe si sa portée est trop étendue - L'expression «faits . . . découverts par la suite» comprend une décision récente encore inédite - Obligation d'agir avec une diligence raisonnable - Étendre la portée de la Règle 1733 à la jurisprudence postérieure n'est pas conciliable avec le principe - Si la Règle 1733 s'étend à la jurisprudence postérieure, on empêchera les tribunaux de reconnaître leurs erreurs passées, car ils pourraient faire face à des demandes en vue de réexaminer de nombreuses causes remontant à une période indéterminée - Le principe de l'autorité de la chose jugée n'est pas devenu périmé par suite de l'adoption de la Charte.
Pratique - Jugements et ordonnances - Annulation ou modification - Demande pour obtenir un nouvel examen d'une ordonnance refusant l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire fondée sur une décision rendue postérieurement par un tribunal supérieur dans une affaire sans aucun rapport avec elle - La Règle 1733 permet de demander l'annulation ou la modification d'un jugement ou d'une ordonnance en se fondant sur des faits survenus postérieurement au jugement ou à l'ordonnance ou sur des faits découverts par la suite - Demande rejetée - Les faits survenus postérieurement doivent être propres à l'affaire elle-même.
Il s'agissait d'une demande de nouvel examen d'une ordonnance refusant l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire d'une décision selon laquelle le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention, demande qui était fondée sur un arrêt rendu postérieurement par la Cour d'appel fédérale dans une affaire qui n'avait aucun rapport et qui avait modifié le droit sur lequel s'appuyait le rejet. La Règle 1733 des Règles de la Cour fédérale permet de demander en justice l'annulation ou la modification d'un jugement ou d'une ordonnance en s'appuyant sur des «faits survenus postérieurement à ce jugement ou à cette ordonnance ou qui ont été découverts par la suite». Aucun appel n'est recevable en Cour d'appel fédérale à l'encontre d'une décision refusant une demande d'autorisation.
Le requérant a soutenu que les décisions concernant les revendicateurs du statut de réfugié influent sur la vie, la liberté et la sécurité de la personne et qu'il faut interpréter la Règle 1733 de façon libérale pour ne pas priver les revendicateurs du statut de réfugié de la protection que leur accorde la Charte. Les intimés ont fait valoir que réexaminer les jugements ou les ordonnances sur le fondement d'une jurisprudence nouvelle ouvrirait les vannes aux demandes de nouvel examen et engendrerait le chaos dans l'administration de la justice.
La question était de savoir si la Règle 1733 permet la tenue d'un nouvel examen seulement s'il y a des faits ou des éléments de preuve nouveaux particuliers à l'affaire ou si elle permet la tenue d'un nouvel examen fondé sur des décisions rendues postérieurement par un tribunal supérieur.
Jugement: la demande doit être rejetée.
La Règle 1733 est une exception au principe de l'autorité de la chose jugée, en vertu duquel une affaire tranchée de façon définitive par un tribunal compétent ne peut pas être rouverte par la suite par les mêmes parties. La Règle 1733 doit être envisagée dans le contexte de la règle générale de l'autorité de la chose jugée et être conciliable avec elle autant que possible.
Selon l'interprétation de la Cour, les «faits» ne se limitent pas uniquement aux éléments de preuve. Une loi qui existe au moment où un jugement est rendu, mais qui est découverte par la suite, pourrait constituer des «faits» dans le contexte de la Règle 1733. Bien que le fait d'interpréter l'expression «faits . . . découverts par la suite» de façon à y inclure le droit découvert par la suite étende la portée de l'exception à la règle de l'autorité de la chose jugée, l'exception est encore raisonnablement conciliable avec la règle. L'expression «faits . . . découverts par la suite» renvoie à des faits qui existaient au moment de l'action initiale mais qui, même avec diligence, n'auraient pas pu être découverts avant que ne soit rendu le jugement initial ou l'ordonnance initiale. La possibilité que des décisions découvertes par la suite soient soulevées lors d'un nouvel examen est faible. Le requérant doit prouver qu'il a exercé une diligence raisonnable pour essayer d'obtenir toute la jurisprudence pertinente avant le jugement. Il est peu probable qu'un requérant laisse passer un long délai après que les décisions pertinentes ont été rendues et qu'ensuite il puisse encore soutenir avec succès qu'il a agi avec une diligence raisonnable.
Quant aux «faits survenus postérieurement», dans l'abstrait et compte tenu de l'interprétation libérale donnée au mot «faits», tout nouveau renseignement, y compris des décisions judiciaires rendues par la suite, pourrait servir de fondement à une demande de nouvel examen pourvu que le requérant ait présenté sa demande avec une diligence raisonnable et que la Cour soit convaincue que le nouveau renseignement aurait probablement pu influer sur le jugement initial. Mais une telle interprétation n'est pas raisonnablement conciliable avec le principe de l'autorité de la chose jugée. Si une jurisprudence nouvelle était considérée comme des faits survenus postérieurement, une décision d'un tribunal supérieur pourrait fonder une demande de nouvel examen dans un nombre indéterminé d'affaires antérieures devant le tribunal inférieur. Interpréter la Règle 1733 de façon à permettre un effet rétroactif illimité nuirait à l'exercice adéquat et souhaitable du rôle de la Cour en ce sens que cela pourrait empêcher le tribunal de rendre librement ses décisions, d'élaborer le droit et de reconnaître les erreurs passées. De plus, si les «faits survenus postérieurement» devaient comprendre la jurisprudence nouvelle, il en résulterait une incertitude inacceptable. Tant les parties que le public doivent être convaincus qu'un jugement, une fois rendu, est définitif. Les jugements ne peuvent faire l'objet d'un nouvel examen qu'en raison de faits, circonstances ou autres faits survenus postérieurement qui sont propres à l'affaire et qui indiqueraient que le jugement initial ou l'ordonnance initiale était ou est devenu inapproprié. La Règle 1733 ne permet pas de nouvel examen fondé sur des décisions rendues postérieurement par un tribunal supérieur.
La Charte ne rend pas périmé le principe de l'autorité de la chose jugée. Le caractère définitif des décisions judiciaires garde toute son importance même si des droits garantis par la Charte sont en cause.
L'existence ou l'absence d'un autre recours n'influent pas sur l'interprétation de la Règle 1733.
lois et règlements
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art 82.2 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73).
Mechanics' Lien Act, R.S.O. 1950, ch. 227.
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 11.4 (édicté par DORS/93-44, art. 10; 93-412, art. 6).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 337(5),(6), 1733.
jurisprudence
décisions appliquées:
Saywack c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 189; (1986), 27 D.L.R. (4th) 617 (C.A.); Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; (1989), 59 D.L.R. (4th) 321; [1989] 4 W.W.R. 193; 58 Man. R. (2d) 161; 26 C.C.E.L. 1; 10 C.H.R.R. D/6183; 89 CLLC 17,012; 45 C.R.R. 115; 94 N.R. 373.
décisions examinées:
Sharbdeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 300; 167 N.R. 158 (C.A.F.); Mayer v. Mayer Estate (1993), 106 D.L.R. (4th) 353; [1993] 8 W.W.R. 735; 32 B.C.A.C. 261; 83 B.C.L.R. (2d) 87; 53 W.A.C. 261 (C.A.); Blackwell, Re, [1962] O.R. 832; (1962), 34 D.L.R. (2d) 369 (C.A.); Display Service Ltd. v. Victoria Med. Bldg. Ltd., [1958] O.R. 759 (C.A.); conf. par (sub nom. Attorney-General for Ontario and Display Service Co. v. Victoria Medical Building et al.), [1960] R.C.S. 32; (1959), 21 D.L.R. (2d) 97; Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183; (1978), 92 D.L.R. (3d) 417; [1978] 6 W.W.R. 711; 78 CLLC 14,175; 23 N.R. 527; Johnson v. Agnew, [1980] A.C. 367 (H.L.); R. c. Thomas, [1990] 1 R.C.S. 713; (1990), 75 C.R. (3d) 352; 108 N.R. 147; R. c. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 246; (1987), 38 D.L.R. (4th) 530; [1987] 4 W.W.R. 1; 33 C.C.C. (3d) 97; 56 C.R. (3d) 289; 75 N.R. 51.
décisions citées:
Boateng c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 9; 112 N.R. 318 (C.A.F.); Soo Mill & Lumber Co. Ltd. v. City of Sault Ste. Marie, [1972] 3 O.R. 621; (1972), 29 D.L.R. (3d) 129 (H.C.); Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706; (1991), 140 N.R. 138 (C.A.); Waring (deceased) Re. Westminster Bank, Ltd. v. Burton-Butler, [1948] 1 All E.R. 257 (Ch.D.); R. v. Ramsden, [1972] Crim.L.R. 547 (C.A.).
doctrine
Bower, George Spencer. The Doctrine of Res Judicata, 2nd ed. by Sir Alexander Kingcome Turner. London: Butterworths, 1969.
Waddams, S. M. Introduction to the Study of Law, 3rd ed. Toronto: Carswell, 1987.
DEMANDE de nouvel examen d'une ordonnance refusant l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, la demande étant fondée sur un arrêt de la C.A.F. rendu postérieurement dans une affaire qui n'avait aucun rapport et qui avait modifié le droit sur lequel s'appuyait le rejet. Demande rejetée.
avocats:
Lorne Waldman pour le requérant.
Brian Frimeth et Charles Johnston pour les intimés.
procureurs:
Lorne Waldman pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
Le juge Rothstein:
LA QUESTION EN LITIGE
La question en litige dans la présente demande de nouvel examen a trait à la portée de la Règle 1733 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 et ses modifications. Cette Règle est rédigée ainsi:
Règle 1733. Une partie qui a droit de demander en justice l'annulation ou la modification d'un jugement ou d'une ordonnance en s'appuyant sur des faits survenus postérieurement à ce jugement ou à cette ordonnance ou qui ont été découverts par la suite, ou qui a droit d'attaquer un jugement ou une ordonnance pour fraude, peut le faire, sans intenter d'action, par simple demande à cet effet dans l'action ou autre procédure dans laquelle a été rendu ce jugement ou cette ordonnance[1]. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, la Section de première instance de la Cour fédérale avait rejeté une demande visant à obtenir l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section du statut de réfugié (SSR). Peu après le rejet de la demande d'autorisation, la Cour d'appel fédérale a rendu un arrêt dans une affaire qui n'avait aucun rapport et qui, a-t-on soutenu, avait modifié le droit sur lequel s'appuyait le rejet opposé par la Section de première instance. La question est de savoir si la décision postérieure de la Cour d'appel fédérale peut servir de fondement au nouvel examen de la demande d'autorisation.
LES FAITS
La chronologie des faits peut se résumer brièvement. Le 26 août 1993, la SSR a jugé que le requérant, qui est citoyen indien, n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Il est sikh. Tout en étant convaincue que le requérant avait une raison objective de craindre d'être persécuté s'il devait retourner au Pendjab, la SSR a conclu qu'il existait une possibilité raisonnable de refuge[2] dans une autre partie de l'Inde, à l'extérieur du Pendjab.
Le requérant a sollicité l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SSR devant la Section de première instance de la Cour fédérale. J'ai refusé cette demande d'autorisation par ordonnance en date du 14 mars 1994. Le 21 mars 1994, la Cour d'appel fédérale a rendu son arrêt Sharbdeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 300. Dans cette affaire-là, on demandait à la Cour d'appel d'examiner deux questions certifiées, dont la deuxième était libellée ainsi [à la page 301]:
. . . (2) que signifient les mots «déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de s'y réfugier» employés dans la décision Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)?
Relativement à cette question, le juge Mahoney, J.C.A. a déclaré aux pages 301 et 302:
En ce qui a trait à la deuxième question, les circonstances visées doivent être pertinentes à la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. On ne peut en dresser une liste hors contexte. Elles varient dans chaque cas. Il suffit de préciser que nous croyons que le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en concluant que, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, la Section du statut de réfugié avait commis une erreur en concluant qu'il existait une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Une fois établi le bien-fondé de la crainte du revendicateur d'être persécuté par l'armée nationale dans une partie du pays qu'elle contrôle, il n'était pas raisonnable de s'attendre que l'intimé cherche refuge dans une autre partie du Sri Lanka contrôlée par la même armée. [C'est moi qui souligne.]
Le 22 avril 1994, le requérant a déposé un avis de requête demandant un nouvel examen de l'ordonnance du 14 mars 1994 par laquelle j'avais refusé la demande d'autorisation en l'espèce. Il était allégué que, compte tenu de l'arrêt Sharbdeen, il ne serait pas raisonnable d'exiger que le requérant cherche refuge dans une autre partie de l'Inde parce que c'était la police nationale qui était à l'origine de sa crainte justifiée d'être persécuté au Pendjab.
Les intimés n'ont pas présenté de réponse par écrit.
En raison de l'article 82.2 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 et ses modifications [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73], aucun appel n'est recevable en Cour d'appel fédérale à l'encontre d'une décision refusant une demande d'autorisation. Le seul recours dont le requérant puisse se prévaloir devant notre Cour consiste en une demande de nouvel examen, qui doit être adressée à la Section de première instance.
LES CONDITIONS REQUISES POUR LA PRÉSENTATION DES DEMANDES VISÉES PAR LA RÈGLE 1733
Dans l'arrêt Saywack, le juge Stone, J.C.A., énonce deux conditions requises pour la présentation d'une demande de nouvel examen en vertu de la Règle 1733. Premièrement, il faut agir avec une diligence raisonnable une fois que le fait constituant motif à nouvel examen est connu. Deuxièmement, il faut démontrer que les faits que l'on veut mettre en preuve lors du nouvel examen auraient probablement pu influer sur le jugement initial si la Cour en avait été saisie avant que le jugement ne fût prononcé. En se fondant sur les éléments de preuve produits dans le cadre de la présente demande d'autorisation, l'avocat du requérant a soutenu que, si l'arrêt Sharbdeen avait été rendu à l'époque où j'ai examiné la demande d'autorisation, cela aurait probablement pu influer sur ma décision de refuser la demande d'autorisation. Il a allégué que l'arrêt Sharbdeen était un «fait survenu postérieurement» à ma décision de refuser la demande d'autorisation et que, conformément à la Règle 1733, cela constituait motif à m'inciter à réexaminer ma décision. Il a également prétendu que l'on avait exercé une diligence raisonnable une fois l'arrêt Sharbdeen connu.
En l'espèce, la demande de nouvel examen a été présentée environ 30 jours après que la Cour d'appel fédérale eut rendu l'arrêt Sharbdeen. Même si, eu égard au délai relativement court pour présenter une demande d'autorisation, une période de 30 jours pourrait être considérée comme constituant un certain retard, il faut se rappeler que l'arrêt Sharbdeen ne faisait pas partie du déroulement de l'instance. Il faut laisser aux avocats le temps de prendre connaissance de l'arrêt et de vérifier s'il s'applique à l'espèce. En l'occurrence, un mois ne représente pas un laps de temps excessif, et je conclus que le requérant a agi avec une diligence raisonnable après que l'arrêt Sharbdeen eut été porté à son attention.
Je suis également convaincu que, si la Cour d'appel fédérale avait rendu l'arrêt Sharbdeen un peu avant que je ne me prononce sur la demande d'autorisation dans la présente affaire et s'il avait été porté à ma connaissance, la demande d'autorisation aurait probablement été accordée. À mon avis, si la demande d'autorisation avait été accordée, l'avocat du requérant aurait pu soutenir que, compte tenu de l'arrêt Sharbdeen, il n'était pas raisonnable en l'espèce de s'attendre à ce que le requérant profite d'une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays lorsque la cause de la persécution est censée être un organisme du gouvernement central, tel que la police nationale.
Comme je doutais de mon pouvoir d'examiner de nouveau l'ordonnance par laquelle j'ai refusé la demande d'autorisation, en me fondant sur une décision postérieure d'un tribunal supérieur qui aurait probablement pu influer sur elle, j'ai prévu une téléconférence avec les avocats. Durant celle-ci, l'avocat du requérant a réclamé la possibilité de présenter des observations sur la question de la compétence par voie de comparution. Les avocats des deux parties ont présenté de telles observations à Toronto, le 16 juin 1994. À la suite de recherches supplémentaires de ma part, il a été convenu de tenir une autre téléconférence avec les avocats pour les informer des décisions et autres références examinées. Les avocats ont formulé d'autres observations par écrit et au cours de la téléconférence.
LA POSITION DES PARTIES
L'avocat du requérant soutient que rien dans le libellé de la Règle 1733 n'interdit à la Cour de considérer la jurisprudence nouvelle d'un tribunal supérieur comme des «faits survenus postérieurement» à la décision dont on demande le réexamen. Il ajoute que les décisions concernant des revendicateurs du statut de réfugié sont des décisions qui influent sur la vie, la liberté et la sécurité de la personne et qu'il faut interpréter la Règle 1733 de façon libérale dans ce contexte pour ne pas priver les revendicateurs du statut de réfugié de la protection que leur accorde la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].
L'avocat des intimés allègue qu'il est généralement admis que les jugements doivent être définitifs. Il fait également remarquer que réexaminer les jugements ou les ordonnances sur le fondement d'une jurisprudence nouvelle ouvrirait les vannes aux demandes de nouvel examen et engendrerait le chaos dans l'administration de la justice. Il reconnaît qu'une jurisprudence nouvelle pourrait justifier le réexamen des jugements ou ordonnances, mais seulement lorsque cette jurisprudence existait au moment où a été rendue l'ordonnance dont on demande le réexamen et qu'elle a été portée à la connaissance de l'une des parties ou de l'un des avocats postérieurement à cette ordonnance, et lorsque, même en exerçant une diligence raisonnable, il n'aurait pas été possible de la trouver avant que l'ordonnance ne soit rendue.
ANALYSE
Le principe de l'autorité de la chose jugée et ses exceptions
Le principe bien connu de l'autorité de la chose jugée affirme qu'une affaire tranchée de façon définitive par un tribunal compétent ne peut pas être rouverte par la suite par les mêmes parties. Un certain nombre de raisons militent en faveur de ce principe. La raison qui importe en l'espèce est que les jugements doivent revêtir un caractère définitif. Dans son ouvrage intitulé Introduction to the Study of Law, 3e éd. (Toronto: Carswell, 1987), à la page 101, S. M. Waddams indique que tous les systèmes juridiques ont une règle prévoyant que la décision judiciaire rendue relativement à une affaire est définitive. L'auteur note que, si la règle établissant ce caractère définitif n'existait pas, le système juridique manquerait à l'une de ses principales fonctions, c'est-à-dire le règlement des litiges.
Le public ainsi que les parties concernées par un litige ont intérêt à ce que les jugements revêtent un caractère définitif. L'intérêt du public est exprimé par la maxime interest reipublicae ut sit finis litium, qui signifie qu'il est d'intérêt public que les poursuites aient une fin. Dans Mayer v. Mayer Estate (1993), 106 D.L.R. (4th) 353 (C.A.C.-B.), le requérant a présenté une demande à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique pour que son appel soit entendu de nouveau. La Cour a, à la majorité, rejeté la demande et refusé d'entendre l'appel de nouveau. Dans des motifs dissidents, le juge d'appel Southin, qui aurait fait droit à la demande de nouvelle audition, a remarqué qu'il était nécessaire sur le plan social que les jugements revêtent un caractère définitif. À la page 356, elle a déclaré:
[traduction] Quand une question, quelle soit juridique ou politique, a été tournée et retournée, il doit y avoir un moment où toutes les parties concernées acceptent la décision de ceux qui ont le pouvoir de rendre une décision et passent à la question suivante. Sinon, la société s'immobilise.
De plus, aucune société ne peut se permettre un litige interminable, ni même les plaideurs. Comme tel, le système juridique canadien n'a pas encore trouvé son Dickens, mais peut-être cela viendra-t-il un jour.
L'intérêt des parties à ce que les jugements revêtent un caractère définitif est formulé par la maxime nemo debet bis vexari pro una et eadem causa, qui signifie que personne ne devrait être poursuivi deux fois pour la même cause. Une fois qu'un tribunal s'est prononcé sur un litige entre des parties, celle qui a gain de cause ne devrait pas être exposée à des problèmes et à des frais supplémentaires pour défendre sa position relativement à l'affaire qui a déjà été tranchée.
Dans Blackwell, Re, [1962] O.R. 832 (C.A.), le juge d'appel Schroeder a fait observer, au nom de la majorité, que, s'il existait des doutes au sujet du caractère définitif des jugements, les parties concernées ne seraient jamais certaines de leurs droits à la suite du litige. N'étant pas certaines de leurs droits, elles ne pourraient pas planifier leurs activités futures avec assurance. Il dit aux pages 841 et 842:
[traduction] Si l'on ne fixait pas de terme à l'exercice du droit d'appel, les parties ne sauraient jamais quels sont leurs droits et les plaideurs ne pourraient pas sans risque donner suite au jugement prononcé parce que celui-ci pourrait encore faire l'objet d'un appel.
Malgré son importance évidente, toutefois, le principe de l'autorité de la chose jugée n'est pas absolue. Elle est soumise à des exceptions, dont l'une est la Règle 1733. Les autres sont les Règles 337(5) et (6):
Règle 337. . . .
(5) Dans les 10 jours de prononcé d'un jugement en vertu de l'alinéa (2)a), ou dans tel délai prolongé que la Cour pourra accorder, soit avant, soit après l'expiration du délai de 10 jours, l'une ou l'autre des parties pourra présenter à la Cour, telle qu'elle est constituée au moment du prononcé, une requête demandant un nouvel examen des termes du prononcé, mais seulement [pour] l'une ou l'autre ou l'une et l'autre des raisons suivantes:
a) le prononcé n'est pas en accord avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour justifier le jugement;
b) on a négligé ou accidentellement omis de traiter d'une question dont on aurait dû traiter.
(6) Dans les jugements, les erreurs de rédaction ou autres erreurs d'écriture ou omissions accidentelles peuvent toujours être corrigées par la Cour sans procéder par voie d'appel.
Par contraste avec la Règle 1733, qui prévoit un nouvel examen lorsque des faits ont été découverts ou sont survenus postérieurement à une ordonnance ou à un jugement, il appert que les Règles 337(5) et (6) doivent être invoquées lorsque le nouvel examen se fonde sur une erreur d'inattention de la Cour (voir Boateng c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 9 (C.A.F.), à la page 10). Il importe de signaler la condition prévue par la Règle 337(5) selon laquelle une requête demandant un nouvel examen doit être présentée dans les dix jours du prononcé du jugement à moins que la Cour ne prolonge ce délai. Aucun délai n'est prescrit à la Règle 1733.
Indépendamment du fait que ce soit la Règle 337(5), la Règle 337(6) ou la Règle 1733 qui est invoquée, il est clair que ces dispositions sont dérogatoires, car elles s'écartent du principe général de l'autorité de la chose jugée. En l'absence de ces Règles, l'autorité de la chose jugée interdirait de tels réexamens. Dans l'arrêt Saywack, le juge d'appel Stone déclare àla page 197 que la Règle 1733 doit être considérée comme dérogatoire. De là l'obligation, comme le mentionne le juge Stone, d'exercer une diligence raisonnable pour la présentation de la demande de nouvel examen et de prouver que les faits auraient probablement pu influer sur le jugement initial s'ils avaient été portés à la connaissance de la Cour avant que le jugement ne soit rendu.
Il est facile de concilier le principe de l'autorité de la chose jugée avec les Règles 337(5) et 337(6). L'intérêt du public à ce que le litige prenne fin, l'objectif de la certitude et la protection des droits des plaideurs ne devraient pas généralement empêcher la correction des erreurs d'écriture ou autres erreurs commises par inadvertance par la Cour. Il est également évident que l'objectif du caractère définitif des jugements ne peut pas tenir devant la fraude, qui est l'un des trois motifs sur lesquels une demande de nouvel examen peut être fondée en vertu de la Règle 1733.
Les exceptions les plus difficiles à concilier avec le principe de l'autorité de la chose jugée sont les deux autres motifs pour lesquels une demande de nouvel examen peut être présentée en vertu de la Règle 1733: lorsque des faits sont survenus ou ont été découverts postérieurement à un jugement ou à une ordonnance. La difficulté réside dans la portée possible de l'exception à l'autorité de la chose jugée formulée dans ces dispositions.
Pour être plus précis, la question n'est pas de savoir si la Règle 1733 prévoit une exception à l'autorité de la chose jugée (elle le fait manifestement), mais quelle est la portée de l'exception. La Règle permet-elle la tenue d'un nouvel examen seulement s'il y a des faits ou des éléments de preuve nouveaux particuliers à l'affaire ou permet-elle la tenue d'un nouvel examen fondé sur des décisions rendues postérieurement par un tribunal supérieur, par exemple l'arrêt Sharbdeen?
En Cour fédérale, le justiciable a habituellement le droit d'interjeter appel ou le droit de demander une autorisation d'appel. Les appels sont limités ordinairement aux erreurs de droit ou de compétence d'un tribunal inférieur. En règle ordinaire, les erreurs de fait commises par un tribunal inférieur ne sont pas susceptibles d'appel. Ainsi, on pourrait conclure que le nouvel examen prévu par la Règle 1733 est restreint aux faits nouveaux ou découverts postérieurement, parce que la Cour rendant la décision initiale serait la seule en mesure de modifier sa décision antérieure en raison de faits nouveaux ou découverts postérieurement. Selon cette conception, le mot «faits» utilisé à la Règle 1733 ne viserait pas le droit nouveau ou découvert postérieurement, y compris la jurisprudence nouvelle, puisque des questions découlant du droit nouveau pourraient être soulevées en appel.
Toutefois, l'arrêt Saywack précise que le mot «faits» utilisé à la Règle 1733 a un sens plus général. Aux pages 202 et 203, le juge Stone déclare:
Je suis convaincu que notre Règle 1733 ne restreint pas les «faits» (matter) découverts par la suite aux nouveaux éléments de preuve découverts postérieurement au jugement ou à l'ordonnance. Cette règle autorise la Cour à examiner tout nouveau «fait» (matter) pertinent. Il ne fait aucun doute que, dans la plupart des cas, les faits concernés seront des éléments de preuve découverts par la suite; d'ailleurs, bon nombre des décisions rendues sur cette question portent sur de tels faits. Il est significatif que le législateur ait, dans cette Règle, utilisé le mot «faits» (matter) plutôt que le mot «preuve» (evidence). Ce libellé, par exemple, contraste nettement avec celui de la Règle 1102(1), qui permet à Cour de «recueillir ou compléter la preuve sur toute question de fait» (c'est moi qui souligne).
Je suis d'avis que les motifs de la Commission répondent à la définition du terme «matter» (faits). Ce terme possède une signification large. Le Shorter Oxford English Dictionary (3e éd.) le définit notamment de la manière suivante: [traduction] «Motif, raison ou cause de ce qu'on fait ou de ce qu'on est». En Ontario, ce terme a été invoqué relativement à des «faits» (matter) ne constituant pas une nouvelle preuve. Ainsi, dans l'affaire Soo Mill & Lumber Co. Ltd. v. City of Sault Ste. Marie (1972), 29 D.L.R. (3d) 129 (H.C. Ont.), où une modification à un règlement municipal n'avait pas été portée à l'attention du juge du procès, l'on n'a pas prétendu que cette modification échappait au champ d'application de la règle ontarienne. Dans l'affaire Murray-Jensen Mfg. Ltd. v. Triangle Conduit & Cable (1968) Can. Ltd. (1984), 46 C.P.C. 285 (C.S. Ont.), les «faits» (matter) consistaient en la demande présentée dans le cadre d'un renvoi ordonné par le juge du procès ainsi que les conclusions prises par le protonotaire dans son rapport.
Les remarques du juge Stone viennent préciser que les «faits» ne se limitent pas uniquement aux éléments de preuve. Notamment, se reportant à l'affaire Soo Mill [Soo Mill & Lumber Co. Ltd. v. City of Sault Ste. Marie, [1972] 3 O.R. 621 (H.C.)] il laisse entendre qu'une loi qui existe au moment où un jugement est rendu, mais qui est découverte par la suite, dans ce cas-là il s'agissait d'une modification apportée à un règlement, pourrait constituer des «faits» dans le contexte de la Règle 1733.
Bien que le fait d'interpréter l'expression «faits . . . découverts par la suite» de façon à y inclure le droit découvert par la suite étende la portée de l'exception à la règle de l'autorité de la chose jugée, l'exception est encore raisonnablement conciliable avec la règle. Dans le contexte de la Règle 1733, l'expression «faits . . . découverts par la suite» renvoie à des faits qui existaient au moment de l'action initiale mais qui, même avec diligence, n'auraient pas pu être découverts avant que ne soit rendu le jugement initial ou l'ordonnance initiale. On peut soutenir que le raisonnement en faveur de cette exception est qu'un jugement ou une ordonnance comportant une erreur n'aurait pas contenu cette erreur s'il avait été possible de porter à l'attention du tribunal un fait ou une loi qui existait au moment où a été rendu le jugement ou l'ordonnance. On pourrait envisager une présentation inconsciemment inexacte des faits ou du droit qui est ressortie seulement après le jugement ou l'ordonnance. Comme l'a admis l'avocat des intimés, les «faits . . . découverts par la suite» pourraient comprendre une décision qui a été rendue un peu avant que l'affaire ne soit plaidée, mais qui n'était pas publiée ou n'était pas disponible d'une autre manière avant que n'aient lieu les plaidoiries et que ne soit rendu le jugement ou l'ordonnance dont on demande le réexamen.
Certes, la possibilité que des décisions découvertes par la suite soient soulevées lors d'un nouvel examen est faible. Le requérant devrait prouver qu'il a exercé une diligence raisonnable pour essayer d'obtenir toute la jurisprudence pertinente avant le jugement. La négligence ou l'inattention de l'avocat ne suffirait pas à justifier la tenue d'un nouvel examen. Dans le cas de décisions découvertes par la suite, l'obligation de faire preuve d'une diligence raisonnable aurait également pour effet secondaire de faire en sorte qu'il s'écoule seulement un laps de temps limité, c'est-à-dire des jours plutôt que des semaines, des mois ou des années, entre le jugement et la demande d'un nouvel examen. Il est peu probable qu'un requérant laisse passer un long délai après que les décisions pertinentes ont été rendues et qu'ensuite il puisse encore soutenir avec succès qu'il a agi avec une diligence raisonnable.
L'aspect de la Règle 1733 qui est le plus difficile à concilier avec le principe de l'autorité de la chose jugée est le nouvel examen fondé sur des «faits survenus postérieurement». Dans l'abstrait et compte tenu de l'interprétation libérale donnée au mot «faits» par le juge Stone dans l'arrêt Saywack, tout nouveau renseignement, y compris des décisions judiciaires rendues par la suite, pourrait servir de fondement à une demande de nouvel examen pourvu que le requérant ait présenté sa demande avec une diligence raisonnable et que la Cour soit convaincue que le nouveau renseignement aurait probablement pu influer sur le jugement initial.
Comme je l'ai souligné précédemment, la Règle 1733 ne prévoit aucun délai pour la présentation d'une demande de nouvel examen. Il semble permis de présenter une telle demande pourvu qu'elle soit produite aussitôt qu'il est raisonnablement possible après que les nouveaux faits ont été portés à l'attention de la partie qui sollicite un nouvel examen. Si les faits survenus postérieurement comprennent les décisions judiciaires rendues par la suite, en théorie ce pourrait être longtemps après qu'a été rendue la décision dont on demande le réexamen.
Interpréter la Règle 1733 de façon à permettre la tenue d'un nouvel examen en raison de décisions rendues postérieurement au jugement ou à l'ordonnance dont on demande le réexamen n'est pas raisonnablement conciliable, me semble-t-il, avec le principe de l'autorité de la chose jugée. Deux raisons militent en faveur de ce point de vue.
Premièrement, si une jurisprudence nouvelle était considérée comme des faits survenus postérieurement, une décision d'un tribunal supérieur pourrait fonder une demande de nouvel examen dans un nombre indéterminé d'affaires antérieures devant le tribunal inférieur. L'affaire Sharbdeen pourrait, par exemple, servir à fonder des demandes de nouvel examen dans un grand nombre d'affaires jugées précédemment devant la Section de première instance, y compris des demandes d'autorisation en matière de contrôle judiciaire.
L'arrêt Display Service Ltd. v. Victoria Med. Bldg. Ltd., [1958] O.R. 759 (C.A.) illustre le manque de réalisme et d'à-propos d'une telle approche. Dans cette affaire-là, il a été jugé qu'une disposition de la Mechanics' Lien Act, R.S.O. 1950, ch. 227 et ses modifications, qui conférait à un fonctionnaire nommé par le gouvernement provincial (un protonotaire) le pouvoir de rendre des décisions définitives dans des actions en matière de privilèges des constructeurs et des fournisseurs de matériaux dans le comté de York, excédait les pouvoirs de la législature de l'Ontario. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême du Canada: voir [1960] R.C.S. 32. Les protonotaires avaient jugé des affaires en matière de privilèges des constructeurs et des fournisseurs de matériaux dans le comté de York pendant des décennies. Par conséquent, pendant très longtemps, le protonotaire avait jugé des affaires qui outrepassaient sa compétence, et ses jugements auraient pu, et auraient dû, être annulés s'ils avaient été mis en doute. Rien ne laisse entendre qu'il serait réaliste ou approprié d'appliquer rétroactivement à toutes les affaires antérieures la décision qui a conclu que la loi conférant ce pouvoir au protonotaire était inconstitutionnelle, de façon que les décisions rendues dans ces affaires soient toutes annulées.
De plus, le fait pour un tribunal de se trouver devant la perspective que ses décisions puissent avoir un effet rétroactif d'une portée considérable et servir à justifier le réexamen d'un nombre inconnu d'affaires remontant à une époque indéterminée pourrait, à mon avis, avoir pour effet d'empêcher le tribunal de rendre librement ses décisions, d'élaborer le droit et, en effet, de reconnaître les erreurs passées. Interpréter la Règle 1733 de façon à permettre un effet rétroactif illimité nuirait à l'exercice adéquat et souhaitable du rôle de la Cour.
Deuxièmement, si les "faits survenus postérieurement" devaient comprendre la jurisprudence nouvelle, toute décision pourrait faire l'objet d'un nouvel examen en raison des jugements rendus dans un nombre inconnu d'affaires nouvelles et sans aucun rapport. Autrement dit, les plaideurs qui croyaient que leur affaire était réglée pourraient se retrouver devant le tribunal à l'occasion d'une demande de nouvel examen fondée sur une nouvelle décision rendue par un tribunal supérieur dans une action sans aucun rapport. Une telle décision pourrait survenir plusieurs années après le jugement initial.
Même dans les cas où il est admis qu'une décision antérieure est erronée, rien n'autorise à penser qu'il faudrait l'examiner de nouveau en fonction du jugement rendu postérieurement. Dans Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, le juge en chef Dickson, qui a prononcé le jugement de la Cour, a reconnu que cette dernière avait commis une erreur dans l'affaire Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183. Dans l'arrêt Bliss, la Cour suprême a rejeté un appel formé contre un jugement de la Cour d'appel fédérale qui annulait le jugement rendu par le juge Collier à titre de juge-arbitre en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48 et ses modifications. Dans l'arrêt Brooks, le juge en chef a déclaré, aux pages 1243 et 1244:
Avec dix ans de recul et d'expérience en matière de litiges relatifs à la discrimination dans les droits de la personne et la jurisprudence qui en a résulté, je suis prêt à dire que l'arrêt Bliss est erroné ou, du moins, que maintenant on ne pourrait plus rendre le même arrêt . . . Il est difficile d'accepter que l'inégalité imposée à Stella Bliss dépendait de la nature et qu'en conséquence elle ne comportait pas de discrimination; je crois maintenant pouvoir dire qu'il s'agit plutôt d'une inégalité créée par la loi, plus précisément la Loi de 1971 sur l'assurance- chômage.
Même après avoir reconnu, ou du moins avoir laissé entendre, que la Cour avait commis une erreur en se prononçant dans l'arrêt Bliss de la manière qu'elle l'a fait, le juge en chef n'indique nullement que l'arrêt Bliss devrait être examiné de nouveau en raison de la décision rendue dix ans plus tard dans l'affaire Brooks. En ce qui concerne l'effet de l'autorité de la chose jugée dans ce contexte et la réticence des tribunaux à rouvrir, en raison de la jurisprudence nouvelle, des affaires jugées de façon définitive, voir également Waring (deceased) Re. Westminster Bank, Ltd. v. Burton-Butler, [1948] 1 All E.R. 257 (Ch.D.), les observations dans The Doctrine of Res Judicata, 2e éd. par Sir Alexander Kingcome Turner (Londres: Butterworths, 1969), aux pages 15 et 16, et R. v. Ramsden, [1972] Crim.L.R. 547 (C.A.) respectivement.
Le contraste apparaît facilement entre, d'une part, le nouvel examen fondé sur la jurisprudence postérieure et, d'autre part, les faits, éléments de preuve ou autres faits survenus postérieurement qui sont propres à une affaire. Compte tenu de la nature dérogatoire de la Règle 1733, je pense qu'il est clair que les jugements peuvent être examinés de nouveau uniquement en raison de faits survenus postérieurement qui sont propres à l'affaire elle-même, non de décisions rendues dans un très grand nombre possible d'actions sans aucun rapport avec elle. Les jugements nouveaux ne peuvent pas avoir pour effet de perturber rétroactivement un nombre inconnu de décisions rendues antérieurement. Les plaideurs doivent pouvoir mener leur vie avec l'assurance que leur dossier est fermé, et les juges doivent pouvoir rendre des décisions sans s'inquiéter qu'elles puissent avoir des effets rétroactifs d'une portée considérable sur des actions sans aucun rapport avec ces décisions.
Par conséquent, à mon avis, les mots «faits survenus postérieurement» qui figurent à la Règle 1733 doivent se rapporter aux faits, aux circonstances ou à d'autres faits, propres à l'affaire, qui indiquent que le jugement initial ou l'ordonnance initiale était ou est devenu inapproprié. Par exemple, dans Johnson v. Agnew, [1980] A.C. 367 (H.L.), une ordonnance d'exécution était devenue impossible à faire respecter en raison d'une action intentée postérieurement à l'ordonnance. Le demandeur sollicitait l'annulation de l'ordonnance en question et son remplacement par une ordonnance prévoyant des dommages-intérêts. Ce changement a été considéré comme étant approprié dans les circonstances. Il est manifeste que des «faits survenus postérieurement» qui entraveraient l'exécution d'une ordonnance judiciaire à moins que l'ordonnance ne soit examinée de nouveau diffèrent tout à fait de l'application rétroactive de décisions rendues postérieurement à une affaire dans laquelle un jugement ou une ordonnance a été prononcé de façon définitive. Il s'agissait de faits propres à l'affaire qui, à mon avis, représentent le contexte dans lequel il faut prendre en considération les mots «faits survenus postérieurement» figurant à la Règle 1733.
Je conclus que la Règle 1733 ne permet pas de nouvel examen fondé sur des décisions rendues postérieurement par un tribunal supérieur. Le texte de la Règle 1733 ne doit pas être envisagé dans l'abstrait, mais en tenant compte du contexte, et doit être conciliable, autant que possible, avec la règle générale de l'autorité de la chose jugée. Il est facile de percevoir l'incertitude inacceptable qui résulterait de l'interprétation de la Règle 1733 comme comprenant la jurisprudence ultérieure en tant que motif de nouvel examen. Tant les parties que le public doivent être convaincus qu'un jugement, une fois rendu, est définitif.
Considérations relatives à la Charte
Je suis convaincu que les décisions rendues postérieurement par un tribunal supérieur ne peuvent pas constituer des motifs de nouvel examen même dans les causes où il y a des considérations relatives à la Charte. Cette dernière ne rend pas périmé le principe de l'autorité de la chose jugée, avec lequel il faut concilier le plus possible les demandes de nouvel examen présentées conformément à la Règle 1733.
Par exemple, dans l'arrêt R. c. Thomas, [1990] 1 R.C.S. 713, il était question de la liberté d'une personne incarcérée. La loi en vertu de laquelle cette personne avait été reconnue coupable avait été déclarée inconstitutionnelle par la suite. Néanmoins, la Cour suprême du Canada n'a pas prorogé le délai d'appel. À mon avis, cela indique bien que le caractère définitif des décisions judiciaires garde toute son importance même si des droits garantis par la Charte sont en cause.
Autres solutions
L'avocat du requérant a soutenu que, comme aucun appel n'est recevable contre une décision relative à une demande d'autorisation, il faudrait permettre le réexamen afin que le requérant puisse se prévaloir d'un autre recours. En raison du caractère extraordinaire du réexamen, lorsqu'un plaideur peut interjeter appel, ce devrait normalement être le moyen choisi même quand il faut obtenir une autorisation d'appel et/ou qu'une demande de prorogation de délai peut aussi être nécessaire. Il n'existe aucune possibilité de ce genre en l'espèce. La législation canadienne en matière d'immigration prévoit toutefois des sauvegardes pour les personnes qui revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention. Par exemple, je crois que le requérant en l'espèce pourrait présenter une demande d'établissement en vertu de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, conformément à l'article 11.4 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 [édicté par DORS/93-44, art. 10; 93-412, art. 6].
De toute façon, ainsi que j'ai conclu, les mots «faits survenus postérieurement» figurant à la Règle 1733 ne comprennent pas les décisions rendues par un tribunal supérieur postérieurement à un jugement ou à une ordonnance dont on demande le réexamen. Cette conclusion n'est pas touchée par l'existence ou l'absence d'un autre recours. Je me permets de paraphraser l'arrêt R. c. Wigman, [1987] 1 R.C.S. 246, à la page 257, en faisant remarquer que, même si une telle conclusion ne peut pas combler le rêve très peu réaliste d'assurer une justice parfaite à tous, elle est requise par la nécessité pratique d'un certain caractère définitif dans le processus judiciaire.
CONCLUSION
La demande de réexamen doit être rejetée.
[1] Le juge Stone, J.C.A., retrace sommairement l'origine de la Règle 1733 dans l'arrêt Saywack c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 189 (C.A.), à la p. 198. Les premiers mots de la Règle, dont le sens paraît maintenant obscur, reflètent la procédure de la Court of Chancery (Cour de chancellerie) d'Angleterre, qui ne permettait pas l'annulation ou la modification d'un jugement au moyen d'une requête présentée dans le cadre de l'action initiale mais exigeait plutôt l'introduction d'une nouvelle action pour obtenir le redressement demandé.
[2] Il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays lorsque le requérant qui a raison de craindre d'être persécuté dans une partie de son pays d'origine peut raisonnablement chercher refuge dans une autre partie de ce pays où ne règne pas une telle crainte. Ce requérant n'est pas considéré comme un réfugié au sens de la Convention. Voir Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.).