Last Updated: Tuesday, 06 June 2023, 11:08 GMT

Un pays soumis à la terreur

Publisher Amnesty International
Publication Date 1 January 1999
Citation / Document Symbol AFR/24/01/99
Cite as Amnesty International, Un pays soumis à la terreur, 1 January 1999, AFR/24/01/99, available at: https://www.refworld.org/docid/3ae6a9b98.html [accessed 8 June 2023]
Comments La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Equatorial Guinea: A Country Subjected to Terror and Harassment. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - janvier 1999.
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Introduction

L'un de ses pieds s'est infecté à cause de la torture, la gangrène s'est déclarée, et il est devenu fou. Il mangeait sa propre merde, il ne savait pas ce qu'il faisait. Ce récit figure parmi ceux, nombreux, qu'ont recueillis auprès de témoins oculaires les membres d'une délégation d'Amnesty International envoyée dans le pays en mai 1998. La victime - qui a fini par mourir en détention - s'appelait Ireneo Barbosa Elobé. Cet homme était l'une des quelque 500 personnes arrêtées en janvier et en février 1998. Ces arrestations faisaient suite à l'attaque, en janvier 1998, de plusieurs casernes de l'île de Bioko, qui s'était soldée par la mort de trois soldats et de plusieurs civils. La plupart des personnes appréhendées - parmi lesquelles figuraient des femmes - l'ont été uniquement en raison de leur origine ethnique. Nombre d'entre elles ont été torturées par les forces de sécurité, et au moins six sont mortes des suites des tortures qu'elles ont subies.

Un an auparavant, en février 1997, le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, avait publiquement et pour la première fois reconnu que les droits humains avaient été systématiquement bafoués dans son pays, et il avait annoncé que des mesures allaient être prises pour mettre fin à cette situation. Les atteintes massives aux droits fondamentaux commises à la suite des attaques de janvier 1998 ont clairement montré que cette déclaration présidentielle n'avait été qu'une nouvelle promesse non suivie d'effets, destinée à faire taire les critiques nationales et internationales dans l'espoir d'obtenir une aide économique.

La plupart des personnes arrêtées appartenaient à l'ethnie bubi, la population autochtone de l'île de Bioko. Des Bubi ont été battus en pleine rue et des femmes violées chez elles. Des groupes de gens se sont livrés à des passages à tabac et à des viols - dont les victimes étaient encore des Bubi - sous les yeux d'agents des forces de sécurité qui se sont gardés d'intervenir. Des parents de personnes recherchées par les forces de sécurité, dont des femmes et des vieillards, ont été pris en otages afin de forcer les fugitifs à se rendre.

Au total plus de 110 personnes ont été jugées en mai 1998 pour des faits liés aux attaques contre les casernes. Ce fut une procédure sommaire, qui s'est déroulée en cinq jours devant une juridiction militaire, et au cours de laquelle les normes internationales en matière d'équité des procès n'ont pas été respectées. Quinze accusés ont été condamnés à mort (dont quatre par contumace), tandis que 70 autres se voyaient infliger des peines allant de six à vingt-six ans d'emprisonnement. Toutes les condamnations étaient fondées sur des aveux extorqués sous la torture.

Les membres de la délégation d'Amnesty International, qui ont assisté au procès, ont pu constater des traces évidentes de tortures sur la personne des accusés. Certains souffraient de fractures aux mains ou aux pieds, et une dizaine au moins avaient eu les oreilles en partie coupées à l'aide de lames de rasoir.

Depuis le procès, les prisonniers qui ont été condamnés à la peine capitale sont détenus dans des conditions qui constituent une menace pour leur vie et s'apparentent à une forme de traitement cruel, inhumain et dégradant. Au mois de septembre, le président Obiang Nguema a commué les condamnations à mort en peines de réclusion à perpétuité; tous les prisonniers continuent néanmoins de subir des conditions carcérales très pénibles. L'un des détenus, Martin Puye, est mort à l'hôpital en juillet 1998. Selon certaines informations, nombre de prisonniers seraient dans un état d'épuisement avancé et ne recevraient ni soins appropriés ni suffisamment de nourriture.

Outre les persécutions envers la communauté bubi, le gouvernement a continué de s'en prendre à des opposants politiques pourtant pacifiques. La tactique de harcèlement des autorités consistait à arrêter des dirigeants et des militants de l'opposition et à les détenir pour de courtes périodes dans des postes de police, où ils étaient passés à tabac et maltraités. Les victimes se voyaient ensuite, de façon purement arbitraire, contraintes de payer une amende, avant d'être relâchées sans inculpation ni jugement. Certaines personnes ont été assignées à résidence dans leur village après avoir été libérées de prison, tandis que d'autres n'avaient plus le droit de revenir dans la ville où elles résidaient. La plupart de ces violations des droits humains se sont produites dans la partie continentale du pays.

La grande majorité des opposants appréhendés, sinon tous, ont été arrêtés en raison de leurs activités politiques pourtant pacifiques, qu'il s'agisse du fait d'organiser des réunions non autorisées, d'émettre des critiques à l'égard du gouvernement ou d'être affilié à un parti d'opposition non reconnu officiellement. Nombre d'entre eux auraient été soumis à des mauvais traitements destinés à les contraindre à acquitter de fortes amendes ou à adhérer au Partido Democrático de Guinea Ecuatorial (PDGE, Parti démocratique de Guinée équatoriale), la formation au pouvoir.

Ces atteintes aux droits fondamentaux ont été commises en toute impunité. Les membres des forces de sécurité, aussi bien policiers que soldats, ne sont pas tenus de rendre compte de leurs actes: ils bafouent les droits humains et se moquent des lois. Lors du procès de mai 1998, certains accusés et leurs avocats ont dénoncé l'emploi systématique de la torture par les forces de sécurité dans le but d'arracher des aveux; cependant, les plaidoiries ou témoignages relatifs à cette question ont été invariablement interrompus par le juge présidant le tribunal, et aucune enquête n'a été ouverte sur les allégations des accusés, pourtant très graves, et reposant sur des éléments précis.

Amnesty International ne ferme pas les yeux sur les exactions commises par l'opposition armée, mais les attaques dont celle-ci s'est rendue responsable ne peuvent justifier les violations des droits humains perpétrées par le gouvernement. Tant que ces dernières demeureront impunies et que rien ne sera fait pour empêcher de nouvelles violations, on ne peut espérer sérieusement voir la situation des droits fondamentaux s'améliorer. À la fin de ce document, Amnesty International formule un certain nombre de recommandations à l'adresse du gouvernement équato-guinéen, des Nations unies et des partenaires internationaux bilatéraux pour que, face à une telle situation, ils prennent des mesures et exercent des pressions afin d'obtenir la libération de tous les prisonniers d'opinion et de meilleurs conditions de détention pour les personnes condamnées en juin 1998.

A.  Les attaques de janvier 1998

Le 21 janvier 1998 au petit matin, plusieurs casernes militaires de l'île de Bioko étaient la cible d'attaques lancées par des groupes de jeunes Bubi armés de quelques machettes et armes à feu. Ces attaques ont causé la mort de trois soldats et de plusieurs civils. Un peu plus tard, l'un des soldats a été éviscéré et émasculé.

Profondément choquées par ces attaques et par la profanation du corps du soldat, les autorités ont réagi en mettant en œuvre, durant plusieurs semaines, un plan systématique de répression et d'arrestations dirigé contre une portion importante de la population bubi. Les forces de sécurité ont opéré des descentes dans des villages bubi, se livrant parfois à des pillages. Un certain nombre de personnes, dont quelques-uns des auteurs des attaques, ont été exécutés de façon extrajudiciaire.

Amnesty International n'a récolté que très peu d'informations concernant ces massacres, commis sur le terrain. Lors du procès de mai 1998, cependant, le procureur a reconnu que de nombreux villageois avaient été tués par les forces de sécurité. Parmi eux figuraient Gustavo Mulé, abattu dans le dos le 21 janvier 1998 dans le village de Belebú, et Marcos Rope Bita, tué le 1er février 1998 dans la ville de Rebola.

Les autorités ont immédiatement accusé le Movimiento para la Autodeterminación de la Isla de Bioko (MAIB, Mouvement pour l'autodétermination de l'île de Bioko) d'être à l'origine des attaques contre les casernes. L'ethnie bubi est victime d'une politique de discrimination depuis que le pays s'est séparé de l'Espagne pour accéder à l'indépendance, en 1968; quant au MAIB, fondé en novembre 1993 dans le but de faire campagne pour l'indépendance de l'île de Bioko, il bénéficie d'un fort soutien au sein de la communauté bubi. Depuis la création du MAIB, des centaines de Bubi soupçonnés de soutenir ce mouvement ou d'en faire partie ont été arrêtés.

Tout en réaffirmant sa volonté d'obtenir l'autodétermination pour l'île de Bioko, le MAIB a nié toute implication dans les attaques de janvier 1998. À la connaissance d'Amnesty International, ce mouvement, qui n'a jamais été reconnu officiellement, n'a pas recouru à la violence dans le passé.

Dès les premières arrestations, Amnesty International a publiquement exprimé sa préoccupation face au fait que, selon toute apparence, de nombreuses personnes appartenant en majorité à l'ethnie bubi étaient appréhendées uniquement en raison de leur origine ethnique. Ces craintes se sont, au fil du temps, révélées fondées.

Les Bubi pris pour cibles

Dans les jours qui ont suivi les attaques du 21 janvier, les forces de sécurité ont, par mesure de représailles, traqué les membres de l'ethnie bubi dans les villages, aux carrefours, sur les marchés et dans les rues de la capitale, Malabo.

Les Bubi ont tous, sans distinction, été harcelés aux barrages installés à la sortie des principales villes de l'île de Bioko. Ils étaient forcés de descendre de voiture, dépouillés et insultés. Certains ont été passés à tabac et publiquement humiliés. Pendant plusieurs semaines, les Bubi n'ont pas osé quitter leurs villages de crainte d'être victimes de harcèlement sur les routes menant à la capitale.

Durant plusieurs jours, à un barrage situé juste à la sortie de Malabo appelé la barrera de Banapah (la barrière de Banapa), les forces de sécurité se sont employées à détruire les produits que les femmes bubi venaient vendre dans la capitale. À un autre barrage, à Sampaca (à six kilomètres de la capitale), les Bubi étaient extraits des voitures et des taxis puis roués de coups par les forces de sécurité.

La répression s'est abattue de façon particulièrement féroce sur les villages bubi. Un témoin a raconté à Amnesty International que dans la ville de Rebola, dénoncée par le gouvernement comme étant le quartier général du MAIB, les soldats [avaient] mis à sac environ 80 pour cent des habitations, déversant immondices et chaussures dans nos chaudrons de cuisineh.

Pendant plusieurs jours, sur le marché principal de Malabo, les marchandes d'origine bubi ont été agressées et leurs produits détruits. D'après le récit d'un témoin oculaire, les soldats jetaient la nourriture par terre. Ils piétinaient les bananes mûres et découpaient les bananes vertes à la machette.

Au cours des jours qui ont suivi les attaques, des membres des forces de sécurité et des civils appartenant à l'ethnie fang, majoritaire, ont empêché les femmes bubi d'aller aux puits tirer de l'eau. Le maire de Malabo, Victorino Bolekia Boney, qui est lui-même bubi, a dû protester à plusieurs reprises avant que les femmes bubi ne soient de nouveau autorisées à accéder aux puits.

Dans les rues de la capitale, les agents des forces de sécurité et des civils fang proches du parti au pouvoir interrogeaient les passants en langue fang. Si ceux-ci ne comprenaient pas, ils étaient souvent battus en public et parfois arrêtés. En outre, les forces de sécurité lancées à la recherche de suspects ont opéré des descentes dans des maisons de certains quartiers de Malabo, tirant au hasard à l'intérieur des maisons à une hauteur où leurs habitants auraient pu être touchés.

Les Bubi ont été accusés collectivement de soutenir les attaques violentes. En conséquence, des responsables de la communauté bubi ont été appréhendés, notamment à Rebola, où la plupart des fonctionnaires de l'administration locale (y compris le maire de la ville, Gregorio Pancho Borapa), soupçonnés de cacher des rebelles ou de les avoir aidés à s'enfuir, ont été arrêtés.

Même des membres du PDGE, le parti au pouvoir, ont été arrêtés et torturés du simple fait de leur origine ethnique, et donc soupçonnés de complicité avec les auteurs des attaques. Lino Losoha, militant du PDGE, a été interpellé parce qu'il était responsable d'une association de voisinage à Rebola, où certains des assaillants étaient venus se cacher. Il s'est entendu dire qu'il devait savoir où se trouvaient les fugitifs. Des membres des forces de sécurité l'ont emmené dans un poste militaire à l'entrée de la ville; là, ils lui ont brûlé les testicules, le ventre et la poitrine avec un briquet. Lino Losoha a ensuite été contraint de payer une amende de 15 000 francs CFA avant d'être relâché.

Un autre membre du PDGE, le député Marcelo Lohoso, a été appréhendé le 22 janvier 1998 à son domicile de Malabo, bien que la législation équato-guinéenne sur l'immunité parlementaire n'autorise l'arrestation de membres du Parlement qu'en cas de flagrant délit. Il a été accusé d'avoir financé les attaques. Cette accusation aurait été portée par des personnes désireuses de le voir chassé de ses fonctions.

À Malabo, le point culminant de ces actions de harcèlement dirigées sans distinction contre la population bubi dans son ensemble a été atteint le 25 janvier 1998 lorsque le Premier ministre Angel Serafin Seriche Dougan, lui-même d'origine bubi, a appelé à la tenue d'une manifestation afin de montrer que la plupart des membres de son ethnie demeuraient fidèles aux autorités. Des milliers de Bubi ont été conduits en car jusqu'à la capitale pour participer à cette manifestation, et très peu ont osé ne pas s'y rendre. Dans les villages, les autorités locales menaçaient les Bubi, disant que toute personne qui refuserait d'assister à la manifestation serait considérée comme complice des rebelles.

Au cours de la manifestation, des civils fang proches du gouvernement et des membres des forces de sécurité ont frappé et insulté des manifestants. Le Premier ministre lui-même a été la cible d'injures en raison du fait qu'il était Bubi. Durant la nuit qui a suivi, des Bubi ont été attaqués chez eux par des civils fang et des agents des forces de sécurité. Des femmes ont été violées, parfois sous les yeux de leur mari (voir plus loin). Les forces de sécurité ont laissé se commettre de telles violations sans intervenir, quand elles n'ont pas, dans certains cas, agressé elles-mêmes des Bubi.

Les semaines qui ont suivi les attaques du 21 janvier ont été marquées par l'arrestation d'environ 500 Bubi. Ces arrestations ont été effectuées sans mandat et, dans la plupart des cas, sans raison valable. Certaines personnes ont été publiquement passées à tabac au moment de leur interpellation. Victor Bubayan, enseignant d'origine bubi, a été arrêté le 21 janvier vers midi dans l'école où il travaillait. Il était recherché uniquement parce que son beau-frère, César Copoburu, était l'un des dirigeants présumés des attaques. Victor Bubayan a fait aux délégués d'Amnesty International le récit de son arrestation: Soudain, les soldats ont fait irruption dans le colegio espagnol (collège espagnol). Ils se sont emparés de moi et m'ont donné des coups de pied devant mes élèves et mes collègues.

Sa famille est restée sans nouvelles de lui pendant plusieurs jours, et le bruit a couru qu'il avait été battu à mort. Victor Bubayan a été détenu deux semaines dans un poste de police sans qu'on lui demande d'enregistrer une déclaration. Il a finalement été libéré sans inculpation le 11 février 1998.

De nombreuses autres personnes ont été retenues en otages afin de contraindre des membres de leur famille à se livrer aux autorités. Ainsi, dans le cas de Victor Bubayan, cinq autres membres de sa famille (la mère de César, deux cousins, un beau-père et l'épouse de Victor) ont été détenues pour de courtes périodes. La plupart des otages ont fini par être relâchés, mais certains, dont quatre femmes, sont restés en détention jusqu'au procès de mai 1998.

D'autres groupes ont aussi été pris collectivement pour cibles. Après l'arrestation de trois Nigérians dans le cadre de l'affaire des attaques de janvier 1998, les forces de sécurité ont effectué des descentes au domicile de Nigérians vivant à Malabo, frappant ces derniers et s'emparant de certains de leurs biens.

Des citoyens espagnols d'origine bubi - Jose Luis Arranz Bomaho, Alejandro Choni Tonka, Francisco Biacho Chale et Juan de Dios Ripeu - ont été arrêtés dans le but, semble-t-il, de démontrer que des ressortissants de l'ex-puissance coloniale avaient participé aux attaques. Ces quatre personnes ont été acquittées lors du procès de mai 1998, sans que le procureur ait seulement pris la peine de les interroger.

Des Bubi ont été arrêtés au Nigéria voisin. Fin février 1998, trois étudiants qui suivaient des cours à l'université d'Owerri ont été interpellés par des membres du personnel de sécurité équato-guinéen et par des soldats nigérians, puis renvoyés par avion, en toute illégalité, à Malabo; ils étaient soupçonnés d'appartenir au MAIB. Magin Esara Riloha, Marcelino Barila Buale et Marcos Binohari Elako ont été acquittés lors du procès de mai 1998.

Le 29 janvier 1998, le président Obiang Nguema a appelé la population à ne pas se venger sur les personnes d'origine bubi, et il a déclaré que les membres des forces de sécurité qui se livreraient à des violences et commettraient des violations des droits fondamentaux seraient punis. Il leur a demandé de mettre un terme aux arrestations arbitraires de Bubi innocents. Malgré cela, les arrestations et les actes de torture envers la communauté bubi se sont poursuivis en toute impunité.

En dépit de l'appel lancé par le président, il semble que les forces de sécurité aient, avec l'approbation du gouvernement, mis en œuvre contre l'ensemble de l'ethnie bubi sans distinction une politique systématique de représailles. Le fait de prendre ainsi pour cibles les membres de cette communauté constitue une violation de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que la Guinée équatoriale a pourtant ratifié le 25 septembre 1987, ainsi que de l'article 2 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (la Charte africaine) - deux articles qui interdisent toute discrimination.

Tortures et mauvais traitements

Parmi les Bubi arrêtés, nombreux sont ceux qui ont été maltraités ou torturés au cours des premières semaines de leur détention, soit dans le principal commissariat de Malabo, soit dans d'autres lieux de détention situés dans les villages.

Certains Bubi interpellés dans des villages par les soldats ont été torturés au moment de leur arrestation. Nombre d'entre eux ont été frappés à coups de pied, de poing et de fusil. Certains ont eu l'une ou l'autre oreille en partie coupée à l'aide de lames de rasoir ou de baïonnettes. Lors du procès de mai 1998, les délégués d'Amnesty International ont constaté qu'au moins 10 accusés avaient subi ce type de mutilations. L'un d'eux, Fernando Rihola, avait les deux oreilles partiellement coupées. Les soldats auraient déclaré à l'un des détenus, tout en lui coupant l'oreille: Cette marque, c'est pour que personne n'oublie jamais les

Deux accusés dont les oreilles ont été coupées
© Gervasio Sanchez

Au cours des premières semaines de détention au secret dans le commissariat de Malabo, la torture a été utilisée de façon intensive, principalement dans le but d'obtenir des aveux visant à démontrer l'implication du MAIB, ainsi que de certains ressortissants nigérians et espagnols, dans les attaques de janvier 1998.

Certaines personnes que les policiers soupçonnaient d'avoir dirigé ou organisé les attaques ont été battues avec encore plus d'acharnement que les autres. Ce fut notamment le cas de trois Nigérians accusés d'avoir entraîné les assaillants. L'un d'eux a succombé des suites de ses blessures. Bienvenido Samba Bomedoro, un pasteur protestant considéré comme l'un des organisateurs des attaques, a lui aussi particulièrement souffert. Un ancien détenu a ainsi déclaré: C'est l'un de ceux qui a été le plus sauvagement battu; c'est un miracle qu'il ne soit pas mort. Une nuit, ils sont venus le chercher à sept reprises pour le torturer. Il était à moitié mort, et ils étaient obligés de le ranimer.

D'anciens détenus ont déclaré aux délégués d'Amnesty International qu'il existait, dans le commissariat de Malabo, une pièce spéciale réservée aux interrogatoires et aux séances de torture. Généralement, les interrogatoires avaient lieu en pleine nuit de telle manière que les cris ne soient pas entendus par d'éventuels passants. Nous entendions les hurlements de la cour, ce qui nous empêchait de dormir. Ils procédaient aux interrogatoires vers une heure du matin, quand il y avait peu de gens dans la rue pour entendre les cris.

Lors du procès de mai 1998, de nombreux accusés ont affirmé avoir été battus jusqu'à ce qu'ils signent leur déclaration. Certains ont précisé que pendant l'interrogatoire on leur avait passé une barre métallique entre les bras et les jambes préalablement ramenés en arrière, avant de les suspendre entre deux tables.

Dessin réalisé par un détenu Dessin réalisé par un détenu

Au cours du procès, des accusés ont expliqué la façon dont ils avaient été torturés. Certains, après avoir eu les mains et les pieds liés ensemble, avaient été suspendus au plafond.

Voici quelques extraits des nombreuses déclarations faites par les accusés devant le tribunal:

-           Ils m'ont suspendu comme si j'étais un oiseau ou une chauve-souris.h

-           À Luba, ils m'ont coupé le haut des oreilles avec des lames de rasoir. Ils m'ont ligoté avec ma chemise, le sang se coagulait dans la chemise, j'ai perdu connaissance.h

-           Ils m'ont brisé les mains.

-           Je ne pouvais pas supporter les tortures. Ils m'ont fait boire mon urine.

Traces de torture sur un accusé
© Gervasio Sanchez

Plusieurs accusés sont arrivés dans la salle d'audience en boitant. Certains se sont plaints de douleurs dans les oreilles depuis qu'ils avaient été torturés. Gregorio Pancho Borapa, maire de Rebola, ne s'exprimait qu'en marmonnant. Lorsque le procureur lui a demandé de parler plus fort, il a répondu: J'ai peur de ne pouvoir parler parce qu'on m'a brisé les mâchoires en me torturant.

Certaines personnes qui refusaient de faire des aveux ont été menacées de mort. Le pasteur Samba a déclaré à l'audience: Ils m'ont ligoté, ils m'ont frappé au niveau de la nuque, ils m'ont fouetté, puis ils m'ont dit que je serais la seconde victime de ce poste de police.

Les trois Nigérians ont été interrogés sans qu'un interprète soit présent pour leur expliquer ce qu'on leur demandait. David Nuachuku a confié aux délégués d'Amnesty International qu'il avait eu les mains menottées pendant cinquante-sept jours dans le commissariat de Malabo. Il a également déclaré: On m'a lié les mains et les jambes dans le dos à l'aide d'un fil électrique puis on m'a frappé à coups de pied et battu dans cette position pendant trois jours; j'ai perdu connaissance, et je ne me rappelle pas ce qui s'est passé pendant deux semaines.Les délégués d'Amnesty International ont constaté sur ses mains et sur ses pieds des marques évidentes de tortures.

Certains otages ont été passés à tabac dans le but de leur faire avouer l'endroit où se trouvaient des membres de leur famille. Voici ce que Victor Bubayan, beau-frère de César Copoburu, a raconté à Amnesty International: Lorsque je leur ai dit que je ne savais pas où était César, plusieurs soldats m'ont donné des coups de pied et frappé à la tête à coups de câble. À ce moment-là, ils ont laissé ma femme partir. Elle est passée non loin de moi, et quand elle m'a entendu crier, elle s'est mise à hurler: Ils vont le tuer !

Tortures et mauvais traitements se sont poursuivis jusqu'à la fin de février. En mai 1998, soit quatre mois plus tard, les délégués d'Amnesty International ont pu constater que les accusés portaient des traces évidentes de torture, notamment qu'ils souffraient de fractures aux mains et aux pieds.

Les autorités n'ont pas caché que la torture avait été utilisée, avec le double objectif d'intimider et de montrer leur volonté de venger les soldats morts au cours des attaques. Certains détenus sont apparus à la télévision portant les traces visibles des coups qu'ils avaient reçus. César Copoburu a été présenté à la télévision avec des armes prétendument saisies par les forces de sécurité; il a déclaré qu'il avait fait partie du groupe de 30 ou 32 personnes ayant attaqué des casernes le 21 janvier. Il était manifeste que ces aveux avaient été obtenus sous la torture: César Copoburu avait un pied cassé et n'avait pas été soigné pour cela.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme pour la Guinée équatoriale, qui a été la première personne autorisée à rendre visite aux détenus en mars 1998, a également confirmé le recours à la torture. Dans son rapport d'avril 1998 remis à la Commission des droits de l'homme des Nations unies, il écrit: Nombre des détenus ont été sauvagement battus et atrocement torturés; les blessures et les traces laissées par les traitements auxquels ils ont été soumis sont visibles sur leurs bras et leurs jambes.

L'emploi systématique de la torture dans le but d'humilier des personnes innocentes, de se venger sur elles et de leur extorquer des aveux, constitue de la part des autorités une violation flagrante de leurs obligations au regard de l'article 7 du PIDCP et de l'article 5 de la Charte africaine.

Le recours à la torture contre les femmes

Non seulement les femmes bubi ont été torturées de la même façon que les autres détenus, mais elles ont également été victimes de viols, utilisés comme une forme de torture, ainsi que de sévices visant à les humilier. Une douzaine de femmes ont été arrêtées, mais la moitié d'entre elles ont été libérées après avoir, semble-t-il, dû verser de l'argent au juge d'instruction. Lors du procès de mai 1998, cinq ont comparu devant le tribunal, qui a prononcé l'acquittement et la mise en liberté de quatre d'entre elles.

Pratiquement toutes les femmes ont été prises en otages afin de forcer leur mari ou des membres de leur famille à se constituer prisonniers. Ces femmes ont été humiliées publiquement dans la cour du commissariat de Malabo. Certaines ont été contraintes de nager nues dans la boue devant tous les détenus, d'autres ont subi des violences sexuelles. Des femmes se sont entendu demander de montrer ce qu'elles faisaient avec leur mari. Une femme a été agressée par plusieurs agents des forces de sécurité, qui lui ont ôté son slip, lui ont écarté les jambes et lui ont introduit une cigarette dans le vagin.

L'une de ces femmes a fait à Amnesty International le récit des mauvais traitements qu'elle a subis dans le commissariat de Malabo juste après son arrestation, au mois de janvier 1998: Au milieu de la nuit, ils m'ont réveillée et m'ont emmenée avec une autre femme. Ils nous ont fait déshabiller. L'autre femme avait ses règles. Ils nous ont fait faire quinze fois le tour de la cour en courant, complètement nues, devant tous les autres. Ensuite, ils nous ont ordonné de mimer sur le sol les mouvements de la nage tandis qu'ils nous traînaient par terre; puis ils nous ont fait nager sur le dos, et pendant que j'étais sur le dos, l'un des policiers m'a frappée avec sa matraque, ce qui m'a déboîté la mâchoire. Après quoi ils nous ont obligées à exécuter cinquante pompes. J'ai dû ensuite, sans aucun vêtement, frotter les taches de sang séché sur le sol et sur les chaises, cela cinq jours durant. Le sixième jour, ils m'ont laissé partir, mais ils m'ont fait payer une amende de 20 000 francs CFA. J'ai dû être hospitalisée pendant un mois, et les deux premières semaines, je ne pouvais absolument pas dormir. Mon poignet me fait encore souffrir.

Dessin réalisé par un détenu

Une autre femme, l'épouse d'un des auteurs présumés des attaques, a été interpellée à un barrage. Ils nous ont conduites au commissariat central de Malabo; là, ils m'ont entièrement déshabillée, puis ils m'ont cogné la tête contre le mur et m'ont frappé sur les oreilles (une dizaine de fois environ, sur les deux oreilles en même temps). Sept femmes se trouvaient dans le poste de police. Ils nous ont obligées à courir et à exécuter des mouvements de gymnastique, ils nous ont fait nous traîner par terre sur le dos comme si nous étions des chiens. Pendant ce temps, les soldats criaient: Vous, les Bubi, vous n'exercerez jamais aucune responsabilité !

Milagrosa Cheba, secrétaire d'un syndicat d'agriculteurs dont le président était soupçonné d'avoir dirigé les attaques, a été torturée de façon particulièrement violente. Elle a été contrainte de rester à genoux pendant des heures pendant qu'on la frappait sur la tête. Seule femme à avoir été reconnue coupable sur la base d'aveux obtenus sous la torture, elle a été condamnée à une peine de six ans d'emprisonnement.

Domiciana Bisobe Robe, une étudiante de vingt et un ans, a été arrêtée parce que son compagnon était l'un des auteurs présumés des attaques. Elle a subi plusieurs interrogatoires tard dans la nuit au commissariat de Malabo, où on l'a déshabillée et battue. Elle a déclaré au tribunal que des agents des forces de sécurité lui avaient touché les seins au cours des séances d'interrogatoire, mais qu'ils ne l'avaient pas violée.

Durant la nuit qui a suivi la manifestation du 25 janvier 1998, d'autres femmes, qui n'ont pas été arrêtées, ont été victimes de viols, parfois sous les yeux de leur mari et d'autres membres de leur famille, notamment dans le quartier de Lampert à Malabo. Voici ce qu'un témoin a raconté à Amnesty International: Des civils fang se sont joints aux soldats. Ils patrouillaient par groupes dans les rues, frappant les Bubi et violant les femmes. Il est arrivé qu'ils enfoncent une fourchette dans le vagin de telle ou telle femme en lui disant: À partir de maintenant, ce sera ton mari.

Les délégués d'Amnesty International ont recueilli plusieurs témoignages de femmes violées, dont le suivant: J'habite une maison sans toit, c'est par là qu'ils ont pu entrer. J'étais avec ma fille de six ans. Ils m'ont demandé où se trouvait mon mari, et je leur ai répondu que je n'avais pas de mari. Ils m'ont dit alors: Eh bien tu vas voir ce qu'on va te faire. Tous les hommes m'ont violée, devant ma fille. Cela a duré environ deux heures. J'avais mes règles à ce moment-là. Après m'avoir violée, ils ne m'ont pas battue. Ils sont partis en emportant la lampe et nous ont laissées toutes les deux dans le noir. Je suis allée voir un médecin, et j'attends qu'il me dise si j'ai attrapé une maladie.

Les femmes âgées n'ont pas été épargnées par les mauvais traitements. La mère de César Copoburu a été brièvement détenue à Rebola: les forces de sécurité lui ont enlevé ses vêtements et l'ont laissée seins nus. Dans le commissariat de Malabo, une femme a été passée à tabac alors qu'elle avait ses règles; d'autres femmes ont dû ramasser par terre de vieux chiffons sales pour nettoyer le sang.

Francisca Bisoco Biné, qui est l'épouse de Robustiano Capote Sopale, condamné en juin 1998 à vingt-six ans d'emprisonnement, a accouché d'un enfant mort-né après avoir été battue. Elle a été arrêtée à son domicile de Sampaca le 23 janvier par les forces de sécurité parce que son mari était absent. Enceinte alors de huit mois, elle n'en a pas moins été fouettée dans les locaux du commissariat de Malabo. Elle est restée cinq jours en détention. Quelques semaines plus tard, elle mettait au monde un enfant mort-né.

L'utilisation de la torture contre les femmes, notamment le recours aux violences sexuelles, constitue non seulement une violation des dispositions du PIDCP et de la Charte africaine prohibant la torture, mais également de celles relatives au droit à la dignité, car ce type de tortures visent à humilier les femmes pour les détruire dans leur dignité.

Les conditions de détention

Les conditions de vie dans le commissariat de Malabo ont été extrêmement pénibles au cours de ces trois mois de détention au secret. Voici ce qu'un détenu a raconté aux délégués d'Amnesty International: Pendant deux semaines, ils n'ont pas autorisé nos parents à nous apporter à manger, et les soldats nous disaient: Nous tuerons quiconque essaie d'aller prendre de l'eau. En plus, ils jetaient sur nous des seaux remplis d'urine.

Les détenus étaient enfermés dans des cellules exiguës et surpeuplées. Comme il leur était interdit de se rendre aux toilettes, ils étaient obligés de se soulager dans leur cellule. Un ancien détenu a fait le récit suivant à Amnesty International: Nous étions enfermés dans des cellules mesurant chacune trois mètres sur deux. Certains étaient debout, d'autres assis sur le dos de leurs camarades. Les soldats venaient nous regarder, parfois accompagnés de leur femme; ils disaient: Ce sont de vrais serpents, il faut les tuer tous.Les policiers venaient aussi nous voir et se moquaient de nous. Ils jetaient de l'urine sur nous et nous montraient à leurs femmes comme si nous étions des bêtes de zoo. Des officiers marocains[1] parlant français sont venus plusieurs fois, toujours de nuit; ils n'étaient pas en uniforme. Ils restaient là dix minutes à nous observer dans nos cellules.

En février 1998, les détenus ont été transférés du commissariat de police de Malabo vers la prison de Black Beach, située au bord de la mer dans l'enceinte du quartier présidentiel. L'un des anciens détenus a fait à Amnesty International le récit de leur transfert, effectué dans des conditions inhumaines: Pour que les gens ne nous voient pas, ils nous ont contraints à nous allonger dans un camion les uns par-dessus les autres sur une hauteur de cinq corps, puis les soldats se sont assis sur nous, leurs pieds reposant sur nos corps. Ceux qui étaient tout en dessous pouvaient à peine respirer.

Les décès en détention

Au moins six personnes sont mortes des suites de tortures pendant leur détention au secret - un chiffre confirmé par Fabian Nsue Nguema, l'un des avocats au procès de mai 1998. Ce dernier a demandé au tribunal de ne prononcer aucune peine de mort car six personnes avaient déjà été tuées en prison, ce qui correspondait au nombre de victimes des attaques.

Les délégués d'Amnesty International ont recueilli les propos de témoins oculaires concernant certains de ces décès en détention.

Le premier détenu à mourir en détention fut un Nigérian du nom de Bessy. Il était l'un des trois Nigérians soupçonnés d'avoir fait suivre un entraînement aux auteurs des attaques. L'un de ses compagnons de détention a fait de sa mort le récit suivant: Ils le frappaient toutes les nuits, surtout sur la plante des pieds, sa jambe droite était complètement à vif, elle s'infectait et son pied enflait. Le 24 janvier, vers 6 heures du soir, plusieurs prisonniers ont demandé aux gardiens de le changer de cellule pour qu'il ne contamine pas les autres. Un policier leur a répondu: De toute façon, on va tous vous tuer. Bessy agonisait - il puait; à 19 heures 30 il s'est arrêté de bouger; un quart d'heure après, il était toujours immobile. Un médecin militaire est arrivé dans la cour accompagné du ministre de la Santé. Le médecin a tenté de lui faire une injection, mais l'aiguille n'entrait pas car le corps était déjà rigide. Alors ils l'ont emporté. Nous ne savons pas où il a été enterré.

Idelfonso Borupu, un infirmier de cinquante-deux ans, a été arrêté à Basakato parce qu'il était soupçonné d'avoir soigné certaines des personnes blessées lors des attaques. Voici ce qu'a déclaré un détenu: Ils l'ont amené au commissariat de Malabo, et à l'aube, il était pratiquement mort. Ils l'ont jeté dans la cour. Alors qu'il gisait sur le sol, un policier lui a décoché un coup de pied mais il n'a pas bougé. Il avait de l'écume aux lèvres. Ils l'ont laissé dans la cour dans cet état; c'est là qu'il a fini par mourir.

D'autres détenus, avant de mourir, ont sombré dans la folie en raison des tortures qu'ils avaient subies. Ireneo Barbosa Elobé est décédé à l'hôpital le 1er mars 1998. En détention, il avait présenté des signes de troubles mentaux causés par la torture. Les tortures l'ont rendu fou. Il s'est mis à mordre les gens. Il a été conduit au commissariat central le 15 février. Auparavant, il avait déjà été sauvagement passé à tabac et cela lui avait perturbé l'esprit. Les policiers pensaient qu'il jouait la comédie. Il mangeait très peu, il s'en prenait aux autres prisonniers, il donnait des coups de pied, il hurlait, il buvait sa propre urine, il se frappait la tête contre le sol et se roulait dans ses excréments. Il se peut qu'il ait contracté le tétanos. Ils l'ont laissé agoniser durant quatre jours dans la cellule. Nous n'arrêtions pas de demander aux policiers de l'emmener, mais ils refusaient.

Sa mère a demandé qu'il soit libéré quelques jours pour pouvoir le soigner grâce à certaines méthodes de la médecine traditionnelle, mais ses adjurations se sont heurtées à un refus. Lorsqu'il a été hospitalisé, il était déjà trop tard pour le sauver.

D'autres détenus sont morts à l'hôpital après y avoir été conduits dans un état lamentable. Carmelo Yeck Bohopo est décédé à l'hôpital le 9 février 1998. Il avait été arrêté le 6 février à Malabo alors qu'il sortait d'une église après avoir assisté à la messe. Emmené au commissariat, il avait été sauvagement passé à tabac. Il est mort trois jours plus tard. Son corps a été transporté à l'hôpital puis enterré le 13 février. Il n'a apparemment été procédé à aucune autopsie.

Les corps des trois premières personnes mortes en détention ont été transportés à l'hôpital. Les policiers ont demandé aux autorités municipales de les faire ensevelir, mais lorsque ces dernières se sont enquises de l'identité des défunts, ils ont refusé de révéler leurs noms. Le maire de Malabo, Victorino Bolekia, qui est lui-même bubi, s'est plaint en disant qu'il refuserait désormais d'enterrer des corps non identifiés. On ne lui a plus demandé, et il est possible que d'autres corps aient été enterrés dans des fosses communes.

La dernière personne décédée alors qu'elle se trouvait détenue au secret est Mauricio Jacob Silebó. D'après un autre détenu, celui-ci serait mort d'épuisement: Il est tombé, il s'est recroquevillé sur lui-même.Le nom de Mauricio Jacob Silebó comme celui d'Ireneo Barbosa Elobé figuraient sur la liste des personnes condamnées lors du procès de mai 1998. Il est difficile de dire si cette erreur fut le résultat de la négligence ou du cynisme.

Le fait de tuer ainsi des détenus prouve que les autorités affichent le mépris le plus total pour le droit à la vie, pourtant garanti par l'article 6 du PIDCP et par l'article 4 de la Charte africaine.

B.  Le procès de mai 1998

Au mois de mai 1998, un tribunal militaire a jugé plus de 110 Bubi accusés de participation aux attaques lancées le 21 janvier de la même année contre des casernes de l'île de Bioko. Amnesty International a envoyé sur place une délégation chargée d'assister au procès; cette délégation comprenait un membre du personnel de l'Organisation ainsi qu'un avocat de nationalité américaine travaillant à Genève et bénéficiant d'une longue expérience en matière d'observation de procès.

Les observateurs d'Amnesty International sont parvenus à la conclusion que ce procès, qui s'est déroulé sur cinq jours, n'avait pour l'essentiel pas respecté les normes internationales existantes en matière d'équité des procès. La procédure sommaire qui a été appliquée n'a pas permis aux accusés de préparer ni de présenter leur défense de manière appropriée, et elle ne prévoyait en outre aucune possibilité d'interjeter appel devant une instance supérieure de la déclaration de culpabilité et de la peine.

Quinze personnes ont été condamnées à mort, dont quatre par contumace. Environ 70 autres se sont vu infliger des peines allant de six à vingt-six ans d'emprisonnement. Le tribunal a retenu à titre de preuves des déclarations pourtant obtenues par la torture ou les mauvais traitements.

Les accusés arrivent au tribunal
© Gervasio Sanchez

Chefs d'accusation et contexte général

Le procès s'est déroulé du 25 au 29 mai 1998 dans l'enceinte du cinéma Marfil de Malabo, l'un des quelques lieux de la capitale susceptibles d'accueillir un nombre important de personnes. Les débats étaient ouverts au public et à la presse, et un grand nombre de journalistes venus d'Espagne, aussi bien de la presse écrite que de la télévision, ont assisté au procès. Les observateurs d'Amnesty International se sont vu accorder un libre accès à la salle d'audience et ont pu à l'occasion discuter du dossier avec différentes personnes, procureur, juge d'instruction, avocats de la défense, etc.

Aux termes de l'acte d'accusation, 116 personnes devaient répondre de l'un ou de plusieurs des crimes suivants:

·        trahison,

·        terrorisme et détention illégale d'explosifs,

·        importation illégale d'armes à feu,

·        sécession,

·        refus de porter secours.

L'acte d'accusation définissait également le degré de responsabilité de chacun des accusés pour chaque infraction: auteur principal ou coauteur, ou encore complice. C'est le juge d'instruction, le lieutenant-colonel Francisco Edu Nboro, qui a établi l'acte d'accusation. Les accusés ont été présents tout au long du procès, à l'exception de ceux jugés par contumace.

Motifs de préoccupation concernant la procédure

Le procès s'est déroulé devant un collège de cinq juges militaires sous la présidence du colonel Santiago Mauro Nguema. D'après toutes les informations qui nous sont parvenues, aucun des juges militaires ne justifiait d'une formation en droit dûment reconnue. Deux d'entre eux étaient les frères du président: Roberto Mba Ndong Ntutumu, secrétaire de la Juridiction militaire, et Inocencio Ngomo Nguema, chef d'état-major. De plus, un troisième juge était originaire de Mongomo, la ville natale du président. Le manque de compétence des juges venait renforcer le sentiment que ce tribunal n'était ni indépendant ni impartial et ne respectait donc pas les dispositions de l'article 14 du PIDCP et de l'article 26 de la Charte africaine. Il semble de surcroît que le procureur général Roman Bibang Ondó et son substitut Protacio Edu Edgang n'aient pas non plus reçu de formation juridique.

Le recours à des juridictions militaires pour juger des civils est une pratique courante en Guinée équatoriale, pratique qui a fait l'objet de vives critiques tant de la part d'avocats que d'organisations non gouvernementales. Le pays dispose d'un système de justice civile dont l'administration et l'indépendance sont garanties par la Constitution (Titre IV, paragr. 83-93 de la Ley Fundamental de Guinea Ecuatorial). Il est toutefois fréquent de voir le gouvernement contourner ce système et privilégier la justice militaire. Amnesty International n'a pas encore compris sur quels critères se fonde la décision de transmettre à des tribunaux militaires des affaires relevant normalement du civil. Un certain nombre de personnes, dont des juristes bien informés, ont émis l'idée que, concernant la procédure de mai 1998, la décision avait été prise en fonction du caractère politiquement sensible du dossier et du degré de contrôle que le gouvernement souhaitait exercer ou continuer d'exercer sur le déroulement du procès.

La procédure militaire mise en œuvre en mai 1998 était une procédure sommaire de cour martiale. Il s'agit là d'une procédure prévue par le Code de justice militaire (titre XVIII, paragr. 918 et suivants du Code de justice militaire espagnol de 1945), appliquée en tenant compte des modifications auxquelles il a fallu procéder et qui portent sur des points de détail. Aux termes du Code de justice militaire, ce type de procédure abrégée, durant laquelle l'oralité des débats est en grande partie la règle, s'applique aux membres du personnel militaire arrêtés en flagrant délit. De toute évidence, aucune raison ne justifie qu'une telle procédure ait été utilisée pour juger les 116 accusés civils appréhendés après les faits (pour certains plus de deux semaines après), et qui devaient répondre à des degrés divers de leur participation aux attaques.

En l'occurrence, la décision de recourir à cette procédure résultait d'un certain nombre de distorsions. Des considérations d'ordre logistique et matériel empêchaient de présenter chacun des 116 dossiers auxquels correspondaient des actes d'accusations individuels; en conséquence, le procureur comme les avocats de la défense ont souvent fait comparaître les accusés en groupe. De ce fait, les chefs d'inculpation ou les témoignages à charge concernant spécifiquement un certain nombre d'accusés - parmi lesquels beaucoup ont été condamnés par la suite - n'ont pas été énoncés lors des débats publics.

L'accusation se fondait sur le principe de la présomption de culpabilité - ce qui apparaissait clairement à chaque fois que les accusés subissaient un contre-interrogatoire. Dès que l'un d'eux tentait de revenir sur des aveux ou des déclarations antérieurs ou s'efforçait d'apporter des éclaircissement, le procureur l'interrompait systématiquement, parfois avec le concours du juge présidant le tribunal. C'est ainsi que, dès le premier jour du procès, le procureur a déclaré: gNous savons tout, nous ne sommes pas ici pour faire état de quelconques doutes, ce procès a pour but de faire connaître la vérité à l'opinion.h L'attitude adoptée par l'accusation va directement à l'encontre du principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 14-2-g du PIDCP et par l'article 7-1-b de la Charte africaine.

À la fin de la procédure, les accusés ont eu la possibilité de faire une déclaration devant les juges (apparemment en application du paragraphe 931 du Code de justice militaire). Cependant, le président du tribunal a fait en sorte que leurs déclarations soient strictement limitées dans le temps, et ces dernières s'apparentaient davantage à un appel à la clémence qu'à la présentation d'une défense.

Les avocats de la défense étaient au nombre de 10, parmi lesquels cinq tenaient un cabinet privé à Malabo. Les accusés n'ayant pas d'avocat ont été défendus par des officiers militaires commis d'office. Il semble qu'aucun des défenseurs militaires ne pouvait justifier d'une formation juridique officielle (ce que deux d'entre eux ont confirmé aux délégués d'Amnesty International); toutefois, plusieurs de ces défenseurs ont fait preuve de compétence et soulevé un certain nombre d'objections pertinentes concernant différentes questions, notamment celle de la torture. La plupart des accusés ont confirmé le fait qu'ils avaient pu communiquer avec leur avocat avant l'ouverture du procès, mais en règle générale il leur a fallu attendre avril 1998, soit longtemps après l'enregistrement de leurs déclarations et leur mise en accusation. De plus, les avocats de la défense se sont plaints, aussi bien en privé que devant le tribunal, de n'avoir disposé que de très peu de temps pour examiner les centaines de pages de déclarations et de témoignages que l'accusation a présentées au tribunal. Il est clair que la procédure judiciaire n'a pas respecté le droit qu'a toute personne d'être défendue par le conseil de son choix et de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, droit garanti par l'article 14 du PIDCP et par l'article 7 de la Charte africaine tel qu'interprété par la Commission africaine[2].

Concernant la procédure militaire sommaire qui a été appliquée, le principal motif de préoccupation touche au fait qu'elle ne prévoit aucune possibilité de recours. L'article 933 du Code de justice militaire dispose que l'accusation ou la défense ne peut faire état d'arguments susceptibles d'être retenus par le tribunal que dans les deux heures suivant le prononcé du verdict. Ensuite, le verdict est considéré comme définitif une fois qu'il a été approuvé par le tribunal et par le conseiller juridique (auditor), ce dernier étant, selon la défense, le ministre de la Défense lui-même, bien que personne n'ait pu nous confirmer ce point lors du procès de mai 1998. Dans le cas qui nous occupe, les avocats de la défense n'ont pu faire valoir aucun argument en faveur des circonstances atténuantes, dans la mesure où le texte écrit du verdict n'a pas été rendu public.

Cette procédure sommaire qui permet d'élever d'éventuelles objections après le prononcé du verdict ne peut remplacer valablement une procédure de recours devant des juges indépendants. L'absence de toute procédure d'appel est contraire à toutes les normes universellement reconnues en matière d'équité des procès, notamment aux articles 7 et 26 de la Charte africaine. La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a déclaré que le fait d'gexclure toute possibilité de recours devant les gorganes nationaux compétentsh dans les affaires pénales [c] viole l'article 7-1-a de la Charte africaine et augmente le risque de voir des violations plus graves encore ne faire l'objet d'aucune réparationh. La commission africaine a également constaté que le fait de gne pas instituer de tribunaux susceptibles de fonctionner indépendamment de l'exécutif [c] violait l'article 26 de la Charte africaineh[3].

Motifs de préoccupation concernant le fond de l'affaire

Les délégués d'Amnesty International, présents durant toute la procédure, ont relevé plusieurs irrégularités graves qui constituaient autant de violations des normes internationales relatives à l'équité des procès, et qui ont fait de celui-là une parodie de justice. Ils ont eu l'impression très vive que ce procès n'avait pour but que de servir d'exemple au public afin de dissuader toute éventuelle tentative de remise en cause du régime. Les chefs d'inculpation prononcés étaient douteux, des déclarations obtenues sous la torture ont été retenues à titre de preuves lors des condamnations, des personnes qui n'avaient pas été inculpées figuraient parmi les accusés, et les accusations d'arrestations arbitraires, de tortures et de décès en détention formulées par la défense sont restées sans suite.

1.     Des chefs d'inculpation douteux

De sources officielles aussi bien que non officielles, on estimait entre 35 et 40 le nombre de personnes qui, réparties en plusieurs groupes, avaient participé aux attaques. La nature des chefs d'inculpations et la façon dont le procureur a présenté le dossier tendaient cependant à démontrer l'existence d'un vaste complot. Le procureur a fait publiquement part de son intention de prouver qu'il y avait eu gcomplot séparatisteh orchestré par le MAIB, ce qui explique que les charges les plus graves retenues contre les accusés aient été la trahison et le terrorisme. Afin de définir ces crimes, les chefs d'inculpation reprenaient des passages du Code pénal commun, gassociésh à des passages du Code de justice militaire. Toutefois, les articles du Code de justice militaire auxquels il est fait référence ne semblent pas applicables, dans la mesure où ils concernent explicitement des actes de trahison commis par des membres du personnel militaire ou perpétrés en temps de guerre; en réalité, la mention de ces articles vise apparemment à justifier le recours à une juridiction militaire. Quant aux autres chefs d'inculpation, il n'est indiqué nulle part qu'il y aurait eu infraction à telle ou telle disposition de la législation militaire. Il en découle que la cour martiale militaire a, pour une large part, appliqué les dispositions du Code pénal commun, ce que le juge d'instruction a d'ailleurs confirmé aux délégués d'Amnesty International.

Certains des chefs d'inculpation sont, sur le fond, hautement contestables. Ainsi, le témoignage concernant l'introduction d'armes dans le pays se signalait pas son caractère limité et confus. Il semble qu'à peine trois armes à feu en état de fonctionner et une grenade fumigène aient été importées. La plupart des autres armes qui ont été saisies étaient des fusils de chasse (au moins un des accusés a reconnu en posséder un depuis des années). Un ensemble hétéroclite d'autres éléments inoffensifs - dont des cigarettes - ont également été présentés. Le procureur a établi que de jeunes Bubi avaient reçu un entraînement quasi militaire relativement approfondi, et qu'une certaine coordination avait existé entre les attaques. Hormis ces points précis, le gouvernement aurait pu se contenter de ne retenir que les chefs d'homicide volontaire, de coups et blessures aggravés, de vol et de complot criminel. Toutes ces objections ont été soulevées, parfois avec force, par les avocats de la défense, mais il n'en a été tenu aucun compte.

Parmi les chefs d'inculpation retenus par le gouvernement, il en est un qui n'avait manifestement aucun fondement juridique, à savoir celui de sécession, dont avaient pourtant à répondre l'ensemble des 116 accusés (en tant qu'auteurs ou complices). Quarante-trois des accusés n'étaient poursuivis que pour ce crime. L'acte d'accusation et le tribunal ont défini le crime de sécession comme résultant d'une violation des articles 1 et 2 de la Constitution (Ley Fundamental); lesdits articles contiennent des déclarations d'ordre général d'où il ressort que les valeurs suprêmes du pays sont l'unité, la paix et la justice, et qu' aucun groupe ou individu ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale. La sécession n'est donc pas une infraction prévue par le Code pénal ou par d'autres lois en vigueur.

Il existe en droit un principe fondamental selon lequel toute infraction, ainsi que la peine qui s'y applique, doit être prévue par la loi et ne peut être définie ni appliquée de manière rétroactive. Lors du procès, les avocats de la défense se sont attachés à soulever cette objection à plusieurs reprises, et de façon fort pertinente, mais il ne semble pas que les juges en aient saisi la signification. Le 27 mai 1998, après avoir entendu à nouveau l'argument consistant à dire que les accusés ne pouvaient être inculpés d'une infraction pour laquelle la loi ne prévoyait aucune peine, le juge présidant le tribunal a déclaré: C'est la raison pour laquelle nous sommes ici, à savoir déterminer la peine. Une telle attitude constitue une violation de l'article 15-1 du PIDCP, qui dispose: Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises.

Dans la déclaration finale prononcée par le procureur, aucune des condamnations réclamées ne découlait spécifiquement du chef de sécession. Il semble néanmoins que plusieurs accusés poursuivis pour ce seul motif aient été déclarés coupables. En outre, c'est sur la base de cette accusation qu'au moins 43 des accusés ont été maintenus en détention plus de trois mois, soit du 26 février 1998, date de leur mise en accusation, jusqu'à l'achèvement du procès. Enfin, Amnesty International soutient que le crime de sécession(même dans le cas où il s'agit d'une infraction prévue par la loi) hors de tout recours ou appel à la violence ne constitue pas un motif suffisant pour engager des poursuites judiciaires ou justifier une mesure d'emprisonnement.

2.     Des déclarations obtenues sous la torture sont retenues à titre de preuves

Le tribunal a retenu à titre de preuves des déclarations qui, manifestement, avaient été obtenues sous la torture, et dont il s'est servi pour condamner la plupart des accusés. Il a refusé d'ouvrir une enquête sur les graves allégations qui ont été formulées concernant l'emploi de la torture.

Au moins 14 accusés ont déclaré en audience publique qu'ils avaient été torturés. Le procureur a reconnu que la torture avait été utilisée lorsqu'il a déclaré, s'adressant à un accusé au premier jour du procès: Nous constatons que la police vous a torturé, nous prendrons ce fait en considération, mais vous avez signé [votre déclaration] devant le juge d'instruction.

L'argument du procureur selon lequel les déclarations faites avant le procès ont été confirmées en toute indépendance devant le juge d'instruction (ce qu'a d'ailleurs reconnu ce dernier dans des propos tenus aux délégués d'Amnesty International) soulève une autre série de problèmes. En premier lieu, de nombreux accusés présentaient des traces de tortures ou de mauvais traitements encore clairement visibles - oreilles mutilées ou membres tuméfiés - au moment du procès, à la fin du mois de mai. De telles marques devaient être encore plus évidentes - et pouvoir se constater sur un plus grand nombre d'accusés - à l'époque de la confirmation des déclarations, qui a dû avoir lieu en février. En second lieu, Amnesty International a reçu des informations convergentes émanant d'un certain nombre d'accusés et indiquant qu'ils n'ont pas été autorisés à relire ni à revoir la déclaration qu'ils avaient signée avant de la confirmer, souvent après avoir été torturés, parfois en pleine nuit, et sans jamais qu'un avocat les conseille. Les accusés qui demandaient à relire leur déclaration affirment qu'ils se seraient entendu répondre par le juge d'instruction: Tu ne te rappelles donc pas ce que tu as dit ? Les accusés David Sunday Nuachuku et Dominique Effiong, de nationalité nigériane, ont été interrogés sans qu'un interprète soit présent alors qu'ils ne parlent pas espagnol. Ils ont affirmé aux délégués de l'Organisation qu'ils ne connaissaient pas le contenu de leur déclaration; ils ont tous deux été condamnés à mort. Les accusés ont en outre dit clairement aux délégués d'Amnesty International qu'ils craignaient d'être à nouveau torturés ou maltraités s'ils refusaient de confirmer leur déclaration antérieure.

Malgré l'extrême importance de ces déclarations pour l'accusation et pour le tribunal, les avocats de la défense n'ont été autorisés à les examiner que durant un temps très court. L'un des avocats s'est plaint devant les juges de ce que des passages essentiels du dossier contre son client (José Luis Ñoco) ne lui avaient jamais été communiqués malgré ses demandes.

En reconnaissant la validité de déclarations obtenues sous la torture, le tribunal a agi en violation de l'article 14-3-g du PIDCP et du principe de la présomption d'innocence. Le Comité des droits de l'homme, qui veille à l'application du PIDCP, a déclaré qu'aux termes du sous-paragraphe 3-g l'accusé ne pouvait être contraint de témoigner contre lui-même ni de s'avouer coupable. Cette garantie doit être comprise en gardant à l'esprit les dispositions de l'article 7 et de l'article 10 paragraphe 1. Bien souvent, l'accusé est forcé d'avouer ou de témoigner contre lui-même par des méthodes qui bafouent ces dispositions. La législation équato-guinéenne devrait exiger qu'en aucun cas ne puissent être retenus des éléments de preuve obtenus par de telles méthodes ou par toute autre forme de contrainte.

3.     Des personnes jugées sans avoir été inculpées

Amnesty International est vivement préoccupée par le fait qu'un certain nombre de personnes apparemment détenues pour des actes liés aux attaques du 21 janvier 1998 et présentes au procès n'avaient été inculpées d'aucune infraction. Certains de ces prisonniers, bien que ne faisant l'objet d'aucune poursuite, se trouvaient pourtant au banc des accusés. Parmi eux figuraient Margarita Da Costa, Trinidad Bokesa, Fernando Riloha et environ seize autres personnes. La plupart de ces personnes ont été prises en otages dans le but de forcer des suspects recherchés par les autorités à se constituer prisonniers - une pratique très répandue en Guinée équatoriale.

Margarita Da Costa a été retenue en otage parce qu'elle était la femme de l'accusé Epifanio Moaba Bate, qui n'a pas été arrêté, et qui a été condamné à mort par contumace. Les policiers lui ont dit qu'ils la relâcheraient si son mari se livrait aux autorités.

La situation de Domiciana Bisobe Robe est identique. Bien que l'acte d'accusation la désigne comme complice d'acte de sécession, il semble que la vraie raison de sa mise en accusation ne suppose donc pas forcément une inculpation,et de son incarcération tienne au fait qu'elle est la compagne de Guillermo Salomón Echuaka, plus connu sous le nom d'Alex, un accusé de premier plan qui a échappé à l'arrestation (lui aussi a été condamné à mort par contumace). Interrogé sur ce point par l'observateur d'Amnesty International présent au procès, le juge d'instruction a justifié la mise en accusation de Domiciana en déclarant qu'elle avait compliqué l'opération visant à localiser Alex en allant voir un espiritu local (un sorcier de la région) pour lui demander de jeter des sorts. Le sorcier en question, Fidel Buale Silebo, a également été mis en accusation dans cette affaire.

Fernando Riloha, un fonctionnaire d'origine bubi travaillant sur le continent, qui n'était manifestement pas impliqué dans les événements du 21 janvier, a fini par être acquitté. Malgré cela, il a été maintenu en prison pendant quatre mois, et ses deux oreilles ont été gravement mutilées.

4.     Refus d'ouvrir une enquête

Les avocats de la défense ont à maintes reprises et avec force soulevé la question de la torture, protestant contre le fait que des témoignages obtenus dans ces conditions soient retenus à titre d'éléments de preuve. Ils n'ont cependant cessé d'être interrompus et d'essuyer les rebuffades du juge présidant le tribunal. Leurs appels en faveur de l'ouverture d'une enquête sur ces atteintes aux droits humains ainsi que sur les décès survenus en détention durant la phase précédant le procès sont restés sans effets.

Les avocats de la défense ont également fait état d'irrégularités concernant les arrestations, effectuées hors du cadre des lois nationales et internationales en vigueur, mais là encore le tribunal les a fait taire.

L'une de ces irrégularités tenait au fait que l'un des accusés, Marcelo Lohoso, était un député en exercice. Or l'article 68-2 de la Constitution dispose que, dès lors qu'il n'est pas appréhendé en flagrant délit, un député ne peut être ni arrêté ni poursuivi, sauf si son immunité a été levée par le collège parlementaire. L'avocat de Marcelo Lohoso a protesté de façon répétée en faisant valoir qu'aucune mesure de ce type n'avait été prise. Le juge présidant le tribunal est intervenu pour interrompre le témoignage sur ce point, déclarant qu'ilsupposait que le juge d'instruction avait écrit au Parlement. Le défenseur militaire de Marcelo Lohoso ayant élevé une nouvelle protestation, le juge a annoncé que les documents relatifs à la levée de l'immunité de Marcelo Lohoso seraient lus quand nous en serons à ce stade de la procédure ce qui ne s'est jamais produit.

Autre irrégularité, celle dont ont été victimes trois accusés d'origine bubi qui poursuivaient des études au Nigéria à l'époque des attaques du 21 janvier. Les trois étudiants étaient apparemment soupçonnés de complicité ou de sympathies avec les auteurs des attaques, ou avec les Nigérians impliqués, bien qu'aucun élément à l'appui de cette thèse n'ait été présenté devant le tribunal. Les accusés ont été convoqués à une réunion le 12 février 1998 dans les locaux de leur université. Lors de la réunion, des personnes se présentant comme des policiers nigérians les ont remis à des membres du personnel de sécurité guinéen, qui les ont rapatriés de force à bord d'un avion privé. Aucune procédure d'extradition officielle n'a été engagée, ce qu'un officier militaire a confirmé en privé aux délégués d'Amnesty International. Les accusés se sont également montrés très clairs sur ce point en disant qu'ils avaient été kidnappés. Toutefois, les questions posées par les avocats de la défense concernant ce rapatriement illégal n'ont pas reçu de réponses en raison des interruptions du juge présidant le tribunal.

Des informations convergentes indiquent que certains détenus ont pu échapper à leur mise en accusation et recouvrer la liberté après avoir versé de l'argent à des membres des services de sécurité ainsi qu'à des fonctionnaires de justice. Voilà qui jette le doute sur l'ensemble de l'instruction du dossier et laisse à penser que celle-ci n'a pas été conduite de façon scrupuleuse et conformément aux normes internationales en vigueur. En dépit des demandes formulées par les accusés et leurs avocats, le tribunal a refusé d'enquêter sur ces graves irrégularités.

Le verdict a été annoncé oralement le lundi 1er juin 1998. Aucun exemplaire écrit du verdict n'est encore disponible.

Voici les sentences, pour autant qu'elles puissent être établies sans erreur à partir de l'annonce orale du verdict:

·        15 condamnations à mort (dont quatre par contumace),

·        40 peines à vingt-six ans d'emprisonnement,

·        17 peines à douze ans d'emprisonnement,

·        12 peines à six ans d'emprisonnement.

Apparemment, ce sont au total 53 personnes qui ont bénéficié d'une mesure d'acquittement. La situation demeure confuse dans la mesure où les noms d'un certain nombre de personnes acquittées ne figuraient pas sur l'acte d'accusation (c'était notamment le cas de Trinidad Bokessa, de Margarita Da Costa et de Fernando Riloha). Il semble que tous ceux qui ont été acquittés aient été libérés. Cependant, Manuel Rigetema, dont le nom n'apparaissait pas sur la liste des personnes condamnées, a été mis en liberté puis arrêté de nouveau, au motif qu'il avait été reconnu coupable et condamné à une peine de vingt-six ans d'emprisonnement et que sa libération avait été une erreur.

Un certain nombre d'accusés qui ont été condamnés peuvent être considérés comme des prisonniers d'opinion, détenus uniquement en raison de leur origine ethnique ou de leurs opinions politiques, y compris les dirigeant du MAIB comme Martin Puye, qui est mort par la suite en détention, et comme Gregorio Bomuagasi Oraca. On ne peut négliger le fait que 24 des prisonniers acquittés ont été inculpés d'actes de sécession, une infraction que ne prévoit pas la législation équato-guinéenne. Le procureur général, à l'issue de sa déclaration finale, a déclaré à l'observateur d'Amnesty International que nombre des accusés dont il n'avait pas spécifiquement cité les noms étaient présumés innocents. Néanmoins, la plupart de ces accusés, bien que finalement acquittés, ont été emprisonnés durant environ quatre mois avant le procès, et nombre d'entre eux ont été torturés ou maltraités. L'Organisation est en outre préoccupée par le fait que certains des accusés acquittés étaient apparemment détenus sans inculpation puisque leur nom n'apparaissait pas sur l'acte d'accusation.

Bien que les 15 condamnations à mort aient été commuées par le président quatre mois plus tard, Amnesty International considère que tout recours à la peine capitale constitue une violation du droit fondamental à la vie et du droit à ne pas être soumis à une peine cruelle, inhumaine ou dégradante. L'Organisation est inconditionnellement opposée au recours à la peine de mort. Le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans d'autres instruments internationaux relatifs aux droits humains.

Un procès manifestement inique

Tant du point de vue de la procédure que du fond, le procès n'a pas respecté les normes minimales universellement reconnues. Bien que la procédure ait été publique et que les accusés aient été représentés par un conseil, nombre d'objections soulevées par les avocats ont été rejetées, voire purement et simplement ignorées. Toute objection ou tout témoignage ayant trait à la torture, à d'autres formes de mauvais traitements ou à quelque question politique que ce soit, ont été systématiquement interrompus. Si beaucoup d'accusés qui n'avaient rien à voir dans l'affaire ont été acquittés, un certain nombre de prisonniers d'opinion probables ou avérés ont toutefois été condamnés.

Amnesty International dénonce une fois encore le fait que ce procès, comme d'autres procès antérieurs de personnes jugées pour des infractions à caractère politique, ne se soit pas déroulé conformément aux normes internationales existantes en matière d'équité. Un tel procès aurait dû avoir lieu devant une juridiction civile et respecter pleinement les dispositions de l'article 14 du PIDCP et des articles 7 et 26 de la Charte africaine. L'article 14 dispose notamment que tout accusé a le droit de bénéficier de l'assistance d'un défenseur de son choix, ainsi que le droit d'interjeter appel devant une juridiction supérieure. Il est également indispensable de veiller à ce qu'aucune déclaration obtenue par le moyen de la torture ou de mauvais traitements ne soit retenue par le tribunal à titre de preuve. Aucune de ces conditions minimales n'a été respectée.

Après le verdict

Depuis leur condamnation, les personnes qui se sont vu infliger des peines d'emprisonnement lors du procès de mai 1998 sont détenues dans la prison de Black Beach, située à Malabo. Cette prison se trouve au bord de la mer, où le climat est très chaud et très humide; les prisonniers y sont entassés dans des cellules crasseuses et exiguës. Selon certaines informations, ils seraient contraints de dormir à même le sol depuis leur arrestation. Nombre des quelque 80 prisonniers enfermés à Black Beach sont dans un état de grande faiblesse du fait des tortures qu'ils ont subies avant le procès. Certains d'entre eux, notamment les 11 condamnés à mort, connaissent des conditions de détention qui représentent une menace pour leur vie même. D'autres prisonniers n'auraient pas été autorisés à recevoir les soins médicaux que leur état nécessitait, une situation qui a entraîné la mort de l'un d'eux.

Deux des avocats qui, lors du procès de mai 1998, avaient accusé les forces de sécurité d'avoir recouru à la torture ont été en butte à des manœuvres de harcèlement de la part des autorités. L'un d'eux a été renvoyé de l'armée, tandis que l'autre était accusé d'outrage et condamné à cinq mois d'emprisonnement.

Les prisonniers condamnés

Les seuls accusés à ne pas être présents dans la salle du tribunal lors de l'énoncé du verdict, le 1er juin 1998, étaient ceux qui ont été condamnés à mort. Il est en effet habituel en Guinée équatoriale que les accusés condamnés à la peine capitale soient absents quand intervient le prononcé de la sentence, cela en application de l'article 935 du Code de justice militaire, qui prévoit explicitement que le verdict d'une cour martiale sommaire peut être appliqué sans délai, même dans le cas d'une condamnation à mort.

Dans le passé, les personnes ayant fait l'objet d'une sentence capitale avaient été exécutées le jour même. Dans le cas présent, il semble que d'autres détenus aient, le jour du verdict, reçu l'ordre de creuser les tombes des 11 personnes condamnées à mort et qu'un peloton d'exécution se soit tenu prêt à les fusiller sur la plage, non loin de la prison où elles étaient emprisonnées. Les exécutions n'ont été suspendues qu'à la dernière minute. À notre connaissance, c'est la première fois que des sentences capitales (prononcées pour des motifs politiques) ne sont pas appliquées sur-le-champ.

Amnesty International considère que la peine de mort est un châtiment cruel, inhumain et dégradant, et que les conditions dans lesquelles les 11 prisonniers politiques condamnés à cette peine ont été détenus n'ont fait qu'augmenter encore leur angoisse. De fait, ces prisonniers ont été maintenus dans des conditions carcérales épouvantables et pratiquement réduits à la famine, même après que le président eut commué leur peine en une peine de détention à perpétuité. Il leur était interdit de parler à quiconque, et ils n'étaient autorisés à quitter leur cellule que quelques minutes par jour. L'administration pénitentiaire ne leur donnant que très peu de nourriture et leur ayant refusé la possibilité d'en recevoir de la part de leur famille, la faim et la déshydratation ont mis très gravement leur vie en danger. Malgré la chaleur et l'humidité, ils n'avaient droit qu'à un litre d'eau par jour. Quelques semaines après la commutation de leur peine, ils ont été autorisés à quitter leur cellule trois heures par jour, mais ont été maintenus au secret.

Au moins deux des personnes condamnées à mort seraient gravement malades. Norberto Biébeda souffrait déjà de problèmes de vue quand il a été envoyé en prison. Ses facultés visuelles se sont encore détériorées après qu'il eut été enfermé plus de vingt-trois heures par jour dans le noir. Quant à Leoncio Coto, il souffrirait de graves troubles mentaux.

L'absence de soins médicaux

Les prisonniers qui n'ont pas été condamnés à mort étaient autorisés à recevoir de la nourriture de leur famille. Ils ont cependant beaucoup souffert, eux aussi, de leurs conditions de vie en prison. Plusieurs seraient tombés malades et auraient eu des difficultés à se faire soigner. Il n'existe aucune structure médicale dans la prison, si bien que les détenus malades doivent payer pour se faire soigner. En outre, ils se heurtent, semble-t-il, au refus de l'administration pénitentiaire lorsqu'ils demandent à être transférés à l'hôpital.

Une jeune femme du nom de Milagrosa Cheba, qui souffrait de malaria, a fini par réussir à se faire hospitaliser début juillet. Elle a toutefois été renvoyée en prison avant d'avoir pleinement recouvré la santé. Après s'être plaint de douleurs abdominales et avoir sollicité durant une semaine des soins hospitaliers, César Copoburu, condamné à vingt-six ans d'emprisonnement, a finalement été transféré à l'hôpital vers la mi-juillet. Il a subi une intervention chirurgicale mais a très rapidement dû réintégrer la prison, en dépit des conditions insalubres qui y règnent.

Deux autres prisonniers se trouveraient dans un état de santé déplorable. Aurelio Losoha, soixante-dix-huit ans, a été torturé pendant sa détention avant son procès, et son état s'est dégradé en raison de la dureté des conditions carcérales. Alors qu'apparemment il souffrait de malaria, les autorités pénitentiaires lui ont refusé tous soins médicaux. Aurelio Losoha est le chef traditionnel de la ville de Rebola. Amnesty International le considère comme un prisonnier d'opinion détenu uniquement parce qu'il est l'un des dirigeants du MAIB.

C'est l'absence de soins médicaux qui est à l'origine de la mort de Martin Puye, le 14 juillet 1998 à l'hôpital, deux semaines après son transfert de la prison de Black Beach. L'administration pénitentiaire s'était montrée hostile à l'hospitalisation de cet homme qui, semble-t-il, souffrait d'une hépatite. La veille de sa mort, Martin Puye était apparemment dans un état désespéré: il avait les jambes et le ventre enflé - ce dernier aussi gros que celui d'une femme enceinte, d'après le récit d'un témoin. Il pouvait à peine parler et ses yeux étaient vitreux. Les médecins de l'hôpital ont procédé à des transfusions sanguines, et ils auraient décidé d'envoyer Martin Puye se faire soigner à l'étranger, mais il était trop tard.

Martin Puye lors du procès
© Gervasio Sanchez

Amnesty International est préoccupée par le fait que ces prisonniers sont détenus dans des conditions qui s'apparentent à une forme de traitement cruel, inhumain et dégradant et ne bénéficient pas de soins médicaux suffisants. L'Organisation demande qu'une enquête soit immédiatement ouverte sur la mort de Martin Puye, et elle appelle les autorités équato-guinéennes à faire en sorte que les conditions de vie dans les prisons soient rendues conformes à l'Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus, notamment aux dispositions relatives aux soins médicaux. Amnesty International exhorte en outre le gouvernement à permettre aux prisonniers de pouvoir entrer en contact avec une organisation humanitaire internationale, tel le Comité International de la Croix-Rouge.

Les manœuvres d'intimidation à l'égard des avocats

Lors de la clôture du procès, la délégation d'Amnesty International a reçu des informations concernant deux incidents distincts: des avocats de la défense avaient été mis en garde en raison de leur excès de zèle et de leurs déclarations qui mettaient le gouvernement dans l'embarras. Ces avertissements avaient été transmis aux avocats par l'intermédiaire de tiers qui ont clairement laissé entendre que le message émanait des autorités. L'Organisation n'est pas en mesure de confirmer que les autorités étaient effectivement à l'origine de ces mises en garde, mais elle a demandé, et obtenu, l'assurance du ministre des Affaires étrangères, Miguel Oyono Ndong Mifumu, que le gouvernement ne recourerait à aucune manœuvre de harcèlement ou d'intimidation à l'encontre des avocats de la défense en raison de leur rôle dans le procès.

C'est pourquoi Amnesty International exprime la plus vive préoccupation face au sort du lieutenant-colonel Lorenzo Ondó Ela Mangue, l'un des avocats militaires qui s'était montré le plus actif et le plus efficace lors du procès. Il a par la suite été renvoyé de l'armée et a fait l'objet d'une mesure temporaire d'assignation à résidence.

Un autre avocat ayant publiquement dénoncé lors du procès de mai 1998 l'usage de la torture contre les détenus, José Oló Obono, a été arrêté à son domicile et placé en détention au commissariat de police de Malabo le 21 juillet. Après son arrestation, José Oló Obono a été déshabillé jusqu'à la ceinture. On lui a retiré ses chaussures et on l'a insulté devant sa femme, qui l'avait accompagné au commissariat. Deux de ses collègues avocats ont tenté de lui rendre visite le lendemain mais ils ont été refoulés à deux reprises. Il aurait été traité de manière dégradante: on l'a forcé à laver une voiture, à balayer la rue, ainsi qu'à utiliser dans sa cellule une boîte en carton en guise de toilettes.

Accusé d'outrage, il a été condamné en septembre 1998 à cinq mois d'emprisonnement en dépit du fait que le procureur ait abandonné ses accusations par manque de preuves. Amnesty International estime que José Oló Obono a été condamné uniquement en raison de son attitude courageuse durant le procès de mai 1998. L'Organisation le considère comme un prisonnier d'opinion et exige sa libération immédiate et inconditionnelle.

Les actes d'intimidation visant des avocats de la défense sont contraires aux dispositions figurant dans les Principes de base de l'ONU sur le rôle du Barreau.

C.  Le harcèlement des opposants

En février 1997, le président Obiang Nguema ordonnait publiquement aux forces de sécurité de ne pas faire obstacle aux activités politiques à caractère pacifique; malgré cela, les arrestations de militants politiques se sont poursuivies. Depuis 1997, plus de 200 membres de partis d'opposition ont été appréhendés, le plus souvent dans des zones rurales de la province continentale de Río Muni, moins accessible que d'autres à la surveillance internationale.

La tactique des autorités consiste à détenir des dirigeants et des militants de l'opposition pour de courtes périodes dans des postes de police, où ils sont battus et maltraités. Nombre d'entre eux sont contraints de payer une amende avant d'être relâchés sans inculpation ni jugement. Certains, après avoir été libérés, ont été assignés à résidence dans leur village; d'autres se sont vu interdire de retourner dans leur ville de résidence.

La plupart des opposants interpellés ont été arrêtés pour avoir exercé des activités politiques pourtant pacifiques, comme le fait d'organiser des réunions non autorisées, de critiquer le gouvernement ou d'être affiliés à des partis qui ne sont pas officiellement reconnus. Il semble que beaucoup aient été maltraités, le but étant de les contraindre à acquitter de fortes amendes ou à rejoindre le PDGE, le parti au pouvoir.

Bien que le gouvernement ait mis fin au régime de parti unique en 1992, les autorités locales continuent de ne tolérer aucune opinion divergente. Toute activité politique de l'opposition est systématiquement réprimée. Au cours de ces deux dernières années, trois partis politiques se sont retrouvés plus que d'autres dans la ligne de mire: il s'agit de Convergencia para la Democracia Social (CPDS, Convergence pour la démocratie sociale), de Fuerza Demócrata Republicana (FDR, Force démocrate républicaine), non encore légalisée, et du Partido del Progreso (PP, Parti du progrès). Les membres de ce dernier parti ont été particulièrement pris pour cibles après que les autorités eurent accusé en mai 1997 leur dirigeant, Severo Moto, d'avoir fomenté un complot en vue de renverser le gouvernement.

En janvier 1998, le CPDS a fait connaître son intention d'organiser une réunion à Kogo, une ville proche du Gabon. Les autorités locales ont déclaré que le mouvement n'avait pas l'autorisation nécessaire pour cela. Les membres du CPDS se sont alors rendus au domicile d'un particulier, où les forces de sécurité ont opéré une descente. Trente personnes, dont Plácido Miko, le secrétaire général, ont été arrêtées à cette occasion et détenues durant plusieurs heures sans inculpation. Le 20 mai 1998, Luis Mba Obiang, militant de ce même parti, a été appréhendé à Mikomeseng parce qu'il était en possession de plusieurs exemplaires de La Verdad, le journal du mouvement. Il a été détenu deux jours et contraint de payer une amende. Tous les exemplaires du journal ont été saisis.

En juillet 1998, dans plusieurs régions du pays, des opposants politiques se sont vu empêcher de contrôler les opérations de recensement, en dépit de l'accord conclu avec les autorités, aux termes duquel ils étaient habilités à le faire. Ce recensement a été entaché de nombreuses irrégularités: des personnes soupçonnées de voter pour l'opposition n'ont pas été comptabilisées, des mineurs et des étrangers ont été inscrits dès lors qu'ils étaient favorables au parti au pouvoir, et les agents chargés des opérations ont été désignés unilatéralement par le gouvernement. En septembre 1998, les partis d'opposition ont accusé les autorités de retarder la publication des chiffres du recensement afin de pouvoir repousser la date des élections législatives prévues avant la fin de l'année.

Les autorités locales ont en outre lancé des campagnes pour contraindre les gens à rejoindre le PDGE (au pouvoir). En avril 1998, le ministre des Forêts, Teodoro Nguema Obiang, fils du chef de l'État, s'est rendu à Bata, chef-lieu de la province continentale de Río Muni, pour organiser l'affiliation forcée de 290 opposants politiques. Il aurait déclaré aux ouvriers d'une entreprise dépendant de son ministère qu'ils seraient licenciés s'ils ne s'engageaient pas à s'inscrire au PDGE.

De nombreuses personnes ont été arrêtées et torturées parce qu'elles refusaient de signer une déclaration sous serment attestant qu'elles avaient rejoint le parti au pouvoir. Pour avoir osé dire publiquement qu'il ne signerait pas une telle déclaration, Teofilo Osam Mbomio a été arrêté le 30 mai 1998 à Añisok. Détenu pendant une semaine, cet homme a reçu 150 coups sur la plante des pieds et sur les fesses.

Plusieurs militants de l'opposition ont été expulsés de leur village. Pascual Esono Mba, soixante ans, membre du CPDS, a été arrêté en avril 1998 à Akonibe. Accusé de se livrer à de la propagande, il a été détenu durant un mois - après quoi il s'est vu intimer l'ordre de quitter le district et de ne plus jamais y revenir.

Suite à la découverte, en mai 1997, d'un présumé complot fomenté par le dirigeant du PP, Severo Moto, et destiné à renverser le gouvernement, des dizaines de membres de ce parti ont été arrêtés. Severo Moto a été jugé par contumace en août 1997 et condamné à une peine de cent un ans d'emprisonnement pour complot contre le gouvernement et tentative de meurtre sur la personne du président Obiang. Les autorités ont également annoncé qu'elles allaient interdire son parti. Celui-ci a finalement été dissous, mais le décret portant dissolution du PP n'a jamais été publié.

Bien que leur responsabilité individuelle n'ait aucunement été établie, les membres du PP ont été tenus collectivement pour responsables du complot présumé et victimes de manœuvres de harcèlement. En juillet 1997, des dizaines de militants de ce parti ont été arrêtés et torturés; parmi eux, José Ekang Nangomo et Francisco Edù. Ces deux hommes ont été détenus pendant six mois à Bata sans inculpation ni jugement. En avril 1998, le secrétaire général du PP, Agapito Ona Nguema, a été interpellé à Niefang et conduit à Bata. Son avocat s'est entendu dire par le juge d'instruction que la justice n'avait rien à reprocher à son client, et que son dossier dépendait du ministère de l'Intérieur.

Au moment de la rédaction de ce rapport, quatre membres de FDR se trouvait toujours en détention. Tous étaient, semble-t-il, des prisonniers d'opinion. Sinecio Ngua Esono et Francisco Abeso Mba ont été détenus à Bata en août 1997. Les deux hommes ont été enfermés pendant trois semaines dans un conteneur du port de cette ville et violemment passés à tabac. Ils sont détenus sans avoir été jugés ni même inculpés. Sinecio Ngua Esono a été interpellé à Mongomo, sa ville natale, alors qu'il venait d'arriver dans le Río Muni de retour de Malabo, où il avait participé à un séminaire consacré à la presse indépendante. Francisco Abeso Mba était venu accueillir son ami à sa descente d'avion, à Bata. La police s'est rendu chez lui pour l'arrêter, et ne le trouvant pas, elle a pris sa femme en otage. Celle-ci n'a été relâchée que lorsque son mari s'est constitué prisonnier.

Felipe Ondó Obiang et Guillermo Nguema Ela ont été condamnés en août 1998 à deux ans et demi d'emprisonnement pour dénonciation et accusations mensongères. Ils avaient été arrêtés en novembre 1997 à Libreville (Gabon) par les forces de sécurité gabonaises puis transférés le même jour à Malabo, à bord de l'avion présidentiel. Leur arrestation est intervenue peu de temps après l'arrivée à Libreville du président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema, venu assister au sommet de l'Assemblée paritaire des États Afrique, Caraïbes, Pacifique - Union européenne (ACP-UE). Felipe Ondó Obiang, ancien président du Parlement équato-guinéen, et Guillermo Nguema Ela, ex-ministre des Finances et membre de FDR, s'étaient vu accorder le statut de réfugié au Gabon. Leur renvoi s'est donc effectué en violation du principe de non-refoulement inscrit dans la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés et dans la Convention de l'OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique (Convention de l'OUA relative aux réfugiés).

À bord de l'avion, les deux hommes ont été maltraités. Détenus durant plusieurs jours, menottes aux poignets, ils n'ont été relâchés que le 14 novembre 1997, sans inculpation. En mars 1998, ils ont été à nouveau arrêtés, après avoir fait des déclarations à des médias étrangers. Leur condamnation semble avoir été un moyen d'écarter de la scène politique des opposants connus quelques mois avant la tenue d'élections législatives. Amnesty International considère Felipe Ondó Obiang et Guillermo Nguema Ela comme des prisonniers d'opinion.

Plusieurs membres de l'ethnie bubi ont également été arrêtés en 1997. Antolin Banch a été appréhendé en janvier 1997 pour s'être trouvé en possession d'exemplaires du journal du MAIB O Bojuelo; il a été maintenu en détention sans inculpation ni jugement jusqu'au mois de décembre 1997. Silvestre Orichi, membre de longue date du MAIB, a été interpellé en août 1997 après qu'un drapeau bubi eut été découvert chez lui. Autorisé à sortir de prison une journée, en janvier 1998, on ignore actuellement où il se trouve. Certaines rumeurs laissent à penser qu'il aurait disparu, d'autres qu'il serait entré dans la clandestinité.

Nicolás Mangué Mañana, dirigeant du CPDS pour la région continentale, a été arrêté en novembre 1998 à Niefang, où il était allé rendre visite à sa mère malade. On l'a soumis à des travaux forcés, en exerçant des pressions sur lui pour qu'il rejoigne les rangs du PDGE (le parti au pouvoir). Amancio Gabriel Nsé, autre dirigeant du CPDS, était arrêté le même mois à Bata dans le cadre d'une affaire de livre introduit dans le pays via le Gabon, un livre publié en Espagne et traitant de la Guinée équatoriale. Quatre autres personnes - Benjamin Mba, Alberto Nve et ses deux épouses Asunción et Aben Eko - ont été appréhendées à Acurenam pour la même raison et conduites à Bata. Au moment où nous écrivons (novembre 1998), toutes ces personnes se trouvaient toujours en détention.

Une nouvelle vague d'arrestations a eu lieu alors que nous nous apprêtions à conclure le présent rapport. Au moins 20 personnes, pour la plupart d'origine bubi, ont été arrêtées fin novembre 1998 et placées au secret à Malabo. Elles auraient été torturées. Ces arrestations ont fait suite à des rumeurs selon lesquelles Guillermo Salomón Echuaca (surnommé Alex), l'un des auteurs présumés des attaques de janvier 1998, aurait fui par bateau vers le Nigéria. Des parents de cet homme ont été interpellés, ainsi que des personnes soupçonnées de le cacher ou de l'avoir aidé à fuir. Des propriétaires de petites embarcations (cayucos ) utilisées pour se rendre au Nigéria ou au Cameroun voisin ont aussi été arrêtés.

Des femmes ont également été victimes de harcèlement et placées en détention. En septembre 1997, plusieurs membres du CPDS, dont six femmes, ont été détenus à Acurenam parce qu'ils s'apprêtaient à accueillir leurs dirigeants avec des chants de bienvenue. Les femmes ont été déshabillées et violemment battues. Ces personnes n'ont pas été jugées mais ont dû payer de fortes amendes avant d'être libérées. En octobre 1997, une cinquantaine de femmes bubi ont été brièvement arrêtées parce qu'elles n'avaient pas assisté aux cérémonies du 12 octobre, jour de la fête nationale.

Trois sympathisantes du CPDS qui critiquaient le gouvernement alors qu'elles se trouvaient chez elles ont été arrêtées en mars 1998 par un soldat qui passait par là, et qui a surpris leurs propos. Les trois femmes ont été détenues durant une journée et contraintes d'acquitter une amende.

Des femmes ont également été prises en otages. Natividad Kieyen, femme de José Manzogo, a été arrêtée en juillet 1997 parce que les forces de sécurité n'arrivaient pas à mettre la main sur son mari. Elle a été forcée de travailler trois jours dans les champs tandis que son fils de deux ans était détenu dans le camp militaire.

Bien qu'il soit tenu, en vertu des obligations qui sont les siennes au regard des dispositions du PIDCP et de la Charte africaine, de respecter le droit à la liberté d'expression et d'association, le gouvernement équato-guinéen manifeste le plus profond mépris à l'égard de ses obligations internationales, auxquelles il a pourtant souscrit de son plein gré.

D.  La question de l'impunité

Les auteurs de violations des droits humains n'ont pratiquement jamais été déférés à la justice. Les quelques personnes qui ont fait l'objet de poursuites pour des faits liés à des atteintes aux droits fondamentaux ont été rapidement relâchées, ou n'ont été condamnées qu'à des peines légères.

En février 1997, deux policiers ont été reconnus coupables et condamnés à des peines de dix et vingt ans d'emprisonnement à la suite de la mort d'Evaristo Abaga Ndongo, décédé en garde à vue. Des informations indiquent que cet homme avait été battu au moment de son arrestation, puis dans le véhicule qui le conduisait à Evinayong. Il a alors perdu connaissance. Plus tard, il a été transporté à l'hôpital, où il est mort peu après son arrivée. Aucune autopsie n'a, semble-t-il, été effectuée, et la famille d'Evaristo Abaga Ndongo a reçu l'ordre d'enterrer le corps sans délai. Amnesty International s'est félicitée de la condamnation des deux policiers, en émettant l'espoir qu'il s'agissait là d'un signe annonçant la fin du règne de l'impunité en Guinée équatoriale[4]. Cependant, les deux policiers ont été élargis peu de temps après avoir été reconnus coupables et condamnés, et ils sont actuellement en liberté.

Les engagements des autorités en vue de mettre fin à l'impunité sont restés lettres mortes. Lorsque la communauté bubi a été prise pour cible, au lendemain des attaques du 21 janvier 1998, le ministre de l'Intérieur a ouvert un bureau chargé d'enregistrer les déclarations de toute personne souhaitant se plaindre des traitements qu'elle avait subis. Une femme, parmi celles qui ont saisi cette occasion, a fait le récit suivant aux délégués d'Amnesty International: Quatre jours après avoir été violée, je suis allée me plaindre auprès du ministre de l'Intérieur, et j'ai dû payer 1 000 francs CFA pour avoir le droit de faire enregistrer ma déclaration. J'ai fourni les noms des personnes qui m'avaient violée, mais la police ne les a pas inquiétées. Les policiers se sont contentés de me donner un bout de papier à présenter à quiconque ferait mine de m'agresser. Sur ce bout de papier, il était écrit que personne ne devait m'agresser de nouveau.

Durant le procès de mai 1998, le juge présidant le tribunal s'est employé à prévenir toute allusion à la question de la torture, bien que les accusés et leurs défenseurs aient dénoncé son usage systématique dans le but d'obtenir des aveux. Cinq personnes seulement (un civil et quatre soldats), accusées d'être responsables de la mort en détention de l'un des détenus - Idelfonso Borupu -, ont été jugées par un tribunal militaire en juin 1998. Le civil a été acquitté; trois des soldats se sont vu infliger une peine de six mois d'emprisonnement; quant au quatrième, qui avait tenté d'avoir des relations sexuelles avec la femme de la victime, il a été condamné à huit mois d'emprisonnement et renvoyé de l'armée. Le tribunal a justifié la légèreté de ces peines par le fait que les soldats étaient en service commandé lorsque les faits se sont produits.

Les autres décès survenus en détention ainsi que les graves accusations de torture qui ont été portées n'ont jamais donné lieu à l'ouverture d'enquêtes, bien que les avocats en aient fait la demande et aient sollicité l'indemnisation des victimes. Les auteurs de ces violations n'ont jamais été déférés à la justice.

Tant que de telles atteintes aux droits fondamentaux demeureront impunies et que rien ne sera fait pour empêcher qu'elles ne se reproduisent, on ne peut espérer sérieusement voir la situation des droits humains s'améliorer en Guinée équatoriale.

E.  Recommandations

Amnesty International n'a cessé de faire part au gouvernement équato-guinéen de ses préoccupations concernant les violations des droits humains commises dans le pays. L'Organisation a, sans relâche, appelé les autorités à adopter et à mettre en œuvre des garanties visant à prévenir les arrestations arbitraires, les actes de torture, les mauvais traitements et les procès iniques. Ses recommandations s'inspiraient en grande partie des dispositions de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, ainsi que de celles figurant dans la Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) - deux instruments que le gouvernement a ratifiés en 1986 et en 1987. Pourtant, comme le montre le présent rapport, les droits fondamentaux continuent d'être bafoués en toute impunité.

Recommandations adressées au gouvernement équato-guinéen

Les autorités devraient immédiatement:

·        libérer sans condition toutes les personnes arrêtées en raison de leurs activités politiques pacifiques ou de leur origine ethnique;

·        mettre un terme à la détention au secret des 11 personnes dont la condamnation à mort a été commuée mais qui continuent d'être détenues dans des conditions épouvantables;

·        améliorer immédiatement, et de façon substantielle, les conditions de détention des prisonniers. Tous les détenus doivent être traités conformément aux dispositions de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, notamment à celles relatives aux soins médicaux appropriés et au transfert, le cas échéant, vers des institutions spécialisés;

·        accorder aux prisonniers la possibilité de prendre contact avec une organisation humanitaire internationale comme le Comité international de la Croix-Rouge;

Les autorités équato-guinéennes devraient également:

·        introduire dans leur législation les normes les plus élémentaires en matière de défense des droits humains, et mettre ces normes en pratique;

·        enjoindre clairement à tous les membres des forces de sécurité de respecter le Code de conduite pour les responsables de l'application des lois et veiller à ce qu'ils reçoivent une formation approfondie afin de connaître ce code, dont l'importance est essentielle, ainsi que les autres normes internationales relatives aux droits humains et applicables en ce domaine;

·        enquêter sur tous les cas de morts en détention, de tortures et d'exécutions extrajudiciaires qui leur sont signalés. Ces enquêtes devront être conduites rapidement, en toute impartialité et de manière efficace par un organe indépendant par rapport aux responsables présumés, conformément aux Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions;

·        poursuivre en justice les personnes dont la responsabilité aura été établie à l'issue d'enquêtes impartiales, et indemniser les victimes de violations dont les auteurs ont agi au nom du gouvernement équato-guinéen;

·        ratifier la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Recommandations adressées aux Nations unies

Le Haut Commissariat aux droits de l'homme devrait tenir compte des recommandations formulées par le rapporteur spécial des Nations unies sur la Guinée équatoriale, ainsi que des recommandations précitées. Il devrait travailler en collaboration avec le gouvernement afin de déterminer quels sont les domaines où une éventuelle assistance technique pourrait permettre d'améliorer la situation des droits humains dans le pays.

Les programmes et séminaires du Centre de l'ONU pour les droits de l'homme devraient se donner pour objectif la mise en conformité du droit et des pratiques en vigueur en Guinée équatoriale avec les normes internationales et régionales relatives aux droits fondamentaux.

Recommandations adressées aux autres gouvernements

Les gouvernements fournissant aide ou assistance à la Guinée équatoriale doivent garder à l'esprit les recommandations précédentes et faire pression sur le gouvernement équato-guinéen pour qu'il les applique.

Plan du commissariat de Malabo réalisé par un détenu.
La croix désigne l'endroit où se déroulaient les tortures.

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Equatorial Guinea: A Country Subjected to Terror and Harassment. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - janvier 1999.

Vous pouvez également consulter le site ÉFAI sur internet: http://efai.i-france.com

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[1]    Aux termes d'un accord bilatéral signé en 1979, quelque 800 soldats marocains avaient été envoyés en Guinée équatoriale. La plupart ont été rappelés en août 1993. Une trentaine de ces soldats sont restés pour remplir les fonctions de gardes du corps personnels du président Obiang Nguema. Aucune information récente n'indique qu'ils auraient participé à des violations des droits humains.

[2]    Résolution sur le droit à bénéficier d'une procédure de recours et d'un procès équitable, adoptée lors de la Huitième réunion de la Commission africaine, qui s'est tenue du 2 au 9 mars 1992 à Tunis (Tunisie), référence ACHPR/COMM/FIN (XI) Rev.1.

[3]    Projet de droits constitutionnels c. Nigéria, 87/93, Huitième rapport annuel d'activité de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, ACHPR/RPT/8th/Rev.1.

[4]    Cf. le document d'Amnesty International publié en juillet 1997 et intitulé Guinée équatoriale. Une volonté déclarée de mettre fin à l'impunité (index AI: AFR 24/01/97).

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