Last Updated: Tuesday, 06 June 2023, 11:08 GMT

Les droits humains mis en péril

Publisher Amnesty International
Publication Date 13 July 1998
Citation / Document Symbol AFR/30/04/98
Cite as Amnesty International, Les droits humains mis en péril, 13 July 1998, AFR/30/04/98, available at: https://www.refworld.org/docid/3ae6a990c.html [accessed 7 June 2023]
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D'après les estimations, le violent conflit qui a éclaté le 7 juin 1998 en Guinée-Bissau, en Afrique de l'Ouest, a déplacé 300000 personnes à l'intérieur de ce pays et contraint quelque 13000 autres à se réfugier à l'étranger, sur une population d'un million d'habitants. Les deux camps en présence, une faction des forces armées ralliée à leur ancien chef d'état-major, le général de brigade Asumane Mané, d'une part, et les troupes demeurées fidèles au gouvernement, appuyées par des combattants sénégalais qui soutiennent les autorités de Guinée-Bissau, d'autre part, ont commis des atteintes aux droits humains et violé le droit international humanitaire. La protection de la vie et de l'intégrité physique des non-combattants est en effet un principe essentiel du droit international humanitaire. Amnesty International exhorte toutes les parties au conflit, à savoir les gouvernements de la Guinée-Bissau et du Sénégal comme la junte militaire rebelle, à mettre un terme aux actes de torture et aux homicides arbitraires et délibérés auxquels elles se livrent actuellement. L'Organisation invite en outre les représentants de la communauté internationale qui tentent de mettre fin aux combats à souligner la nécessité de respecter les droits humains.

Les affrontements ont débuté après que le président João Bernardo "Nino" Vieira eut démis de ses fonctions de chef d'état-major des armées le général de brigade Asumane Mané, le 6 juin 1998. Ce dernier avait déjà été suspendu en janvier 1998, car le gouvernement le soupçonnait d'être impliqué dans un trafic d'armes destinées à des groupes séparatistes armés opérant dans la région de Casamance, au Sénégal. Parallèlement, en décembre 1997 et janvier 1998, le gouvernement a également procédé à l'arrestation de plus de 20 personnes, dont des soldats et des civils de la Guinée-Bissau ainsi que des civils sénégalais, qu'il soupçonnait d'avoir pris part à ces activités de contrebande. Ces mesures ont exacerbé les tensions au sein de l'armée, où régnait déjà un mécontentement généralisé lié à la faiblesse des soldes et au caractère déplorable des conditions de service. Nombre de militaires se sont donc ralliés au général de brigade Asumane Mané après sa révocation et ont organisé une rébellion armée.

Aux termes d'un accord de sécurité qu'avaient signé, en octobre 1997, les gouvernements de la Guinée-Bissau, du Sénégal, de la République de Guinée et de la Gambie, des troupes du Sénégal et de la République de Guinée prêtent main forte aux autorités de la Guinée-Bissau en vue de réprimer la rébellion armée. Bien que l'on ignore combien de morts ont fait les affrontements, il est clair que le conflit a déjà des effets dévastateurs. Les personnes déplacées par les combats souffrent gravement du manque de nourriture et de médicaments, et à moins que la paix ne soit rapidement rétablie, il sera trop tard pour planter la prochaine récolte de riz. On craint que des épidémies, notamment de choléra, ne se déclarent. Les bombardements ayant eu lieu à Bissau, la capitale, ont réduit de nombreux bâtiments à l'état de ruines.

Des atteintes aux droits fondamentaux perpétrées par tous les belligérants

Peu après le début des combats, les communications avec la Guinée-Bissau ont été interrompues et il est devenu extrêmement difficile de surveiller la situation des droits humains. Toutefois, Amnesty International a reçu plus récemment des informations laissant à penser que le pays est le théâtre d'atteintes généralisées aux droits de la personne humaine, notamment d'actes de torture et d'homicides arbitraires et délibérés imputables aux forces soutenant le gouvernement, y compris aux troupes sénégalaises, ainsi que de passages à tabac de prisonniers détenus par les soldats rebelles. Selon ces informations, des menaces de mort ont été adressées à des détracteurs ou à des opposants présumés du pouvoir en place. Il semble que les rebelles détiennent plus de 200 civils et qu'ils les battent sauvagement. Des réfugiés ont déclaré à Amnesty International qu'ils avaient vu les corps de personnes tuées de manière délibérée par des assaillants inconnus, ou qu'ils en avaient entendu parler. Certaines ont apparemment été tuées pour s'être livré au pillage, d'autres étaient peut-être soupçonnées de soutenir le camp opposé et il est également possible que des personnes aient été victimes de vengeances personnelles.

Plusieurs individus se seraient réfugiés dans la clandestinité, craignant d'être arrêtés par les forces gouvernementales. Parmi eux figurent des membres d'une commission d'enquête parlementaire, chargée de faire la lumière sur les allégations faisant état de trafic d'armes destinées aux rebelles séparatistes de Casamance, région sénégalaise située au nord de la Guinée-Bissau. Les investigations auraient permis d'établir que des hauts responsables gouvernementaux étaient impliqués dans cette affaire. Il est également à craindre que la sécurité d'autres personnes ayant critiqué les autorités ne soit menacée, notamment de journalistes et de militants des droits humains.

Les forces gouvernementales ont arrêté des civils; certains d'entre eux ont été relâchés peu après leur interpellation, tandis que d'autres ont été maintenus en détention. La plupart des personnes appréhendées auraient été torturées. Au nombre des civils incarcérés par les autorités figure Ezequiel Ferreira, ingénieur en communications, interpellé le 15 juin 1998 parce qu'il était soupçonné d'avoir fourni des renseignements aux rebelles. Il aurait été conduit dans la forteresse militaire Amura, dans le centre de Bissau. On ne dispose d'aucune autre information le concernant. Asumane Fati, membre du parti d'opposition União para a Mudança (UM, Union pour le changement), a été, quant à lui, arrêté le 4 juillet 1998 et accusé d'avoir critiqué le président João Bernardo "Nino" Vieira. Il avait quitté son domicile pour chercher de la nourriture lorsqu'un soldat l'a appréhendé puis emmené dans une cellule au siège de la police. Là, il a été frappé sur tout le corps à l'aide d'une ceinture d'uniforme militaire avant d'être remis en liberté; un des coups lui a lacéré l'oreille droite. Peu après l'éclatement du conflit, Asumane Fati avait organisé une pétition en faveur d'un règlement pacifique de la crise et il pense avoir été interpellé en raison de cette initiative. Edmundo Antero Luis Alsama "Yala", ingénieur des travaux publics, a été arrêté le 6 juillet 1998 par la police municipale de Bissau et emmené au siège de la police, où il a été incarcéré. Il semble qu'il ait été torturé. Son interpellation a eu lieu après que des soldats rebelles eurent pris contact avec son père, Duke Djassy, officier supérieur en retraite, pour lui demander de rejoindre leurs rangs; celui-ci aurait refusé, déclarant qu'il était trop vieux pour combattre. Edmundo Antero Luis Alsama "Yala" est toujours détenu au siège de la police. Amnesty International est préoccupée par la sécurité de ceux qui ont été appréhendés, notamment des personnes arrêtées en décembre 1997 et au début de l'année 1998 parce qu'elles étaient soupçonnées d'avoir fait de la contrebande d'armes destinées aux rebelles de Casamance. Par le passé, des individus incarcérés dans le cadre d'affaires politiquement sensibles ont déjà été torturés. Tout récemment, des sévices ont été infligés pendant les interrogatoires à des personnes appréhendées fin 1997 et début 1998 parce qu'on les soupçonnait d'avoir fourni clandestinement des armes aux rebelles de Casamance.

Les troupes sénégalaises qui soutiennent le gouvernement de la Guinée-Bissau ont également commis des atteintes aux droits humains. Selon des réfugiés, les soldats sénégalais ont notamment violé des femmes, battu les civils qui refusaient de leur remettre de l'argent ou d'autres effets personnels, et placé en détention un certain nombre de personnes dans un bâtiment situé dans une partie de la ville connue sous le nom de Pequeno Moscovo (Petit Moscou), les frappant pour leur arracher des renseignements. Fin juin 1998, des soldats sénégalais se trouvant à Pequeno Moscovo ont, semble-t-il, interpellé un jeune homme, lui ont lié les jambes et les bras au moyen de cordes, l'ont passé à tabac puis l'ont couvert d'une substance qui lui a brûlé la peau. Après qu'il eut pris la fuite, des passants lui sont venus en aide et l'ont emmené à l'hôpital. Par le passé, Amnesty International a déjà rassemblé des éléments de preuve indiquant que les forces sénégalaises recouraient à cette forme de torture en Casamance. Le produit employé serait un mélange de plastique fondu et d'essence[1]

Dans le cadre d'une autre affaire, datant également de la fin du mois de juin 1998, un soldat sénégalais a ouvert le feu sur deux gardes non armés chargés d'assurer la sécurité à l'ambassade des États-Unis, tuant l'un et blessant l'autre. Les deux gardes sans défense étaient assis sur un morceau de bois devant le portail de l'ambassade lorsqu'un groupe de militaires sénégalais est passé devant le bâtiment. Selon certaines informations, un des soldats a soudainement pivoté sur ses talons et ouvert le feu sans sommation à l'aide d'une arme automatique. Les deux gardes chargés de la sécurité étaient tous les jours en faction devant l'ambassade depuis deux semaines.

Les rebelles semblent détenir plus de 200 civils étrangers; la plupart d'entre eux sont des Sénégalais, isolés d'une vingtaine d'autres prisonniers originaires du Libéria, du Nigéria et de la Sierra Leone. Des détenus auraient été ligotés et frappés à coups de canon d'arme à feu.

Des citoyens de la Guinée-Bissau ainsi que des représentants des gouvernements angolais et portugais s'efforcent de mettre fin aux hostilités entre le gouvernement et les rebelles. Le 4 juillet 1998, les membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), réunis en Côte d'Ivoire, ont diffusé une déclaration dans laquelle ils ont réaffirmé leur soutien au gouvernement élu de la Guinée-Bissau et approuvé à nouveau l'assistance que lui avaient déjà apportée les forces armées de la République de Guinée et du Sénégal.

Le droit international oblige les parties belligérantes à protéger la vie et l'intégrité corporelle des prisonniers ainsi que des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités. L'article3 commun aux quatre Conventions de Genève, adoptées en 1949, s'applique à toutes les parties à un conflit. Il prohibe notamment les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle des personnes, notamment le meurtre sous toutes ses formes, ainsi que les traitements cruels ou dégradants et la torture. Or, la Guinée-Bissau a adhéré aux Conventions de Genève en 1974. En outre, le droit international relatif aux droits de l'homme, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, interdit le recours à la torture et la privation arbitraire du droit à la vie en toutes circonstances. Il ne peut être dérogé aux dispositions interdisant le recours à la torture, et aucune situation, y compris un état d'urgence ou de guerre, ne saurait être invoquée pour justifier ce type de pratique.

Amnesty International appelle toutes les parties en présence à respecter les droits de la personne humaine. Elle exhorte la communauté internationale, en particulier tous ceux qui contribuent aux négociations de paix, à faire en sorte que les parties au conflit prennent conscience de la nécessité d'appliquer les dispositions de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève. Par ailleurs, elle leur demande instamment de veiller à ce que tout accord de paix mis en œuvre favorise le respect des droits de l'être humain, en prévoyant notamment des mécanismes de protection et de surveillance de ces droits.

La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Guinea-Bissau: Human rights under fire. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL–ÉFAI–juillet 1998.

Pour toute information complémentaire veuillez vous adresser à:

AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI/RAN
Index AI : AFR 30/04/98
ÉFAI 98 RN 98
DOCUMENT INTERNE
Londres, juillet 1998
(reçu le 13 juillet 1998)
Action à réaction rapide
de : ÉFAI/RAN
à : Coordinations WARAN, GUINÉE-BISSAU et SÉNÉGAL



[1] Voir Sénégal. La terreur en Casamance (index AI: AFR 49/01/98, mars 1998)

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