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La Justice se Fait Attendre: Torture, Exécutions Extrajudiciaires, Procédures Judiciaires Irrégulières

Publisher Amnesty International
Publication Date 1 September 1996
Citation / Document Symbol AMR/18/09/96
Cite as Amnesty International, La Justice se Fait Attendre: Torture, Exécutions Extrajudiciaires, Procédures Judiciaires Irrégulières, 1 September 1996, AMR/18/09/96, available at: https://www.refworld.org/docid/3ae6a9a81c.html [accessed 7 June 2023]
Comments La version originale en langue anglaise de ce document a été éditée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre : BOLIVIA : AWAITING JUSTICE : Torture, extrajudicial executions and legal proceedings. (Index AI : AMR 18/09/96. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat International par les ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - Service RAN - octobre 1996.
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Amnesty International juge préoccupant que les autorités boliviennes n'aient pas adopté les conclusions et les recommandations du rapport d'enquête de la Comisión de Derechos Humanos de la Cámara de Diputados (Commission des droits de l'homme de la Chambre des députés) sur les violations des droits de l'homme commises entre 1989 et 1993. L'Organisation regrette en outre que l'État se soit abstenu de traduire en justice les auteurs présumés de ces violations. Celles-ci comprennent des exécutions extrajudiciaires, des tortures et des mauvais traitements infligés à des prisonniers politiques. Amnesty International constate, par ailleurs, que, dans nombre de procès politiques, les droits de la défense ont été ignorés. C'est ainsi que des détentions au secret ont été illégalement prolongées, que beaucoup de prisonniers n'ont pas eu accès à un défenseur au début de leur détention, notamment au cours des interrogatoires, que des "aveux" supposés obtenus sous la torture ou les pressions, ont été retenus comme preuves à leur rencontre, et que leurs procès n'ont pas eu lieu dans un délai raisonnable.

Amnesty International a suivi un certain nombre d'affaires concernant des prisonniers politiques appréhendés entre 1989 et 1993 parce qu'on les soupçonnait d'appartenir à des groupes d'opposition armée. Les arrestations avaient été opérées à la suite d'une série d'actions violentes revendiquées par certaines de ces formations. Six de ces prisonniers politiques ont été libérés, dont un à titre provisoire en attendant son procès, tandis que deux autres étaient acquittés et que les trois derniers bénéficiaient d'une libération conditionnelle (libertad extra-muro) après avoir accompli la moitié de leur peine. Un prisonnier politique purge actuellement une condamnation à trente ans de prison. Vingt-six autres, qui ont été arrêtés entre 1990 et 1993, n'ont pas encore été jugés. Ils sont toujours détenus sous l'inculpation de quatorze délits, dont ceux de rébellion et de terrorisme.

Les procédures engagées à l'encontre de ces 26 détenus politiques n'ont pas été conformes aux normes internationales d'équité ; ils n'ont pas, par exemple, été assistés d'un défenseur pendant leurs interrogatoires, ce qui n'a pas empêché les tribunaux d'accepter comme des preuves à charge les déclarations qu'ils avaient alors faites.

Les personnes se trouvant actuellement en détention seraient des membres réels ou présumés de l'un des trois groupes armés qui se sont manifestés en Bolivie depuis 1989 : les Fuerzas Armadas de Liberacíon Zárate Willca (FAL-ZW, Les Forces armées de libération Zarate Willca), la Comisión Nestor Paz Zámora-Ejército de Liberación nacional (CNP-ELN, Commission Néstor Paz Zámora - Armée de libération nationale) et l'Ejército Guerrillero Tupak Katari (EGTK, Armée de guérilla Tupak Katari). Depuis 1989, ces trois organisations ont été accusées de se livrer à des actes de violence et ont revendiqué des actions armées.

Il entre dans la mission d'Amnesty International de dénoncer et de combattre les exactions imputables aux groupes d'opposition, comme les prises d'otages, les actes de tortures, les meurtres de prisonniers et les autres atteintes délibérées et arbitraires à la vie des personnes. Il faut toutefois rappeler que les normes internationales relatives aux droits de l'homme déclarent expressément qu'aucune circonstance exceptionnelle,notamment celle résultant des actes de violence et des attentats commis par ces mêmes groupes, ne peut être invoquée par l'État pour justifier la violation de certains droits fondamentaux comme le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture. Il est donc particulièrement important, aux yeux de l'Organisation, que les gouvernements observent rigoureusement les règles du droit international en matière de procédure pénale dans les procès de détenus politiques.

Les violations des droits de l'homme dont ont été victimes les détenus politiques ont été largement dénoncées par la presse bolivienne et ont fait l'objet d'un rapport de l'organisation non gouvernementale dite Asamblea Permanente de Derechos humanos de Bolivia. (Assemblée permanente des droits de l'homme de Bolivie) La Comisión andina de juristas (Commission andine de juristes), organisation non gouvernementale régionale, a fait état de plaintes en 1993, et plus récemment, en juillet 1995, la Comisión de Derechos Humanos de la Cámara de Diputados (Commission des droits de l'homme de la Chambre des députés) a rassemblé ces accusations dans son rapport intitulé Denuncia de torturas a ciudadanos sindicados de alzamiento armado (Dénonciation de tortures infligées à des citoyens accusés de soulèvement armé). Ce rapport doit encore recevoir l'approbation du parlement.

Amnesty International demande instamment à l'honorable Chambre des députés d'apporter un soutien sans réserve à ce rapport et à ses recommandations.

Introduction

Amnesty International juge préoccupant le fait que les autorités boliviennes n'aient pas adopté les conclusions et les recommandations du rapport d'enquête de la Comisión de Derechos Humanos de la Cámara de Diputados (Commission des droits de l'homme de la Chambre des députés) sur les violations des droits de l'homme commises entre 1989 et 1993. L'Organisation regrette en outre que l'État se soit abstenu de traduire en justice les auteurs présumés de ces violations. Celles-ci comprennent des exécutions extrajudiciaires, des tortures et des mauvais traitements infligés à des prisonniers politiques. Amnesty International constate par ailleurs, que, dans nombre de procès politiques, les droits de la défense ont été ignorés. C'est ainsi que des détentions au secret ont été illégalement prolongées, que beaucoup de prisonniers n'ont pas eu accès à un défenseur au début de leur détention, notamment lors des interrogatoires, que des "aveux" supposés obtenus sous la torture ou les pressions, ont été retenus comme preuves à leur encontre, et que leurs procès n'ont pas eu lieu dans un délai raisonnable.

Amnesty International a suivi un certain nombre d'affaires de prisonniers politiques appréhendés entre 1989 et 1993 parce qu'on les soupçonnait d'appartenir à des groupes d'opposition armée. Les arrestations avaient été opérées à la suite d'une série d'actions violentes revendiquées par certaines de ces formations. Six de ces prisonniers politiques ont été libérés, dont un à titre provisoire en attendant son procès, tandis que deux autres étaient acquittés et que les trois derniers bénéficiaient d'une libération conditionnelle (libertad extra-muro) après avoir accompli la moitié de leur peine. Un prisonnier politique purge actuellement une condamnation à trente ans de prison. Vingt-six autres, qui ont été arrêtés entre 1990 et 1993, n'ont pas encore été jugés. Ils sont toujours détenus sous l'inculpation de quatorze délits, dont ceux de rébellion et de terrorisme.

Les procédures engagées à l'encontre de ces 26 détenus politiques n'ont pas été conformes aux normes internationales d'équité ; ils n'ont pas, par exemple, été assistés d'un défenseur pendant leurs interrogatoires, ce qui n'a pas empêché les tribunaux d'accepter comme des preuves à charge les déclarations qu'ils avaient alors faites.

Les plaintes pour violations des droits de l'homme ont reçu un large écho dans la presse bolivienne et ont fait l'objet d'un rapport de l'organisation non gouvernementale dite Asamblea Permanente de Derechos humanos de Bolivia (Assemblée permanente des droits de l'homme de Bolivie). La Comisión andina de juristas (Commission andine de juristes), organisation non gouvernementale régionale, a signalé ces plaintes en 1993, et plus récemment, en juillet 1995, la Comisión de Derechos humanos de la Cámara de Diputados (Commission des droits de l'homme de la Chambre des députés) a rassemblé ces accusations dans son rapport intitulé Denuncia de torturas a ciudadanos sindicados de alzamiento armado (Dénonciation de tortures infligées à des citoyens accusés de soulèvement armé).

Les personnes se trouvant actuellement en détention sont des membres réels ou présumés de l'un des trois groupes armés qui se sont manifestés en Bolivie depuis 1989 : les Fuerzas Armadas de Liberación Zarate Willca (Fal-ZW, Forces armées de libération-Zarata Willca) et la Comisión Néstor Paz Zámora-Ejército de Liberación nacional (CNPZ-ELN, Commission Néstor Paz Zamora - Armée de libération nationale) et l'Ejército Guerrillero Tupac Katari (EGTK, Armée de guérilla Tupak Katari). Depuis 1989 ces trois organisations ont été accusées de s'être livrées à des actes de violence et ont revendiqué des actions armées.

Il entre dans la mission d'Amnesty International de dénoncer et de combattre les exactions imputables aux groupes d'opposition, comme les prises d'otages, les actes de tortures, les meurtres de prisonniers et les autres atteintes délibérées et arbitraires à la vie des personnes. Il faut toutefois rappeler que les normes internationales relatives aux droits de l'homme déclarent expressément qu'aucune circonstance exceptionnelle, notamment celle résultant des actes de violence et des attentats commis par ces mêmes groupes, ne peut être invoquée par l'État pour justifier la violation de certains droits fondamentaux comme le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture. Il est donc particulièrement important, aux yeux de l'Organisation, que les gouvernements observent rigoureusement les règles du droit international en matière de procédure pénale dans les procès de détenus politiques.

Situation générale

Amnesty International a cherché à obtenir des informations complémentaires sur les allégations elles-mêmes, à déterminer quelles initiatives avaient été prises par les autorités pour mener des investigations à leur sujet et à obtenir communication des conclusions de toute enquête éventuelle. Des témoignages précis et détaillés ont été réunis par les délégations d'Amnesty International qui se sont rendues en Bolivie en septembre 1991 et en mai 1993. Ces témoignages, joints à des documents probants et à des comptes rendus d'entretiens avec des parents et des avocats de victimes d'exécutions extrajudiciaires et avec des détenus politiques, constituaient un ensemble d'éléments suffisamment graves pour justifier l'ouverture, par les autorités, d'une enquête indépendante et approfondie.

En plusieurs occasions entre 1989 et 1993, Amnesty International a exprimé au président alors en exercice, M. Jaime Paz Zamora et à des représentants de son gouvernement, ses préoccupations concernant des allégations de violations des droits de l'homme à l'encontre de prisonniers politiques, dont se seraient rendus coupables des membres des forces de sécurité. Il s'agissait notamment d'exécutions extrajudiciaires perpétrées au cours des quatre années de son mandat présidentiel. Depuis 1989, l'Organisation a insisté auprès des autorités pour qu'elles ouvrent des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales au sujet de toutes les accusations de torture et d'exécutions extrajudiciaires, qu'elles en rendent publics les résultats et traduisent les responsables en justice.

A maintes reprises les autorités boliviennes ont rejeté ces allégations. Elles ont aussi déclaré que la loi bolivienne ignorait la qualification de délit politique et qu'en conséquence les détenus étaient considérés comme des prisonniers de droit commun[1]

Le 6 août 1993 Gonzalo Sánchez de Lozada, du Movimiento Nacional Revolucionario (MNR, Mouvement national révolutionnaire), entamait son mandat présidentiel d'une durée de quatre ans. Il succédait à l'ancien président Jaime Paz Zamora, du Movimiento de la Izquierda Revolucionaria (MIR, Mouvement de la gauche révolutionnaire).

Aux termes des normes internationales les États ont l'obligation d'enquêter sur les accusations de violations des droits de l'homme et de déférer à la justice ceux qui se sont rendus coupables de tels actes, même si ceux-ci ont été commis sous un gouvernement précédent. Amnesty International s'est adressée à la nouvelle administration, renouvelant ses appels en faveur d'enquêtes indépendantes.[2]

La Bolivie a adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ainsi qu'à la Convention américaine relative aux droits de l'homme (CADH). Elle est donc tenue de respecter les dispositions de ces intruments internationaux qui garantissent, entre autres, le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et de n'être pas arrêté ou détenu arbitrairement. Ces textes reconnaissent à tout accusé ou prévenu le droit à un procès équitable et contiennent des dispositions visant à la sauvegarde de ce droit.

L'action du gouvernement contre les groupes d'opposition armés

Fuerzas Armadas de Liberación Zárate Willca (FAL-ZW, Forces armées de libération Zarate Willca).

Au cours de l'année 1989 un certain nombre d'actions violentes ont été perpétrées dans la capitale, La Paz, notamment l'homicide, attribué au FAL-ZW, de deux missionnaires mormons, citoyens des États-Unis. Cet acte a, du reste, été revendiqué par ce groupe.

a)       Détention et torture

Six personnes accusées d'appartenir au FAL-ZW ont été arrêtées entre 1989 et 1993. Amnesty International a reçu des témoignages de trois d'entre elles affirmant qu'elles avaient été torturées et maltraitées par des membres des forces de sécurité pendant leur détention au secret dans les locaux de la police et dans les cellules du ministère de l'Intérieur.[3] Ces six détenus ont été libérés à l'exception de Johnny Justino Peralta Espinoza qui devait être condamné à trente ans d'emprisonnement. Bien que les allégations de torture aient été portées à la connaissance des autorités aucune enquête judiciaire n'a été ouverte.

b)      Exécution extrajudiciaire

- Juan Domingo Peralta Espinoza a été grièvement blessé par balles, le 20 juillet 1990, au moment de son arrestation par les forces de sécurité. Il est décédé le jour même. Il était le frère de Johnny Justino Peralta Espinoza, qui était recherché par la police pour ses activités supposées au FAL-ZW.[4] Les informations signalent qu'il n'était pas armé au moment des faits et n'était pas recherché par les autorités.

Amnesty International a accueilli favorablement l'information donnée par le ministère de l'Intérieur des Migrations et de la Justice[5], dans un communiqué en date du 28 novembre 1991, selon laquelle une enquête avait été ouverte sur la mort de Juan Domingo Peralta Espinoza, dans le but d'établir si, avant d'utiliser leurs armes, les policiers impliqués dans cette affaire avaient épuisé les autres moyens dont ils disposaient pour procéder à son arrestation. L'Organisation a demandé à être informée de ses conclusions et de celles de toute autre enquête qui aurait pu être diligentée au sujet d'autres accusations affirmant que les policiers auraient empêché que des soins médicaux soient prodigués à Juan Domingo Peralta Espinoza à l'hôpital Jean XXIII.

À ce jour, Amnesty International n'a reçu aucune information concernant l'état d'avancement d'une quelconque enquête sur l'exécution extrajudiciaire présumée de Juan Domingo Peralta Espinoza. Selon les proches de la victime, celle-ci n'aurait jamais été entreprise. Quant à la Commission bolivienne des droits de l'homme, elle affirme dans son rapport que les autorités de la police ne savent rien à ce sujet et qu'aucun dossier le concernant n'a été remis à la justice. («El curso de la investigación sobre est muerte no es conocido por la autoridades policiales y tampoco ha sido remitido el caso a la justicia ordinaria »).

Comision Néstor Paz Zamora-Ejército de Liberación Nacional (CNPZ-ELN, Armée de libération Néstor Paz Zamora)

Au cours de la seconde moitié de 1990, les groupes d'opposition armés ont intensifié leur action. Ainsi le nouveau groupe CNPZ-ELN revendiquait en octobre un certain nombre d'attentats et s'attribuait en juin le rapt de l'industriel bolivien Jorge Lonsdale.

a)       Détention et torture

À la suite des opérations du CNPZ-ELN, des dizaines de personnes, principalement des étudiants, ont été arrêtées. Certaines ont été libérées sans inculpation. D'après les informations reçues par Amnesty International, la plupart de celles qui ont été arrêtées ont été soumises à diverses formes de torture et de mauvais traitements ainsi qu'à des simulacres d'exécutions. Ces sévices leur ont été infligés par des membres de la police et de l'armée au cours des premiers jours de leur détention au secret à La Paz, dans des locaux du Centro Especial de Investigaciones Policiales (CEIP, Service de renseignements de la police) ou au siège de la Segunda Sección del Ejército (Seconde section de l'armée). Six personnes accusées de terrorisme et d'autres délits demeurent en détention en attendant leur procès.

b)      Exécutions extrajudiciaires

·        Le 5 décembre 1990, une opération conjointe de l'armée et de la police a eu lieu à La Paz pour délivrer l'industriel bolivien Jorge Lonsdale, enlevé par le CNPZ-ELN. A cette occasion, trois membres supposés du CNPZ-ELN, Miguel Northtusfter, Luis Caballero et Osvaldo Espinoza, ont été tués, de même que Jorge Lonsdale. L'Organisation a fait part aux autorités boliviennes de ses préoccupations au sujet d'informations signalant qu'au moins deux des membres du CNPZ-ELN avaient été exécutés après s'être rendus. Le ministre de l'Intérieur a indiqué que les ravisseurs ayant refusé de négocier, il avait donné « carte blanche » pour la suite des opérations («carta blanca para las operaciones correspondientes »).

Dans une lettre adressée en décembre 1990 au président Jaime Paz Zamora, Amnesty International déclarait que, même s'il est incontestable que le rapt de Jorge Lonsdale est un crime grave, l'action d'un groupe d'opposition armé ne peut en aucune manière être utilisée par un gouvernement pour justifier des violations des droits fondamentaux et en particulier la pratique de la torture et des exécutions extrajudiciaires. Amnesty International a en outre rappelé au président que, dans le but d'empêcher que soient commises des violations des droits de l'homme, il est de la responsabilité du gouvernement, de veiller à ce que toutes les opérations des agents chargés de l'application des lois soient conduites conformément au Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l'application des lois. L'Organisation n'a reçu aucune information de la part des autorités faisant état de l'ouverture d'une enquête indépendante visant à apporter des éclaircissements sur les circonstances du meurtre des membres du CNPZ-ELN.

·        Le 10 décembre 1990 le ministre de l'Intérieur a déclaré qu'un corps découvert à la morgue de la ville avait été identifié comme étant celui d'un citoyen péruvien membre du CNPZ-ELN connu sous le nom de Alejandro Escobar Gutiérrez. Selon les employés de la morgue, le corps leur avait été remis entre le 6 et le 7 décembre par des policiers sans aucune explication. Le rapport d'autopsie a indiqué que la victime, plus tard identifiée comme étant Evaristo Salazar, avait succombé à des blessures par balles et que son corps portait des traces évidentes de torture.


Amnesty International a accueilli avec satisfaction les informations émanant du ministère de l'Intérieur indiquant qu'une enquête de police avait eu lieu et que les auteurs du meurtre d'Evaristo Salazar allaient être jugés. Le 18 janvier 1991, une procédure a été engagée à l'encontre de deux policiers. Le procès de ceux-ci, qui avaient bénéficié d'une mise en liberté provisoire, a commencé le 19 août 1991. Les inculpations retenues étaient celles d'homicide criminel et de contrainte. Amnesty International n'a reçu aucune information sur l'issue du procès qui, en mai 1993 a été ajourné en raison de « difficultés procédurales », selon les explications du président du tribunal. Amnesty International juge préoccupant le fait qu'aucune investigation n'ait apparemment été menée par les autorités concernant les tortures dont le corps d'Evaristo Salazar portait des traces évidentes.

Ejército Guerrillero Tupac Katari (EGTK, Armée de guérilla Tupac Katari)

Au début de 1992, des dizaines de personnes ont été arrêtées par la police dans le cadre d'une offensive lancée contre l'EGTK qui avait revendiqué plusieurs attentats à la bombe contre des cibles économiques dans divers endroits du pays, attentats qui avaient fait trois victimes civiles.

a)       Détention et torture

L'Assemblée permanente de défense des droits de l'homme de Bolivie a reçu des plaintes indiquant que les personnes arrêtées au cours de l'opération lancée contre l'EGTK avaient été détenues au secret jusqu'à dix-sept jours. Celles-ci émanaient de détenus et de leurs familles. Certaines auraient été gardées dans des locaux clandestins, d'autres au ministère de l'Intérieur et au CEIP. Au cours de cette détention les personnes arrêtées auraient été soumises à la torture et à des mauvais traitements et on les aurait menacées d'arrêter des membres de leurs familles.

Prisonniers politiques

À l'heure actuelle 26 prisonniers politiques dont quatre femmes, demeurent en prison dans l'attente d'être jugés. Une cinquième femme a été mise en liberté provisoire (voir annexe I). Trois autres femmes sont incarcérées à la prison de femmes nommée Centro de Orientacion Femenina de Obrajes, à La Paz. Une quatrième se trouve à la prison de femmes de San Sebastian, dans la ville de Cochabamba. Les prisonniers masculins sont détenus à la prison de haute sécurité de Chonchocoro, située à 23 kilomètres de La Paz, à la prison de San Pedro à La Paz, et à la prison pour hommes de San Sebastian à Cochabamba. Tous ont été arrêtés entre 1990 et 1993 et inculpés de plusieurs délits, dont ceux de rébellion armée et de terrorisme.

Tous ont affirmé qu'ils avaient été contraints, sous les pressions et la torture, de s'accuser eux-mêmes en signant des "aveux". et ils n'ont été autorisé à entrer en relation avec un avocat qu'après avoir passé plusieurs jours en détention au secret. Ces pratiques violent plusieurs articles de la Constitution bolivienne (l'article 9.II limite à vingt-quatre heures la durée de la détention au secret ; l'article 12 interdit la torture ; l'article 14 dispose que nul ne peut être contraint de témoigner contre soi-même et l'article 16.III prévoit l'assistance d'un défenseur à partir du moment de l'arrestation) elles violent aussi les normes internationales, en particulier l'Ensemble de principes des Nations unies pour la protection des personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement.

Témoignages de torture

Article 9 de la Constitution bolivienne :

« La détention au secret ne pourra être utilisée que dans les cas de particulière gravité et en aucune circonstance pour plus de vingt-quatre heures ». (« La incomunicación no podrá imponerse, sino en casos de notoria gravedad y de ningún modo por más de veinticuatro horas »)

Article 12 de la Constitution bolivienne :

« Sont interdites toutes formes de tortures, de contraintes et d'exactions et toutes formes de violences physiques ou morales, sous peine de destitution immédiate et sans préjudice des sanctions applicables à tous ceux qui les auront perpétrées, ordonnées, provoquées ou y auront consenti ».

(Article 12 - Garanties de protection de la personne - Constitution bolivienne)

(«Queda prohibida toda especie de torturas, coacciones, exacciones o cualquier forma de violencia física o moral, bajo pena de destitución immediata y sin perjuicio de las sanciones a que se haran pasibles quienes las aplicaren, ordenaren, instigaren o consintieren

Artículo 12 - Garantías de la Persona - Constitución Política del Estado »)

Article 7 du PIDCP :

« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Article 5.2 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toute personne privée de liberté sera traitée avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine ».

Malgré les dispositions de la Constitution bolivienne et de la législation internationale, les informations et les témoignages reçus par Amnesty International révèlent que les détenus politiques accusés d'appartenir aux groupes d'opposition armée ont été gardés au secret pendant plus de deux semaines, au cours desquelles ils ont reçu des coups de pied, de poing, ont été soumis à des passages à tabac prolongés et à des menaces par des militaires et des policiers. Certains détenus ont déclaré avoir été soumis à des décharges électriques, à la torture du "sous-marin" (immersion répétée dans l'eau) et à des simulacres d'exécution.

On trouvera ci-après des extraits de plusieurs témoignages de victimes de torture reçus par Amnesty International[6]

Sylvia María Renée de Alarcón et son mari José Raúl Garciá Linera ont été arrêtés par des agents de la sécurité à La Paz en mars 1992. Ils étaient soupçonnés d'être membres de l'EGTK. Pendant dix-sept jours ils ont été gardés au secret dans des locaux de la police. Selon leur témoignage ils ont été enfermés dans des pièces séparées et contraints de rester pendant plusieurs heures dans une posture pénible connue sous le nom de « chancho » (le cochon) et consistant à se tenir plié en deux face à un mur, la tête touchant le sol et les mains liées sur le dos. Dans cette position ils étaient frappés sur les hanches et les fesses. On menaçait chacun d'eux de torturer son partenaire. On menaçait José Raúl García Linera de violer sa femme et de le violer lui-même. Tous deux ont affirmé que le procureur (fiscal) assistait aux interrogatoires et était présent lorsqu'on les torturait.

·        Un autre couple, María Raquel Gutiérrez Aguilar, 29 ans, citoyenne mexicaine, et son mari, Alvaro García Linera, a été arrêté en avril 1992 à La Paz pour leur participation supposée aux activités de l'EGTK. Dans son témoignage María Raquel Gutiérrez Aguilar a déclaré qu'après son arrestation elle a été conduite au ministère de l'Intérieur où elle a été gardée quatre jours menottée et la tête couverte d'un capuchon. A plusieurs reprises, elle a été contrainte de rester pendant plusieurs heures dans la posture du "cochon" tandis qu'on la fouettait ou qu'on la torturait à l'électricité sur les parties génitales, le cou et les oreilles. Les autorités l'ont menacée de torturer son mari. Alors qu'elle était toujours détenue au secret, la veille du jour où elle a été présentée à un juge, María Raquel Gutiérrez Aguilar a tenté de se suicider. De son côté Alvaro García Linera a déclaré qu'il avait été détenu lui aussi au ministère de l'Intérieur avec menottes et capuchon, qu'on l'avait roué de coups, qu'on lui avait administré des décharges électriques sur les membres et les parties génitales pendant des séances de plusieurs heures et qu'on lui avait introduit des clous sous les ongles des mains et des pieds.

·        Juan Carlos Octavio Pinto Quintanilla a, dans un témoignage parvenu à Amnesty International, donné des détails sur les huit premiers jours de sa détention non reconnue par les autorités. Il a été arrêté par des membres armés des forces de sécurité en avril 1992 à Cochabamba. Conduit dans un centre secret de détention (casa de seguridad) il a eu la tête encapuchonnée, a été déshabillé, a eu les pieds et les mains attachés et a été suspendu au plafond par les pieds. On lui a administré des coups de baguette métallique sur la plante des pieds. Ce traitement était appliqué par séquences d'une demi-heure, après lesquelles il était remis sur pied et obligé de courir pour réactiver la circulation sanguine afin, probablement, d'éviter les traces des coups. Juan Carlos Octavio a aussi été soumis à une forme de torture nommée la campana (la cloche) consistant à placer la tête de la victime dans un récipient métallique, par exemple un chaudron, sur lequel des coups répétés sont frappés de façon à causer un bruit assourdissant. Cette forme de torture qui cause une grande souffrance, ne laisse pas de marques visibles. Il a également été attaché à une chaise et on lui a mis la tête dans un sac en plastique, lui infligeant une semi-asphyxie. Il a été frappé à coups de poing par ses agresseurs dont les mains étaient enveloppées dans un chiffon. On a proféré des menaces contre sa famille. Pendant environ trois jours il a été privé de sommeil.

Neuf jours après son arrestation et son transfert à La Paz, le procureur (fiscal) a présenté Juan Carlos Octavio Pinto Quintanilla à des journalistes. À cette occasion ce dernier a fait état publiquement des tortures qui lui ont été infligées pendant la période initiale de sa détention.

·        ·María Mercedes Nava Morales, étudiante, a été arrêtée au domicile de sa famille en novembre 1990 par des agents du ministère de l'Intérieur dans le cadre de l'action lancée contre le groupe armé CNPZ-ELN. Pendant les quinze premiers jours de sa détention au CEIP, elle aurait été gardée au secret et n'aurait pas reçu les soins médicaux requis par son état et demandés par sa famille ; elle avait en effet été victime d'un accident de la circulation peu de jours avant son arrestation. D'après les informations fournies à Amnesty International par ses proches, ceux-ci n'ont pas été autorisés à entrer en contact avec elle tant qu'elle n'a pas été disposée à dire qu'elle avait des liens avec le CNPZ-ELN. Ses parents ont aussi déclaré qu'un membre de la police avait menacé d'arrêter toute la famille et de torturer le père de María Mercedes en sa présence. La détention au secret de María Mercedes Nava Morales a duré près d'un mois.

Les procédures utilisées

Amnesty International juge très préoccupant que les procédures pénales utilisées à l'encontre des prisonniers politiques accusés de faits liés aux activités des groupes d'opposition armés, ne respectent pas la légalité bolivienne et les normes internationales en matière d'équité. Amnesty International dénonce en particulier la pratique qui consiste à maintenir illégalement des gens en détention au secret pendant des durées prolongées, à les priver de l'aide d'un avocat pendant la période initiale de leur détention, à les soumettre à la torture et à des mauvais traitements, à les obliger à faire des "aveux" au moyen de la torture et d'autres moyens de contrainte, en l'absence d'assistance juridique. Enfin Amnesty International constate que ces personnes ne sont pas jugées dans un délai raisonnable.

Amnesty International déplore que des "aveux" extorqués sous la torture et la contrainte puissent être retenus comme preuves contre l'accusé, en violation des normes internationales, notamment de l'article 12 de la Déclaration des Nations unies pour la protection des personnes contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, règles qui exigent le rejet de tels "aveux".

Pendant la mission qu'ils ont accomplie en Bolivie en avril 1996, les délégués d'Amnesty International ont rencontré le président et des membres de la Commission des droits de l'homme de la Chambre des députés, auteurs du rapport de la Commission, lequel fait largement mention des plaintes relatives aux tortures et aux atteintes aux droits de la défense.

Ils ont aussi interrogé les parents et les avocats d'un certain nombre de prisonniers politiques. Ils ont été officiellement autorisés à s'entretenir sans témoins avec un certain nombre de détenus politiques des prisons de San Pedro et d'Obrajes. Tous leurs interlocuteurs se sont plaints du fait que les autorités s'étaient abstenues d'enquêter sur les allégations de torture et de mauvais traitements infligés aux suspects pendant la période initiale de leur détention. Les avocats et les proches des détenus ont exprimé leur inquiétude de constater que le droit de ces derniers à être jugés sans retards anormaux par des tribunaux indépendants et impartiaux, était méconnu. Ils ont aussi déploré que les plaintes des détenus concernant la pratique de la torture pendant la garde à vue aient souvent été ignorées par les magistrats qui, selon eux, refusaient de les prendre en considération.

Les poursuites engagées contre les détenus politiques paraissent être en grande partie fondées sur les déclarations obtenues au cours de l'enquête initiale effectuée par la police. Les allégations de torture et de contraintes ne font pas l'objet d'enquêtes judiciaires. Aux termes de l'article 14.2 du PIDCP et de l'article 8.2 de la Convention américaine des droits de l'homme, toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit légalement établie. Par ailleurs en vertu des normes édictées par les instruments internationaux un accusé ne peut être contraint de se déclarer coupable ou de témoigner contre lui-même [PIDCP, article 14.3(3) et CADH, article 8.2(g)]. Les articles 14 et 16.1 de la Constitution bolivienne énoncent également ces principes.

Non seulement les normes internationales interdisent la torture et les mauvais traitements mais en outre elles font obligation aux États de « veiller à ce que toute déclaration dont il est établi qu'elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n'est contre la personne accusée de torture pour établir qu'une déclaration a été faite ». (article 15 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants).

L'article 16.III de la Constitution bolivienne dispose clairement que « tout détenu a droit à l'assistance d'un défenseur dès le moment de son arrestation » (Desde el momento de su detención o apresamiento, los detenidos tienen derecho a ser asistidos por un defensor). D'après ce qu'indique le rapport de la Commission bolivienne des droits de l'homme, le juge chargé de superviser la phase initiale de la procédure suivie par la police judiciaire a refusé d'accorder ce droit aux prévenus. Or la loi prévoit que le non respect de cette règle entraîne la nullité de la procédure. (article 297.1 du code de procédure pénale) (« constituyen causales de nulidad ... la falta de designación de defensor oficial para el imputado, y la inconcurrencia de aquel al acto de la confesion »).

Après trois à six ans de détention, seule l'enquête initiale a été accomplie dans le cas de ces prisonniers politiques. Le fait que le temps mis pour compléter cette phase a largement dépassé les 20 jours prévus par la loi (article 171 du Code de procédure pénale) constitue pour Amnesty International une violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable, comme le prévoit le PIDCP et la CADH.

Le rapport de la Commission des droits de l'homme de la Chambre des députés

En juillet 1995 la Commission des droits de l'homme de la Chambre des députés a présenté à cette Chambre son rapport sur les violations des droits de l'homme imputées aux forces de sécurité boliviennes entre juin 1989 et avril 1993 et qui auraient été commises au cours des opérations visant à mettre un terme aux activités de groupes d'opposition armés récemment constitués.

Le rapport intitulé Denuncia de Torturas a Ciudadanos Sindicados de Alzamiento Armado (Dénonciacions de tortures infligées à des citoyens accusés de soulèvement armé) dresse un état des plaintes pour tortures et mauvais traitements formulées par 35 détenus politiques dont la plupart se trouvent toujours incarcérés. Il contient en outre des informations concernant l'exécution extrajudiciaire présumée de cinq personnes et, se référant à la législation bolivienne et aux instruments internationaux, il met en doute l'équité des procédures engagées contre les prisonniers. Les éléments collectés et analysés par la Commission dans son rapport proviennent en particulier de témoignages des victimes et de leurs familles, de magistrats et d'autres autorités, ainsi que de documents de médecine légale. Des informations émanant d'organisations boliviennes de défense des droits de l'homme et d'Amnesty International sont par ailleurs cités par la Commission.

La Commission a été mandatée par la Chambre des députés pour entreprendre cette enquête. Son rapport attend maintenant l'approbation de la Chambre. Amnesty International se réjouit de la position ferme adoptée par la Commission à l'égard de la torture et de l'impunité et pense que l'assemblée appuiera les recommandations contenues dans le rapport, renforçant ainsi l'autorité des institutions officielles chargées des enquêtes sur les violations des droits de l'homme et des poursuites contre les responsables.

Conclusion

Amnesty International reste préoccupée de constater que la justice n'a pas ouvert d'enquête au sujet des détentions au secret prolongées au delà des délais légaux et des allégations de torture et d'exécutions extrajudiciaires dont il a été question plus haut. L'Organisation dénonce la pratique qui prive les prisonniers politiques de l'assistance d'un conseil pendant la phase initiale de la détention, le recours à la torture et la méconnaissance de la règle qui veut que tout accusé soit jugé dans un délai raisonnable. Ces préoccupations ont été exposées aux autorités en diverses occasions, en particulier en janvier 1996 au cours d'un entretien à Londres avec le vice-président de la République, Victor Hugo Cárdenas, et en avril 1996, à l'occasion d'une rencontre à La Paz avec des ministres du gouvernement bolivien. Aucune réponse officielle n'a été donnée à Amnesty International.

Les faits rapportés dans le présent document révèlent un ensemble de violations des droits de l'homme commises par les forces de sécurité à l'encontre de détenus soupçonnés d'appartenance à des groupes armés. Aux termes de l'article 9.II de la Constitution bolivienne, nul ne peut être détenu au secret plus de vingt-quatre heures. Or, dans tous les cas cités plus haut, cette disposition constitutionnelle n'a pas été observée. Amnesty International reste en outre préoccupée de ce que les accusations formulées par les détenus selon lesquelles ils ont été victimes de torture pendant leur garde à vue n'ont fait l'objet d'aucune enquête.

La torture des détenus pendant leur garde à vue est une pratique inacceptable qui ne doit pas être tolérée. Elle est contraire aux engagements de l'État bolivien qui est partie au PIDCP. D'autres instruments internationaux tels que la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que le gouvernement bolivien a signés mais non ratifiés, font obligation aux gouvernements de prendre des mesures efficaces pour prévenir la pratique de la torture sur tous les territoires qui se trouvent sous leur juridiction. En qualité de signataire de la Convention contre la torture le gouvernement bolivien est tenu, en vertu du droit international, de ne rien faire qui soit de nature à aller à l'encontre de l'objet du traité.

Amnesty International considère comme extrêmement inquiétant le fait que les agents gouvernementaux responsables de l'application des lois ne respectent pas la constitution bolivienne et les normes internationales qui interdisent la torture et instituent des garanties dont l'application permettrait de prévenir de telles violations des droits de l'homme.

De même, il est grave que les procédures pénales engagées contre les détenus politiques soient basées essentiellement sur des déclarations obtenues sous la torture en violation de la loi bolivienne et des normes internationales.

Enfin Amnesty International déplore que les procureurs s'abstiennent de faire respecter la constitution bolivienne et les normes internationales en refusant l'assistance d'un défenseur aux détenus pendant les interrogatoires.

Pour Amnesty International les violations des droits de l'homme doivent faire l'objet d'enquêtes rapides, approfondies, indépendantes et impartiales. De telles enquêtes doivent être diligentées même après le remplacement, par un autre gouvernement, de celui sous lequel les violations ont eu lieu. S'abstenir d'identifier et de déférer à la justice les auteurs de violations peut encourager certains à considérer la pratique des exécutions extrajudiciaires, de la torture et des mauvais traitements comme une méthode acceptable pour traiter dans l'avenir les questions de sécurité nationale.

Selon les normes internationales en matière de droits de l'homme, les États ont l'obligation de veiller à ce que les enquêtes sur les affaires de torture et d'exécution extrajudiciaire soient conduites rigoureusement jusqu'à leur terme, que leurs résultats soient rendus publics et que les responsables soient déférés à la justice. Mettre fin à l'impunité en matière d'atteintes aux droits de l'homme est l'une des mesures préventives les plus importantes pour lutter contre de tels actes.

Recommandations d'Amnesty International

Amnesty international pense que pour prévenir d'autres violations des droits de l'homme et se conformer à son obligation de protéger ces droits, le gouvernement bolivien doit prendre un certain nombre de mesures pratiques et concrètes dont les suivantes :

1)         affirmer dans un message clair transmis à tous les maillons de la chaîne de commandement de la police et des forces armées, que les meurtres illégaux et toutes les formes de torture physique ou psychologique et de mauvais traitements sont interdits et seront punis dans le strict respect de la loi ;

2)         veiller à ce que toutes les allégations de torture et de meurtres illégaux commis par des agents de l'État ou avec leur consentement fassent rapidement l'objet d'enquêtes impartiales et approfondies et que les auteurs de ces crimes soient traduits en justice ;

3)         veiller à ce que les méthodes d'enquête et les résultats des investigations soient portés intégralement à la connaissance du public dans les plus brefs délais ;

4)         procéder à la ratification de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de la Convention inter-américaine pour la prévention et la répression de la torture ;

5)         fixer des délais clairement définis entre l'arrestation et le procès afin que tout individu arrêté soit promptement inculpé, et jugé dans un délai raisonnable.

Amnesty International demande instamment aux autorités boliviennes de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l'intégrité physique des détenus, de leurs familles et des personnes qui ont fourni les témoignages et formulé les plaintes mentionnés dans le présent rapport, et les protéger contre les menaces et les représailles.

Amnesty International demande enfin à l'honorable Chambre des députés d'apporter un soutien sans réserve au rapport et aux recommandations de sa Commission des droits de l'homme.

ANNEXE II

Constitution bolivienne

Article 9

I.          Nul ne peut être détenu, arrêté ou emprisonné si ce n'est dans les cas et selon les formes établis par la loi et en vertu d'un ordre de l'autorité compétente donné par écrit.

II.         La détention au secret ne sera possible que dans les cas très graves et ne pourra en aucune circonstance excéder une durée de vingt-quatre heures.

Article 12

Sont interdites toutes les formes de tortures, contraintes, exactions et toutes les formes de violence physique ou morale, sous peine de destitution immédiate et sans préjudice des sanctions applicables à tous ceux qui les auront perpétrées, ordonnées, provoquées ou y auront consenti.

Article 14

Nul ne pourra être jugé par des commissions spéciales ou déféré à d'autres juges que ceux qui siégeaient avant les faits de la cause. Nul ne pourra être contraint de témoigner contre lui-même en matière pénale ou contre ses parents consanguins jusqu'au quatrième degré inclusivement, et contre ses parents par alliance jusqu'au second degré selon la loi civile.

Article 16

I.          Tout accusé est présumé innocent tant que sa culpabilité n'a pas été prouvée.

II.         Le droit de se défendre est inaliénable

III.       Dès le moment de sa mise en détention ou en prison, la personne arrêtée a le droit d'être assistée par un défenseur.

Constitución Política del Estado

Articulo 9

I.          Nadie puede ser detenido, arrestado ni puesto en prisión, sino en los casos y según las formas establecidas por la ley, requiriéndose para la ejecución del respectivo mandamiento, que éste emane de autoridad competente y sea intimado por escrito.

II.         La incomunicación no podrá imponerse, sino en casos de notoria gravedad y de ningún modo por mas de veinticuatro horas.

Articulo 12

Queda prohibida todo especie de torturas, coacciones, exacciones o cualquier forma de violencia física o moral, bajo pena de destitución inmediata y sin prejuicio de sanciones a que se harán pasibles quienes las aplicaren, ordenaren, instigaren o consintieren.

Articulo 14

Nadie puede ser juzgado por comisiones especiales o sometido a otros jueces que los designados con anterioridad al hecho de la cause, ni se lo podrá obligar a declarar contra si mismo en matería penal, o contra sus parientes consanguineos hasta el cuarto grado inclusive, o sus afines hasta el segundo, de acuerdo al cómputo civil.

Article 16

I.          Se presume la inocencia del encausado mientras no se pruebe su culpabilidad.

II.         El derecho de defensa de la persona en juicio es inviolable.

III.       Desde el momento de su detención o apresamiento, los detenidos tienen derecho a ser asistidos por un defensor.

Code de Procédure pénale bolivien

Article 171

(Durée de l'instruction) L'instruction devra être close dans un délai maximum de 20 jours qui commencera à courir au moment ou l'accusé aura eu connaissance des poursuites engagées contre lui et aura reçu une copie de la plainte ou de l'inculpation. La notification sera effectuée aussitôt que l'accusé aura subi son premier interrogatoire.

Article 297   (Causes de nullité) Constituent des causes de nullité :

1.         le défaut de désignation d'un défenseur officiel à l'accusé et son absence au moment de la formulation des aveux.

Código de Procedimiento Penal Boliviano

Articulo 171 - (Término de la Instrucción)

El término dentro del cual deberá quedar concluida la instrucción sera de veinte dias, que correrán desde que se le hiciere saber al imputado el auto inicial de la instrucción, juntamente con una copia de la denuncia o la querella. Esta notificación se practicará tan pronto como el imputado hubiere prestado indagatoria.

Articulo 197 (Causales de nulidad) Constituyen causales de nulidad y consiguiente reposición :

I.          La falta de designación de defensor oficial para el imputado, y la inconcurrencia de aquél al acto de la confesión.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Article 7

Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Article 14

1.         Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans l'intérêt des bonnes mœurs, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l'intérêt de la vie privée des parties en cause l'exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l'estimera absolument nécessaire, lorsqu'en raison des circonstances particulières de l'affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l'intérêt de mineurs exige qu'il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants.

2.         Toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3.         Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes

a)         À être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle

b)         À disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix

c)         À être jugée sans retard excessif

d)         À être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix si elle n'a pas de défenseur, à être informée de son droit d'en avoir un, et, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, à se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer

e)         À interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge

f)          À se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience

g)         À ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable.

Convention américaine relative aux droits de l'homme

Article 5 - Droit à l'intégrité de la personne

1.         Toute personne a droit au respect de son intégrité physique, psychique et morale.

2.         Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toute personne privée de sa liberté sera traitée avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine.

Article 8 - Garanties judiciaires

1.         Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue avec les garanties voulues, dans un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi antérieurement par la loi, qui décidera du bien-fondé de toute accusation dirigée contre elle en matière pénale, ou déterminera ses droits et obligations en matière civile ainsi que dans les domaines du travail, de la fiscalité, ou dans tout autre domaine.

2.         Toute personne accusée d'un délit est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Pendant l'instance, elle a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes

a)         droit de l'accusé d'être assisté gratuitement d'un traducteur ou d'un interprète s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience ou au tribunal

b)         notification préalable et détaillée à l'accusé des charges portées contre lui

c)         octroi à l'accusé du temps et des moyens nécessaires pour préparer sa défense

d)         droit pour l'accusé de se défendre lui-même ou d'être assisté d'un défenseur de son choix et de communiquer avec celui-ci librement et sans témoin

e)         droit d'être assisté d'un défenseur procuré par l'État, rémunéré ou non selon la législation interne, si l'accusé ne se défend pas lui-même ou ne nomme pas un défenseur dans le délai prévu par la loi ce droit ne peut faire l'objet d'aucune renonciation

f)          droit pour la défense d'interroger les témoins comparaissant à l'audience et d'obtenir la comparution, comme témoins ou experts, d'autres personnes qui peuvent faire la lumière sur les faits de la cause

g)         droit pour l'accusé de n'être pas obligé à témoigner contre lui-même ou à se déclarer coupable

h)         droit d'interjeter appel du jugement devant un tribunal supérieur.

3.         L'aveu de l'accusé ne sera valable que s'il est fait sans coercition d'aucune sorte.

4.         L'accusé acquitté en vertu d'un jugement définitif ne peut être à nouveau poursuivi pour les mêmes faits.

5.         Le procès pénal est public, sauf lorsqu'il est nécessaire de sauvegarder les intérêts de la justice.

Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Article 12

Quand il est établi qu'une déclaration a été faite à la suite de tortures ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, cette déclaration ne peut être invoquée comme preuve au cours de poursuites, quelles qu'elles soient, ni contre la personne en cause, ni contre une autre personne.

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Article 15

Tout État partie veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu'elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n'est contre la personne accusée de torture pour établir qu'une déclaration a été faite.

ANNEXE III - PROGRAMME EN DOUZE POINTS D'AMNESTY INTERNATIONAL POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE

La torture est une violation fondamentale des droits de l'homme, condamnée par l'Assemblée générale des Nations unies comme un outrage à la dignité humaine et interdite par le droit interne et le droit international.

Pourtant, la torture persiste, quotidienne, dans le monde entier. Amnesty International sait par expérience qu'il ne suffit pas d'interdire la torture par voie de législation. Des mesures immédiates s'imposent pour combattre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et les éliminer radicalement, quel que soit le lieu où de tels actes se produisent.

Amnesty International lance un appel à tous les gouvernements pour qu'ils mettent en œuvre le programme en douze points ci-après pour la prévention de la torture. Elle invite les personnes et organisations intéressées à s'associer à cette entreprise. Amnesty International estime qu'un gouvernement qui applique les mesures énoncées dans ce programme donne une indication positive de son engagement à mettre fin à la torture dans son pays et à en promouvoir l'abolition universelle dans les faits.

1. Condamnation officielle de la torture

Dans chaque pays, les plus hautes autorités devraient manifester leur totale opposition à la torture. Elles devraient faire savoir à tous les responsables de l'application des lois que la torture ne sera tolérée en aucune circonstance.

2. Limites imposées à la détention au secret

La torture est souvent pratiquée pendant que les victimes sont gardées au secret et ne peuvent se mettre en rapport avec ceux qui, à l'extérieur, pourraient les aider ou apprendre dans quelle situation elles se trouvent. Les gouvernements devraient adopter des mesures garantissant que la détention au secret ne soit pas une occasion de torturer. Il est essentiel qu'après leur arrestation tous les prisonniers soient présentés sans retard à un magistrat et que leur famille, avocat ou médecin puissent les voir rapidement et régulièrement.

3. Pas de détention secrète

Dans certains pays, la torture est pratiquée dans des centres secrets, souvent après que l'on a fait "disparaître" les victimes. Les autorités doivent s'assurer que les prisonniers sont détenus dans des lieux publiquement connus, et que leurs parents et leurs avocats reçoivent des renseignements exacts sur l'endroit où ils se trouvent.

4. Mesures de protection pendant la détention et les interrogatoires

Les pouvoirs publics devraient contrôler régulièrement les dispositions concernant la détention et les interrogatoires. Tous les prisonniers devraient être informés sans délai de leurs droits, et notamment celui de porter plainte contre les traitements qu'ils subissent. Les lieux de détention devraient régulièrement faire l'objet de visites d'inspection par des organismes indépendants. La séparation entre les autorités dont relève la détention et celles chargées des interrogatoires constituerait une protection importante contre la torture.

5. Enquêtes indépendantes sur les allégations de torture

Les pouvoirs publics devraient s'assurer que toutes les plaintes et les informations faisant état de tortures font l'objet d'une enquête impartiale et efficace. Les méthodes employées pour ces enquêtes, ainsi que leurs conclusions, devraient être rendues publiques. Les plaignants et les témoins doivent être protégés contre toute menace.

6. Nullité des déclarations arrachées sous la torture

Les pouvoirs publics devraient veiller à ce que les aveux et autres moyens de preuve obtenus sous la torture ne puissent jamais être invoqués au cours d'un procès.

7. La torture proscrite par la loi

Les pouvoirs publics devraient prendre les mesures nécessaires pour que les actes de torture soient passibles de sanctions pénales. Conformément au droit international, l'interdiction de la torture ne doit être levée en aucun cas, y compris l'état de guerre ou autre état d'exception.

8. Poursuites contre les tortionnaires

Les personnes soupçonnées d'actes de torture doivent être traduites en justice. Ce principe doit s'appliquer quels que soient l'endroit où ces personnes se trouvent, le lieu où le crime a été commis, et la nationalité des auteurs ou des victimes. Il ne doit pas y avoir de « refuge sûr » pour les tortionnaires.

9. Dispositions relatives à la formation

Il devrait être clairement indiqué au cours de la formation de tous les fonctionnaires auxquels incomberont la détention, l'interrogatoire ou le traitement des prisonniers, que la torture est un acte criminel. Ils devraient être informés qu'ils sont tenus de refuser d'obéir à tout ordre de torture.

10. Indemnisation et réadaptation

Les victimes de tortures et les personnes à leur charge devraient avoir droit à une indemnisation. Des soins médicaux ou une réadaptation appropriés à leurs cas devraient être fournis aux victimes.

l1. Réaction internationale

Les gouvernements devraient utiliser tous les moyens disponibles pour intercéder auprès des gouvernements des États accusés de torture. Des mécanismes intergouvernementaux devraient être institués et utilisés pour déclencher une enquête d'urgence lorsqu'un cas de torture est signalé et pour prendre des mesures efficaces. Les gouvernements devraient veiller à ce que les transferts ou la formation des personnels militaire, de sécurité ou de police, ne facilitent pas la pratique de la torture.

12. Ratification des instruments internationaux

Tous les gouvernements devraient ratifier les instruments internationaux comportant des mesures de protection contre la torture ainsi que des recours, et notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son protocole facultatif, qui prévoit l'examen de plaintes émanant de particuliers.

Amnesty International a adopté ce programme en douze points en octobre 1983, dans le cadre de sa campagne contre la torture.

ANNEXE IV - PROGRAMME EN 14 POINTS POUR LA PRÉVENTION DES EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES

Amnesty International a adopté ce programme en 14 points en décembre 1992, dans le cadre de sa Campagne mondiale contre les exécutions extrajudiciaires. Des programmes similaires existent concernant la prévention de la torture et des "disparitions".

Les exécutions extrajudiciaires constituent une violation fondamentale des droits de l'homme et sont un outrage à la conscience universelle. Ces homicides illégaux et délibérés, perpétrés sur ordre d'un gouvernement, avec sa complicité ou avec son assentiment, ont été condamnés par les Nations unies. Pourtant, des exécutions extrajudiciaires continuent d'être commises quotidiennement de par le monde.

De nombreuses victimes sont placées en détention ou "disparaissent" avant d'être supprimées. D'autres sont tuées chez elles, ou lors d'opérations militaires. Certaines sont assassinées par des membres des forces de sécurité en uniforme, ou par des escadrons de la mort opérant avec l'assentiment des autorités. D'autres encore sont tuées au cours de manifestations pacifiques.

Le fait que des groupes armés d'opposition commettent les mêmes atrocités n'enlève rien à la responsabilité des gouvernements. Il faut agir de toute urgence pour mettre un terme aux exécutions extrajudiciaires et traduire leurs auteurs en justice.

Amnesty International appelle tous les gouvernements à appliquer le Programme en 14 points pour la prévention des exécutions extrajudiciaires. Elle invite tous ceux et toutes celles qui se sentent concernés, individus comme organisations, à promouvoir ce programme. L'Organisation estime qu'un gouvernement qui le met en pratique signifie ainsi son engagement à mettre un terme aux exécutions extrajudiciaires et à oeuvrer pour que ce phénomène ne se reproduise plus jamais dans le monde.

1. Condamnation officielle

Les plus hautes autorités de l'État doivent montrer leur totale opposition aux exécutions extrajudiciaires. Elles doivent clairement faire savoir à tous les membres de la police, de l'armée ou d'autres forces de sécurité que les exécutions extrajudiciaires ne seront tolérées en aucune circonstance.

2. Contrôle des responsabilités hiérarchiques

Les responsables des forces de sécurité doivent assurer un strict contrôle hiérarchique pour veiller à ce que leurs subordonnés ne se livrent pas à des exécutions extrajudiciaires. Les hauts fonctionnaires assumant des responsabilités hiérarchiques et qui ordonnent ou tolèrent des exécutions extrajudiciaires commises par leurs subordonnés doivent être tenus pénalement responsables de ces actes.

3. Limitation du recours à la force

Les gouvernements doivent veiller à ce que les responsables de l'application des lois n'aient recours à la force que dans les cas d'absolue nécessité et uniquement dans les limites requises par les circonstances. La force meurtrière ne doit être employée que si cela est absolument inévitable afin de protéger des vies humaines.

4. Action contre les escadrons de la mort

Les escadrons de la mort, les armées privées, les bandes de criminels et les forces paramilitaires opérant en dehors de la voie hiérarchique mais avec le soutien ou l'assentiment des autorités doivent être interdits de démantelés. Les membres de ces groupes s'étant livrés à des exécutions extrajudiciaires doivent être traduits en justice.

5. Protection en cas de menaces de mort

Les gouvernements doivent faire en sorte que toute personne courant le risque d'être exécutée de façon extrajudiciaire, notamment en cas de menaces de mort, bénéficie d'une protection efficace.

6. Détention secrète prohibée

Les gouvernements doivent veiller à ce que les prisonniers ne soient gardés que dans des lieux de détention officiellement reconnus, et à ce que des informations précises concernant l'arrestation et la détention de tout prisonnier soient rapidement mises à la disposition des familles, des avocats et des tribunaux. Nul ne peut être secrètement détenu.

7. Accès aux prisonniers

Tout prisonnier doit être déféré sans délai à une autorité judiciaire après son arrestation. Les membres de sa famille, les avocats et les médecins doivent pouvoir entrer rapidement et régulièrement en contact avec lui. Tous les lieux de détention doivent être régulièrement inspectés par un organisme indépendant, dont les visites ne sauraient être ni annoncées ni limitées.

8. Interdiction légale

Les gouvernements doivent veiller à ce qu'une exécution extrajudiciaire soit considérée comme un crime, frappé d'une sanction proportionnelle à la gravité d'un tel acte. L'interdiction des exécutions extrajudiciaires et les garanties essentielles visant à les prévenir ne doivent être levées en aucune circonstance, même en cas de guerre ou dans toute autre situation d'urgence publique.

9. Responsabilité individuelle

La prohibition des exécutions extrajudiciaires doit se refléter dans la formation dispensée aux agents participant à l'arrestation et à la détention de prisonniers et à tous les agents autorisés à faire usage de la force meurtrière, ainsi que dans les instructions qui leur sont données. Ces agents doivent être informés du fait qu'ils ont le droit et le devoir de ne pas se conformer à un ordre leur demandant de prendre part à une exécution extrajudiciaire. L'ordre d'un supérieur ou d'une autorité publique ne saurait en aucun cas être invoqué comme justification de la participation à une exécution extrajudiciaire.

10. Enquête

Les gouvernements doivent veiller à ce que toutes les plaintes et toutes les informations faisant état d'exécutions extrajudiciaires fassent rapidement l'objet d'une enquête impartiale et efficace menée par un organisme indépendant des personnes présumées coupables ; cet organisme devra disposer des pouvoirs et des moyens nécessaires à la conduite de l'enquête dont les méthodes et les conclusions devront être rendues publiques. Le corps de la victime présumée doit être conservé jusqu'à ce qu'une autopsie adéquate ait été effectuée par un médecin expert pouvant travailler en toute impartialité. Les agents de l'État soupçonnés d'être impliqués dans des exécutions extrajudiciaires doivent être relevés de leur fonction pendant toute la durée de l'enquête. Les proches de la victime doivent avoir accès à toute information se rapportant à l'enquête ; ils doivent pouvoir demander à leur propre médecin de pratiquer ou d'assister à une autopsie. Il doit aussi être produit des éléments de preuve. Plaignants, témoins, avocats, magistrats ainsi que toute autre personne liée à l'enquête doivent être protégés contre tout acte d'intimidation ou de représailles.

11. Poursuites

Les gouvernements doivent faire en sorte que les personnes responsables d'exécutions extrajudiciaires soient traduites en justice. Ce principe doit s'appliquer à toutes ces personnes où qu'elles se trouvent, quels que soient le lieu du crime ou la nationalité des auteurs et des victimes, et indépendamment du temps écoulé depuis que le crime a été commis. Les procès doivent se dérouler devant des tribunaux civils. Les auteurs d'exécutions extrajudiciaires ne doivent pas bénéficier de mesures légales les exemptant de poursuites ou de sanctions pénales.

12. Indemnisation et réadaptation

Les personnes à la charge des victimes d'exécutions extrajudiciaires doivent avoir droit à une réparation équitable et suffisante de l'État, notamment au versement d'une indemnité.

13. Ratification des traités relatifs aux droits de l'homme et application des normes internationales

Tous les gouvernements doivent ratifier les traités internationaux comportant des garanties et des moyens de recours contre les exécutions extrajudiciaires, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son Premier protocole facultatif, qui prévoit l'examen des plaintes émanant de particuliers. Les gouvernements doivent veiller à l'application intégrale des dispositions appropriées de ces textes et d'autres instruments internationaux, notamment celles des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions ; ils doivent également se conformer aux recommandations des organisations intergouvernementales concernant ces violences.

14. Responsabilité internationale

Les gouvernements doivent utiliser tous les moyens dont ils disposent pour intervenir auprès des autorités des pays dans lesquels des exécutions extrajudiciaires ont été signalées. Ils doivent s'assurer que les transferts d'équipements, de compétences et de formation destinés à l'armée, à la police ou à d'autres forces de sécurité ne favorisent pas les exécutions extrajudiciaires. Nul ne peut être renvoyé contre son gré dans un pays où il risque d'être victime d'une exécution extrajudiciaire.



[1] Amnesty International s'oppose à la torture et au traitement inhumain ou dégradant de tout détenu. L'Organisation demande que tous les prisonniers politiques puissent bénéficier d'un procès équitable, ce qui inclut les personnes accusées ou convaincues de délits de droit commun à mobile politique

[2] Amnesty International a présenté au gouvernement du président Gonzalo Sánchez de Lozada son document intitulé Bolivie : Les forces de sécurité accusées de torture et d'exécutions extrajudiciaires (Index AI : AMR 18/03/93, septembre 1993).

[3] Cf. Bolivia : Allegations of human rights violations committed by the security forces (Bolivie : Allégations de violations des droits de l'homme imputables aux forces de sécurité) (Index AI : AMR 18/04/90, décembre 1990)

[4] Cf : Bolivia : Allegations of human rights violations committed by the security forces (Bolivie : Allégations de violations des droits de l'homme imputables aux forces de sécurité) (Index AI : AMR 18/04/90, décembre 1990)

[5] Le minist6re de l'Intérieur, des Migrations et de la Justice a été supprimé en 1993. Ses attributions ont >t> r>parties entre les nouveaux minist6res de la Justice et du Gouvernement.

 

[6] Pour de plus amples informations sur ces témoignages, cf. Bolivie : Les forces de sécurité accusées de torture et d'exécutions extrajudiciaires (Index AI : AMR 18/03/93, septembre 1993)

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