Plattform "Ärzte für das Leben" (Médecins pour la vie) c. Autriche
Publisher | Council of Europe: European Court of Human Rights |
Publication Date | 25 May 1988 |
Citation / Document Symbol | 5/1987/128/179 |
Cite as | Plattform "Ärzte für das Leben" (Médecins pour la vie) c. Autriche, 5/1987/128/179, Council of Europe: European Court of Human Rights, 25 May 1988, available at: https://www.refworld.org/cases,ECHR,402a260f4.html [accessed 24 May 2023] |
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* Note du greffier: L'affaire porte le n° 5/1987/128/179. Les deux
premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux
derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et
sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
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La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à
l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses
pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont
le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
R. Macdonald,
A. Spielmann,
J.A. Carrillo Salcedo,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier
adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 mars et
25 mai 1988,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne
des Droits de l'Homme ("la Commission") le 14 mai 1987, dans le délai
de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1,
art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête
(n° 10126/82) dirigée contre l'Autriche et dont une association, la
Plattform "Ärzte für das Leben" (Plate-forme "Médecins pour la vie",
"Plattform"), avait saisi la Commission le 13 septembre 1982 en vertu
de l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 alinéa d)
(art. 44, art. 48-d), ainsi qu'à la déclaration autrichienne de
reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46)
(art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de
savoir si les faits de la cause révèlent ou non un manquement de
l'Etat défendeur aux obligations qui découlent de l'article 13
(art. 13) de la Convention.
2. En réponse à l'invitation prescrite à l'article 33 § 3 d) du
règlement, la requérante a exprimé le désir de participer à l'instance
pendante devant la Cour et a nommé son conseil (article 30).
3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein
droit M. F. Matscher, juge élu de nationalité autrichienne (article 43
de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour
(article 21 § 3 b) du règlement). Le 23 mai 1987, celui-ci en a
désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir
MM. J. Pinheiro Farinha, R. Macdonald, J. Gersing, A. Spielmann et
A.M. Donner, en présence du greffier (articles 43 in fine de la
Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Par la suite,
MM. F. Gölcüklü et J.A. Carrillo Salcedo, suppléants, ont remplacé
MM. Donner et Gersing, empêchés (articles 22 § 1 et 24 § 1 du
règlement).
4. Le 20 juin 1987, le président a autorisé l'emploi de la langue
allemande par le conseil de la requérante (article 27 § 3).
5. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5) et
après avoir consulté chaque fois l'agent du gouvernement autrichien
("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et l'avocat de la
requérante par l'intermédiaire du greffier, M. Ryssdal
- a constaté, le 8 juillet 1987, qu'il n'y avait pas lieu à ce stade
de prévoir le dépôt de mémoires (article 37 § 1);
- le 3 novembre 1987, a fixé au 21 mars 1988 la date d'ouverture
de la procédure orale (article 38).
6. Le 16 septembre 1987, le greffier a reçu les prétentions de la
requérante au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention.
7. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais
des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement
auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. H. Türk, conseiller juridique au ministère
des Affaires étrangères, agent,
M. W. Okresek, de la Chancellerie fédérale,
M. A. Holzhammer, du ministère fédéral de
l'Intérieur, conseils;
- pour la Commission
M. G. Batliner, délégué,
- pour la requérante
Me A. Adam, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à
ses questions, MM. Türk et Okresek pour le Gouvernement, M. Batliner
pour la Commission et Me Adam pour la requérante.
FAITS
8. Plattform "Ärzte für das Leben" groupe des médecins qui
militent contre l'avortement et cherchent à obtenir une réforme de la
législation autrichienne en la matière. En 1980 et 1982, elle
organisa deux manifestations que des contre-manifestants perturbèrent
en dépit de la présence d'importantes forces de police.
I. La manifestation de Stadl-Paura
A. Son organisation
9. La requérante décida de faire célébrer à l'église de
Stadl-Paura (Haute-Autriche), le 28 décembre 1980, un office religieux
que suivrait un défilé jusqu'au cabinet d'un médecin pratiquant des
avortements. Comme l'exigeait l'article 2 de la loi de 1953 sur les
réunions (paragraphe 40 du rapport de la Commission), elle déposa le
30 novembre une déclaration préalable auprès de la police du district
de Wels-Land. Celle-ci ne souleva aucune objection et autorisa les
participants à emprunter la voie publique. Elle dut par contre
interdire deux autres manifestations projetées, elles, par des tenants
de l'avortement mais annoncées ultérieurement, car elles coïncidaient
dans le temps et l'espace avec celle de Plattform.
10. Redoutant malgré tout des incidents, les organisateurs
voulurent modifier leurs plans peu avant la mise en marche du cortège,
et ce en concertation avec les autorités locales. Ils abandonnèrent
l'idée de manifester devant le cabinet du médecin et résolurent de se
rendre plutôt en procession devant un autel érigé sur une colline,
assez éloignée de l'église, où devait avoir lieu une cérémonie
religieuse.
11. Les représentants de la police leur remontrèrent que le gros
des forces de l'ordre avait déjà été déployé le long du trajet
initialement prévu et qu'en raison de la configuration du terrain le
nouvel itinéraire se prêterait mal à un contrôle des mouvements de
foule. Sans refuser de les protéger, ils les rendirent attentifs à
l'impossibilité - abstraction faite du parcours retenu ou à retenir -
d'empêcher des contre-manifestants de jeter des oeufs et de perturber
tant le défilé que l'office religieux.
B. Les incidents
12. Pendant la messe, de nombreux contre-manifestants - qui,
semble-t-il, n'avaient pas procédé à la notification prescrite par la
loi sur les réunions - se rassemblèrent devant l'église sans que la
police les dispersât. Ils perturbèrent la marche vers la colline en
se mêlant aux participants et en gênant par leurs cris la récitation
du rosaire. Il en alla de même du service célébré en plein air:
quelque cinq cents personnes essayèrent de l'interrompre à l'aide de
haut-parleurs et jetèrent sur les fidèles des oeufs et des touffes
d'herbe.
13. A la fin de la cérémonie, lorsque la surexcitation des esprits
faillit engendrer des violences physiques, des unités spéciales
anti-émeutes, demeurées passives jusqu'alors, formèrent un cordon
entre les groupes antagonistes, ce qui permit à la procession de
retourner à l'église.
14. Dans une lettre à la direction de la sécurité de
Haute-Autriche, le président de l'association qualifia le comportement
des contre-manifestants de "relativement pacifique": en d'autres
occasions, des adversaires de Plattform avaient agressé les adhérents
de celle-ci et s'étaient livrés à des voies de fait sur des policiers.
C. Les recours exercés à la suite de la manifestation
1. Recours de l'association elle-même
a) Recours hiérarchique
15. Le 21 janvier 1981 la requérante introduisit un recours
hiérarchique (Dienstaufsichtsbeschwerde - paragraphes 47-50 du rapport
de la Commission), accusant la police locale de n'avoir pas
suffisamment protégé la manifestation.
La direction de la sécurité de Haute-Autriche estima irréprochable
l'attitude des agents et décida de ne pas prendre de mesures
disciplinaires à leur égard. Elle invoqua la difficulté de prémunir
une manifestation en plein air, de manière absolue, contre les
invectives et le lancement d'objets ne menaçant pas l'intégrité
physique des participants. Elle ajouta qu'en restant inactive la
police avait obéi au souci d'éviter des troubles plus graves.
b) Recours constitutionnel
16. Plattform saisit ultérieurement la Cour constitutionnelle
(Verfassungsbeschwerde - paragraphes 41-43 du rapport de la
Commission); d'après elle, la passivité des autorités locales avait
rendu possible en l'espèce une atteinte aux libertés de réunion et de
pratique religieuse, garanties par la Constitution autrichienne.
Le 11 décembre 1981, la Cour constitutionnelle entendit plusieurs
témoins afin d'établir les faits avec suffisamment de clarté. Par un
arrêt du 1er mars 1982, elle déclina sa compétence et, en conséquence,
déclara le recours irrecevable. Elle releva que le grief de la
requérante ne visait manifestement pas une "décision" ni des actes de
contrainte administrative directe, au sens de l'article 144 de la
Constitution (cf. Recueil officiel des arrêts de la Cour
constitutionnelle, n° 9334/1982).
2. Poursuites engagées d'office
a) Poursuites pénales
17. Plattform n'engagea pas de poursuites pénales par le dépôt
d'une plainte ou par voie de citation directe ("Subsidiaranklage" -
paragraphes 58-64 du rapport de la Commission).
En revanche, la direction de la sécurité de Haute-Autriche et la
police locale ouvrirent une information contre X pour perturbation de
réunion. De son côté, une organisation privée, l'"Österreichische
Bürgerinitiative zum Schutz der Menschenwürde", porta plainte contre
l'un des contre-manifestants, un député, pour entrave à cérémonie
religieuse et incitation à la haine (articles 188, 189 et 283 du code
pénal), ainsi que pour infraction à l'article 2 de la loi de 1953 sur
les réunions. Deux autres firent eux aussi l'objet d'une plainte.
Toutefois, le ministère public de Wels classa les dossiers
le 1er avril 1981, en vertu de l'article 90 du code de procédure
pénale.
b) Poursuites administratives
18. Une personne prise en flagrant délit de lancer des oeufs fut
condamnée, en application de l'article IX de la loi introductive des
lois sur la procédure administrative (paragraphe 66 du rapport de la
Commission), à une amende de 1.000 schillings autrichiens.
II. La manifestation de Salzbourg
19. Le service de police compétent autorisa une deuxième
manifestation contre l'avortement à se dérouler le 1er mai 1982 sur la
place de la Cathédrale de Salzbourg. Une réunion commémorative du
parti socialiste devait y avoir lieu le même jour, mais il fallut
l'annuler parce que la déclaration préalable la concernant était
postérieure à celle de la requérante.
La manifestation débuta à 14 h 15 et se termina par une heure de
prières à l'intérieur de la cathédrale.
Dès 13 h 30, quelque 350 personnes exprimant bruyamment leur
mécontentement avaient franchi les trois arcades qui donnent accès à
la place et s'étaient rassemblées sur le parvis de l'église. Une
centaine de policiers formèrent un cordon autour des manifestants de
Plattform pour les protéger contre des agressions directes. D'autres
troubles furent causés par des sympathisants d'un parti
d'extrême-droite (NDP), qui se déclaraient solidaires de Plattform.
La police invita le président de celle-ci à ordonner leur dispersion,
mais en vain.
Afin d'éviter la perturbation de la cérémonie religieuse, la police
procéda à l'évacuation de la place.
20. Aucune poursuite ne fut engagée après ces incidents. Eu égard
à la décision de la Cour constitutionnelle du 1er mars 1982, la
requérante considéra qu'un second recours n'eût servi de rien.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
21. L'association Plattform "Ärzte für das Leben" a saisi la
Commission le 13 septembre 1982 (requête n° 10126/82). Elle
prétendait ne pas avoir bénéficié d'une protection policière
suffisante lors de ses manifestations du 28 décembre 1980 à
Stadl-Paura et du 1er mai 1982 à Salzbourg; il en serait résulté une
violation des articles 9, 10 et 11 (art. 9, art. 10, art. 11) de
la Convention. Elle invoquait en outre l'article 13 (art. 13):
d'après elle, le système juridique autrichien ne lui fournissait aucun
"recours effectif devant une instance nationale" pour assurer
l'exercice des droits en cause.
22. Le 17 octobre 1985, la Commission a déclaré la requête
irrecevable, pour défaut manifeste de fondement, quant aux griefs
tirés des articles 9, 10 et 11 (art. 9, art. 10, art. 11); en
revanche, elle a retenu l'allégation relative à l'article 13
(art. 13). Dans son rapport du 12 mars 1987 (article 31) (art. 31),
elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de ce
dernier.
Le texte intégral de son avis, ainsi que du résumé qu'elle donne du
droit et de la pratique interne pertinents, figure en annexe au
présent arrêt.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
23. A l'audience du 21 mars 1988, le Gouvernement a invité la Cour
à dire que "les dispositions de l'article 13 (art. 13) de la
Convention européenne des Droits de l'Homme n'ont pas été enfreintes
et que les faits à l'origine du litige ne révèlent donc aucune
violation de la Convention".
EN DROIT
24. La requérante affirme que nul recours effectif ne s'ouvrait à
elle en Autriche pour soulever son grief au titre de l'article 11
(art. 11); elle invoque l'article 13 (art. 13), ainsi
libellé:
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...)
Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif
devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été
commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions
officielles."
25. En ordre principal, le Gouvernement soutient que
l'applicabilité de l'article 13 (art. 13) dépend de la violation
d'une clause normative de la Convention. Il en veut pour preuve le
texte français où figurent les mots "ont été violés", plus clairs à
son avis que les termes anglais correspondants ("are violated").
La Cour ne souscrit pas à cette thèse. D'après sa jurisprudence,
l'article 13 (art. 13) garantit un recours effectif devant une "instance"
nationale à quiconque se prétend, pour des motifs défendables, victime
d'une violation des droits et libertés protégés par la Convention;
toute autre interprétation le priverait de sens (voir, en dernier
lieu, l'arrêt Boyle et Rice du 27 avril 1988, série A n° 131,
p. 23, § 52).
26. Bien qu'elle ait écarté pour défaut manifeste de fondement le
moyen relatif à l'article 11 (art. 11), la Commission l'a estimé
plausible aux fins de l'article 13 (art. 13). Le Gouvernement, lui,
trouve contradictoire de déclarer un seul et même grief manifestement
mal fondé sous l'angle d'une clause normative et pourtant défendable
au regard de l'article 13 (art. 13).
27. La Cour n'entend pas donner une définition abstraite de la
notion de "défendabilité". Pour vérifier l'applicabilité de
l'article 13 (art. 13) en l'espèce, il lui suffit de rechercher, à la
lumière des faits comme de la nature du ou des problèmes juridiques en
jeu, si l'allégation de manquement aux exigences de l'article 11
(art. 11) se défendait nonobstant son rejet par la Commission pour
défaut manifeste de fondement. Dans la décision de celle-ci sur la
recevabilité, elle peut puiser des indications utiles sur le caractère
défendable du grief en question (arrêt Boyle et Rice précité, série A
n° 131, pp. 23-24, §§ 54-55).
28. Devant la Commission, Plattform a reproché aux autorités
autrichiennes d'avoir méconnu la signification véritable de la liberté
de réunion faute d'avoir assuré, par une action concrète, le
déroulement normal de ses manifestations.
29. Pour le Gouvernement, l'article 11 (art. 11) ne crée aucune
obligation positive de protéger les manifestations. La liberté de
réunion pacifique - consacrée par l'article 12 de la Loi fondamentale
autrichienne de 1867 - tendrait essentiellement à prémunir l'individu
contre les ingérences directes de l'Etat. A la différence de
certaines autres dispositions de la Convention et de la Constitution
autrichienne, l'article 11 (art. 11) ne vaudrait pas pour les
relations entre particuliers. De toute manière, le choix des moyens à
employer dans une situation déterminée relèverait de l'appréciation de
l'Etat.
30. Dans sa décision du 17 octobre 1985 sur la recevabilité, la
Commission a longuement traité du point de savoir si l'article 11
(art. 11) astreint l'Etat, de manière implicite, à protéger les
manifestations contre des tiers désireux de les entraver ou perturber.
Elle a répondu par l'affirmative.
31. La Cour n'a pas à élaborer une théorie générale des
obligations positives de nature à découler de la Convention, mais il
lui faut interpréter l'article 11 (art. 11) avant de se prononcer sur le
caractère défendable du grief de la requérante.
32. Or il arrive à une manifestation donnée de heurter ou
mécontenter des éléments hostiles aux idées ou revendications qu'elle
veut promouvoir. Les participants doivent pourtant pouvoir la tenir
sans avoir à redouter des brutalités que leur infligeraient leurs
adversaires: pareille crainte risquerait de dissuader les associations
ou autres groupes défendant des opinions ou intérêts communs de
s'exprimer ouvertement sur des thèmes brûlants de la vie de la
collectivité. Dans une démocratie, le droit de contre-manifester ne
saurait aller jusqu'à paralyser l'exercice du droit de manifester.
Partant, une liberté réelle et effective de réunion pacifique ne
s'accommode pas d'un simple devoir de non-ingérence de l'Etat; une
conception purement négative ne cadrerait pas avec l'objet et le but
de l'article 11 (art. 11). Tout comme l'article 8 (art. 8), celui-ci
appelle parfois des mesures positives, au besoin jusque dans les
relations interindividuelles (voir, mutatis mutandis, l'arrêt X et Y
contre Pays-Bas du 26 mars 1985, série A n° 91, p. 11, § 23).
33. Avec le Gouvernement et la Commission, la Cour constate que le
droit autrichien s'attache à protéger les manifestations par une telle
action positive. Par exemple, les articles 284 et 285 du code pénal
érigent en infraction le fait de disperser, empêcher ou perturber une
réunion non interdite; de leur côté, les articles 6, 13 et 14 § 2 de
la loi sur les réunions, qui habilitent dans certains cas les pouvoirs
publics à prohiber, clore ou disperser par la force un rassemblement,
s'appliquent aussi aux contre-manifestations (paragraphes 54 et 40 du
rapport de la Commission).
34. S'il incombe aux Etats contractants d'adopter des mesures
raisonnables et appropriées afin d'assurer le déroulement pacifique
des manifestations licites, ils ne sauraient pour autant le garantir
de manière absolue et ils jouissent d'un large pouvoir d'appréciation
dans le choix de la méthode à utiliser (voir, mutatis mutandis, les
arrêts Abdulaziz, Cabales et Balkandali du 28 mai 1985, série A n° 94,
pp. 33-34, § 67, et Rees du 17 octobre 1986, série A n° 106,
pp. 14-15, §§ 35-37). En la matière, ils assument en vertu de
l'article 11 (art. 11) de la Convention une obligation de moyens
et non de résultat.
35. Selon la requérante, la police demeura entièrement passive
lors de chacune des deux manifestations litigieuses. Gouvernement et
Commission marquent leur désaccord; d'après eux, une intervention
immédiate ne se justifiait pas, en l'absence de voies de fait graves,
et elle n'eût pas manqué de provoquer des violences physiques.
36. La Cour n'a pas à juger de l'opportunité ou de l'efficacité de
la tactique suivie en l'occurrence par les forces de l'ordre, mais
seulement à rechercher si l'on peut défendre la thèse que les
autorités compétentes n'ont pas pris les dispositions nécessaires.
37. En ce qui concerne les incidents du 28 décembre 1980 à
Stadl-Paura (paragraphes 9-13 ci-dessus), il échet de relever d'abord
la prohibition de deux manifestations projetées par des tenants de
l'avortement et qui devaient coïncider dans le temps et dans l'espace
avec celle, annoncée dès le 30 novembre, de Plattform. De plus, de
nombreux agents en uniforme ou en civil avaient été déployés le long
du parcours prévu à l'origine et les représentants de la police ne
refusèrent pas à la requérante leur protection même après le
changement d'itinéraire qu'elle décida en dépit de leurs objections.
Enfin, il n'y eut ni dégâts matériels ni heurts sérieux: les
contre-manifestants scandèrent des slogans, agitèrent des banderoles
et lancèrent des oeufs ou des touffes d'herbe, mais la procession et
le service religieux en plein air purent se dérouler jusqu'au bout;
des unités spéciales anti-émeutes s'interposèrent entre les groupes
antagonistes au moment où la surexcitation des esprits menaça de
dégénérer en violences.
38. Pour la manifestation de 1982 à Salzbourg (paragraphe 19
ci-dessus), les organisateurs avaient adopté la date du 1er mai, jour
du défilé socialiste traditionnel, qu'il fallut annuler - sur la place
de la Cathédrale - en raison de l'antériorité de la déclaration
préalable de la requérante. En outre, une centaine de policiers
furent envoyés sur les lieux pour séparer les participants de leurs
contradicteurs et conjurer le danger d'agressions directes; ils
procédèrent à l'évacuation de la place de manière à empêcher toute
perturbation de l'office religieux.
39. Il apparaît ainsi clairement que les autorités autrichiennes
n'ont pas manqué de prendre des mesures raisonnables et appropriées.
Nulle allégation défendable de violation de l'article 11 (art. 11)
ne se trouvant donc établie, l'article 13 (art. 13) ne s'applique pas
en l'espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 (art. 13).
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au
Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg, le 21 juin 1988.
Signé: Rolv RYSSDAL
Président
Signé: Marc-André EISSEN
Greffier