AFFAIRE M.A. c. FRANCE (Requête no 9373/15)
Publisher | Council of Europe: European Court of Human Rights |
Publication Date | 1 February 2018 |
Citation / Document Symbol | ECLI:CE:ECHR:2018:0201JUD000937315 |
Other Languages / Attachments | Press Release M.A. v. France |
Cite as | AFFAIRE M.A. c. FRANCE (Requête no 9373/15), ECLI:CE:ECHR:2018:0201JUD000937315, Council of Europe: European Court of Human Rights, 1 February 2018, available at: https://www.refworld.org/cases,ECHR,5aa009954.html [accessed 18 May 2023] |
Comments | - the expulsion of the applicant, whose conviction for terrorist offences had been known to the Algerian authorities, had exposed him to a real and serious risk of treatment contrary to Article 3. - French authorities deliberately created a situation whereby the applicant would have great difficulty in submitting a request for an interim measure to the Court, and had lowered the level of protection under Article 3 of the Convention. - acutely aware of the extent of the danger posed to the community by terrorism and that it was legitimate for Contracting States to take a very firm stand against those who contributed to terrorist acts. |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE M.A. c. FRANCE
(Requête no 9373/15)
ARRÊT
STRASBOURG
1er février 2018
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire M.A. c. France,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O'Leary,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 décembre 2017,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 9373/15) dirigée contre la République française et dont un ressortissant algérien, M. M.A. (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 février 2015 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, a été représenté par Me F. de Beco, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le 29 mai 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1976 et se trouve actuellement en Algérie. Les faits de la cause, tels qu'ils sont exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A. Quant aux faits survenus en Algérie
5. Le requérant rejoignit les mouvements islamistes dès le début de la guerre civile dans son pays, en 1992, et combattit les autorités algériennes.
6. Activement recherché par les autorités judiciaires et les services secrets algériens pour avoir notamment dérobé des armes à l'armée, le requérant quitta l'Algérie en 1999, à la fin de la guerre civile. Il se réfugia en Espagne, puis en France.
B. Quant aux faits survenus en France
7. En février 2004, le requérant se maria religieusement avec une ressortissante française, Mme H.B., dont il eut trois enfants nés respectivement en 2010, 2012 et 2015.
8. Interpellé et placé en garde à vue le 12 mai 2004, le requérant fut mis en examen deux jours plus tard. L'enquête préliminaire de police puis l'information judiciaire ouverte contre lui révélèrent son rôle important et sa participation active dans le réseau terroriste appelé, tant en France que dans d'autres pays, la « filière tchétchène ». Dans le cadre de cette affaire, il fut reproché au requérant d'avoir eu un lien direct et très étroit avec le dénommé M.B. Celui-ci, considéré comme le « chef » de la « filière tchétchène », avait été condamné à ce titre à une peine de dix ans d'emprisonnement ainsi qu'à une interdiction définitive du territoire français.
9. Le 14 juin 2006, le requérant fut condamné par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de sept ans d'emprisonnement ferme, assortie d'une période de sûreté des deux tiers, ainsi qu'à l'interdiction définitive du territoire français à titre de peine complémentaire, pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme (les faits reprochés ayant été commis en France, en Algérie, au Maroc, en Espagne, en Turquie, en Géorgie et en Syrie entre 1999 et 2004). Le requérant n'interjeta pas appel de cette décision.
10. Le 24 février 2010, dans le cadre de la mise à exécution de l'interdiction définitive du territoire français dont il faisait l'objet, le requérant fut extrait de la maison d'arrêt de la Santé pour être conduit au centre de rétention administrative de Vincennes pour un entretien préalable à son éloignement du territoire français avec les autorités consulaires algériennes, aux fins de délivrance d'un laissez-passer consulaire. Ce premier entretien s'avéra cependant infructueux, le requérant ayant gardé le silence. Un second entretien fut organisé, le 3 mars 2010, également en vain.
11. En raison de son silence et de son refus de communiquer des informations personnelles le concernant, le requérant fut placé en garde à vue pour s'être volontairement soustrait à une mesure d'éloignement du territoire français. Le 4 mars 2010, il fut jugé en comparution immédiate par le tribunal correctionnel de Paris et condamné à deux mois d'emprisonnement ferme pour les faits reprochés.
12. Le 19 avril 2010, le requérant saisit la Cour d'une demande de mesure provisoire sur le fondement de l'article 39 de son règlement (requête no 21580/10). Le 26 avril 2010, le président de la chambre à laquelle l'affaire avait été attribuée décida d'indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, de ne pas procéder au renvoi du requérant vers l'Algérie pour la durée de la procédure devant la Cour.
13. Le requérant fut remis en liberté le 30 avril 2010, puis assigné une première fois à résidence dans la commune de Bagnères‑de‑Bigorre dans le département des Hautes‑Pyrénées. Le préfet de ce département signala au ministre de l'Intérieur plusieurs incidents opposant le requérant à la gérante de l'hôtel assurant son hébergement.
14. Le 10 mai 2010, le ministre de l'intérieur assigna le requérant à résidence sur le territoire de la commune de Barbezieux‑Saint‑Hilaire dans le département de la Charente avec l'obligation de se présenter (« pointage ») trois fois par jour au commissariat de la ville.
15. Le 11 août 2011, le requérant forma une requête en relèvement de l'interdiction du territoire, qui fut rejetée le 18 mai 2011 par le tribunal correctionnel de Paris.
16. Par une décision du 1er juillet 2014 (requête no 21580/10), la Cour déclara la requête du requérant irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et, en conséquence, la mesure provisoire prit fin.
17. Le 4 novembre 2014, le préfet de la Charente informa le requérant qu'il entendait procéder à son expulsion et qu'il lui accordait un délai de six jours pour formuler ses observations. En réponse, ce dernier lui indiqua vouloir formuler une demande d'asile. Il fit notamment valoir qu'il avait été condamné à mort par contumace en Algérie pour des faits de participation à des organisations jugées terroristes.
18. Le 2 décembre 2014, le requérant déposa une demande d'asile qui fut examinée selon la procédure prioritaire avant d'être rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (« OFPRA ») le 17 février 2015. L'Office jugea que les propos « évasifs et inconsistants » du requérant démontraient une méconnaissance des groupes armés auxquels il affirmait pourtant avoir appartenu. De surcroît, le requérant n'apportait pas non plus d'éléments à l'appui de ses affirmations selon lesquelles son cas attirerait particulièrement l'attention des autorités, malgré la Concorde civile et l'écoulement du temps. Enfin, l'Office estima que les déclarations du requérant se limitaient à la situation générale de l'Algérie et qu'il avait éludé les questions relatives à sa situation personnelle.
19. Le 17 février 2015, cette décision fut envoyée par télécopie à la préfecture de la Charente et au commissariat de Barbezieux‑Saint‑Hilaire.
20. Le 18 février 2015, le pôle central d'éloignement du ministère de l'Intérieur communiqua à la préfecture de la Charente les modalités retenues pour le transport du requérant de Barbezieux‑Saint‑Hilaire jusqu'à Alger.
21. Le requérant se vit notifier la décision de l'OFPRA le 20 février 2015 à 9 heures 20 alors qu'il s'était rendu au commissariat dans le cadre des obligations de l'assignation à résidence dont il faisait l'objet. Deux autres arrêtés, l'un abrogeant l'assignation à résidence et l'autre fixant l'Algérie comme pays de destination, lui furent concomitamment remis. Les autorités françaises entreprirent de mettre à exécution la mesure d'éloignement en conduisant immédiatement le requérant vers l'aéroport de Bordeaux, d'où il fut ensuite transféré à l'aéroport de Roissy, en vue de son expulsion vers l'Algérie.
Les services de police auraient indiqué à la compagne du requérant que celui‑ci était placé dans un centre de rétention.
À 12 heures 15, l'avocate du requérant fut informée de son éloignement en cours. Par une lettre télécopiée reçue le 20 février 2015 à 15 heures 16, l'avocate saisit la Cour d'une demande de mesure provisoire sur le fondement de l'article 39 de son règlement. Le jour même, le juge faisant fonction de président de la section à laquelle l'affaire avait été attribuée décida d'indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, de ne pas procéder au renvoi du requérant vers l'Algérie avant le 25 février 2015. Après avoir été informée de cette décision à 15 heures 45, l'avocate du requérant prit contact avec les services de la police aux frontières de l'aéroport de Roissy. Le policier contacté indiqua à l'avocate qu'il n'avait pas été informé de la décision de la Cour et qu'il ne pouvait pas intervenir sans qu'une copie de celle‑ci ne lui ait été transmise au préalable.
Le même jour, après avoir informé le ministère des Affaires étrangères par téléphone, le greffe de la Cour envoya au Gouvernement un courriel à 15 heures 54 pour confirmer que l'article 39 du règlement de la Cour avait été appliqué dans cette affaire. Le ministère des Affaires étrangères contacta le ministère de l'Intérieur afin de suspendre l'éloignement du requérant. À 16 heures 02, le greffe de la Cour publia les documents officiels sur le site sécurisé. Le ministère des Affaires étrangères réceptionna ces documents à 16 heures 11.
Le Gouvernement précise que, lorsque les services de police de l'aéroport de Roissy reçurent les instructions nécessaires, les portes de l'avion à bord duquel se trouvait le requérant étaient déjà closes. À 16 heures 15, l'avion décolla pour l'Algérie. À 16 heures 18, l'état‑major de la direction centrale de la police aux frontières reçut la télécopie l'informant de la mesure prise par la Cour.
C. Quant aux faits postérieurs au renvoi du requérant
22. Le 20 février 2015, à son arrivée en Algérie, le requérant fut remis aux agents du Département du renseignement et de la sécurité (« DRS ») algérien et placé en garde à vue dans un lieu non connu.
23. Le 3 mars 2015, il fut présenté pour la première fois à un magistrat pour être mis en examen des chefs de « crime d'adhésion à un groupe terroriste armé », « crime de tentative de meurtre avec préméditation » et « vol d'une arme de guerre et munitions de guerre du premier groupe ».
24. Le même jour, il fut placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de Chlef.
Le requérant y serait toujours détenu, au vu des informations communiquées par les parties à la Cour.
Son avocat en Algérie a formulé une requête aux fins d'extinction des poursuites, qui n'a pas abouti.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. L'interdiction du territoire français
25. L'interdiction du territoire français est une peine complémentaire prononcée par une juridiction répressive qui a déjà sanctionné un comportement faisant l'objet d'une incrimination pénale. Le juge judiciaire énonce une interdiction générale, sans jamais avoir à préciser le pays vers lequel la personne condamnée doit être renvoyée. Il appartient à l'administration, dans le cadre de la mise à exécution de la peine d'interdiction du territoire, de prendre un arrêté fixant le pays de destination.
26. Si un appel ou une demande de relèvement peut être formé contre une telle peine, le requérant ne peut utilement se prévaloir, devant le juge judiciaire, du grief tiré d'une violation de l'article 3 de la Convention tenant à des risques allégués dans le pays de retour.
La détermination du pays de destination relève de l'autorité préfectorale, dont les décisions peuvent être contestées devant le juge administratif, ce dernier examinant le grief tiré de l'article 3 de la Convention tenant aux risques en cas de retour dans le pays de destination.
B. Principes généraux régissant la procédure d'asile dite prioritaire
27. Les principes généraux régissant la procédure d'asile dite prioritaire sont résumés, mutatis mutandis, dans l'arrêt I.M. c. France, (no 9152/09, §§ 49-63 et §§ 64-74, 2 février 2012).
III. textes et documents internationaux
A. Textes du Conseil de l'Europe relatifs au terrorisme
28. La Cour renvoie à cet égard aux paragraphes 32 à 34 de l'arrêt Daoudi c. France (no 19576/08, 3 décembre 2009).
B. Charte algérienne pour la paix et la réconciliation nationale
29. La Cour renvoie à cet égard aux paragraphes 35 et 36 de l'arrêt Daoudi précité.
C. Rapports sur la situation en Algérie
30. La Cour renvoie aux paragraphes 37 à 54 de l'arrêt Daoudi (précité) qui décrit la situation en Algérie de 2007 à 2009.
31. S'agissant de l'évolution de la situation depuis l'adoption de cet arrêt, la Cour relève que, dans son rapport dédié à l'Algérie du 5 juillet 2012, le groupe de travail sur l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies fait part de ses préoccupations à la suite du signalement de cas de torture et d'autres mauvais traitements dans des lieux de détention, en particulier dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. À cette occasion, la Suède a également recommandé à l'Algérie d'adresser une invitation au Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci‑après le « Rapporteur spécial »).
32. Dans son rapport sur l'Algérie pour l'année 2014/2015 publié le 25 février 2015, Amnesty International indique que le DRS dispose toujours d'importants pouvoirs pour arrêter et emprisonner, y compris au secret, des personnes suspectées de terrorisme. Cette situation facilite le recours à la torture et à d'autres traitements inhumains.
Dans son rapport sur l'Algérie pour l'année 2015/2016, Amnesty International note : « les autorités ont persisté dans leur refus d'autoriser l'accès au pays à des organes et experts des Nations Unies dans le domaine des droits humains, notamment ceux chargés de la torture, de la lutte contre le terrorisme, des disparitions forcées et de la liberté d'association ».
33. Ce constat est également partagé par Human Rights Watch dans sa contribution du 6 octobre 2016 à l'examen périodique universel de l'Algérie par le Conseil des droits de l'homme.
34. La Cour note également que le Rapporteur spécial relève que les autorités algériennes n'ont réservé aucune suite favorable à ses demandes de visite dont la première a été formulée en 1997.
35. Dans son rapport intitulé « 2015 Country Reports on Human Rights Practices – Algeria » en date du 13 avril 2016, le Département d'État américain rappelle que, si la loi interdit la torture, plusieurs organisations non gouvernementales ainsi que des défenseurs locaux des droits de l'homme affirment que des agents de l'État font usage de la torture et de traitements inhumains afin d'obtenir des aveux. Le même constat avait déjà été dressé dans l'édition 2014 du même rapport.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
36. Selon le requérant, la décision de l'État défendeur de le renvoyer en Algérie a entraîné un manquement de la France aux exigences de l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
1. Sur l'exception tirée par le Gouvernement du non épuisement des voies de recours internes
a) Thèses des parties
37. Le Gouvernement soutient que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours qui étaient à sa disposition en droit interne.
À ce sujet, il fait observer que le requérant n'a jugé utile ni de contester devant la Cour nationale du droit d'asile (« CNDA ») la décision rendue par l'OFPRA le 17 février 2015, ni de former un recours devant le juge contre l'arrêté du préfet de la Charente du 20 février 2015 ordonnant son expulsion vers l'Algérie.
38. Le requérant conteste l'argumentation du Gouvernement. Il fait valoir qu'il n'était tenu de n'épuiser que les voies de recours effectives. En l'espèce, il soutient que seule une demande d'asile était de nature à suspendre son renvoi vers l'Algérie. Le requérant souligne, d'une part, que le recours formé devant la CNDA contre une décision prise par l'OFPRA dans le cadre de la procédure prioritaire est dépourvu d'effet suspensif. D'autre part, les recours, que ce soit en référé ou en annulation, qu'il aurait pu former devant le juge administratif contre l'arrêté du 20 février 2015 auraient également été dépourvus d'effet suspensif de plein droit (voir paragraphe 27 ci‑dessus). Il en est de même pour les recours administratifs, qu'ils soient formés auprès du préfet de la Charente ou du ministre de l'Intérieur. Le requérant souligne de surcroît avoir formé un recours gracieux auprès du préfet de la Charente le 4 novembre 2014. Il fait valoir que le caractère expéditif de son éloignement a de facto privé les voies de recours internes de toute effectivité.
b) Appréciation de la Cour
39. La Cour rappelle que la finalité de l'article 35 § 1 est de ménager aux États contractants l'occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention. Les États n'ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d'avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Cette règle se fonde sur l'hypothèse, objet de l'article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d'étroites affinités – que l'ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, §§ 74 à 77, CEDH 1999‑V, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000‑XI).
40. La règle de l'épuisement des voies de recours internes implique qu'un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants dans l'ordre juridique interne pour lui permettre d'obtenir réparation des violations qu'il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues. Rien n'impose d'user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII ; Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 55, CEDH 2009).
41. La Cour a également affirmé que lorsqu'un requérant cherche à éviter d'être renvoyé par un État contractant, il est normalement appelé à épuiser un recours qui a un effet suspensif (Bahaddar c. Pays-Bas, 19 février 1998, §§ 47-48, Recueil 1998-I). Un contrôle juridictionnel, lorsqu'il existe et lorsqu'il fait obstacle au renvoi, doit être considéré comme un recours effectif qu'en principe les requérants doivent épuiser avant d'introduire une requête devant la Cour ou de solliciter des mesures provisoires en vertu de l'article 39 du règlement de celle-ci en vue de retarder une expulsion (NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 90, 17 juillet 2008).
42. Toutefois, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d'en utiliser d'autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999‑III ; spécialement en matière d'expulsion, Y.P. et L.P., précité, § 53, et Mi.L. c. France (déc.), no 23473/11, § 33, 11 septembre 2012). Ainsi, dans l'affaire Y.P. et L.P. c. France, la Cour a constaté que les requérants avaient présenté une demande d'asile, puis une demande d'admission au séjour, qui avaient été successivement rejetées par l'OFPRA et la Commission de recours des réfugiés (« CRR ») (devenue depuis la CNDA). L'examen de la demande d'asile devait permettre à l'État français de prévenir l'éloignement des requérants vers leur pays d'origine au cas où il serait établi qu'ils risquaient d'y subir des traitements contraires aux dispositions de l'article 3 de la Convention. Dans ces circonstances, la Cour a conclu qu'on ne saurait attendre des requérants qu'ils aient introduit encore un recours devant le tribunal administratif pour contester un arrêté de reconduite à la frontière, dans la mesure où leur demande antérieure devant l'OFPRA et leur recours devant la CRR, saisis pour statuer sur le grief tiré de l'article 3 de la Convention, n'avait pas abouti (Y.P. et L.P., précité, § 56).
43. La Cour note que dans la présente affaire le requérant n'a pas interjeté appel contre le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 14 juin 2006 (voir paragraphe 9 ci‑dessus) mais également qu'il n'a ni contesté devant la CNDA la décision rendue par l'OFPRA, ni contesté l'arrêté du préfet de la Charente du 20 février 2015 ordonnant son expulsion. La Cour observe toutefois que le requérant avait fait usage de tous les recours en matière d'asile, disposant d'un effet suspensif de plein droit. La Cour estime que l'on ne saurait reprocher au requérant d'avoir poursuivi un seul type de voies de recours, à savoir celles qui étaient ouvertes devant l'OFPRA, et de ne pas avoir introduit de recours devant le tribunal administratif ou la CNDA. La Cour considère en effet qu'il ne lui appartient pas d'affirmer qu'une voie de droit serait, à l'égard du requérant, plus opportune qu'une autre dès lors que la voie de recours poursuivie par celui-ci était effective, c'est-à-dire, en matière d'éloignement d'étrangers, qu'elle permettait à l'État de prévenir l'expulsion d'une personne risquant des traitements contraires à l'article 2 ou à l'article 3 de la Convention en cas de retour dans son pays d'origine.
44. La Cour rappelle le constat, partagé par le Gouvernement, auquel elle était déjà arrivée dans sa précédente décision (M. X c. France (déc.), no 21580/10), concernant le même requérant. Une peine d'interdiction du territoire correspond à une interdiction générale de se trouver ou de se maintenir en France. Si elle entraîne la reconduite à la frontière de l'intéressé, le cas échéant à l'expiration de sa peine d'emprisonnement, elle ne prévoit pas le pays dans laquelle ce dernier doit être renvoyé, cette prérogative appartenant à l'administration qui, dans le cadre de la mise à exécution de l'interdiction du territoire, prend un arrêté fixant le pays de destination. Présentée auprès de la juridiction pénale qui a prononcé la peine, la requête en relèvement permet donc uniquement au condamné d'obtenir le réexamen de la pertinence de l'interdiction du territoire au regard de son passé pénal et de sa situation personnelle. La juridiction saisie se borne ainsi à dire s'il y a lieu ou non de maintenir cette interdiction, ce qui peut éventuellement l'amener à apprécier si la gravité de la sanction est ou non proportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé. En revanche, elle ne se prononce pas sur le point de savoir si l'intéressé doit être renvoyé dans tel ou tel pays et n'examine donc pas les risques de traitements contraires à l'article 3 encourus par celui-ci en cas de reconduite dans son pays d'origine. (M. X, précité, §36)
45. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le requérant a satisfait à l'exigence de l'épuisement des voies de recours internes prévues par l'article 35 § 1 de la Convention. Il y a lieu en conséquence de rejeter, s'agissant du grief tiré par le requérant en son nom propre de la violation de l'article 3 de la Convention, l'exception du Gouvernement.
2. Conclusion
46. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
47. Le requérant affirme que son expulsion vers l'Algérie l'a exposé à un risque sérieux de traitements contraires à l'article 3 de la Convention comme le prouve le fait qu'il a été remis dès son arrivée aux services de renseignement algériens, qui l'ont détenu sans en avertir sa famille. Le gouvernement algérien n'ignorait pas qu'il avait été condamné en France pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme. Il verse à cet effet des articles parus sur le site d'information en ligne « reporters.dz » (« Un algérien extradé de France : La LADDH dénonce un acte « xénophobe ») ou sur le site internet « echoroukonline.com » (« Laddh : 5 000 Algériens expulsés arbitrairement de France par an »). Il soutient qu'il était donc exposé à un risque réel de traitements contraires à l'article 3 de la Convention.
48. Le requérant soutient à la fois avoir subi des traitements prohibés par l'article 3 de la Convention et rester exposé à des risques futurs.
À cet égard, l'avocate du requérant indique que son client a été appréhendé et détenu par le DRS dans un lieu inconnu pendant une durée de douze jours sans communication avec l'extérieur ni information des autorités judiciaires. Ce n'est que le 3 mars 2015 qu'il a été présenté à l'autorité judiciaire puis placé dans un lieu de détention connu. Il n'a pu par ailleurs communiquer que le 21 juin 2015 avec son avocat algérien.
L'avocate du requérant se dit dans l'impossibilité de déterminer si son client a subi des traitements contraires à l'article 3 de la Convention entre le 20 février 2015 et le 3 mars 2015.
Le requérant fait également valoir avoir été mis en accusation en Algérie de chefs correspondant pour certains aux faits relatés dans le cadre de ses déclarations à l'officier de protection de l'OFPRA le 30 janvier 2015. Il se plaint par ailleurs que le Gouvernement a violé la confidentialité de sa demande d'asile en communiquant les informations détenues par l'OFPRA à des policiers français, augmentant ainsi le risque que les autorités algériennes aient connaissance de ses déclarations.
Le requérant soutient enfin être poursuivi en Algérie non seulement pour des faits pour lesquels il a déjà fait l'objet d'une condamnation en France, mais également pour des faits commis en Algérie relatés dans sa demande d'asile et pour d'autres motifs qu'il qualifie de « parfaitement fantaisistes ». Il soutient qu'il ne bénéficiera pas d'un procès équitable et qu'il risque la peine de mort pour tentative de meurtre avec préméditation.
49. Le Gouvernement relève que le requérant a attendu plus de quinze ans avant de déposer une demande d'asile auprès de l'OFPRA le 2 décembre 2014. Ce manque d'empressement est peu compatible avec la nature des risques qu'il affirme encourir en cas de retour en Algérie.
Le Gouvernement souligne que l'OFPRA a estimé que les déclarations du requérant n'étaient pas suffisantes pour considérer qu'il craignait à juste titre des persécutions de la part des autorités algériennes ou qu'il était exposé à des menaces graves. Le Gouvernement qualifie sa demande d'asile de dilatoire puisqu'il n'a notamment pas saisi la CNDA d'un recours contre la décision de l'OFPRA.
Le Gouvernement fait valoir que le requérant ne faisait l'objet en Algérie ni d'un avis de recherches, ni de décisions judiciaires, ni d'un jugement par contumace. De surcroît, l'Algérie n'a formé aucune demande d'extradition.
Par ailleurs les articles de presse produits par le requérant ne corroborent nullement ses allégations, mais relatent seulement son expulsion sans faire aucune mention de son éventuelle détention.
Le Gouvernement indique que deux autres personnes condamnées en France pour leur participation à des activités à caractère terroriste ont fait l'objet d'une interdiction définitive du territoire et ont été renvoyées vers l'Algérie en février et mars 2014, sans solliciter l'asile ni faire état de craintes de mauvais traitements en cas de retour.
Enfin, le Gouvernement fait valoir que le requérant n'a pas mis à profit l'adoption par la Cour de la première mesure provisoire du 26 avril 2010 pour solliciter l'asile, mais que, dans une optique purement dilatoire, il a attendu le dernier moment pour solliciter une protection internationale.
50. Le Gouvernement soutient qu'il n'est pas anormal que le requérant ait été entendu par le DRS. Par ailleurs, il n'étaye nullement son affirmation relative à la violation de la confidentialité de sa demande d'asile. Enfin, il n'apporte aucun élément permettant de vérifier ses allégations relatives aux accusations pesant sur lui et aux traitements subis. Selon le Gouvernement aucun élément ne permet de caractériser la procédure judiciaire en Algérie comme constitutive d'un traitement prohibé par l'article 3.
2. Appréciation de la Cour
51. La Cour se réfère aux principes applicables en la matière (J.K. et autres c. Suède [GC], no 59166/12, §§ 77‑105, CEDH 2016). Dans la présente affaire, la Cour entend rappeler que, l'expulsion d'un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l'article 3, et donc engager la responsabilité de l'État en cause au titre de la Convention, lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on l'expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3. Dans ce cas, l'article 3 implique l'obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (voir, notamment, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 124‑125, et J.K. et autres c. Suède, précité, § 79). Concernant la charge de la preuve dans les affaires d'expulsion, la jurisprudence constante de la Cour dit qu'il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 ; et que lorsque de tels éléments sont soumis, il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels à ce sujet (F.G., précité, § 120, Saadi, précité, § 129, NA., précité, § 111, et R.C. c. Suède, no41827/07, 9 mars 2010, § 50).
52. En l'espèce, la Cour observe que le requérant ayant été expulsé vers l'Algérie le 20 février 2015, malgré la mesure provisoire indiquée par la Cour conformément à l'article 39 du règlement (paragraphe 21 ci‑dessus), c'est cette date qu'il convient de prendre en considération pour apprécier s'il existait un risque réel qu'il soit soumis dans ce pays à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, §§ 69 et 74, CEDH 2005‑I).
Toutefois, cela n'empêche pas la Cour de tenir compte de renseignements ultérieurs ; ils peuvent servir à confirmer ou infirmer la manière dont la Partie contractante concernée a jugé du bien-fondé des craintes d'un requérant (Cruz Varas et autres c. Suède, arrêt du 20 mars 1991, série A no201, pp. 29‑30, §§ 75-76, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991, § 107, série A, Mamatkoulov et Askarov, précité, § 69 et X c. Suisse, no 16744/14, § 62, 26 janvier 2017).
53. La Cour relève que le requérant a été condamné en France pour des faits de terrorisme et, à l'instar de ce qu'elle a rappelé dans l'affaire Daoudi précitée (§ 65), elle réaffirme qu'elle a une conscience aiguë de l'ampleur du danger que représente le terrorisme pour la collectivité et, par conséquent, de l'importance des enjeux de la lutte antiterroriste. Devant une telle menace, la Cour considère qu'il est légitime que les États contractants fassent preuve d'une grande fermeté à l'égard de ceux qui contribuent à des actes de terrorisme, qu'elle ne saurait en aucun cas cautionner.
54. En ce qui concerne la situation en Algérie, la Cour a eu égard, tout d'abord, aux rapports du Comité des Nations Unies contre la torture et de plusieurs organisations non gouvernementales cités dans l'arrêt Daoudi (précité, voir paragraphe 30 ci‑dessus) qui décrivent une situation préoccupante. La Cour n'a été saisie d'aucun élément relatif à l'évolution de la situation en Algérie depuis l'adoption de l'arrêt Daoudi, de nature à remettre en cause l'appréciation des faits à laquelle elle s'est livrée dans cette affaire. Force est en effet de constater que les rapports précités (voir paragraphes 31 à 35 ci‑dessus) datant de 2015, année au cours de laquelle le requérant a été renvoyé en Algérie, signalent de nombreux cas d'interpellations par le DRS, en particulier lorsqu'il s'agit de personnes soupçonnées d'être impliquées dans le terrorisme international. Selon les sources précitées, ces personnes, placées en détention sans contrôle des autorités judiciaires ni communication avec l'extérieur (avocat, médecin ou famille), peuvent être soumises à des mauvais traitements, y compris à la torture.
Les pratiques dénoncées par Amnesty International et citées par la Cour au paragraphe 37 de l'arrêt Daoudi précité (les interrogatoires incessants à toute heure du jour ou de la nuit, les menaces, les coups, les décharges électriques, l'ingestion forcée de grandes quantités d'eau sale, d'urine ou de produits chimiques et la suspension au plafond par les bras) atteignent sans conteste le seuil requis pour l'application de l'article 3 de la Convention.
Compte tenu de l'autorité et de la réputation des auteurs des rapports précités, de la multiplicité et de la concordance des informations rapportées par les différentes sources, du caractère sérieux et récent des enquêtes et des données sur lesquelles elles se fondent, la Cour ne doute pas de la fiabilité des éléments ainsi collectés. En outre, le Gouvernement n'a pas produit d'indications ou d'éléments susceptibles de réfuter les affirmations provenant de ces sources.
55. La Cour note qu'en l'espèce, la condamnation du requérant pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme (les faits reprochés ayant été commis en France, en Algérie, au Maroc, en Espagne, en Turquie, en Géorgie et en Syrie entre 1999 et 2004) a fait l'objet d'une décision juridictionnelle amplement motivée et détaillée, dont le texte est public.
La Cour relève également que le requérant a effectivement été appréhendé par le DRS dès son arrivée en Algérie et emprisonné dans les conditions rappelées aux paragraphes 22 à 24 du présent arrêt.
56. Si à l'instar du Gouvernement, la Cour s'étonne que le requérant ait attendu presque quatorze ans avant de solliciter l'admission au statut de réfugié, elle constate également que l'OFPRA, mieux placé pour apprécier non seulement les faits, la crédibilité de témoins ainsi que le comportement de la personne concernée (voir F.G., précité , § 118) n'a nullement pris cette circonstance en compte dans sa décision du 17 février 2015 (voir paragraphe 18 ci‑dessus).
57. De surcroît, si le Gouvernement soutient que deux autres personnes condamnées en France pour leur participation à des activités à caractère terroristes ont été renvoyées en Algérie sans s'être prévalu, devant les instances nationales ou devant la Cour, d'un risque quelconque au titre de l'article 3 de la Convention, la Cour ne saurait déduire de ces seules allégations, au demeurant dénuées de toutes précisions permettant d'en apprécier la portée, que le requérant ne serait pas, personnellement, soumis à un risque de subir des traitements prohibés par l'article 3 de la Convention en cas de retour en Algérie.
58. Pour l'ensemble de ces motifs, et eu égard en particulier au profil du requérant qui n'est pas seulement soupçonné de liens avec le terrorisme, mais a fait l'objet, pour des faits graves, d'une condamnation en France dont les autorités algériennes ont eu connaissance, la Cour considère qu'au moment de son renvoi en Algérie, il existait un risque réel et sérieux qu'il soit exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 106, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, Ben Salah c. Italie, no 38128/06, § 7, 24 mars 2009, Soltana c. Italie, no 37336/06, §§ 14-15, 24 mars 2009, C.B.Z. c. Italie, no 44006/06, § 7, 24 mars 2009 et Daoudi, précité, § 71).
59. La Cour conclut en conséquence, qu'en renvoyant le requérant vers l'Algérie, les autorités françaises ont violé l'article 3 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 34 DE LA CONVENTION
60. Le requérant soutient qu'en le remettant aux autorités algériennes en violation de la mesure indiquée par la Cour en vertu de l'article 39 du règlement, l'État défendeur a manqué à ses obligations au titre de l'article 34 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« La Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit. »
Le Gouvernement rejette cette thèse.
A. Thèses des parties
61. Le requérant indique que son conseil a été informé le 20 février 2015 à 15 heures 45 de la teneur de la décision prise par la Cour en vertu de l'article 39 du règlement. Il en déduit que le Gouvernement avait dû avoir connaissance de la décision au même moment. Néanmoins le Gouvernement n'a pas contacté la police aux frontières afin de retarder la fermeture des portes de l'avion au bord duquel il avait pris place.
Par ailleurs, le requérant fait valoir que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, ce dernier continuait d'être responsable de son sort dès lors qu'il était placé sous sa juridiction et ce même dans un avion dont les portes étaient closes.
Enfin, le requérant soutient que le Gouvernement s'est livré à diverses manœuvres afin d'accélérer son éloignement. Ainsi la décision de l'OFPRA du 17 février 2015 ne lui a pas été notifiée le jour même mais seulement le 20 février 2015. Cette notification ne s'est pas fait par voie postale, mais directement dans un commissariat de police, circonstance qui permettait une exécution encore plus rapide de la décision, le privant de tout recours devant le tribunal administratif ou devant la CNDA. Enfin, un laissez‑passer consulaire avait été établi par les autorités algériennes dès la veille, soit le 19 février 2015.
Le requérant déduit de l'ensemble de ces faits que le Gouvernement a pris toutes les mesures permettant un renvoi très rapide afin de faire échec à une éventuelle mesure provisoire prise par la Cour, comme celle qui avait été accordée le 26 avril 2010.
62. Le Gouvernement souhaite rappeler qu'il coopère pleinement avec le greffe de la Cour afin d'assurer l'entière exécution des mesures prises sur le fondement de l'article 39 de son règlement. À cet effet, dès sa saisine par le greffe de la Cour, la sous-direction des droits de l'homme du ministère des Affaires étrangères prend l'attache de la sous‑direction compétente du ministère de l'Intérieur afin que la mesure de renvoi soit suspendue sans délai. Le ministère de l'Intérieur prend alors immédiatement contact avec les agents des centres de rétention administrative ou des zones d'attente pour s'assurer de l'imminence d'un vol et les informer de la décision de la Cour et de l'obligation de suspendre l'éloignement.
63. En l'espèce, la Cour a pris une mesure provisoire de suspension de l'éloignement le 20 février 2015 à 15 heures 54. Cette décision a été publiée à 16 heures 02 sur le site sécurisé de la Cour. Le départ du vol à bord duquel se trouvait le requérant était prévu à 16 heures, pour une arrivée à Alger à 18 heures 15. Les dernières informations transmises par les services aéroportuaires indiquent que l'avion a fermé ses portes à 16 heures 15. Seules treize minutes séparaient la publication des documents sur le site de la Cour de la fermeture des portes de l'avion. Le Gouvernement souligne qu'une fois les portes fermées, leur réouverture ne peut être décidée que par le seul commandant de bord.
Le Gouvernement fait donc valoir que le délai était insuffisant pour empêcher l'expulsion du requérant, et qu'il ne peut se voir reprocher une violation de l'article 34 de la Convention.
B. Appréciation de la Cour
64. La Cour a rappelé, dans l'affaire Savriddin Dzhurayev c. Russie (no 71386/10, §§ 211 à 213, CEDH 2013 (extraits)), l'importance cruciale et le rôle vital des mesures provisoires dans le système de la Convention.
65. La Cour souligne également que, dans le cadre de l'examen d'un grief au titre de l'article 34 concernant le manquement allégué d'un État contractant à respecter une mesure provisoire, elle ne reconsidère pas l'opportunité de sa décision d'appliquer la mesure en question (Paladi c. Moldova [GC], no 39806/05, § 92, 10 mars 2009 et Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, § 161, CEDH 2010). Il incombe au gouvernement défendeur de lui démontrer que la mesure provisoire a été respectée ou, dans des cas exceptionnels, qu'il y a eu un obstacle objectif qui l'a empêché de s'y conformer, et qu'il a entrepris toutes les démarches raisonnablement envisageables pour supprimer l'obstacle et pour tenir la Cour informée de la situation.
66. La Cour constate, comme le reconnaît le Gouvernement, que la mesure provisoire n'a pas été respectée. Ce dernier soutient ne pas avoir eu matériellement le temps d'empêcher l'expulsion du requérant.
La Cour doit donc déterminer si, en l'espèce, il y avait des obstacles objectifs qui ont empêché le Gouvernement de se conformer à la mesure provisoire en temps voulu (D.B. c. Turquie, no 33526/08, § 67, 13 juillet 2010).
67. La Cour rappelle que le requérant l'avait déjà saisie d'une demande de mesure provisoire sur le fondement de l'article 39 de son règlement (requête no 21580/10), qui a été accordée le 26 avril 2010 et n'a pris fin qu'avec le prononcé de la décision M. X, du 1er juillet 2014.
68. La Cour est pleinement consciente qu'il peut être nécessaire pour les autorités compétentes de mettre en œuvre une mesure d'expulsion avec célérité et efficacité. Toutefois, les conditions d'une telle exécution ne doivent pas avoir pour objet de priver la personne reconduite du droit de solliciter de la Cour l'indication d'une mesure provisoire.
69. La Cour relève que la décision de l'OFPRA du 17 février 2015 n'a été notifiée au requérant que le 20 février 2015 à l'occasion du pointage au commissariat de police auquel il était astreint au titre des obligations de l'assignation à résidence dont il faisait l'objet (paragraphe 21 ci‑dessus) et ce sans qu'il en ait été informé préalablement. Lui ont également été notifiées à cette occasion deux décisions du 20 février 2015 mettant fin à l'assignation à résidence et fixant l'Algérie comme pays de destination.
La Cour note que ces deux décisions visent expressément la décision de l'OFPRA du 17 février 2015 qui n'avait pas encore été portée à la connaissance du requérant, bien que transmise à la préfecture de la Charente et à la brigade de gendarmerie. Par ailleurs, la Cour constate, ainsi que le démontre la note du ministère de l'Intérieur du 18 février 2015 (paragraphe 20 ci‑dessus), qu'à cette date les services de police avaient déjà fixé les modalités retenues pour le transport du requérant à la frontière. La Cour relève également que, dès le 19 février 2015, les autorités consulaires algériennes avaient délivré, à l'insu du requérant, un laissez‑passer à la demande des autorités françaises. Compte tenu de ces préparatifs, le renvoi du requérant vers l'Algérie a eu lieu à peine sept heures après la notification de la décision fixant le pays de destination.
70. La Cour en conclut que les autorités françaises ont créé des conditions dans lesquelles le requérant ne pouvait que très difficilement saisir la Cour d'une seconde demande de mesure provisoire. Ce faisant, elles ont donc délibérément et de manière irréversible, amoindri le niveau de protection des droits énoncés dans l'article 3 de la Convention que le requérant cherchait à faire respecter en introduisant sa demande devant la Cour. Dans les circonstances de l'espèce, l'expulsion a pour le moins ôté toute utilité à l'éventuel constat de violation de la Convention, le requérant ayant été éloigné vers un pays qui n'est pas partie à cet instrument, où il alléguait risquer d'être soumis à des traitements contraires à celle-ci.
71. Dès lors, la Cour conclut que les autorités françaises ont manqué à leurs obligations découlant de l'article 34 de la Convention.
III. Sur les autres violations alléguées
A. Sur la violation alléguée de l'article 8 de la Convention
72. Le requérant invoque l'article 8 de la Convention en exposant qu'il serait porté atteinte à sa vie privée et familiale s'il était éloigné du territoire français. Cette disposition se lit comme suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
73. La Cour relève que le requérant n'a pas interjeté appel du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris le 14 juin 2006 prononçant notamment à son encontre l'interdiction définitive du territoire français à titre de peine complémentaire pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme. Dès lors, la Cour considère que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 35 § 1 de la Convention et que ce grief doit être rejeté conformément à l'article 35 § 4 de la Convention.
B. Sur la violation alléguée de l'article 3 de la Convention dont s'estiment victimes la compagne et les enfants du requérant
74. Le requérant soutient que son épouse et ses enfants ont ressenti une souffrance dépassant le seuil de gravité nécessaire à l'application de l'article 3 en raison des sentiments de peur, d'angoisse et d'impuissance éprouvés face à la situation dans laquelle il se trouve.
75. Le Gouvernement fait valoir que la compagne et les enfants du requérant ne sont pas parties à la procédure, mais également que les éventuels préjudices subis n'atteignent pas le seuil de gravité entraînant l'application de l'article 3 de la Convention.
76. La Cour constate que la compagne et les enfants du requérant n'étant pas eux‑mêmes requérants, ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 (a) et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
77. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
78. Le requérant réclame 402 274,60 euros (EUR) au titre du préjudice matériel constitué par le manque à gagner subi en raison de sa détention en Algérie.
79. Il réclame de surcroît 120 000 EUR au titre du préjudice moral qu'il aurait subi, résultant tant des traitements inhumains et dégradants subis que de l'angoisse d'être exposé à la peine de mort et d'être séparé de ses proches.
80. Le Gouvernement soutient que le préjudice matériel invoqué par le requérant n'est pas établi.
81. S'agissant de son préjudice moral, le Gouvernement considère que le constat d'une violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.
82. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué et rejette cette demande.
83. Les éléments du dossier ont conduit la Cour à conclure à la violation de l'article 3 de la Convention et au non‑respect de l'article 34 de la Convention du fait de l'action des autorités françaises. La Cour estime que le dommage moral du requérant se trouve, dans les circonstances particulières de l'espèce, suffisamment réparé par ces constats de violation.
B. Frais et dépens
84. Le requérant demande également 4 850 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour et en justifie par la production de plusieurs notes d'honoraires.
85. Le Gouvernement estime que le requérant ne pourrait se voir allouer plus de 900 euros.
86. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d'accorder au requérant la somme qu'il demande, à savoir 4 850 EUR, moins 850 EUR déjà perçus du Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire, soit 4 000 EUR.
C. Intérêts moratoires
87. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
V. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
88. Aux termes de cette disposition :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. »
89. En vertu de l'article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé de surveiller l'exécution de ces arrêts. Il en découle notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l'État défendeur a l'obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l'article 41 le cas échéant, mais aussi d'adopter les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles nécessaires. Les arrêts de la Cour ayant une nature essentiellement déclaratoire, l'État défendeur demeure libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s'acquitter de son obligation juridique au regard de l'article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l'arrêt de la Cour. Cependant, dans certaines situations particulières, il est arrivé que la Cour ait estimé utile d'indiquer à un État défendeur le type de mesures à prendre pour mettre un terme à la situation – souvent structurelle – qui avait donné lieu à un constat de violation (voir, par exemple, Öcalan c. Turquie [GC], no46221/99, § 210, CEDH 2005-IV, et Popov c. Russie, no 26853/04, § 263, 13 juillet 2006). Parfois même, la nature de la violation constatée ne laisse pas de choix quant aux mesures à prendre (Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 198, CEDH 2004‑II,, Alexanian c. Russie, no 46468/06, § 239, 22 décembre 2008, Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, §§ 85 et 88, CEDH 2009).
90. En l'espèce, la Cour juge nécessaire d'indiquer les mesures individuelles qui s'imposent dans le cadre de l'exécution du présent arrêt, sans préjudice des mesures générales requises pour prévenir d'autres violations similaires à l'avenir (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 400).
91. La Cour observe que le requérant, après son transfert en Algérie, se trouve dans une situation extrêmement vulnérable dans ce pays, alors que le respect de la mesure provisoire indiquée par le juge de permanence aurait empêché la réalisation d'un risque de mauvais traitement. Eu égard aux circonstances de l'affaire et en particulier au fait que le requérant est désormais sous la juridiction d'un État non‑partie à la Convention, la Cour considère qu'il incombe au gouvernement français d'entreprendre toutes les démarches possibles pour obtenir des autorités algériennes l'assurance concrète et précise que le requérant n'a pas été et ne sera pas soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable quant au grief tiré par le requérant de l'article 3 de la Convention en son propre nom et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit, par six voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention ;
3. Dit, par six voix contre une, que les autorités françaises ont manqué à leurs obligations découlant de l'article 34 de la Convention ;
4. Dit, à l'unanimité, que les précédents constats de violation et de non‑respect constituent une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
5. Dit, par six voix contre une :
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, pour frais et dépens, 4 000 (quatre mille) euros, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
6. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er février 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Claudia Westerdiek Angelika Nußberger
Greffière Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente de la juge O'Leary.
A.N.
C.W.
OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE O'LEARY
I. Introduction
1. La chambre a conclu, à l'unanimité, à la recevabilité du grief relatif à l'article 3 de la Convention et, à la majorité, à une violation de cette même disposition ainsi qu'au non-respect des obligations incombant au gouvernement défendeur en vertu de l'article 34 de la Convention.
2. Je ne m'oppose pas à la recevabilité du grief relatif à l'article 3 en vue, notamment, du fonctionnement du cadre juridique interne relatif à l'interdiction définitive du territoire français (« l'ITF ») dont le requérant a fait l'objet. Toutefois, j'expliquerai ci-dessous pourquoi la question de la recevabilité devrait, à mon sens, nous inciter à une réflexion sérieuse sur ce sujet (III).
3. Quant aux griefs relatifs aux articles 3 et 34 de la Convention, compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, des éléments disponibles dans le dossier et de la motivation proposée dans l'arrêt, je ne peux pas me rallier à la position de la majorité (IV et V).
4. Il convient de rappeler que cet arrêt constitue la seconde décision prise par la Cour à l'égard du requérant[1]. La première requête de ce dernier relative à l'article 3, introduite en 2010, a d'abord fait l'objet de l'application de l'article 39 du règlement de la Cour (« le règlement »), pour être ensuite déclarée irrecevable en 2014 pour non-épuisement des voies de recours internes. À mon sens, si la recevabilité du grief relatif à l'article 3 est la conséquence inéluctable de ce qui semble être des contradictions du droit interne lorsqu'il s'agit de l'examen d'une ITF à l'aune de l'article 3, il n'en reste pas moins que la passivité du requérant jusqu'à l'introduction tardive de sa demande d'asile et les termes de la première décision rendue par la Cour à son égard dans l'affaire M.X. c. France (devenue M.A. c. France) semblent avoir presque garanti la recevabilité de son grief dans la présente affaire.
5. Je prie mes collègues de bien vouloir excuser la longueur de cette opinion séparée, due à l'importance des questions juridiques posées et au caractère sensible de l'affaire.
II. Les antécédents de la présente requête
6. Le requérant a quitté son pays d'origine, l'Algérie, en 1999. Il allègue y avoir rejoint les mouvements islamistes dès le début de la guerre civile en 1992 et y avoir combattu les autorités algériennes. Toutefois, il ne ressort pas du dossier que le requérant a fait l'objet de poursuites judiciaires en Algérie. Il s'agit d'un point essentiel, confirmé par la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 17 février 2015 («l'OFPRA», voir ci‑dessous) lors du rejet de la demande d'asile du requérant, qui n'est cependant pas mentionné dans la décision de la majorité[2]. Après un séjour en Espagne, le requérant s'est installé en France, où il s'est marié en 2004 avec une ressortissante française, avec laquelle il a eu trois enfants, nés en 2010, 2012 et 2015[3]. Si la nationalité algérienne du requérant n'est pas contestée, son identité n'a jamais pu être établie en raison des divers patronymes qu'il a toujours utilisés[4].
7. Le requérant a été accusé en France en 2004 d'avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme, notamment des projets d'attentat chimique en France. Il a été condamné, le 14 juin 2006, par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de sept ans d'emprisonnement ferme ainsi qu'à une ITF à titre de peine complémentaire. À la différence de certains de ses coaccusés, le requérant n'a pas interjeté appel de cette décision, qui est devenue définitive. Dans le cadre d'un tel appel, le juge judiciaire aurait pu examiner l'ITF à l'aune de l'article 8 de la Convention, mais sans procéder à la désignation du pays de destination – celle-ci relevant de la seule décision des autorités administratives –, et non pas, il semble, à l'aune de l'article 3[5].
8. En février 2010, le requérant a été extrait de la maison d'arrêt où il était placé, pour exécution de l'ITF. Les premières tentatives d'exécution de l'ITF se sont avérées infructueuses, le requérant ayant gardé le silence et ayant refusé de communiquer des informations personnelles le concernant. Sans de telles informations, l'arrêté administratif fixant le pays de destination de la personne faisant l'objet de l'ITF ne pouvait être adopté[6].
9. Le 19 avril 2010, le requérant a saisi la Cour de sa première demande de mesure provisoire. Le 26 avril 2010, la Cour a fait droit à cette demande, indiquant au gouvernement défendeur de ne pas procéder au renvoi du requérant vers l'Algérie pour la durée de la procédure devant elle.
10. Ce n'est qu'au bout de plus de quatre ans que la Cour a statué[7]. Pendant ce temps, le requérant s'est trouvé assigné à résidence, d'abord sur le territoire d'une première commune, puis, en raison de graves incidents l'opposant à la gérante de l'hôtel assurant son hébergement, sur le territoire d'une autre commune. Aucune information relative à la situation de la famille du requérant pendant cette période ne ressort du dossier.
11. Par sa décision M.X. c. France du 1er juillet 2014, la Cour a déclaré la première requête du requérant irrecevable pour non-épuisement des voies de recours. Selon la Cour, une demande d'asile auprès de l'OFPRA aurait permis au requérant de faire examiner la question de la réalité des risques qu'il alléguait courir dans son pays d'origine, tout en lui permettant de demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il fût définitivement statué sur sa demande. La Cour a conclu que, en omettant d'introduire une telle demande auprès de l'OFPRA, le requérant s'était abstenu de faire usage d'une voie de recours effective. La mesure provisoire indiquée en application de l'article 39 du règlement a donc pris fin[8].
12. Quatre mois après la décision de la Cour, le préfet de la Charente a informé le requérant qu'il entendait procéder à son expulsion. Il lui a accordé un délai de six jours pour la formulation de ses observations. Le requérant prétend avoir présenté des observations, ce que le Gouvernement conteste.
13. Le 2 décembre 2014 – soit quinze ans après son départ de l'Algérie, dix ans après son mariage avec une ressortissante française, huit ans après sa condamnation et l'imposition à son encontre de l'ITF, quatre ans après la première tentative d'exécution de l'ITF et cinq mois après la décision d'irrecevabilité rendue par la Cour −, le requérant a introduit une demande d'asile auprès de l'OFPRA. La demande a été traitée selon la procédure prioritaire avant d'être rejetée le 17 février 2015. En vertu du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile («le CESEDA»), la qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée et, pour que la qualité de réfugié soit reconnue, il doit exister un lien entre l'un des motifs de persécution et les actes de persécution ou l'absence de protection contre de tels actes.
14. Le requérant s'est vu communiquer le rejet de sa demande d'asile le 20 février 2015, à 9 h 20, alors qu'il s'était rendu au commissariat dans le cadre des obligations liées à son assignation à résidence[9]. Il a également reçu communication d'un arrêté abrogeant l'assignation à résidence et d'un autre arrêté fixant l'Algérie comme pays de destination. Ensuite, les autorités françaises l'ont conduit vers l'aéroport de Bordeaux, aux fins d'un transfert vers l'aéroport de Roissy pour un vol le soir vers l'Algérie. Son avocate a été informée, apparemment par son épouse, de son éloignement à 12 h 15. Elle a introduit devant la Cour une nouvelle demande de mesure provisoire par une lettre télécopiée reçue à 15 h 16. Aucun appel contre la décision de l'OFPRA n'a été introduit devant la Cour nationale du droit d'asile («la CNDA») le jour de l'éloignement ou après. De même, aucun recours contre la décision administrative fixant le pays de destination n'a été tenté. La chronologie des événements du 20 février 2015 est décrite de manière détaillée au paragraphe 21 de l'arrêt de la majorité.
III. Sur l'épuisement des voies de recours internes
15. L'importance de la règle de l'épuisement des voies de recours internes est rappelée par la Cour dans maintes affaires, y compris M.X. c. France. Cette règle, énoncée à l'article 35 § 1 de la Convention, impose aux personnes désireuses d'intenter une action devant la Cour l'obligation d'utiliser auparavant les recours qui sont normalement disponibles dans le système juridique de leur pays et suffisants pour leur permettre d'obtenir le redressement des violations qu'elles allèguent[10]. Elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l'homme[11].
16. Selon la jurisprudence de la Cour, la règle de l'épuisement ne s'accommode pas d'une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu. En en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que « la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle du requérant »[12].
17. La chambre conclut que, par sa demande d'asile, examinée mais rejetée par l'OFPRA, le requérant a satisfait à l'obligation d'épuisement des voies de recours internes[13]. Le recours devant l'OFPRA ayant un effet suspensif et le requérant l'ayant tenté, son grief tiré de l'article 3 de la Convention doit être jugé recevable. Cela étant, pour les raisons exposées ci-dessous, il convient de mettre en exergue tant des éléments du droit français qui, à mon sens, ont obligé la Cour à conclure ainsi, que des motifs pour lesquels une demande d'asile concernant une personne dans la situation du requérant ne devrait pas en principe être considérée comme une voie apte aux fins de l'examen d'un grief relatif à l'article 3 de la Convention.
1. L'ITF
18. Il ressort du paragraphe 23 de la décision de la Cour dans M.X. c. France que, aux termes de l'article 131-10 du code pénal français, la peine d'ITF est directement exécutoire, en ce qu'elle ne nécessite pas que l'administration prenne un arrêté de reconduite à la frontière pour assurer l'exécution de la décision de justice.
19. Il n'est pas contesté que le requérant, à la différence de certains de ses coaccusés, n'a pas interjeté appel de la décision du tribunal correctionnel de Paris en date du 14 juin 2006[14]. Lorsque la majorité examine le grief du requérant relatif à l'article 8 de la Convention, cette absence d'appel conduit à une constatation d'irrecevabilité pour non-épuisement[15]. En revanche, s'agissant du grief relatif à l'article 3, l'absence d'appel contre la décision du 14 juin 2006 devient la raison pour laquelle un éventuel recours devant le juge administratif est considéré comme étant ineffectif en l'espèce. En effet, pour jouir d'un effet suspensif, un recours contre un arrêté fixant le pays de destination devait être combiné avec un recours contre l'obligation de quitter le territoire français ou l'arrêté de reconduite à la frontière[16]. Or, en l'espèce, la désignation du pays de destination n'est intervenue que le 20 février 2015 et l'ITF, qui trouvait son origine dans la décision du 14 juin 2006, était entretemps devenue définitive, faute d'appel par le requérant. De même, ainsi que le gouvernement défendeur l'a soutenu dans l'affaire M.X. c. France, si le juge pénal, saisi dans le cadre d'un recours en relèvement de l'interdiction du territoire, peut être amené à se prononcer sur la compatibilité de la peine avec l'article 8 de la Convention, c'est le juge administratif qui est compétent dans le cadre d'un recours contre l'arrêté fixant le pays de destination pour connaître des risques de traitements inhumains et dégradants[17]. Il est à noter que, dans l'affaire Daoudi c. France, étroitement suivie par la majorité sur le fond, il est indiqué que la cour d'appel de Paris avait rejeté la requête en relèvement d'interdiction du requérant dans ladite affaire, estimant que la mesure d'ITF n'était pas incompatible avec les articles 8 et 3 de la Convention[18]. Il semble que, à la différence de la présente espèce, cet examen des articles 3 et 8 par le juge pénal était possible car le pays de destination de l'intéressé avait déjà été fixé. En tout cas, s'il y a une incohérence entre la présente décision sur la recevabilité et la décision prise dans l'affaire Daoudi, il incombait au gouvernement défendeur de le faire valoir.
2. La demande d'asile
20. Lorsqu'en 2014, la Cour a rejeté la première requête introduite par le requérant, elle a indiqué que l'introduction d'une demande d'asile suffirait aux fins de la règle de l'épuisement[19].
21. Nonobstant les indications ci-dessus relatives à l'ITF, l'instruction donnée par la chambre sur la manière dont le requérant devrait remplir la condition d'épuisement ne me convainc pas. Ainsi qu'il est indiqué ci‑dessus, le requérant avait déjà passé quinze ans en France et aucune demande d'asile n'avait été présentée par lui auparavant. En vertu des dispositions du droit interne, l'introduction d'une telle demande aux fins de faire obstacle à une mesure d'éloignement pourrait être considérée comme étant frauduleuse. De même, le requérant avait déjà été condamné en conséquence de son refus de révéler son identité, ce refus ayant fait obstacle à la prise de la décision administrative nécessaire à son éloignement. Au paragraphe 43 de l'arrêt de la majorité, il est indiqué qu'il n'appartient pas à la Cour « d'affirmer qu'une voie de droit serait, à l'égard du requérant, plus opportune qu'une autre ». Or, par sa décision de 2014, la Cour a bien indiqué au requérant la voie de droit à suivre, faisant de cette voie, selon le raisonnement de la majorité, la seule voie à épuiser aux fins de toute requête ultérieure.
22. En vertu de l'article L. 742-6 du CESEDA, aucune mesure d'éloignement ne peut être exécutée tant que l'OFPRA n'a pas rejeté la demande d'asile[20]. En règle générale, les décisions de rejet prises par l'OFPRA en application notamment des articles L. 711-1 et L. 712-1 du CESEDA sont susceptibles de recours dans un délai d'un mois devant la CNDA en vertu de l'article L. 731-2 du CESEDA. En revanche, la procédure d'asile prioritaire – procédure à laquelle la demande du requérant a été soumise – se caractérise par deux aspects : un examen de la demande dans des délais plus rapides et l'absence, par dérogation aux règles du droit commun, d'un recours suspensif devant la CNDA contre la décision de l'OFPRA. Par conséquent, en cas de rejet de la demande par l'OFPRA, la mesure d'éloignement peut être mise à exécution dès l'intervention de la décision négative de l'OFPRA.
23. Nous sommes donc en présence de circonstances inédites qui semblent avoir, d'une part, déterminé la procédure choisie pour traiter la demande d'asile au niveau interne et, d'autre part, garanti la recevabilité du recours du requérant. On peut supposer que, confrontées à une demande d'asile introduite quinze ans après l'arrivée du requérant sur le territoire français, et en raison du fait que la Cour avait mis quatre ans pour conclure à l'irrecevabilité de la première requête, les autorités compétentes ont décidé de la soumettre à un traitement prioritaire. Ce traitement prive le recours dont bénéficie le requérant d'effet suspensif une fois que l'OFPRA a statué, d'où l'octroi de la mesure provisoire par la Cour le 20 février 2015 et la conclusion en l'espèce sur la recevabilité.
24. Toutefois, si une demande d'asile était la (seule) voie de recours à exercer dans le cadre de l'épuisement des voies de recours internes, il est clair qu'il s'agit d'un recours particulièrement inapproprié pour un requérant comme M. M.A. En premier lieu, il faut rappeler que, en vertu de l'article 4 § 1 de la directive 2011/95 (dite directive « qualification ») à laquelle le gouvernement défendeur fait référence, les États membres peuvent considérer qu'il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale[21]. Il semble clair qu'un délai de presque quatorze ans ne se conforme pas aux exigences de la directive et au droit interne la transposant. En indiquant, sans plus de précisions, dans sa décision de 2014 qu'une demande d'asile constituerait une voie effective, la Cour semble avoir fait abstraction des exigences encadrant une telle demande. En deuxième lieu, il ressort du paragraphe 46 de l'arrêt I.M. c. France que, selon la pratique, une demande est considérée comme reposant sur une fraude délibérée ou constituant un recours abusif lorsque, par exemple, le demandeur formule une telle demande lors de la notification d'une mesure d'éloignement ou lors d'une interpellation alors qu'il se trouve en France depuis un certain temps. Cet aspect de la présente affaire est également passé sous silence. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 741-4 du CESEDA, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la Convention de Genève, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si, entre autres, la présence en France de l'étranger constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État, et la demande d'asile repose sur une fraude délibérée. Dans son arrêt récent Lounani, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé que les dispositions pertinentes de la directive 2004/83 doivent être interprétées de telle manière que des actes de participation aux activités d'un groupe terroriste puissent justifier l'exclusion du statut de réfugié, alors même qu'il n'est pas établi que la personne concernée a commis, tenté de commettre ou menacé de commettre un acte de terrorisme[22]. En dernier lieu, la situation d'une personne censée représenter une menace pour la sécurité nationale est quelque chose qui vise, normalement, des preuves dites « ouvertes » et d'autres dites « fermées ». Si l'autorité chargée d'examiner des demandes de protection internationale pouvait être, si nécessaire, équipée pour traiter cette seconde catégorie de preuves très sensibles, une question sérieuse se poserait relativement soit à la capacité de cette Cour d'entamer un tel examen soit à une substitution de sa part de l'appréciation qui en est faite par l'autorité nationale.
25. Si donc, dans le cadre d'une demande d'asile, le requérant pouvait voir examiner le risque qu'il alléguait courir en cas d'éloignement, la procédure d'asile serait, dans un certain sens, contournée à d'autres fins en vertu de la désarticulation entre le pouvoir des juges pénaux et administratifs d'examiner des griefs relatifs aux articles 3 et 8 de la Convention lorsqu'une ITF n'est pas encore assortie d'un arrêté administratif fixant le pays de destination de l'intéressé[23].
3. Autres recours disponibles
26. Dans cette affaire, la passivité du requérant est particulièrement frappante – aucun appel à l'égard de l'ITF, aucun recours jusqu'à sa demande d'une mesure provisoire en 2010, aucun recours ni aucune demande introduits au niveau interne entre 2010 et 2014, période pendant laquelle la première requête était pendante devant la Cour. Le requérant n'a jamais tenté d'autres types de recours[24]. De même, il faut rappeler que, ainsi qu'il est indiqué ci-dessus, le refus du requérant de divulguer son identité et d'autres informations personnelles semble avoir fait obstacle à la désignation du pays de destination jusqu'en février 2015.
IV. Sur le grief tiré de l'article 3 de la Convention
27. La prohibition de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants établie par la Convention est absolue. Le fait que la personne qui est soumise à une mesure d'éloignement est condamnée pour ou soupçonnée d'actes de terrorisme ne prive pas cette disposition de son caractère absolu[25].
28. En ne concluant pas à une violation de l'article 3 de la Convention dans les circonstances particulières de l'espèce, je ne cherche aucunement à mettre en cause cette jurisprudence fondamentale.
29. Dans l'un des arrêts phares dans ce domaine, Saadi c. Italie, la Grande Chambre a toutefois rappelé que :
« la Cour a souvent indiqué qu'elle applique des critères rigoureux et exerce un contrôle attentif quand il s'agit d'apprécier l'existence d'un risque réel de mauvais traitements (...) en cas d'éloignement d'une personne du territoire de l'État défendeur par extradition, expulsion ou toute autre mesure poursuivant ce but. Même si l'évaluation de pareil risque a dans une certaine mesure un aspect spéculatif, la Cour a toujours fait preuve d'une grande prudence et examiné avec soin les éléments qui lui ont été soumis à la lumière du niveau de preuve requis avant d'indiquer une mesure d'urgence au titre de l'article 39 du règlement ou de conclure que l'exécution d'une mesure d'éloignement du territoire se heurterait à l'article 3 de la Convention. Aussi, depuis l'adoption de l'arrêt Chahal la Cour n'est-elle que rarement parvenue à une telle conclusion»[26]. »
30. Se fondant sur les enseignements de l'arrêt Daoudi, prononcé en 2009, la majorité explique, pour ce qui concerne les données pertinentes relatives à la période antérieure à l'exécution de la mesure d'expulsion, que la Cour n'a été saisie d'aucun élément relatif à l'évolution de la situation en Algérie depuis l'adoption dudit arrêt en 2009 de nature à remettre en cause l'appréciation des faits à laquelle elle s'est livrée dans Douadi. Ensuite, elle rappelle que le requérant a fait l'objet, en 2006, d'une décision juridictionnelle en France, amplement motivée et détaillée, dont le texte est public[27].
31. S'agissant des données relatives à la période consécutive à l'expulsion, il est simplement indiqué que le requérant a été remis aux agents du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) dès son arrivée en Algérie, placé en garde à vue dans un lieu dit « non connu » le 20 février 2015, présenté à un magistrat pour être mis en examen le 3 mars 2015, et placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de Chlef, où il serait toujours détenu[28]. Pour l'ensemble de ces motifs et eu égard au profil du requérant – qui est non seulement soupçonné de liens avec le terrorisme mais a également fait l'objet d'une condamnation en France pour des faits graves –, la Cour conclut qu'au moment de son renvoi en Algérie il existait un risque réel et sérieux que le requérant fût exposé à des traitements contraires à l'article 3[29].
32. À première vue, l'arrêt de la majorité semble bien conforme à l'arrêt antérieur Daoudi et à la jurisprudence de la Cour dans ce domaine. Toutefois, il convient de se demander si, dans une affaire aussi délicate, un raisonnement si général et si peu développé est suffisant, voire prudent, et si les circonstances individuelles du requérant ne méritaient pas un examen plus rigoureux. Certes, la Cour rappelle avoir une conscience aiguë de l'ampleur du danger que représente le terrorisme pour la collectivité, mais l'on peut se demander si l'arrêt de la majorité est équilibré.
33. D'abord, la majorité traite à peine l'argument du gouvernement défendeur selon lequel le fait d'avoir attendu presque quatorze ans avant l'introduction d'une demande d'asile n'est pas compatible avec l'existence et la nature des risques que le requérant dénonce. Ainsi qu'il est indiqué ci‑dessus, les règles de droit interne et de droit européen dans le domaine de l'asile exigent que le demandeur d'asile introduise son recours dans les meilleurs délais. La majorité se dit « surprise » par le fait que le requérant a attendu si longtemps pour faire valoir des risques qu'il alléguait courir. Toutefois, le fait que l'OFPRA, dans sa décision adoptée par la voie prioritaire (ce qui impliquait un examen dans des délais les plus rapides), n'a pas examiné explicitement la question du délai semble rendre cet argument inopérant pour la majorité[30].
34. Ensuite, il est de jurisprudence constante que, lorsqu'il y a eu une procédure interne, il n'entre pas dans les attributions de la Cour de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient, en principe, de peser les données recueillies par eux. Ainsi qu'il ressort de deux arrêts de Grande Chambre récents – F.G. c.Suède et J.K. c. Suède -, en règle générale, les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier non seulement les faits mais aussi, plus particulièrement, la crédibilité de témoins, car ce sont elles qui ont eu la possibilité de voir, examiner et évaluer le comportement de la personne concernée[31]. En outre, il appartient en principe à la personne qui demande une protection internationale de produire des éléments susceptibles d'établir l'existence de motifs sérieux et avérés de croire que son expulsion vers son pays d'origine impliquerait pour elle un risque réel et concret d'être exposée à une situation de danger de mort visée par l'article 2 ou à un traitement contraire à l'article 3[32]. En l'espèce, la majorité se réfère à ces principes mais n'en tire pas, à mon sens, des conclusions concrètes pour l'espèce. Selon la majorité, la situation générale en Algérie, combinée avec la condamnation du requérant en France huit ans auparavant, suffit pour conclure à l'existence d'un risque dans son pays d'origine . Ni les éléments à la disposition de l'autorité spécialisée dans le domaine de l'asile en France ni sa décision motivée à l'égard du requérant n'y figurent. L'on pourrait certes relever le caractère succinct de la décision prioritaire de l'OFPRA, en la comparant avec les décisions prises par d'autres autorités nationales compétentes en matière d'asile. Toutefois, le caractère succinct du raisonnement juridique qui caractérise les décisions de certaines juridictions en France (et ailleurs) ne constitue pas, en soi, un problème.
35. Le gouvernement défendeur a indiqué d'autres cas similaires de personnes condamnées en France pour des actes terroristes, soumises à une ITF et expulsées vers l'Algérie en 2014. Faute de précisions, ces exemples sont rejetés par la majorité comme n'étant pas pertinents ou suffisants. Il est à noter également que, malgré le fait que le requérant avait vingt-six coaccusés lors de son procès en France, la Cour ne semble pas vouloir examiner le sort de ces coaccusés, également soumis à une ITF.
36. Il convient ensuite d'observer que, si la décision du tribunal correctionnel de Paris de 2006 était amplement motivée et détaillée, il n'en reste pas moins que l'identité du requérant est restée incertaine compte tenu des différents patronymes que celui-ci a toujours utilisés. La question donc de sa « notoriété » peut être mise en cause. Le gouvernement défendeur, citant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, confirme la confidentialité des éléments d'information détenus par l'OFPRA. Certaines communications relatives aux documents d'état civil entre l'OFPRA et les préfectures sont admises mais pas celles relatives aux pièces produites à l'appui de la demande d'asile. La majorité ne conclut pas que les services secrets français ont renseigné les autorités algériennes sur la situation du requérant. L'affaire se distingue donc de la récente affaire X c. Suède, où le gouvernement défendeur avait reconnu devant la Cour la communication d'informations par les services secrets aux autorités marocaines, informations qui n'avaient pas été mises à la disposition des autorités compétentes lors de l'examen du cas du requérant au niveau interne[33].
37. En outre, la Cour a certes eu à traiter des affaires antérieures similaires à la présente affaire, et des affaires relatives à l'expulsion de personnes liées au terrorisme ont été examinées par plusieurs juridictions internes. Toutefois, dans la présente affaire, la majorité ne cherche pas à examiner la distinction – ni les éventuelles conséquences – entre les cas où les intéressés ont fait l'objet de poursuites judiciaires et/ou de condamnations en Algérie, de sorte qu'ils sont individualisés ou visés dans ce pays, et ceux où l'existence de poursuites judiciaires en Algérie n'est pas établie[34].
38. La décision de l'OFPRA a mis en exergue le fait que le requérant avait éludé les nombreuses questions posées dans le but d'identifier les motifs pour lesquels il pouvait être personnellement visé. L'OFPRA a considéré que le requérant était resté évasif et peu précis sur son appartenance alléguée à des groupes armés et que les recherches alléguées menées à son encontre n'étaient apparues ni crédibles ni étayées par des faits concrets et des déclarations développées. Dans de nombreuses affaires similaires à la présente, la Cour a confirmé la décision de l'autorité compétente, mieux placée pour apprécier les faits, selon laquelle, au vu des incohérences relevées dans la requête, des doutes sur les éléments de preuve fournis par le requérant et de l'absence d'explications de sa part sur de nombreux points importants, le requérant n'avait pas apporté d'éléments suffisants pour rendre crédible l'existence d'un risque réel et sérieux[35]. Il est donc difficile de comprendre pourquoi l'appréciation par l'OFPRA de la crédibilité et des circonstances spécifiques du requérant ne figurent pas dans l'arrêt de la majorité, ou pourquoi certains arguments du gouvernement défendeur restent sans réponse. L'arrêt semble créer – par inadvertance ou non – un obstacle à des expulsions vers l'Algérie pour des raisons générales sans exiger un examen individuel des circonstances de la personne intéressée qui cherche à s'opposer à son renvoi vers ce pays. Ces raisons générales consistent en la condamnation en France pour terrorisme en France et en une analyse de la situation en Algérie (qui manque cependant la portée et l'importance des informations utilisées par certaines juridictions nationales pour faire obstacle en vertu de l'article 3 à des expulsions vers ce pays)[36]. De nouveau, la pénurie de ressources d'une juridiction chargée de plus ou moins 62 000 demandes n'est pas sans conséquence.
39. Enfin, s'il incombe à la Cour de juger la violation de l'article 3 en se référant aux éléments à la disposition des autorités internes au moment de l'éloignement du requérant, il n'en reste pas moins que la suite pour le requérant n'est pas entièrement sans pertinence. Il n'est pas contesté que ce dernier a été arrêté en Algérie lors de son retour et qu'il est détenu dans ce pays. Comme le gouvernement défendeur le dit, le seul fait que l'intéressé se trouve en détention ne prouve pas le risque ou l'existence de traitements contraires à l'article 3 de la Convention[37]. Malgré le fait que le requérant a pu maintenir le contact avec son avocate française et qu'il est assisté par un avocat en Algérie, la première se limite à dire qu'elle est « dans l'impossibilité de déterminer si son client a subi des traitements contraires à l'article 3 de la Convention lors des premiers onze jours de détention en Algérie »[38]. Ce qui ressort clairement du dossier c'est que, en arrivant en Algérie, la mère du requérant était informée du lieu de détention puisqu'elle s'est rendue sur place. Si le lieu de détention entre le 20 février et le 3 mars 2015 n'est pas connu, aucun document médical ou témoin n'atteste d'un traitement contraire à l'article 3 pendant cette période. Un tel traitement n'est pas allégué par le requérant. À partir de cette dernière date, celui-ci a été présenté à un juge et assisté par un avocat, qui a pu lui rendre visite. Selon les informations apportées par le requérant en relation avec sa demande de satisfaction équitable, son épouse et ses enfants se sont rendus en Algérie entre juin et août 2015 afin de pouvoir lui rendre visite. Il existe un certificat, en date du 22 avril 2015, faisant état de la présence du requérant « dans un établissement de rééducation et de réadaptation à Chlef », à savoir une prison « ordinaire » située dans son lieu d'origine. Ces éléments ne semblent pas confirmer la matérialisation du risque allégué par le requérant et dont l'existence avait été rejetée par l'OFPRA.
40. Il est à remarquer, enfin, que, malgré la constatation d'une violation, aucune satisfaction équitable n'a été accordée. Si l'absence de cette dernière n'est pas exclue, vu la discrétion de la Cour et le contexte terroriste, il n'en reste pas moins que la majorité a conclu à une violation d'un article de caractère absolu[39].
V. Sur le grief relatif à l'article 34 de la Convention
41. La Cour a relevé à maintes reprises que l'article 34 de la Convention, instituant le droit de recours individuel, contient un véritable droit d'action de l'individu au plan international. Il constitue l'un des piliers essentiels de l'efficacité́ du système de la Convention et fait partie «des clefs de voûte du mécanisme» de sauvegarde des droits de l'homme[40]. De même, dans le système de la Convention, les mesures provisoires se révèlent d'une importance fondamentale pour éviter des situations irréversibles qui empêcheraient la Cour de procéder dans de bonnes conditions à l'examen d'une requête et, le cas échéant, d'assurer au requérant la jouissance pratique et effective du droit protégé par la Convention qu'il invoque. L'inobservation de mesures provisoires est considérée comme empêchant la Cour d'examiner efficacement le grief du requérant et entravant l'exercice efficace de son droit et, partant, comme une violation de l'article 34[41].
42. Dans le cadre de l'examen d'un grief au titre de l'article 34, il incombe au gouvernement défendeur de démontrer que la mesure provisoire a été respectée, ou, dans des cas exceptionnels, qu'il y a eu un obstacle objectif qui l'a empêché de s'y conformer et qu'il a entrepris toutes les démarches raisonnablement envisageables pour supprimer l'obstacle et pour tenir la Cour informée de la situation[42].
43. La Cour a déjà jugé que, en ne respectant pas une mesure provisoire, certaines Parties contractantes n'ont pas respecté leurs obligations en vertu de l'article 34 de la Convention :
- Mamatkoulov et Askharov c. Turquie – transfert des requérants vers l'Ouzbékistan huit jours après l'imposition d'une mesure provisoire ;
- Savriddin Dzhurayev c. Russie – transfert forcé vers le Tadjikistan onze mois après l'application de l'article 39 du règlement[43] ;
- Trabelsi c. Belgique – extradition vers les États-Unis vingt et un mois après l'imposition de la mesure provisoire[44] ;
- Grori c. Albanie – laps de temps de dix-sept jours entre la notification de la mesure provisoire (traitement médical inadéquat en détention) et le transfert du requérant vers un hôpital[45] ;
- Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni - demande d'une mesure provisoire le 22 décembre 2008, octroi de la mesure le 30 décembre 2008 et transfert des requérants aux autorités irakiennes le 31 décembre 2008[46] ;
- Kamaliyevy c. Russie – envoi du requérant en avion vers l'Ouzbékistan environ vingt-six heures après la notification de la mesure provisoire à l'État défendeur[47].
44. Toutefois, la présente affaire nous confronte à des circonstances sensiblement différentes. Le requérant s'est vu communiquer les décisions permettant son éloignement à 9 h 20. Son avocate dit avoir été informée de son éloignement à 12 h 15, et il lui a fallu trois heures pour introduire la demande de mesure provisoire à la Cour. Elle a été informée par la Cour dans la demi-heure qui a suivi qu'il était fait droit à cette demande. Un courriel a été envoyé au gouvernement défendeur à 15 h 54, et la décision de la Cour a été publiée sur son site sécurisé à 16 h 02. Le ministère compétent a réceptionné les documents pertinents à 16 h 11, et l'avion a décollé à 16 h 15. L'état-major de la direction centrale de la police aux frontières a reçu la télécopie l'informant de la décision de la Cour à 16 h 18.
45. Dans ces circonstances, y avait-il des obstacles objectifs qui, exceptionnellement, ont empêché le gouvernement défendeur de se conformer à la mesure provisoire dont il avait à peine eu connaissance ? L'intervalle de treize minutes entre la publication de la mesure sur le site de la Cour et le décollage de l'avion constitue-t-il un obstacle objectif ? Dans les affaires Kamaliyevy c. Russie et Muminov c. Russie, la Cour a reconnu les difficultés que peuvent poser la notification des mesures provisoires dans des délais extrêmement contraignants ou dans un laps de temps caractérisé par un décalage horaire[48].
46. La décision de conclure à une violation de l'article 34 en l'espèce semble ressortir du fait que, en préparant l'éloignement du requérant à l'avance et en agissant avec célérité le 20 février 2015, le gouvernement français a lui-même été à l'origine du contexte très serré décrit ci-dessus. Toutefois, la majorité reconnaît qu'il peut être nécessaire pour les autorités compétentes de mettre en œuvre une mesure d'expulsion avec célérité et efficacité[49]. Il n'est pas établi en l'espèce que, à la suite de la publication de la décision de la Cour à 16 h 02, les autorités françaises ont omis, délibérément, d'agir. La représentante du requérant ayant eu connaissance de l'éloignement à 12 h 15, il convient de noter que rien dans le dossier n'indique qu'elle a informé le gouvernement de son intention d'introduire une demande en vertu de l'article 39 du règlement ou que, à 15 h 15, lorsque la demande de mesure provisoire a été introduite, elle l'a informé de ce fait[50]. Dans l'affaire Al Moayad c. Allemagne, l'avocat de l'intéressé disait avoir informé le ministère compétent par téléphone qu'il allait introduire une demande, mais il avait en fait envoyé une copie de cette demande au mauvais numéro de fax. Dans les circonstances de ladite affaire, la Cour a conclu comme suit :
« the Court's assessment of the material before it leads it to find that there is an insufficient factual basis to enable it to conclude that the authorities of the respondent State deliberately prevented the Court from taking its decision on the applicant's Rule 39 request or notifying them of it in a timely manner in breach of their obligation to cooperate with the Court in good faith. »[51]
47. Quant à l'argument selon lequel le gouvernement défendeur a agi avec une célérité et une efficacité douteuses dans les circonstances de l'espèce, il convient de rappeler que l'ITF pesait sur le requérant depuis 2006, qu'une première tentative de l'exécuter en 2010 a échoué en raison d'un refus de coopération de l'intéressé (aucun risque au sens de l'article 3 n'ayant à ce stade été allégué), que la première mesure provisoire notifiée au gouvernement défendeur en 2010 a été respectée, que le requérant s'est trouvé assigné à résidence pendant les quatre années qu'a duré la première procédure devant la Cour, que les autorités compétentes l'ont de nouveau informé de leur intention d'exécuter la mesure d'éloignement en novembre 2014, qu'à ce stade l'intéressé n'avait pas encore introduit une demande d'asile, et que c'est uniquement après le rejet de sa demande d'asile par l'OFPRA, qui avait conclu à l'absence de risque, que les autorités ont exécuté l'ITF. La célérité avec laquelle l'État défendeur a agi doit donc être appréciée dans ce contexte. La Cour doit scrupuleusement veiller au respect de l'article 34 de la Convention, mais un certain seuil juridique doit être atteint avant de déclarer le non-respect des obligations découlant de cet article.
VI. Conclusion
48. En m'opposant à la décision de la majorité, je suis consciente du risque qu'une opinion séparée telle que celle-ci puisse être utilisée à des fins malintentionnées par ceux qui voudraient mettre en cause la protection offerte par la Convention, le caractère absolu de l'article 3, voire la mission même de la Cour. Il s'agirait d'une dénaturation de l'analyse juridique qui précède.
49. Dans l'arrêt Saadi, précité, la Cour a clairement rejeté l'argument du gouvernement du Royaume-Uni, partie intervenante, selon lequel il faudrait distinguer les traitements infligés directement par un État signataire de ceux qui pourraient être infligés par les autorités d'un État tiers, la protection contre ces derniers devant être mise en balance avec les intérêts de la collectivité dans son ensemble[52]. L'essence de la jurisprudence Saadi peut être résumée comme suit : les sociétés civilisées qui respectent l'État de droit n'entrent pas dans le terrain périlleux du «balancing» lorsqu'il existe un risque réel de torture et de traitement inhumain et dégradant.
50. Toutefois, la contrepartie de cette jurisprudence est l'application par la Cour d'un contrôle à la fois rigoureux et prudent. Les affaires devant la Cour touchant au terrorisme et à la protection internationale, et encore plus celles dont les juridictions nationales ont à connaître, attestent de l'existence d'une donnée réelle (sans être aussi fréquente que certains le prétendent), à savoir la commission d'actes de terrorisme par des personnes bénéficiant de la protection internationale ou le recours à la protection internationale en réponse à des mesures d'expulsion prises en conséquence de la commission d'actes de terrorisme[53]. La mission susmentionnée de cette Cour est bien connue mais souvent mal comprise – garantir les intérêts de l'individu et les impératifs de la défense de la société dans le cadre d'un État de droit. Dans une affaire comme celle-ci, le défi pour la Cour est de faire respecter cette mission en préservant le caractère absolu de la protection offerte par l'article 3, tout en reconnaissant les problèmes aigus que pose pour les États membres la lutte contre le terrorisme. Cet équilibre, souvent difficile, parfois impossible, est bien exprimé dans plusieurs affaires. Dans Soering c. Royaume‑Uni, la Cour a observé, de manière générale ce qui suit :
« (...) le souci d'assurer un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu est inhérent à l'ensemble de la Convention. »[54]
51. De même, en examinant les articles 5 et 15 dans l'arrêt A. et autres c. Royaume-Uni [GC], la Cour a indiqué qu'elle :
« (...) n'en reconnaît pas moins que chaque gouvernement, garant de la sécurité de la population dont il a la charge, demeure libre d'apprécier par lui-même les faits à la lumière des informations qu'il détient. L'opinion de l'exécutif et du Parlement britannique importe donc en la matière, et il convient d'accorder un grand poids à celle des juridictions internes, qui sont mieux placées pour évaluer les éléments de preuve relatifs à l'existence d'un danger. »[55]
52. Dans le domaine de l'article 6, dans l'arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni, elle a observé ce qui suit :
« En ces temps difficiles, la Cour estime primordial que les Parties contractantes manifestent leur engagement pour les droits de l'homme et la prééminence du droit en veillant au respect, notamment, des garanties minimales offertes par l'article 6 de la Convention. (...) il ne faut pas appliquer l'article 6 d'une manière qui causerait aux autorités de police des difficultés excessives pour combattre par des mesures effectives le terrorisme et d'autres crimes graves, comme elles doivent le faire pour honorer l'obligation, découlant pour elles des articles 2, 3 et 5 § 1 de la Convention, de protéger le droit à la vie et le droit à l'intégrité physique des membres de la population (...) »[56]
53. Pour difficile que puisse être la tâche que la Cour est quotidiennement appelée à effectuer, cette jurisprudence souligne qu'une chose est indispensable: un raisonnement juridique clair, cohérent, rigoureux et suffisamment approfondi doit fonder les décisions de la Cour, notamment celles dans les domaines les plus sensibles.
54. Dans la présente affaire, l'arrêt de la majorité décrit la situation générale en Algérie et comment elle pourrait in abstracto affecter une certaine catégorie de personnes faisant l'objet de mesures d'éloignement. Toutefois, le raisonnement demeure sur un plan général, sans faire l'examen approfondi et nécessaire de la situation individuelle du requérant et sans même faire ressortir suffisamment l'appréciation du risque effectuée par l'autorité compétente au niveau interne. Ce qui en résulte est un arrêt qui, à mon sens, fait preuve d'une automaticité erronée: une protection générale et à toute épreuve contre un renvoi vers l'Algérie est créée pour une catégorie de personnes sans qu'il y ait besoin d'examiner les situations individuelles des personnes concernées et en maintenant inchangée l'analyse de la situation générale dans ce pays malgré le passage du temps et les changements intervenus.
55. Les conséquences d'une telle approche sont résumées dans un arrêt récent de la Cour suprême irlandaise où cette juridiction, dans une affaire très similaire à la présente, a soutenu et appliqué la jurisprudence susmentionnée de la Cour relative à l'article 3 tout en observant ce qui suit :
« It is in the first place difficult to identify precisely what is a "real risk", even in numerical terms, and even more difficult to agree that in any given case what passes, or falls short of that threshold. However framed, the test necessarily means the refusal of deportation of people who on the balance of probabilities would not suffer torture or inhuman or degrading treatment, and the lower the threshold for risk, the higher the number of persons who will not be permitted to be deported to that country. Where the only downside consequence is that a person becomes entitled to remain in the host country, it is easier to err on the side of caution, but it is much more difficult if the person poses serious risk in the host country. It becomes very important to ensure that the test of what constitutes conduct contrary to Article 3 is closely scrutinised, and the evidence alleged to establish such a risk is rigorously examined.
The real risk test leads to another phenomenon which is sometimes overlooked. Addressing the possibility of the risk of a future event occurring is subtly different from assessing the probability that a past event occurred. Assessment of a risk of a future event places an unintended premium on vague generalisations and sometimes irresponsible assertions over cool measured and informed expertise. From an applicant's point of view, if there is information and evidence of whatever strength establishing some instance of conduct which would contravene Article 3, then there may be little incentive to encourage further consideration of such matters. Further investigation may of course firm up the evidence and give substance to the concern but it may also reduce the risk as assessed, by establishing that the events are unusual, random and may have no real relationship with the applicant or a person in a comparable category. But if the generalised concerns of uncertain origin are already sufficient to establish a real risk, then an applicant may deploy that evidence and has little incentive to go further and seek to establish that matter with greater certainty. The test therefore provides a perverse incentive towards confusion and generalisation, rather than clarity and precision. »[57]
56. Dans sa jurisprudence relative à l'épuisement citée ci-dessus, la Cour dit devoir tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle du requérant. Je me demande si, en concluant, en l'espèce, à une violation de l'article 3 de la Convention, l'arrêt de la majorité ne manque pas d'un certain réalisme. Le caractère absolu de la protection offerte par cette disposition ne doit en aucun cas être affaibli. Toutefois, lorsqu'un requérant avance de manière très tardive une allégation de risque dans des termes très généraux, sans apporter la preuve de la réalité de faits sérieux et avérés justifiant de conclure à l'existence d'un risque réel, et lorsque l'autorité compétente nationale exclut l'existence d'un tel risque après un examen sérieux du cas d'espèce avec toutes les informations nécessaires à sa disposition, la Cour doit se fonder sur des raisons sérieuses pour s'écarter de cette appréciation.
[1] Voir M.X. c. France ((déc.), n° 21580/10, 1er juillet 2014).
[2] L'allégation du requérant selon laquelle il avait été condamné à mort par contumace en Algérie pour des faits de participation à des organisations jugées terroristes – voir le paragraphe 17 de l'arrêt de la majorité – ne semble étayée par aucun élément présenté par lui au niveau interne ou devant la Cour. Voir également ci-dessous la motivation de la décision de l'OFPRA ayant rejeté sa demande d'asile (IV).
[3] Le gouvernement défendeur fait observer que le requérant n'a produit aucun certificat de mariage ni acte de naissance. Toutefois, il est indiqué au paragraphe 21 de l'arrêt de la majorité que, le jour de l'expulsion du requérant, les services de police auraient informé la compagne de ce dernier, et, par ailleurs, la demande de satisfaction équitable vise la femme et les enfants du requérant.
[4] Voir M.X. c. France (décision précitée, § 3).
[5] Voir les paragraphes 25-26 et 44 de l'arrêt de la majorité. Cf. l'examen par le juge judiciaire des griefs relatifs aux articles 8 et 3 de la Convention dans l'affaire Daoudi c. France (n° 19576/08, 3 décembre 2009, § 27).
[6] Le requérant a été, en conséquence, placé en garde à vue pour s'être volontairement soustrait à une mesure d'éloignement du territoire. Il a été condamné pour les faits reprochés par le tribunal correctionnel de Paris le 4 mars 2010 à deux mois d'emprisonnement ferme. Sur la nécessité du laissez-passer, voir la décision R.S. c. France (n° 50254/95, 25 mai 2010); sur la perte du statut de « victime » en raison de l'absence d'un laissez-passer, voir la décision Fatma Afif c. Pays-Bas (n° 60915/09, 24 mai 2012, §§ 47‑48).
[7] Une telle durée de procédure devant la Cour, dans le contexte de l'application de l'article 39 du règlement et eu égard à l'assignation à résidence du requérant durant toute cette période, est clairement excessive. Toutefois, il faut souligner le stock d'affaires auquel la Cour était confrontée à cette époque (151 600 affaires en 2011 ; 128 100 en 2012 ; 99 900 en 2013 ; et 69 900 en 2014).
[8] Voir M.X. c. France (décision précitée, §§ 38-40).
[9] Le gouvernement français explique que, conformément à l'article L. 723-2 du CESEDA, la décision de l'OFPRA est normalement communiquée au demandeur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il n'est pas indiqué dans le dossier si, en plus de la communication de la décision de l'OFPRA par la voie policière le 20 février 2015, une telle lettre recommandée avait été envoyée au requérant.
[10] Voir M.X. c. France (décision précitée, § 33, et la jurisprudence y citée).
[11] Voir, par exemple, Akdivar et autres c. Turquie (16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV).
[12] Voir Akdivar et autres (précité, § 69), et Riad et Idiab c. Belgique (nos 29787/03 et 29810/03, 24 janvier 2008, § 61).
[13] Voir les paragraphes 43-45 de l'arrêt de la majorité.
[14] Il ressort toutefois du paragraphe 15 de l'arrêt de la majorité et du paragraphe 13 de la décision dans l'affaire M.X. c. France que, le 11 août 2011, le requérant a introduit une requête en relèvement de l'ITF et que cette demande a été rejetée le 18 mai 2011 par le tribunal de grande instance de Paris. Aucun appel n'a été introduit contre ce rejet.
[15] Voir le paragraphe 73 de l'arrêt de la majorité.
[16] Idem, paragraphe 44, et article L. 513-3 du CESEDA, reproduit au paragraphe 16 de la décision M.X. c. France.
[17] Voir la décision dans l'affaire M.X. c. France (précitée, § 24).
[18] Voir Daoudi (précité, § 27).
[19] Voir M.X. c. France (décision précitée, § 38) et les paragraphes 43-44 de l'arrêt de la majorité.
[20] Voir le cadre juridique décrit dans l'affaire I.M. c. France (n° 9152/09, §§ 39-74, 2 février 2012). Je ne suis malheureusement pas en mesure de faire état des modifications intervenues depuis lors.
[21] Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte) (OJ L 337/9).
[22] Voir Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides c. Mostafa Lounani (C-573/14, EU:C:2017:71), et l'article 12, paragraphes 2, sous c), et 3, de la directive 2004/83.
[23] Voir, certes, Bundesrepublik Deutschland c. B et D (C- 57/09 et C-101/09, EU:C:2010:661) d'où il ressort (§§ 87‑88) que les autorités compétentes ne peuvent appliquer une clause d'exclusion qu'après avoir procédé, pour chaque cas individuel, à une évaluation des faits précis dont elles ont connaissance. Dans l'affaire Daoudi (précitée, § 28), à la différence de la présente affaire, l'éloignement suivait l'application de la clause d'exclusion malgré la reconnaissance de l'existence d'un risque de mauvais traitements, au sens de l'article 3 de la Convention, pour le requérant. Voir Boutagni c. France (n°42360/08, 18 novembre 2010), où, confrontée à un constat par la CNDA de risques, la France n'a pas procédé à l'expulsion d'un terroriste marocain.
[24] Voir, par exemple, Daoudi (précité, §§ 19-29) – affaire dans laquelle le requérant avait introduit un recours pour excès de pouvoir contre l'arrêté préfectoral fixant le pays de destination et un recours en référé-suspension.
[25] Voir notamment Chahal c. Royaume-Uni (n° 22414/93, 15 novembre 1996) ou Saadi c. Italie (n° 37201/06, 28 février 2008).
[26] Saadi (précité, § 142) (c'est moi qui souligne).
[27] Voir les paragraphes 54-55 de l'arrêt de la majorité.
[28] Ibidem.
[29] Idem, paragraphe 58.
[30] Idem, paragraphe 56.
[31] F.G. c. Suède [GC] (n° 43611/11, § 118, 23 mars 2016), et J.K. et autres c. Suède [GC](n° 59166/12, 23 août 2016, §§ 84-111). Voir également, dans un contexte différent, le résumé suivant de cet aspect de la jurisprudence relative à l'article 3 dans l'affaire Ghedir et autres c. France (n° 20579/12, 16 juillet 2015): « Lorsque des procédures internes ont été menées, la Cour n'a pas à substituer sa propre version des faits à celle des juridictions nationales, auxquelles il appartient d'établir les faits sur la base des preuves recueillies par elles (…). En effet, même si dans ce type d'affaires elle est disposée à examiner d'un œil plus critique les conclusions des juridictions nationales (El-Masri c. l'ex-République yougoslave de Macédoine [GC], n° 39630/09, § 155, CEDH 2012), il lui faut néanmoins disposer d'éléments convaincants pour pouvoir s'écarter des constatations auxquelles celles-ci sont parvenues (voir, parmi beaucoup d'autres, Vladimir Romanov c. Russie, n° 41461/02, § 59, 24 juillet 2008 (…)) ».
[32] F.G. (précité, § 125).
[33] X c. Suède (n° 36417/16, §§ 57 et 60, 9 janvier 2018). Cf A.J. c. Suède (n° 13508/07, 8 juillet 2008, § 64) : « the Court has taken into account the Government's submission that the Security Police, being responsible for the applicant's deportation, are bound by the provision in the Secrecy Act regarding the protection of an alien's personal circumstances ».
[34] Si les faits de la présente affaire rappellent ceux de l'affaire Daoudi (précitée), voir, en revanche, Boutagni (précité) (implications dans des actes de terrorisme au Maroc / condamnation en France), ou H.R. c. France (n° 64780/09, 22 septembre 2011) (demande presque immédiate d'asile en France / expulsion vers l'Algérie du requérant, recherché par les autorités dudit pays).
[35] Voir, entre autres, R.M. c. France (n° 33201/11, 12 juillet 2016), R.K. c. France (n° 68264/14, 12 juillet 2016), ou l'arrêt de la Grande Chambre dans l'affaire Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC] (nos 46827/99, 46951/99, 4 février 2005, § 73) : «Cependant, ces constatations, tout en décrivant la situation générale en Ouzbékistan, ne confirment pas les allégations spécifiques des requérants dans le cas d'espèce et doivent être corroborées par d'autres éléments de preuve.».
[36] Voir, par exemple, l'analyse de la situation en Algérie dans la décision BB et autres c. Secretary of State for the Home Department, prononcée le 18 avril 2016 par le Special Immigration Appeals Commission (SIAC). Il faut observer que, dans les circonstances particulières de ladite affaire, le SIAC a conclu à l'existence d'un risque réel, son analyse se focalisant sur les conditions de détention et surtout sur la valeur des assurances données par l'Algérie.
[37] Voir l'affaire récente X c. Allemagne ((déc.), n° 54646/17, 7 novembre 2017), où la chambre a conclu à la non-violation de l'article 3 de la Convention du fait du renvoi vers la Russie, par l'Allemagne, d'un ressortissant russe qui s'était radicalisé dans ce pays. Il n'est pas contesté que, lors de son retour, le requérant a été détenu et interrogé par les autorités. Voir également X c. Suède (précité, § 55) : «the Court stresses that the issue before it is not whether the applicant would be detained and interrogated, or even convicted of crimes later on, by the Moroccan authorities since this would not, in itself, be in contravention of the Convention».
[38] Voir BB et autres (précité, §§ 79-83) sur la question de plaintes contre des mauvais traitements une fois la personne expulsée et détenue dans une prison ordinaire en Algérie.
[39] Voir, par exemple, McCann c. Royaume-Uni [GC] (n° 18984/91, 27 septembre 1995 (violation article 2)) ou Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC] (n°5054/08 et autres, 13 septembre 2016), où la Cour a conclu que le constat de violation représentait une satisfaction équitable suffisante. Dans des affaires relatives à l'article 3 où un constat similaire a été fait à la suite d'une violation, l'expulsion n'avait pas encore été mise à exécution – voir Chahal et Saadi (précités).
[40] Voir, par exemple, Mamatkoulov et Askarov (précité, §§ 100 et 122).
[41] Idem, §§ 125-126.
[42] Paladi c. Moldova [GC] (no 39806/05, § 92, 10 mars 2009).
[43] Savriddin Dzhurayev c. Russie (n° 71386/10, §§ 211 à 213, CEDH 2013 (extraits)).
[44] Trabelsi c. Belgique (n° 140/10, 4 septembre 2014).
[45] Grori c. Albanie (no 25336/04, § 186, 7 juillet 2009).
[46] Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni (n° 61498/08, §§ 78-81 et 165, CEDH 2010).
[47] Kamaliyevy c. Russie (n° 52812/07, 3 juin 2010).
[48] Voir Kamiliyevy (précité, § 77) et Muminov c. Russie (n° 42502/06, 11 décembre 2008, § 135).
[49] Voir le paragraphe 68 de l'arrêt de la majorité.
[50] Le conseil du requérant dit avoir pris contact avec les services de la police aux frontières à l'aéroport de Roissy, mais il indique l'avoir fait juste avant 16 heures, à un moment où la décision de la Cour n'avait été ni prise ni formellement publiée. Ce contact n'est pas confirmé par la Cour.
[51] Al Moayad c. Allemagne ((déc.), n° 35865/03, § 127) (c'est moi qui souligne). Voir également en ce sens Muminov (précité, §§135-137).
[52] Voir Saadi (précité, §§ 120-122 et 138).
[53] Voir, par exemple, l'analyse dans le rapport annuel de 2016 de Frontex.
[54] Soering c. Royaume‑Uni (no 14038/88, 7 juillet 1989, § 89).
[55] A. et autres c. Royaume-Uni [GC] (n° 3455/05, 19 février 2009, § 180).
[56] Voir Ibrahim et autres (précité, § 252).
[57] Voir Y.Y. c. Minister for Justice and Equality [2017] IESC 61, jugement du 27 juillet 2017.