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Rwanda : mauvais traitements infligés aux Hutus, notamment par ceux qui veulent venger les préjudices qu'ont subis les Tutsis survivants du génocide ainsi que par les adversaires réels ou supposés de l'ethnie hutue (2004 - juillet 2007)

Publisher Canada: Immigration and Refugee Board of Canada
Author Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, Ottawa
Publication Date 3 August 2007
Citation / Document Symbol RWA102533.EF
Cite as Canada: Immigration and Refugee Board of Canada, Rwanda : mauvais traitements infligés aux Hutus, notamment par ceux qui veulent venger les préjudices qu'ont subis les Tutsis survivants du génocide ainsi que par les adversaires réels ou supposés de l'ethnie hutue (2004 - juillet 2007), 3 August 2007, RWA102533.EF, available at: https://www.refworld.org/docid/474eacad1e.html [accessed 1 June 2023]
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Freedom House souligne que si la discrimination [traduction] " explicite " fondée sur l'appartenance ethnique n'existe plus au Rwanda, il n'en reste pas moins que [traduction] " les différends ethniques demeurent une source d'inquiétude " (Freedom House 2005). De même, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) signale que [traduction] " la méfiance entre les différents groupes de la population demeure profonde " (Nations Unies janv. 2004, paragr. 15).

Le gouvernement du Rwanda a supprimé des documents officiels toute mention de l'appartenance ethnique et met l'accent sur le renforcement de l'unité nationale (É.-U. 6 mars 2007, sect. 5). Par conséquent, l'appartenance ethnique est devenue un sujet tabou (ibid., sect. 2.2). En 2002, le Rwanda a adopté une loi qui punit les gestes susceptibles de favoriser ou de créer des clivages ethniques (Canada s.d.; voir aussi Rwanda 2006, 89).

Hutus, responsabilité collective et procédure des tribunaux gacaca

Le 24 mai 2007, dans un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, un spécialiste des questions rwandaises qui a une renommée internationale et qui occupe le poste de conseiller principal de la division des affaires africaines de Human Rights Watch (HRW) a signalé qu'au Rwanda les Hutus, étiquetés comme génocidaires, font l'objet d'une discrimination généralisée.

Après une période d'essai, le gouvernement du Rwanda a mis en place des tribunaux gacaca partout au pays en 2006 afin de poursuivre en justice les auteurs du génocide (HRW janv. 2007). Les tribunaux gacaca seraient des tribunaux traditionnels fondés sur les principes de la vérité et de la réconciliation et permettant de juger les criminels dans les communautés où les crimes ont été commis (AI 2007).

Selon Amnesty International (AI), on craint que les procès gacaca soient entachés d'irrégularités (2007). Ainsi, semble-t-il, les accusés n'ont pas la possibilité de présenter une défense avant ou pendant les procès; par ailleurs, l'impression est répandue parmi la population que le système n'est pas impartial (AI 2007). Le HCR souligne que le principe du non bis in idem (selon lequel une personne ne peut pas être poursuivie deux fois pour la même infraction) n'est pas strictement appliqué dans le système judiciaire du Rwanda et que, par conséquent, les personnes qui ont été acquittées d'accusations de génocide, ou qui ont été remises en liberté, craignent qu'on ne les arrêtent de nouveau et que l'on ne les prive des droits associés à l'application régulière de la loi (Nations Unies janv. 2004, paragr. 54).

Dans la Province de l'Est, un juge d'un tribunal gacaca aurait demandé des pots-de-vin à au moins deux accusés en échange d'un verdict d'acquittement (AI 2007). Amnesty International a manifesté des inquiétudes concernant des personnes condamnées à 30 ans d'emprisonnement pour avoir participé au génocide, alors que leur culpabilité n'avait pas été clairement établie (ibid.). Selon Amnesty International, la [traduction] " persécution de la part des autorités locales " et les citations à comparaître devant les tribunaux gacaca étaient parmi les facteurs principaux ayant motivé la fuite des 20 000 Rwandais qui ont quitté le pays en 2006 pour demander l'asile à l'étranger (ibid.). Human Rights Watch souligne que puisque les auteurs du génocide de 1994 étaient en très grande majorité hutus, les Hutus craignent qu'on ne leur impute encore des idées génocidaires ou qu'on ne les soupçonne de vouloir se soustraire aux procédures judiciaires relatives aux crimes commis pendant le génocide (HRW 19 janv. 2007, 13). Selon le département d'État (Department of State) des États-Unis, à la fin de 2005 les responsables des tribunaux gacaca avaient recensé 69 suicides de personnes accusées de crimes relatifs au génocide et sommées de comparaître devant ces tribunaux (É.-U. 6 mars 2007, sect. 2.e).

Le 24 mai 2007, dans un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, le conseiller principal de la division des affaires africaines de Human Rights Watch a fourni les renseignements qui suivent sur les attaques contre les plaignants et les témoins tutsis comparaissant devant les tribunaux gacaca :

[traduction]

les autorités et les associations de survivants ont fréquemment tenu pour acquis ou même affirmé que toutes les attaques contre des survivants sont liées soit à des sentiments génocidaires anti-tutsis qui continueraient de se manifester, soit à la crainte des résultats du témoignage de ces personnes aux procès sur le génocide (que ce soit dans les tribunaux ordinaires ou dans les tribunaux gacaca). Il s'agit-là d'une simplification trop sommaire. En effet, les survivants peuvent également être mêlés à des différends concernant la famille, des terres ou les affaires, différends qui pourraient inciter quelqu'un à tenter de leur nuire. Toutefois, parce que tout au Rwanda est vu à travers le prisme de l'ethnicité, de nombreux survivants ainsi que les autorités font fi de ces facteurs et, pour eux, toute attaque contre un survivant est nécessairement et uniquement liée au génocide ou aux procédures judiciaires relatives au génocide.

Le fait d'imputer exclusivement au génocide tout désir de nuire à un survivant a pour effet d'exacerber les tensions entre les Hutus et les Tutsis, d'accentuer le ressentiment des Hutus qui sont toujours accusés sans égard aux faits pertinents et d'isoler davantage les survivants en les distinguant des Rwandais ordinaires.

Il est très inquiétant que le Rwanda ait adopté une politique de responsabilité collective en matière d'attaques contre les survivants. Cette politique est publiquement reconnue mais, à ma connaissance, elle n'est enchâssée dans aucune loi. Le directeur des tribunaux gacaca, haut fonctionnaire, a reconnu que la décision de recourir à la responsabilité collective a été prise à la fin de décembre 2006 et que toutes les personnes dans les environs immédiats sont tenues responsables s'il y a une attaque contre un survivant du génocide. Une fois, une vache pur sang de grande valeur, qui appartenait à un survivant, est morte. Tous ceux qui habitaient dans les alentours ont dû fournir, au total, 2 000 dollars américains, un montant énorme au Rwanda. Une autre fois, deux survivantes du génocide avaient un différend concernant des terres. Or, le champ d'une des deux femmes a été vandalisé. La communauté a été rassemblée et la police a placé tous les hommes hutus sur le sol et les a battus, et ce malgré la possibilité que le champ ait été vandalisé par un survivant tutsi. Une liste de tous les membres de la cellule [district administratif] a été dressée et chacun devait payer 500 francs. Lorsqu'on m'a montré cette liste, j'ai demandé si des survivants tutsis figuraient sur cette liste et on m'a répondu par l'affirmative, tout en précisant que ceux-ci n'auraient évidemment pas à payer.

Ce recours à la responsabilité collective a eu pour effet d'augmenter les tensions ethniques et la colère dans les deux camps [...] (HRW 24 mai 2007).

Le 24 mai 2007, dans un entretien téléphonique, une journaliste du quotidien belge Le Soir, spécialiste de la région des Grands Lacs de l'Afrique, a signalé à la Direction des recherches qu'elle avait entendu parler de cas où de fausses accusations ou des accusations relativement peu crédibles de génocide ont été portées contre des Hutus. La journaliste a expliqué qu'il faut cinq témoins pour poursuivre une personne devant les tribunaux gacaca; or, elle a entendu parler de cas où cinq personnes auraient conspiré pour porter de fausses accusations (Le Soir 24 mai 2007). Dans un incident survenu en 2005 et que HRW qualifie [traduction] " d'exceptionnel ", un administrateur local a forcé un Tutsi à déposer de fausses accusations de génocide contre une autre personne (HRW janv. 2007).

Meurtres d'Hutus commis par représailles

Human Rights Watch a constaté des cas de [traduction] " meurtres par représailles "; il s'agit d'incidents où des Tutsis, survivants du génocide, se sont vengés contre des Hutus (HRW 19 janv. 2007, 1). Ainsi, en novembre 2006, dans la Province de l'Est, le meurtre d'un survivant du génocide, neveu d'un juge d'un tribunal gacaca, a incité d'autres survivants du génocide à se venger en tuant [traduction] " au moins " huit personnes (ibid.; AI 2007; voir aussi É.-U. 6 mars 2007, sect. 1.d), dont des enfants, en blessant plusieurs autres et en incendiant des domiciles dans les environs (HRW 19 janv. 2007, 4-5). Les victimes de ces représailles, semble-t-il, n'étaient aucunement mêlées au meurtre du survivant du génocide (ibid.). La police aurait fait preuve de [traduction] " moins de minutie " dans leur recherche des auteurs des meurtres par représailles que dans leur recherche du meurtrier du survivant du génocide (ibid., 2). Un [traduction] " petit détachement militaire " a néanmoins été envoyé pour rétablir l'ordre dans le village où les meurtres par représailles ont eu lieu, et cette mesure semble avoir rassuré les habitants (ibid., 6).

Toujours en novembre 2006, le président d'un tribunal gacaca a été tué parce qu'il avait refusé de retirer des accusations de génocide portées contre une personne (ibid., 7; voir aussi É.-U. 6 mars 2007 sect. 1.d). La police aurait immédiatement procédé à l'arrestation de trois hommes; ceux-ci auraient ensuite été tués alors qu'ils étaient toujours détenus par la police (HRW 19 janv. 2007, 7). Des témoins ont déclaré à HRW que ces hommes avaient été exécutés sommairement par la police sur une route peu fréquentée (ibid., 7-8). Ces meurtres par représailles commis par des survivants du génocide et l'impression que la justice n'est pas impartiale ont [traduction] " renforcé chez les Hutus la crainte de ne pas obtenir justice lorsqu'ils sont victimes de crimes et même d'être accusés de crimes qu'ils n'ont pas commis et d'être punis pour ceux-ci " (ibid., 13).

Opposants hutus au gouvernement

En ce qui concerne les opposants réels ou supposés au gouvernement, le conseiller principal de la division des affaires africaines de Human Rights Watch a fait savoir que

[traduction]

le gouvernement peut simplement suivre ces gens de près, mais une fois convaincu qu'une personne pourrait parler publiquement et avec force contre le gouvernement ou qu'elle pourrait fuir le pays, il risque d'arrêter cette personne.

De manière générale, [...] un Hutu vu par le gouvernement comme un opposant serait accusé de participation aux actes de génocide de 1994 ou encore de crimes actuels comme le négationnisme, la minimisation du génocide ou l'adhésion à une idéologie génocidaire (HRW 24 mai 2007).

Le HCR fait remarquer aussi que les opposants hutus au gouvernement risquent d'être faussement accusés de [traduction] " révisionnisme " concernant le génocide ou de [traduction] " divisionnisme " au sujet des groupes ethniques du Rwanda (Nations Unies janv. 2004, 11). Ils risquent également d'être accusés d'avoir participé activement au génocide en tant que génocidaire, d'avoir été membres de l'Interahamwe, milice qui a participé au génocide (AI 1999) ou d'être corrompus (Nations Unies janv. 2004, 11). Le conseiller principal de la division des affaires africaines de Human Rights Watch ajoute ce qui suit concernant les opposants hutus ou tutsis au gouvernement qui sont accusés de crimes :

[traduction]

le problème c'est que la personne peut effectivement être coupable des crimes dont elle est accusée. De nombreuses personnes ont participé au génocide ou participent actuellement à des activités liées à la corruption, mais elles n'ont pas été inculpées de ces crimes. Si une telle personne est inculpée après avoir manifesté son opposition au gouvernement, il peut s'agir d'un cas de poursuite judiciaire sélective motivée non par une simple volonté d'appliquer la loi mais par le désir de punir la personne parce qu'elle a une opinion politique divergente ou parce qu'elle a exprimé une telle opinion.

Parfois l'artificialité des accusations ne devient manifeste que plus tard (parfois des mois ou même des années plus tard), quand les accusations sont tout simplement retirées et l'accusé est libéré sans procès (HRW 24 mai 2007).

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais prescrits. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous la liste des autres sources consultées pour la réponse à cette demande d'information.

Références

Amnesty International (AI). 2007. " Rwanda ". Amnesty International Report 2007. [Date de consultation : 24 mai 2007]
_____. 1999. " Rwanda ". Amnesty International Report 1999. [Date de consultation : 17 juill. 2007]

Canada. S.d. Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Lars Waldorf. Censorship and Propaganda in Post-Genocide Rwanda. [Date de consultation : 5 juin 2007]

États-Unis (É.-U.). 6 mars 2007. Department of State. " Rwanda ". Country Reports on Human Rights Practices 2006. [Date de consultation : 24 mai 2007]

Freedom House. 2005. " Country Report - Rwanda ". Countries at the Crossroads 2005. [Date de consultation : 24 mai 2007]

Human Rights Watch (HRW). 24 mai 2007. Entretien téléphonique avec un conseiller principal.
_____. 19 janvier 2007. Killings in Eastern Rwanda. [Date de consultation : 24 mai 2007]
_____. Janvier 2007. " Rwanda ". World Report 2007. [Date de consultation : 24 mai 2007]

Nations Unies. Janvier 2004. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). International Protection Considerations in Respect of Rwandan Asylum-Seekers and Other Categories of Persons of Concern in Continued Need of International Protection. [Date de consultation : 24 mai 2007]

Rwanda. 2006. Sénat. Genocide Ideology and Strategies for its Eradication. (Version électronique obtenue de Human Rights Watch le 25 mai 2007).

Le Soir [Bruxelles]. 24 mai 2007. Entretien téléphonique avec une journaliste.

Autres sources consultées

Sites Internet, y compris : British Broadcasting Corporation (BBC); European Country of Origin Information Networks (ecoi.net); Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH); Fonds national pour l'assistance aux rescapés du génocide (FARG); Ibuka; International Crisis Group (ICG); Ligue des droits de l'homme dans les Grands Lacs (LDGL); Nations Unies - Haut Commissariat aux droits de l'homme (HCDH); Nations Unies -Reliefweb; Nations Unies - Réseaux d'information régionaux intégrés (IRIN); Rwanda - Commission nationale des droits de l'homme.

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