Décision N° 17045561, 9 March 2018
Publisher | France: Cour nationale du droit d'asile |
Publication Date | 9 March 2018 |
Cite as | Décision N° 17045561, 9 March 2018, France: Cour nationale du droit d'asile, 9 March 2018, available at: https://www.refworld.org/cases,FRA_CNDA,5ac4ef114.html [accessed 19 May 2023] |
Comments | Afghanistan: In Kabul, a high-intensity situation of indiscriminate violence resulting from an internal armed conflict allows granting a civilian the benefit of subsidiary protection under Article L. 712-1 (c) of the CESEDA. |
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COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE
N° 17045561
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M. H.
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Mme Rimailho
Présidente
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Audience du 29 janvier 2018
Lecture du 9 mars 2018
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
La Cour nationale du droit d'asile
(2ème section, 1ère chambre)
80-01-01
095-03-01-03-02-03
C
Vu la procédure suivante :
Par un recours enregistré le 13 novembre 2017, M. H. représenté par Me Fadoul demande à la cour d'annuler la décision du 19 septembre 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire.
M. H., de nationalité afghane, né le 1er mai 1991, soutient qu'il craint d'être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave du fait de taliban en cas de retour dans son pays d'origine en raison des opinions religieuses que ces derniers lui imputent sans pouvoir se prévaloir utilement de la protection des autorités.
Vu :
- la décision attaquée ;
- la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 18/10/2017 accordant à M. H. le bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la décision de la présidente de la cour portant désignation des présidents de formation de jugement habilités à statuer en application du second alinéa de l'article L. 731-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 29 janvier 2018 :
- le rapport de Mme Caillot, rapporteur ;
- les explications de M. H. entendu en dari, assisté de M. Ramez, interprète assermenté ;
- et les observations de Me Fadoul.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes des stipulations de l'article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
2. Aux termes de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : a) La peine de mort ou une exécution ; b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) S'agissant d'un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».
3. M. H., de nationalité afghane, né le 1er mai 1991 à Kaboul en Afghanistan, soutient qu'il craint d'être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave du fait de taliban en cas de retour dans son pays d'origine en raison des opinions religieuses que ces derniers lui imputent sans pouvoir se prévaloir utilement de la protection des autorités. Il fait valoir qu'il est originaire de Kaboul et qu'il appartient à la minorité des chiites ghezelbash. Son père est originaire de la province de Logar où il possédait des terres sur lesquelles il cultivait de la vigne. Ce dernier était également propriétaire d'un commerce à Kaboul dans le quartier de Shahr-e-Now. A partir de 2013, son père s'est lancé dans la vente clandestine de boissons alcoolisées en s'approvisionnant à Hairatan auprès de vendeurs tadjiks, et en offrant des pots-de-vin à des agents de police afin de poursuivre ses ventes sans être inquiété par ces derniers. Il a personnellement assisté son père dans la vente de ces boissons. Le 9 novembre 2015, il a été informé par le jardinier employé par sa famille que son père et son frère cadet avaient été attaqués par des taliban à la sortie de Kolangar, où ils s'étaient rendus pour inspecter leurs vignes. Par jalousie à l'égard de la réussite financière de sa famille, certains de ses proches avaient en effet averti des taliban du commerce d'alcool réalisé par son père. Hospitalisés à Kaboul, son père et son frère sont décédés des suites de leurs blessures. Accompagné d'un de ses frères, il a tenté de faire enregistrer une plainte au commissariat, en vain. Au mois de décembre 2015, il a reçu un appel téléphonique de taliban qui l'ont menacé de mort. Quelque temps plus tard, alors qu'il circulait en voiture dans son quartier, il a été visé par des tirs et est parvenu à prendre la fuite. Il s'est rendu dans un commissariat pour déposer une plainte. Craignant pour sa sécurité, il s'est fait établir un passeport puis a entamé des démarches en vue d'obtenir la délivrance d'un visa Schengen. Le 3 janvier 2016, il a embarqué à bord d'un vol pour la Turquie. Il est arrivé en France le lendemain.
4. Les déclarations imprécises de M. H. quant aux menaces supposément proférées à son endroit par des taliban n'ont pas permis à la cour de tenir pour établis les motifs et circonstances de son départ d'Afghanistan, début janvier 2016. En effet, le requérant n'a pas été en mesure de restituer précisément la teneur de l'appel de menaces dont il aurait été destinataire. Il a également livré un récit sommaire et impersonnel de la tentative d'assassinat alléguée alors qu'il circulait en voiture dans les rues de Kaboul. Ses propos se sont également avérés imprécis à l'évocation des démarches qu'il aurait entamées auprès des services de police postérieurement à cet évènement. De plus, M. H. s'est exprimé en des termes sommaires s'agissant de sa participation alléguée au commerce de vente de boissons alcoolisées de son père. Il n'a pas livré d'éléments d'information tangibles sur les modalités concrètes de vente de ces boissons, ni sur les précautions employées par sa famille pour garantir la sécurité de ses proches. Invité par la cour à développer ses déclarations relatives aux pots-de-vin versés à des policiers, il s'est borné à indiquer que son père effectuait ces versements directement au commissariat, sans préciser toutefois lequel et sans apporter de précision sur les montants versés, la fréquence de ces transactions ni le profil des policiers impliqués. Ainsi, l'implication de sa famille dans des activités de vente clandestine de boissons alcoolisées ne peut être tenue pour établie. Enfin, et si l'intéressé allègue avoir quitté l'Afghanistan muni de son passeport estampillé d'un visa Schengen, document qu'il affirme au demeurant avoir brûlé et qu'il n'a ainsi pas été en mesure de produire à l'appui de sa demande de protection internationale, ses déclarations vagues sur les modalités d'obtention dudit document et d'organisation de son départ n'ont pas permis à la cour d'admettre la réalité de son départ supposément précipité du pays. Par suite, les craintes énoncées par M. H. ne peuvent être tenues pour fondées au sens des stipulations de l'article 1er A, 2 de la convention de Genève et des dispositions des a) et b) de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Cependant, le bien-fondé de la demande de protection de M. H. doit également être apprécié au regard du contexte prévalant dans son pays d'origine. Lorsque le degré de violence aveugle caractérisant un conflit armé atteint un niveau si élevé qu'il existe des motifs sérieux de croire qu'un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir une telle menace, l'existence d'une menace grave et individuelle contre la vie ou la personne du demandeur n'est pas subordonnée à la condition qu'il rapporte la preuve qu'il est visé spécifiquement en raison d'éléments propres à sa situation personnelle. En revanche, lorsque la situation de violence, bien que préoccupante, n'apparaît pas aussi grave et indiscriminée, il appartient au demandeur de démontrer qu'il serait, à titre individuel, directement exposé à ladite violence dans le contexte prévalant dans sa région d'origine.
6. En l'espèce, M. H. a justifié, par ses déclarations précises et développées, sa provenance de la ville de Kaboul. Or, cette ville, qui constitue l'un des quinze districts de la province de Kaboul, a été la cible d'attentats sanglants dont l'attentat-suicide mené le 27 janvier 2018 au coeur de la capitale, après qu'une ambulance piégée a explosé dans un quartier commerçant, causant la mort de 103 personnes et faisant 235 blessés. Cet attentat, revendiqué par les taliban, a fait suite à l'attaque de l'hôtel Intercontinental également menée par un commando de taliban quatre jours auparavant et ayant causé la mort de plus de 20 personnes, et a été suivi par une autre attaque, revendiquée cette fois-ci par « l'Etat islamique de la province du Khorassan » (ISKP), menée le 29 du même mois contre l'Académie militaire d'Afghanistan à Kaboul. Dans un rapport publié au mois de décembre 2017 intitulé Country Of Origin Information Report : Afghanistan Security Situation, le Bureau Européen d'Appui en matière d'Asile (EASO) indique que la présence de l'ISKP à Kaboul remonte à 2016. Ce groupe s'est rendu responsable de plusieurs attaques dans la capitale afghane, dont plusieurs ont directement visé des membres de la minorité religieuse chiite. L'EASO relève aussi la présence d'un réseau de combattants affiliés à des groupes variés tels que le Réseau Haqqani, les taliban, al Qaeda et Lashkar-e Taiba. Ce rapport dénombre 290 incidents sécuritaires survenus du 1er septembre 2016 au 31 mai 2017. Par ailleurs, d'après le rapport publié par la Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (UNAMA) au mois de février 2018, intitulé Afghanistan, Protection of civilians in armed conflict, Annual report 2017, Kaboul a été la ville afghane la plus touchée par des attentats-suicide et des attaques complexes à la suite desquels il a été recensé le plus grand nombre de victimes civiles au cours de l'année 2017. La situation de cette province doit donc, à la date de la présente décision, être regardée comme une situation de violence aveugle de haute intensité, laquelle doit être admise comme résultant d'un conflit armé interne opposant, d'une part, les éléments de l'armée nationale afghane soutenus par le mission Resolute Support de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et, d'autre part, les multiples acteurs armés cités précédemment. Dans ces circonstances, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le requérant, s'il était renvoyé en Afghanistan et devait retourner dans le district de Kaboul dont il est originaire, courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de cette ville, un risque réel de subir la menace grave au sens et pour l'application du c) de l'article L. 712-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, M. H. doit être admis au bénéfice de la protection subsidiaire.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du directeur général de l'OFPRA du 19 septembre 2017 est annulée.
Article 2 : Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à M. H.
Article 3 : Le surplus des conclusions est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. H. et au directeur général de l'OFPRA.
Lu en audience publique le 9 mars 2018.
La présidente :
F. Rimailho
La cheffe de chambre :
E. Schmitz
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Si vous estimez devoir vous pourvoir en cassation contre cette décision, votre pourvoi devra être présenté par le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation dans un délai de deux mois, devant le Conseil d'Etat. Le délai ci-dessus mentionné est augmenté d'un mois, pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l'étranger.