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Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Fédération de Russie

Publisher International Federation for Human Rights
Author Organisation mondiale contre la torture; Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme
Publication Date 19 June 2008
Cite as International Federation for Human Rights, Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, Rapport annuel 2007 - Fédération de Russie, 19 June 2008, available at: https://www.refworld.org/docid/486e0531c.html [accessed 1 June 2023]
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Contexte politique

L'année 2007 a été marquée en Fédération de Russie par la pérennisation d'un système politique dominé par le Président Vladimir Poutine et le parti au pouvoir, Russie unie, qui a remporté les élections régionales du 11 mars et les élections législatives du 2 décembre 2007. Ces dernières ont été transformées en véritable plébiscite, particulièrement après que la Douma eut adopté un dispositif électoral compromettant les chances de l'opposition de siéger au Parlement (généralisation du scrutin de liste et hausse du seuil de représentation à 7 %), et alors que les partis d'opposition et les ONG ont été victimes de harcèlement. Alors qu'aucune véritable mission d'observation de l'OSCE n'a pu suivre la campagne électorale, et même si l'Union européenne1 et l'OSCE ont critiqué la tenue des élections, notamment en raison des actes de harcèlement dont ont été victimes les opposants et les ONG, les autorités russes ont répondu de manière particulièrement agressive aux critiques répétées de l'Occident, et n'ont pas hésité à multiplier les bras de fer.

Par ailleurs, la situation des droits de l'Homme n'a eu de cesse de se détériorer en 2007 : la liberté de la presse a continué d'être entravée, le problème de l'absence d'indépendance de la justice est resté entier, les manifestations d'opposition ont été systématiquement réprimées et les attaques contre les ONG par les autorités se sont multipliées. Le niveau de violence reste en outre très élevé et le nombre de crimes racistes ne cesse d'augmenter.2 La pratique des actes de torture et des mauvais traitements dans les commissariats et les centres de détention aussi bien que dans l'armée a gardé un caractère routinier et l'impunité de leurs auteurs reste flagrante. La situation en Tchétchénie reste par ailleurs très préoccupante, que ce soit en raison de l'impunité totale sur les crimes passés, du règne de l'arbitraire ou de la situation économique et sociale. La Tchétchénie a ainsi continué de connaître des violations massives, répétées et extrêmement graves des droits de l'Homme, avec très peu de recours possible. Ces tendances ont gagné la région du Caucase du Nord, particulièrement l'Ingouchie et le Daghestan.

En 2007, la Russie a été le deuxième pays le plus condamné par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). Mais les autorités russes persistent à considérer que les décisions de la Cour sont avant tout "politiques"3 et leur application s'est limitée au dédommagement des victimes, sans que les décisions de la CEDH influencent la jurisprudence nationale ou que les autorités russes ne tirent véritablement les conséquences des condamnations prononcées. De surcroît, la Russie a persisté à refuser de ratifier le Protocole 14 à la CEDH, ce qui accélèrerait le traitement des requêtes devant la Cour.

Stigmatisation des ONG par les autorités et harcèlement par les services administratifs de l'État

En 2007, les autorités russes ont conservé une attitude hostile envers les ONG dont les activités ont été présentées avant tout comme politiques, financées en grande partie par l'Occident, servant en conséquence les intérêts étrangers et constituant de ce fait une menace pour l'État. Ainsi, en novembre 2007, le Président Poutine est allé jusqu'à déclarer que les opposants au régime (dans un contexte où les défenseurs des droits de l'Homme sont souvent assimilés à des opposants) étaient des "chacals" qui rodaient "autour des ambassades étrangères".4

Cette rhétorique hostile s'est accompagnée de mesures pratiques de marginalisation des ONG et de la multiplication des obstacles à la création de nouvelles associations. En décembre 2007, la Chambre civique russe a initié la création du Mouvement de défense des droits de l'Homme "Homme et loi", qui a pour ambition de se substituer aux ONG de défense des droits de l'Homme indépendantes dont les "méthodes dissidentes et les appels à l'Occident" sont jugés dépassés.

Par ailleurs, en 2007, le Service fédéral d'enregistrement (SFE) amené une véritable offensive contre les organisations de défense des droits de l'Homme qui s'est traduite par la multiplication d'obstacles à l'enregistrement de nouvelles associations et par les contrôles à répétition des organisations déjà existantes. Ces contrôles ont plus d'une fois paralysé le fonctionnement des ONG, obligées de fournir une documentation importante concernant toutes les sphères de leurs activités, la vérification par le SFE pouvant également comporter un audit financier, un contrôle de l'inspection des impôts ou de l'inspection du travail, etc. Des violations mineures de procédure ont été utilisées par le SFE pour donner lieu à des "avertissements", des poursuites administratives ou une suspension des activités des organisations. A titre d'exemple, en juin 2007, le Tribunal régional de Nizhny Novgorod a demandé le retrait du registre officiel du SFE du Mouvement international des jeunes pour les droits de l'Homme (International Youth Human Rights Movement – YHRM) pour "absence d'activités". Suite à des contrôles menés en août-septembre 2007, l'organisation de défense des droits de l'Homme "Citizens' Watch" et l'organisation écologiste "Bellona" ont été accusées par le SFE d'avoir souscrit des "faux contrats" commerciaux et "d'évasion fiscale". En effet, la mention des noms des bailleurs de fonds dans les documents de ces organisation est considérée par le SFE comme une publicité, et ces ONG sont alors accusées d'avoir une stratégie commerciale, activité interdite.

Utilisation de la Loi sur la lutte contre l'extrémisme afin de réduire au silence les ONG

L'application restrictive de la Loi sur les ONG et la multiplication des contrôles se sont accompagnées en 2007 de l'application sélective de la législation anti-extrémiste. L'accusation d'activité extrémiste a en effet continué à servir de façade juridique pour réprimer les organisations dont les activités incommodent le pouvoir, tandis que de nombreux groupes extrémistes qui prônent la violence et la haine raciale ont fonctionné sans entraves. En janvier 2007, la Cour suprême a ainsi confirmé la décision de la Cour régionale de Nizhny-Novgorod de dissoudre la Société d'amitié russo-tchétchène (Russian-Chechen Friendship Society – RCFS). Par ailleurs, le 24 décembre 2007, le procureur de la capitale de l'Ingouchie a déposé plainte pour "extrémisme" contre l'association Voix de Beslan, qui réunit les mères des enfants tués dans l'assaut donné suite à la prise d'otages dans l'école de Beslan (Ossétie du Nord), en septembre 2004.5

La législation anti-extrémiste a été encore renforcée en 2007 avec l'adoption par la Douma, le 6 juillet 2007, d'amendements à la Loi fédérale "Sur la lutte contre les activités extrémistes", qui facilitent notamment les écoutes téléphoniques, élargissent la définition de crime extrémiste et interdisent aux médias la diffusion de toute information sur les organisations considérées comme "extrémistes".

Poursuites judiciaires contre les ONG ayant observé les élections

L'OSCE n'ayant pas été en mesure de mener une mission d'observation électorale, les ONG locales ont été les seuls observateurs indépendants à pouvoir suivre le déroulement de la campagne et dénoncer les irrégularités observées lors des élections législatives du 2 décembre 2007. La veille des élections, les membres de La Voix, une association qui réunit 281 ONG et possède des sections dans 40 régions de la Russie afin d'observer les élections, ont subi des pressions sans précédent de la part des autorités. A Krasnoyarsk, les membres de La Voix ont été convoqués au département du ministère de l'Intérieur. A Orel, M. Dmitri Kraïukhin, membre de La Voix, a été arrêté, accusé de "hooliganisme" et condamné à une amende. Le 5 décembre, de nouvelles charges ont été retenues contre lui pour avoir perturbé le travail d'un bureau de vote où il avait constaté plusieurs violations de procédure. A Irkoutsk, une campagne de diffamation des membres de La Voix a été menée dans les médias. A Samara, des poursuites pénales ont été ouvertes en mai 2007 contre Mme Ludmila Kuzmina, présidente de la section régionale de La Voix, accusée d'utiliser des programmes informatiques piratés. Les bureaux de l'association ont été fermés pendant trois mois.

Répression violente contre les défenseurs qui dénoncent les violations des droits de l'Homme dans le Caucase du Nord

Les personnes qui osent dénoncer les disparitions forcées, les enlèvements, les tortures, les exécutions sommaires et l'impunité de leurs auteurs dans le Caucase du Nord s'exposent au danger de représailles particulièrement violentes. Par exemple, en novembre 2007, M. Farid Babaev, défenseur des droits de l'Homme au Daghestan et chef de file de la liste régionale du parti d'opposition Yabloko, a été tué par balles. D'autre part, dans la nuit du 23 au 24 novembre 2007, M. Oleg Orlov, dirigeant du Centre des droits de l'Homme "Mémorial", et trois journalistes venus couvrir une manifestation de l'opposition ont été enlevés, battus et menacés de mort en Ingouchie par des hommes armés et masqués.

Agressions contre les défenseurs qui combattent le racisme et la xénophobie

En 2007, la Russie a continué de faire face à de graves problèmes de racisme, les autorités en portant une responsabilité : ainsi, comme l'a souligné M. Doudou Diène, Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, le discours raciste et xénophobe est utilisé non seulement par les partis extrémistes, mais aussi par des grands partis politiques.6 La banalisation du discours raciste et xénophobe a contribué à la multiplication des crimes et des agressions racistes. Les défenseurs des droits de l'Homme qui ont dénoncé le racisme se sont également exposés à des attaques physiques de membres de groupes extrémistes, et ce en toute impunité. En juin 2007, Mme Valentina Uzunova, avocate, membre de l'ONG "Une Russie sans racisme" et experte sur les questions raciales et crimes de haine, a ainsi été agressée à Saint-Pétersbourg par une inconnue en tenue de camouflage. Cette agression est intervenue à la veille d'une audience au cours de laquelle Mme Uzunova devait témoigner, en tant qu'experte, contre M. Vladislav Nikolsky, poursuivi pour "incitation au changement de l'ordre constitutionnel" et à la haine raciale.

Répression policière envers les manifestants

La liberté de rassemblement pacifique a continué en 2007 d'être gravement entravée, et les arrestations arbitraires et l'usage de la force contre les manifestants se sont multipliés. Dans toutes les régions de la Fédération de Russie, de nombreuses manifestations ont ainsi été dispersées par les forces de police. La répression policière concernait avant tout des manifestations politiques, comme par exemple l'usage M. Doudou Diène, document des Nations unies A/HRC/5/10, 25 mai 2007. de la force contre les participants des "Marches du désaccord",7 qui se sont déroulées dans plusieurs villes. Le 14 avril 2007, les forces d'intervention spéciale de la police ont violemment réprimé la Marche qui s'est tenue à Moscou et plusieurs manifestants ont été passés à tabac ou arbitrairement condamnés à des peines de détention administrative. De même, lors de la Marche organisée à Saint Pétersbourg le 25 novembre 2007, qui n'avait pas été autorisée par les autorités, Mme Ella Polyakova, présidente de l'association "Les mères des soldats de Saint Pétersbourg", a été détenue pendant 11 heures et accusée de "participation à une manifestation non-autorisée" et de "rébellion" à l'encontre des forces de l'ordre. Elle a été condamnée en décembre 2007 à la peine de 500 roubles d'amende pour "participation à une manifestation non autorisée".

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme est un programme conjoint de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).


1 Cf. déclaration de la présidence au nom de l'Union européenne, Bruxelles, 5 décembre 2007.

2 Selon le Centre SOVA, du 1er janvier au 30 septembre 2007, 230 attaques à caractère raciste ont été dénombrées (contre 180 en 2006), concernant 409 personnes dont 46 sont mortes des suites de ces attaques.

3 Cf. déclaration de M. Vladimir Poutine pendant la visite du Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, M. René van der Linden, à Moscou, 11 janvier 2007.

4 Cf. discours du Président Poutine lors du Forum des partisans du 21 novembre 2007.

5 Début 2008, l'association a été dissoute par décision de justice.

6 Cf. mise à jour de l'étude réalisée par le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, M. Doudou Diène, document des Nations unies A/HRC/5/10, 25 mai 2007.

7 Nom donné aux manifestations organisées les 16 décembre 2006 et 14 avril 2007 à Moscou, les 3 mars et 15 avril 2007 à Saint Pétersbourg et le 24 mars à Nizhny Novgorod par le Front civique uni, qui regroupe divers mouvements d'opposition au pouvoir. De nombreux défenseurs des droits de l'Homme ont participé à ces marches.

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