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Turquie : information sur la situation des femmes qui portent le voile

Publisher Canada: Immigration and Refugee Board of Canada
Author Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, Ottawa
Publication Date 20 May 2008
Citation / Document Symbol TUR102820.EF
Cite as Canada: Immigration and Refugee Board of Canada, Turquie : information sur la situation des femmes qui portent le voile, 20 May 2008, TUR102820.EF, available at: https://www.refworld.org/docid/48a3028e23.html [accessed 4 June 2023]
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Interdiction

Le gouvernement de Turquie, qui a une politique de laïcité officielle, a traditionnellement interdit aux femmes qui portent le voile de travailler dans le secteur public (MERO avr. 2008). L'interdiction s'applique aux professeures, aux avocates (ibid.; HRW 16 nov. 2005), aux membres du parlement et aux autres personnes travaillant dans les édifices publics (ibid.).

En 2006, l'interdiction du voile dans la fonction publique et dans les établissements d'enseignement et les institutions politiques a été étendue aux établissements privés (ibid. janv. 2007). Les autorités ont commencé à appliquer l'interdiction du voile à des mères accompagnant leurs enfants à des activités scolaires ou à la piscine publique, et les avocates et femmes journalistes qui refusaient de respecter l'interdiction étaient expulsées des édifices publics, comme les salles d'audience et les universités (ibid.).

Établissements d'enseignement postsecondaire

Le 9 février 2008, le parlement de Turquie a approuvé une modification constitutionnelle qui levait l'interdiction du voile islamique dans les universités (RFE/RL 9 févr. 2008). Avant cette date, l'interdiction du voile s'était officiellement étendue aux étudiantes sur les campus universitaires de l'ensemble de la Turquie (États-Unis 11 mars 2008, sect. 2.c). Néanmoins, selon les Country Reports on Human Rights Practices for 2007, [traduction] " certains professeurs permettaient aux étudiantes de se couvrir la tête en classe " (ibid.). Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL) signale que depuis les années 1990, certains recteurs ont permis aux étudiantes de porter le voile (RFE/RL 9 févr. 2008).

Le 5 juin 2008, la cour constitutionnelle de Turquie a annulé les modifications que le parlement avait proposées en vue de lever l'interdiction du voile, jugeant que le fait de mettre fin à cette interdiction irait à l'encontre la laïcité officielle (AFP 7 juin 2008; AP 7 juin 2008). Il est impossible de porter en appel la décision de la plus haute cour de maintenir l'interdiction (AP 7 juin 2008). Le gouvernement a néanmoins laissé savoir qu'il envisageait d'adopter des mesures pour limiter les pouvoirs de la cour (ibid.; AFP 7 juin 2008).

Selon Middle East Report Online (MERO), il n'existe pas de statistiques fiables sur le nombre de femmes qui ne fréquentent pas d'établissement d'enseignement supérieur en Turquie parce qu'elles portent le voile (avr. 2008). En 2005, HRW estimait qu'il y avait des milliers de ces femmes (16 nov. 2005). En avril 2008, un universitaire travaillant pour l'association pour le droit des femmes à la non-discrimination (AKDER), établie à Istanbul, estimait qu'entre 2000 et 2007, environ 270 000 des 677 000 étudiantes expulsées d'établissements d'enseignement postsecondaire avaient été [traduction] " victimes de l'interdiction " (MERO avr. 2008).

Un sondage effectué en mars 2008 auprès d'environ 1 500 étudiants dans 26 universités turques révélait que 52 p. 100 des répondants étaient contre l'interdiction du voile mais que 35 p. 100 des étudiants estimaient que la levée de l'interdiction augmenterait la pression sociale exercée sur celles qui ne portent pas le voile (Turkish Daily News 24 mars 2008).

Selon le Christian Science Monitor, de nombreuses jeunes femmes qui portent le voile, dont les filles du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, ont déménagé à l'étranger pour faire leurs études universitaires (11 févr. 2008). D'autres ont choisi de porter une perruque qui couvre leur voile de façon à pouvoir assister aux cours universitaires en Turquie (Christian Science Monitor 11 févr. 2008; Sunday Times 6 mai 2007).

Depuis son arrivée au pouvoir, en 2002, le parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkinma Partisi – AKP) aurait [traduction] " fait l'objet d'importantes pressions de la part de ses partisans conservateurs " pour qu'il lève l'interdiction (The Independent 28 janv. 2008). En janvier 2008, l'AKP a conclu une entente avec le parti d'action nationaliste (Milliyetçi Hareket Partisi – MHP) qui donne aux deux partis une majorité au parlement (ibid.) leur permettant de faire adopter de nouvelles dispositions législatives assouplissant les restrictions imposées par l'interdiction (Newsweek 4 févr. 2008).

La modification prévue a soulevé des protestations de la part de militants contre le port du voile, dont 100 000 ont participé à un rassemblement à Ankara au début de février 2008 (ibid.). De nombreux Turcs laïques – qui ont une grande influence dans l'armée, la justice et l'administration des universités (AFP 7 mai 2008; Reuters 14 avr. 2008) – craindraient que les femmes qui ont l'autorisation de porter le voile dans les universités obtiennent leur diplôme et exercent des pressions pour que l'interdiction soit levée dans la fonction publique, [traduction] " ce qui ferait passer l'État turc de laïc à religieux " (The New York Times 19 févr. 2008).

Le 9 février 2008, la réforme constitutionnelle nécessaire pour lever l'interdiction du voile dans les universités turques a été approuvée par le parlement, avec une majorité bien supérieure à celle des deux tiers requise (RFE/RL 9 févr. 2008). + titre de concession aux inquiétudes nationalistes, la loi ne prévoyait aucun changement à l'interdiction du voile ailleurs que sur les campus, par exemple dans les bureaux gouvernementaux (ibid.). De plus, des médias soulignent que la levée de l'interdiction s'applique uniquement au foulard traditionnel turc attaché sous le menton, [traduction] " et exclut le voile qui couvre " (ibid.; Washington Post 26 févr. 2008).

Par suite de la levée de l'interdiction du voile, des médias ont souligné qu'il y avait une certaine confusion sur les campus universitaires au sujet des détails de la modification constitutionnelle (AFP 7 mars 2008; RFI 4 mars 2008). Par exemple, la modification ne portait pas expressément sur le droit de porter le voile dans les universités, mais proclamait [traduction] " que tout le monde a le droit à un traitement égal de la part des institutions de l'État, telles les universités, et que personne ne peut se voir exclue du système d'éducation pour des motifs qui ne sont pas clairement définis par la loi " (RFE/RL 9 févr. 2008; ESI 2 avr. 2008, 16). Si certains juristes estiment que la modification ne faisait que réaffirmer des dispositions qui existent déjà dans la constitution, d'autres croient que, même en l'absence d'une modification, la constitution n'empêche pas les étudiantes de porter le voile (ibid.).

Depuis la levée de l'interdiction, certaines universités, en particulier dans les régions rurales, ont accueilli des étudiantes portant le voile, alors que d'autres ont décidé de ne pas tenir compte de la modification (RFI 4 mars 2008; AFP 7 mars 008), et ce, malgré des menaces de la part du conseil de l'enseignement supérieur (Yüksekögretim Kurulu) qui affirmait qu'il allait poursuivre les établissements ne respectant pas la modification (ibid.). En avril 2008, l'initiative européenne pour la stabilité (European Stability Initiative – ESI), institut de recherche à but non lucratif qui a un bureau à Istanbul (ESI s.d.), a affirmé que quelque 100 universités turques sur 116 appliquaient toujours l'interdiction du voile (ESI 2 avr. 2008, 16) et qu'elles allaient continuer de le faire jusqu'à ce que le gouvernement définisse clairement les types précis de coiffes permis (ibid.; AFP 7 mars 2008). L'AKP avait déclaré qu'il allait [traduction] " attendre et voir de quelle façon allaient réagir les universités relativement à la modification " avant de changer la loi, si nécessaire (ESI 2 avr. 2008, 16).

En avril 2008, Reuters a cité des commentateurs et des militants qui prévoyaient que, si le tribunal constitutionnel (Anayasa Mahkemesi), qui s'était prononcé contre l'AKP auparavant, rejetait la levée de l'interdiction du voile, [traduction] " les femmes dévotes risquaient d'attendre longtemps avant qu'un parti s'attaque de nouveau à la question du voile " (14 avr. 2008).

Milieu de travail

Selon les Country Reports 2007, les femmes qui portaient le voile et leurs défenseurs [traduction] " faisaient l'objet de mesures disciplinaires ou perdaient leur emploi dans la fonction publique " (États-Unis 11 mars 2008, sect. 2.c). Human Rights Watch (HRW) souligne qu'à la fin de 2005, le tribunal administratif suprême (Administrative Supreme Court) avait décidé qu'une enseignante ne pouvait pas obtenir une promotion dans son école parce qu'elle portait le voile à l'extérieur du travail (janv. 2007). Un conseiller en immigration de l'ambassade du Canada à Ankara a déclaré dans une communication écrite envoyée le 27 avril 2005 à la Direction des recherches que les fonctionnaires ne peuvent pas porter le voile durant les heures de travail, mais que les femmes portant le voile peuvent travailler dans le secteur privé (Canada 27 avr. 2005). Dans une communication écrite envoyée le 12 avril 2005 à la Direction des recherches, un professeur de science politique de l'université Bogazici à Istanbul, spécialiste des questions féminines en Turquie, a souligné que les femmes qui portent le voile [traduction] " pourraient se voir refuser un emploi dans le secteur privé ou public ". + l'inverse, certaines municipalités plus traditionnelles pourraient essayer d'engager précisément des femmes qui portent le voile (professeur 12 avr. 2005). Le professeur a cependant ajouté que les femmes portant le voile éprouvent habituellement des difficultés à obtenir des postes de professeure, de juge, d'avocate ou de médecin dans la fonction publique (ibid.). Aucun autre renseignement en ce sens ni aucune information plus récente n'ont pu être trouvés parmi les sources consultées par la Direction des recherches.

Le Sunday Times, établi à Londres, signale que bien que l'interdiction ne vise que le secteur public, de nombreuses entreprises privées évitent aussi d'embaucher des femmes qui portent le voile (6 mai 2007). MERO souligne que les femmes qui portent le voile ont plus de difficulté à trouver un emploi ou à obtenir un salaire convenable (avr. 2008), mais aucune autre information en ce sens n'a pu être trouvée parmi les sources consultées par la Direction des recherches.

Soins médicaux

D'après le Sunday Times, le voile est interdit dans les hôpitaux turcs et les médecins ne peuvent pas en porter un au travail (6 mai 2007). Néanmoins, MERO souligne que, sous l'administration actuelle en Turquie, considérée par les laïcs comme ayant un programme religieux caché (The New York Times 19 févr. 2008; Washington Post 26 févr. 2008), des femmes médecins portant le voile ont été engagées dans certains hôpitaux publics (MERO avr. 2008).

Le professeur de science politique à l'université Bogazici a déclaré qu'en plus de ne jamais avoir eu connaissance de cas où des femmes portant le voile s'étaient vu refuser l'accès à des soins de santé dans des centres médicaux privés ou publics, il estimait qu'il était peu probable que cela survienne (12 avr. 2005). Le conseiller en immigration de l'ambassade du Canada à Ankara a déclaré que [traduction] " les femmes qui portent le voile ont un plein accès aux soins médicaux " (27 avr. 2005).

Aspects sociaux

Selon la fondation d'études économique et sociale de Turquie (Turkish Economic and Social Studies Foundation), établie à Istanbul, près des deux tiers des Turques portent le voile (The New York Times 30 janv. 2008; MERO avr. 2008).

Un article publié le 19 février 2008 dans le New York Times associe les tensions sociales au sujet du voile à la différence de classe entre une élite urbaine traditionnellement laïque et une classe moyenne religieuse de plus en plus urbanisée et instruite ayant ses racines à la campagne. Les personnes en faveur de l'interdiction craignent que les Turcs religieux imposent une idéologie islamique si les restrictions sont levées (The New York Times 19 févr. 2008). Selon le New York Times,

[traduction]

lors des fêtes, les femmes laïques parlent avec dédain des femmes voilées et des quartiers qu'elles habitent. Les personnes âgées secouent la tête et font claquer leur langue quand ils voient des femmes portant le voile. (ibid.)

Au cours du printemps 2007, le premier ministre de la Turquie, Tayyip Erdogan, a nommé Abdullah Gul, dont la femme porte le voile, au poste de président de la République (Sunday Times 6 mai 2007). En réaction à cette nomination, plus d'un million de personnes ont pris d'assaut les rues d'Istanbul afin de manifester contre ce qu'elles considéraient comme le premier pas vers la chute de l'État laïque (ibid.).

En revanche, les Turcs opposés à l'interdiction du voile auraient mis sur pied des organisations non gouvernementales (ONG) pour défendre les femmes portant le voile (MERO avr. 2008). Aucun autre renseignement en ce qui concerne les ONG ni aucune information plus récente à ce sujet n'ont pu être trouvés parmi les sources consultées par la Direction des recherches.

Selon certains médias, entre 60 (Christian Science Monitor 11 févr. 2008) et 70 p. 100 des Turcs sont en faveur de la levée l'interdiction du voile (MERO avr. 2008).

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l'aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais prescrits. Cette réponse n'apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d'une demande d'asile. Veuillez trouver ci-dessous la liste des autres sources consultées pour la réponse à cette demande d'information.

Références

Agence France-Presse (AFP). 7 juin 2008. " Turkish Official Urges Constitution Change after Headscarf Ruling ". (Factiva)
_____. 7 mars 2008. " L'autorisation du voile sème la confusion dans les universités turques ". (Factiva)

Associated Press (AP). 7 juin 2008. " Turkish Parliament Speaker Suggests Measure Apparently to Reduce Top Court's Power ". (Factiva)

Canada. 27 avril 2005. Ambassade du Canada à Ankara. Communication écrite envoyée par un conseiller en immigration.

Christian Science Monitor [Boston]. 11 février 2008. Yigal Schleifer. " Turkey Votes to Lift Head-Scarf Ban, but Battle Continues ". [Date de consultation : 17 avr. 2008]

États-Unis. 11 mars 2008. Department of State. " Turkey ". Country Reports on Human Rights Practices for 2007. [Date de consultation : 17 avr. 2008]

European Stability Initiative (ESI). 2 avril 2008. Turkey's Dark Side: Party Closures, Conspiracies and the Future of Democracy. [Date de consultation : 29 avr. 2008]
_____. S.d. " About Us ". [Date de consultation : 1er mai 2008]

Human Rights Watch (HRW). Janvier 2007. " Turkey ". World Report 2007. [Date de consultation : 29 avr. 2008]
_____. 16 novembre 2005. " Turkey: Headscarf Ruling Denies Women Education and Career ". [Date de consultation : 17 avr. 2008]

The Independent [Londres]. 28 janvier 2008. Nicholas Birch. " Turkey Divided over Headscarf Ban Decision ". [Date de consultation : 17 avr. 2008]

Middle East Report Online (MERO) [Washington]. Avril 2008. Hilal Elver. " Lawfare and Wearfare in Turkey ". [Date de consultation : 17 avr. 2008]

Newsweek [Washington]. 4 février 2008. Grenville Byford. " Fighting the Veil ". [Date de consultation : 17 avr. 2008]

The New York Times. 19 février 2008. Sabrina Tavernise. " In Turkey, Is Tension about Religion? Class? or Both? " (Factiva)
_____. 30 janvier 2008. Sabrina Tavernise. " For Many Turks, Head Scarf's Return Aids Religion and Democracy ". (Factiva)

Professeur de science politique, université Bogazici, Istanbul. 12 avril 2005. Communication écrite.

Radio France internationale (RFI). 4 mars 2008. François Cardona. " Turquie : la laïcité divise le pays ". [Date de consultation : 29 avr. 2008]

Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL). 9 février 2008. " Turkey Takes Steps to Lift Unviersity Head-Scarf Ban ". [Date de consultation : 10 avr. 2008]

Reuters. 14 avril 2008. Emma Ross-Thomas. " Headscarved Turkish Women Prepare for Long Struggle ". (Factiva)

Sunday Times [Londres]. 6 mai 2007. Christina Lamb. " Headscarf War Threatens to Split Turkey ". [Date de consultation : 17 avr. 2008]

Turkish Daily News [Istanbul]. 24 mars 2008. " Youth Take the Floor on Headscarf Issue ". [Date de consultation : 17 avr. 2008]

Washington Post. 26 février 2008. Ellen Knickmeyer. " In Turkey, Students Test a New Policy on Head Scarves ". (Factiva)

Autres sources consultées

Sources orales : Trois professeurs spécialistes de la politique de la Turquie et des relations entre les sexes n'ont pas répondu à une demande d'information dans les délais voulus pour la réponse à cette demande d'information.

Sites Internet, y compris : Amnesty International (AI), European Country of Origin Information Network (ecoi.net), Human Rights Foundation of Turkey (HRFT), Institut français d'études anatoliennes (IFEA), Middle East Times, Today's Zaman, Turquie européenne, Union européenne, World News Connection (WNC).

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