Une réfugiée rwandaise entame une nouvelle vie auprès de personnes âgées au Canada
Un nouveau dispositif permet de recruter des réfugiés qualifiés pour combler les pénuries de main-d'œuvre au Canada.
Bahati Ernestine Hategekimana, une réfugiée rwandaise, a été recrutée au Kenya pour travailler dans une maison de retraite en Nouvelle-Écosse.
© HCR
La première chose dont Bahati Ernestine Hategekimana se souvient à propos de la Nouvelle-Écosse, c'est à quel point cette province canadienne paraît plus verdoyante que le quartier de Nairobi, la capitale du Kenya, où cette réfugiée rwandaise de 28 ans a passé la majeure partie de sa vie.
« J'ai trouvé ça tellement beau », se souvient-elle. « J'ai vécu dans une grande ville toute ma vie. L'air [ici] avait une odeur différente, les arbres étaient lumineux et vivants. J'avais simplement le sentiment de faire corps avec la nature. »
Bahati et trois autres réfugiées rwandaises - Agnès Mude, Micheline Muhima et sa fille Iriza Eliyanah, âgée de 3 ans - sont arrivées à Halifax par une journée pluvieuse de juin 2021. Leur destination finale était la communauté rurale et tranquille de New Glasgow, dans le comté de Pictou, à environ 150 kilomètres au nord d'Halifax. Là, les trois femmes devaient travailler au Glen Haven Manor, un établissement de soins de longue durée pour patients âgés.
Le programme pionnier qui a conduit Bahati et ses collègues infirmières dans le comté de Pictou est baptisé « Economic Mobility Pathways Pilot (EMPP) ». Il offre des opportunités d'emploi au Canada pour des réfugiés qualifiés du monde entier.
Plus de 50 personnes se sont déjà rendues au Canada grâce à ce programme depuis le lancement de la première phase du projet pilote en 2018. Dans le cadre de la deuxième phase qui a débuté en décembre 2021, le Canada souhaite accueillir 500 travailleurs réfugiés, ainsi que les membres de leurs familles.
Le ministre canadien de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, prévoit d'élargir le programme pour accueillir 2000 réfugiés qualifiés, afin de combler les pénuries de main-d'œuvre dans les secteurs à forte demande tels que les soins de santé.
Le Canada préside également un nouveau groupe de travail mondial sur la mobilité de la main-d'œuvre réfugiée, qui vise à créer des voies d'accès pour les réfugiés qualifiés afin qu'ils puissent s'installer dans des pays du monde entier qui connaissent des pénuries de main-d'œuvre.
« Nous avons l’occasion de nous appuyer sur ce programme pour changer la perception du monde à l'égard des réfugiés », a déclaré Sean Fraser lors du lancement du groupe de travail à Ottawa le 6 avril.
Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, qui était présent lors du lancement, a salué cette initiative. « Je rencontre bien trop souvent des réfugiés dotés d'un immense talent mais dont les opportunités sont très limitées », a-t-il déclaré. « Les réfugiés transportent bien plus que leurs valises, [ils] apportent des compétences, [ils] apportent une capacité d'innovation, de l'enthousiasme, un désir d'appartenance et de contribution. »
L'embauche d'infirmières pour le Glen Haven Manor a été facilitée par le Pictou County Regional Enterprise Network (PCREN), un organisme local sans but lucratif.
Le directeur général de l'organisation, Scott Ferguson, affirme que le programme offre aux entreprises locales une chance de lutter contre les pénuries endémiques de main-d'œuvre.
« Dans le comté de Pictou, nous avons une population vieillissante et des employeurs locaux qui ne parviennent pas à combler leurs besoins en main d’œuvre », explique-t-il. « Nous constatons des pénuries dans de multiples secteurs d'emploi. Les soins de longue durée et l'éducation de la petite enfance sont deux secteurs qui affichent les plus hauts niveaux de pénurie chronique, mais nous l'observons également dans le secteur manufacturier, l'hôtellerie et d'autres secteurs. »
Bahati est née en mars 1994, quelques mois seulement avant que le génocide rwandais n'oblige sa famille à fuir vers la République démocratique du Congo.
« Nous sommes restés dans des camps de réfugiés pendant deux ans, jusqu'à ce que les camps deviennent instables sur le plan sécuritaire et que nous soyons obligés de fuir à nouveau », explique-t-elle. « C'est alors que nous avons rejoint Nairobi. »
Au Kenya, ses parents ont loué une petite maison dans la banlieue de Nairobi. L'éducation était une grande priorité pour la famille Hategekimana. Le père inscrit alors les enfants dans une école de fortune pour réfugiés, dirigée par d'autres réfugiés francophones du Rwanda, du Burundi et de la RDC.
Après avoir obtenu son diplôme d'études secondaires, Bahati a sollicité une bourse d'études pour réfugiés offerte par le gouvernement allemand et a entamé une licence à l’école d’infirmières de l'université Moi à Eldoret, au Kenya.
« Je refuse de me sentir impuissante. »
En tant que réfugiée, Bahati dit avoir toujours été préoccupée par l'instabilité et l'insécurité. Elle a choisi de devenir infirmière pour s'assurer qu'elle aurait les compétences nécessaires afin d’aider sa communauté en cas de nouveau conflit.
« Je refuse de me sentir impuissante, et je crois que le sentiment d'impuissance reste omniprésent autour de moi. Cela se traduit par l’impression de ne pas avoir le contrôle de quoi que ce soit en raison du statut de réfugié. Je voulais avoir une certaine forme de contrôle sur un aspect de ma vie », souligne-t-elle. Un contrôle que le programme EMPP lui a enfin apporté.
« Vous avez la capacité de travailler et d'accéder à des ressources financières », souligne-t-elle. « Et au-delà de cela, vous n'êtes plus limité par l'étiquette de réfugié. Donc, pour moi, cela signifiait vraiment reprendre le pouvoir sur ma vie. »
Son travail d'aide-soignante dans le service de soins aux personnes atteintes de troubles cognitifs ou de démence au Glen Haven Manor lui permet de s'occuper de certains des résidents parmi les plus vulnérables du foyer et de leur assurer une certaine dignité.
« Ce sont des personnes vraiment adorables », affirme Bahati. « C’est une chance que de pouvoir interagir avec elles et d'apprendre à les connaître. »
Parmi les ajustements les plus importants dans sa nouvelle vie au Canada, il lui a fallu s'habituer à la nourriture.
« Il y a un lien étroit entre la nourriture et le fait de se sentir chez soi », explique Bahati. « Nous avons vraiment eu du mal à nous habituer à la nourriture d’ici. »
Des voisins sont aussi intervenus pour les aider, en indiquant aux nouveaux arrivants les magasins africains où ils pouvaient acheter des produits alimentaires du continent, tandis qu'un bénévole de RefugePoint, une ONG qui travaille avec le HCR pour aider les réfugiés à se réinstaller au Canada, leur a envoyé un colis d'épices africaines depuis Toronto.
« Je pense à elle chaque fois que nous cuisinons, car la nourriture nous rappelle que nous sommes chez nous et des choses qui nous sont familières », dit Bahati.
Bahati attend avec impatience d'obtenir sa citoyenneté canadienne dans quelques années.
« Quand ce jour arrivera, cela représentera beaucoup pour moi », dit-elle. « Je commence à me sentir comme à la maison au Canada, mais je suppose qu’avec la nationalité, je ressentirai la chaleur d’un foyer qui m'a pleinement acceptée et intégrée. »