AFFAIRE A.E.A. c. GRÈCE (Requête no 39034/12)
Publisher | Council of Europe: European Court of Human Rights |
Publication Date | 15 March 2018 |
Citation / Document Symbol | ECLI:CE:ECHR:2018:0315JUD003903412 |
Cite as | AFFAIRE A.E.A. c. GRÈCE (Requête no 39034/12), ECLI:CE:ECHR:2018:0315JUD003903412, Council of Europe: European Court of Human Rights, 15 March 2018, available at: https://www.refworld.org/cases,ECHR,5aabea114.html [accessed 5 October 2022] |
Comments | The possibility of introducing an asylum claim is a conditio sine qua non for the effective protection of persons in need of international protection. If authorities do not guarantee unhindered access to the asylum procedure, asylum-seekers can not make use of the procedural rights foreseen within the asylum procedure and are at risk of being arrested at any time. Hence even if the asylum procedure offers effective safeguards, these are of no use if, as in the present case, the asylum claim is not registered for a long period of time. [85] violation of article 13 (effective remedy) in combination with article 3 ECHR. |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE A.E.A. c. GRÈCE
(Requête no 39034/12)
ARRÊT
STRASBOURG
15 mars 2018
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire A.E.A. c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 février 2018,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 39034/12) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant soudanais, M. A.E.A. (« le requérant »), a saisi la Cour le 25 juin 2012 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement de la Cour).
2. Le requérant a été représenté par Me I.-M. Tzeferakou, avocate au barreau d'Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme E. Tsaousi, conseillère au Conseil juridique de l'État, et Mme A. Dimitrakopoulou, assesseure au Conseil juridique de l'État.
3. Le requérant se plaignait d'une violation des articles 3 et 13 de la Convention.
4. Le 9 novembre 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. Les événements tels qui se sont déroulés selon le requérant avant son arrivée en Grèce
5. Le requérant est né dans la région du Darfour et appartient à une tribu non arabe. Il a été élevé à Khartoum.
6. Dès sa scolarité, le requérant exprima des opinions contraires à celles du régime en place. Il fut arrêté et maltraité par les autorités, qui l'obligèrent à fréquenter une école islamique pendant un mois pour le faire « rentrer dans le moule ».
7. Lors de ses études universitaires (1998-2003), il devint politiquement actif et soutint notamment les droits des tribus africaines. Il fut membre du comité exécutif de l'Association des étudiants soudanais des monts Nouba (Nuba Mountains Students Association).
8. À une date non précisée, en 2000, il fut arrêté par les autorités soudanaises. Lors de sa détention, il subit des tortures. En 2003, il fut renvoyé de l'université. Il introduisit une procédure judiciaire contre celle-ci et fut de nouveau arrêté et torturé.
9. À une date non précisée, en 2003, il quitta le Soudan pour l'Égypte, où il continua son action politique.
10. Le 25 septembre 2008, il fut enregistré auprès du Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Turquie.
B. Les événements après l'arrivée du requérant en Grèce
11. Le 1er avril 2009, le requérant entra en Grèce. Le même jour, il fut arrêté sur l'îlot de Neronisi, près de l'île de Patmos, et il fut enregistré sous le nom de « U.H. », de nationalité somalienne. Le requérant affirme qu'il n'a reçu aucune information sur ses droits et obligations et qu'il a fait l'objet d'une décision ordonnant son expulsion prise automatiquement.
12. Le 2 avril 2009, le procureur près le tribunal correctionnel de Kos renonça à poursuivre le requérant afin de permettre le renvoi de celui-ci dans son pays d'origine.
13. Le même jour, le directeur de la direction de la police du Dodécanèse décida de placer le requérant en détention provisoire jusqu'à l'adoption, dans un délai de trois jours, d'une décision concernant son expulsion (décision no 6634/2/09/1875-α). Le Gouvernement allègue que le dénommé « U.H. » a reçu une brochure informative sur ses droits et les recours possibles en anglais. Le requérant affirme n'avoir reçu aucune brochure ni aucune information dans une langue comprise par lui.
14. Le 4 avril 2009, le directeur de la direction de la police du Dodécanèse ordonna l'expulsion du requérant (décision no 6634/2/09/1875‑β). Il décida en outre de ne pas maintenir l'intéressé en détention au motif que celui-ci ne présentait pas de risque de fuite. Selon cette décision, le requérant devait quitter le territoire grec dans un délai de trente jours. La décision précisait que, en cas de recours exercé par le requérant, son application serait suspendue seulement en ce qui concernait l'expulsion.
15. Le 5 avril 2009, le requérant fut remis en liberté et se rendit à Athènes.
16. Le requérant affirme que, depuis sa libération, il a essayé d'introduire une demande d'asile auprès la direction de la police des étrangers de l'Attique, mais que les autorités ont refusé d'enregistrer sa demande. Il indique avoir séjourné à Athènes en tant que sans domicile fixe et ne pas avoir pu y bénéficier d'un hébergement en structure d'accueil. Il précise avoir vécu comme un sans-abri et s'être installé dans des bâtiments désaffectés ou chez des compatriotes. Il ajoute n'avoir eu accès ni à de la nourriture, ni à de l'eau potable, ni à des toilettes. Qui plus est, ne disposant pas de titre de séjour, il n'aurait pas pu travailler ni avoir accès aux soins médicaux.
17. Le 7 février 2011, le requérant fut reconnu par le HCR comme réfugié relevant de son mandat.
18. Le 28 mars 2012, le Conseil grec pour les réfugiés, avec lequel le requérant avait entretemps pris contact, saisit le médiateur de la République pour dénoncer l'impossibilité pour l'intéressé d'avoir accès à la procédure d'asile et solliciter son intervention aux fins d'enregistrement de la demande d'asile de celui-ci. Cette démarche fut notifiée au HCR.
19. Le 3 avril 2012, l'organisation non gouvernementale grecque Metadrasi rendit un rapport qui attestait que le requérant avait subi des tortures au Soudan. Établi par un médecin, un psychiatre, un avocat et une assistante sociale selon les exigences du Protocole d'Istanbul (manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, édité par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme en 2001), ce rapport indiquait que le requérant avait été actif dans un mouvement contre le régime soudanais, qu'il avait été arrêté et torturé à quatre reprises, et qu'il avait réussi à quitter son pays d'origine. Il relevait en outre que le requérant présentait des séquelles physiques et psychiatriques qui ne pouvaient avoir une origine autre que les tortures subies par lui. Selon ce rapport, le requérant était entré en Grèce par l'île de Lesbos.
20. Les 6, 12 et 20 avril et 15 juin 2012, réitérant une demande faite par lui le 30 mars 2012, le Conseil grec pour les réfugiés s'adressa à la direction des étrangers de l'Attique, par fax, pour lui demander de faciliter l'accès du requérant à la procédure d'asile, tout en mentionnant que le requérant avait été reconnu par le HCR comme refugié relevant de son mandat (paragraphe 17 ci-dessus). Il ressort du dossier que les autorités n'ont pas donné suite à ces demandes.
21. Dans l'intervalle, le 17 mai 2012, le médiateur de la République avait répondu au Conseil grec pour les réfugiés qu'il avait reçu un grand nombre de plaintes dénonçant une impossibilité d'accéder à la procédure d'asile, selon lesquelles l'enregistrement des demandes d'asile n'était possible que les samedis et de manière sélective. Il indiquait qu'il avait été confronté à ce problème, de nature structurelle, à plusieurs reprises et qu'il avait procédé à une série de visites et d'interventions à caractère général auprès des autorités, et il ajoutait qu'il avait insisté sur l'impératif de réformer le système d'asile. Le médiateur soulignait que le problème était de nature générale. Il précisait que, par conséquent, la communication de plaintes individuelles favoriserait les étrangers ayant introduit une plainte devant lui, au détriment de ceux ne l'ayant pas fait.
22. Le 23 juillet 2012, le Conseil grec pour les réfugiés envoya de nouveau un fax à la direction des étrangers de l'Attique, lui demandant de procéder à l'enregistrement de la demande d'asile du requérant.
23. Le 25 juillet 2012, les autorités enregistrèrent la demande d'asile du requérant et celui-ci se vit délivrer un certificat de demandeur d'asile. Un entretien fut fixé au 7 septembre 2012.
24. À cette date, l'entretien susmentionné fut ajourné au 5 octobre 2012, et, ultérieurement, il fut reporté au 5 novembre 2012, au 14 décembre 2012, au 1er février 2013 et enfin au 8 mars 2013.
25. Selon une attestation établie par la coordinatrice de l'unité de premier accueil et des interprètes du Conseil grec pour les réfugiés, le requérant a travaillé pour cette unité occasionnellement entre le 8 janvier 2013 et le 28 février 2013. L'attestation indiquait que le recrutement du requérant n'avait pas été possible au motif que le certificat de demandeur d'asile était renouvelé par la direction des étrangers de l'Attique pour des périodes très brèves, à savoir d'un mois. Elle précisait que, après la résolution de ce problème, la demande de permis de travail présentée par le requérant avait été rejetée par la préfecture de l'Attique au motif que d'autres personnes spécialisées dans l'interprétation de l'arabe étaient inscrites sur la liste de l'Organisme grec pour l'emploi de la main-d'œuvre (OAED). Il ressort du dossier que le requérant a reçu la somme de 334 euros (EUR) pour son travail en tant qu'interprète pour le Conseil grec pour les réfugiés.
26. L'entretien du requérant relatif à sa demande d'asile, fixé au 8 mars 2013, eut lieu à cette date et le 28 mars 2013. À cette occasion, le requérant expliqua en détail son histoire personnelle et les raisons pour lesquelles il avait quitté le Soudan. Il déclara en outre qu'il était entré en Grèce le 4 avril 2009, par l'île de Lesbos, et qu'il n'était pas marié. Il ajouta que, lors de son séjour en Égypte, sa femme était enceinte et que, lors de son arrivée en Turquie, son couple connaissait « des problèmes familiaux graves ». Il déclara aussi ne pas avoir besoin d'assistance pour son hébergement.
27. Le 14 juin 2013, le requérant reçut une aide financière d'un montant de 260 EUR de la part de l'organisation PRAKSIS, dans le cadre d'un programme d'aide au logement financé par le Fonds européen pour les réfugiés.
28. Le 25 juillet 2013, la demande d'asile du requérant fut rejetée comme manifestement mal fondée. Le 1er octobre 2013, celui-ci se vit notifier la décision portant rejet de cette demande.
29. Le même jour, il introduisit un recours contre cette décision devant la commission d'appel.
30. Le requérant allègue que, jusqu'au 1er octobre 2013, il a séjourné à Athènes dans des conditions identiques à celles antérieures à la date d'enregistrement de sa demande d'asile.
31. À une date non précisée, le requérant quitta la Grèce et s'installa en France, où il demanda la protection internationale.
32. Le 12 novembre 2015, la commission d'appel rejeta le recours du requérant. Elle releva en particulier que l'intéressé ne s'était pas présenté devant elle, malgré la notification l'ayant invité à comparaître, et conclut qu'il avait ainsi tacitement retiré sa demande d'asile.
II. LE DROIT ET PRATIQUE INTERNES
33. Le droit et la pratique internes pertinents en l'espèce en matière de procédure d'asile et de conditions d'existence des demandeurs d'asile sont décrits dans les arrêts M.S.S. c. Belgique et Grèce ([GC], no 30696/09, CEDH 2011), Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013).
34. L'article 4 du décret présidentiel no 114/2010 (intitulé « Statut de réfugié : procédure unique applicable aux étrangers et apatrides »), qui transpose dans l'ordre juridique grec l'article 6 de la directive du Conseil no 2005/85/CE du 1er décembre 2005 (sur les normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres), est ainsi libellé :
« Tout étranger ou apatride a le droit de présenter une demande de protection internationale. Les autorités compétentes pour recevoir la demande veillent à ce que tout adulte puisse exercer le droit de présenter une demande, à condition qu'il se présente en personne devant les autorités ci-dessus, sous réserve des dispositions de l'article 9 § 1 a). »
35. Dans son rapport du 25 janvier 2011, établi à la suite d'une visite aux locaux de la direction des étrangers de l'Attique le 16 novembre 2010, le médiateur de la République a souligné ce qui suit :
« (...) Concernant la procédure d'asile, le médiateur constate que les difficultés et les problèmes persistent (...). Ces problèmes se concentrent principalement sur des pratiques qui concernent la réception limitée et sélective des demandes d'asile, (...) et les effectifs insuffisants du service compétent.
Des pratiques et procédures problématiques et largement irrégulières de ce genre, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, font partie de défaillances structurelles qui sont observées depuis plus d'une décennie et continuent à se manifester lors de la procédure d'examen des demandes relatives à la protection internationale. Cela signifie que les personnes qui ont besoin de protection internationale sont, à cause des spécificités de la situation en Grèce, privées même de l'accès à la procédure d'asile. (...) »
36. En juillet 2012, la « Campagne pour l'accès à la procédure d'asile » a établi un rapport concernant la procédure d'enregistrement des demandes d'asile à la direction des étrangers de l'Attique. La campagne s'est déroulée sous l'égide de quatorze associations, organisations non gouvernementales et groupes travaillant dans le domaine de la protection des réfugiés et des demandeurs d'asile en Grèce. Du 16 février au 7 avril 2012, des participants à cette campagne se sont rendus toutes les semaines à la direction des étrangers de l'Attique.
37. Les constats suivants ressortent dudit rapport : la pratique de longue date du département de l'asile de la direction des étrangers de l'Attique consiste à enregistrer un nombre limité de demandes d'asile tôt le samedi matin ; les demandeurs d'asile ne sont pas autorisés à attendre devant l'entrée du bâtiment de la direction des étrangers de l'Attique et sont confinés dans une rue située à proximité de ce bâtiment ; en fonction des conditions météorologiques, quatre-vingts à deux cents personnes font la queue ; la majorité d'entre elles arrivent le jeudi matin et certaines le mercredi, dans l'espoir d'obtenir une des premières places dans la file d'attente et d'augmenter ainsi leurs chances de faire enregistrer leurs demandes ; la police a recours à des pratiques diverses, parmi lesquelles l'utilisation de la force et de projectiles lacrymogènes, pour disperser la foule et décourager la formation des queues avant le vendredi soir ; les personnes qui attendent n'ont accès ni à des toilettes, ni à de l'eau, ni à de la nourriture, et elles ne peuvent bouger ou quitter leur place au risque de la perdre ; la rue où elles font la queue est sale, sans accès à des sanitaires et insuffisamment éclairée ; des personnes arrivent également d'autres villes grecques car les autorités locales refusent d'enregistrer leurs demandes d'asile.
38. En outre, il ressort du rapport établi à l'issue de la campagne susmentionnée que : les policiers procèdent à une « sélection » parmi les personnes attendant dans la file ; une fois la « sélection » terminée, les policiers crient en grec aux personnes restantes de se disperser, sans aucune explication ; la majorité des personnes qui attendent ont déjà essayé de déposer une demande d'asile entre cinq à dix fois, sans succès ; un grand nombre d'entre elles ont affirmé faire la queue chaque semaine depuis une année ou plus. Le rapport fait également état d'incidents survenus notamment les 24 mars et 7 avril 2012, à l'issue desquels les policiers n'ont autorisé personne à accéder au bâtiment de la direction des étrangers de l'Attique.
39. En conclusion, ledit rapport souligne la quasi-impossibilité d'accéder à la procédure d'asile dans la région de l'Attique. Il relève qu'une « pratique irrationnelle », établie par les autorités, a favorisé l'arbitraire, la violence et l'exploitation, et que la police a manifesté son indifférence face à cette situation. En outre, il déplore que les groupes vulnérables, tels que les femmes et les mineurs non accompagnés, aient été exposés à des risques et à des difficultés supplémentaires. Enfin, il relève que l'exclusion de la procédure d'asile a mis en péril la vie et la liberté des demandeurs d'asile, puisque ceux-ci pouvaient être arrêtés, détenus et expulsés à tout moment.
III. DROIT ET PRATIQUE INTERNATIONAUX
40. L'article 14 § 1 de la Déclaration universelle des droits de l'homme dispose ce qui suit :
« Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays. »
41. Dans sa Note sur la protection internationale, du 13 septembre 2001 (A/AC.96/951, § 16), le HCR, qui a pour mandat de veiller à la manière dont les États parties appliquent la Convention de Genève, a indiqué ce qui suit :
« (...) ce principe [du non-refoulement] est le complément logique du droit de chercher asile reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ce droit en est venu à être considéré comme une règle de droit international coutumier liant tous les États. [...] »
42. Le 16 juin 2011, le HCR a publié ses constats et propositions relativement à la situation des réfugiés en Grèce. Il a relevé que l'enregistrement des demandes d'asile restait l'un des problèmes majeurs, en particulier à la direction des étrangers de l'Attique (Petrou Ralli), que l'accès aux personnes qui souhaitaient introduire une demande d'asile était extrêmement limité (vingt à trente demandes par semaine) et que, par conséquent, un nombre important de demandeurs d'asile se trouvaient dans l'impossibilité de faire enregistrer leurs demandes. Le HCR a invité les autorités à prendre des mesures immédiates pour assurer l'accès sans entraves à la procédure d'asile et l'examen rapide des demandes, telles que la planification stratégique, l'organisation et le renforcement du personnel.
43. Le 23 mars 2012, dans un communiqué de presse intitulé « Des centaines [de personnes] font la queue chaque semaine à Athènes pour demander l'asile », le HCR a constaté ce qui suit :
« Chaque semaine, plus de cent personnes, dont quelques femmes et enfants, attendent pendant des heures durant la nuit à l'extérieur d'un bâtiment de la police à Athènes, dans l'espoir de demander l'asile.
Le moment qu'elles ont attendu arrive à 6 heures le samedi, lorsque le personnel de la direction de la police des étrangers à Petrou Ralli, rue de la capitale grecque, permet à seulement vingt personnes d'entrer dans le bâtiment, où elles peuvent [faire] enregistrer leurs demandes d'asile. Parfois il y a des bagarres pour occuper les premières places de la queue, mais l'ensemble de la procédure est terminé en quelques minutes. (...)
Les malchanceux sont dispersés, bien que beaucoup [d'entre eux] reviennent la semaine suivante. Certains ont essayé pendant des mois, malgré les risques d'être expulsés s'ils sont arrêtés sans une carte rose. (...)
Le rituel dans la rue Petrou Ralli a lieu chaque semaine depuis plusieurs années. Le HCR et d'autres groupes humanitaires ont exprimé leurs préoccupations au sujet du traitement des demandeurs d'asile, estimant [que ceux-ci] devraient tous avoir accès sans entraves à la procédure d'asile.
Ils ont aussi exprimé leur inquiétude quant aux conditions que les demandeurs d'asile doivent endurer, notamment quant au fait d'attendre en file pendant plusieurs heures sans avoir accès aux toilettes ni à d'autres installations de base. Beaucoup [de demandeurs d'asile] dorment entourés de tas de détritus. (...)
À Rome, Laurens Jolles, représentant régional du HCR, a exprimé sa préoccupation face à cette situation. Il a vivement conseillé aux autorités grecques de régler « ce problème de longue date et d'assurer que l'accès à la procédure d'asile soit garanti. »
Le HCR aide la Grèce à réformer son système d'asile. L'accès sans entraves à la procédure d'asile à travers l'enregistrement approprié des demandes et le traitement effectif de celles-ci constituent une partie intégrante des améliorations nécessaires.
Un nouveau service d'asile pourra envisager de telles améliorations une fois qu'il sera pleinement opérationnel. Mais il y a une nécessité urgente de prendre des mesures immédiates pour améliorer les conditions pour ceux qui attendent chaque semaine devant la direction de la police des étrangers. (...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 3 EN RAISON DE DÉFAILLANCES DE LA PROCÉDURE D'ASILE ET D'UN RISQUE DE RENVOI VERS LE SOUDAN
44. Sur le terrain des articles 3 et 13 de la Convention, le requérant dénonce l'existence de défaillances dans le système d'examen des demandes d'asile par les autorités grecques, se plaignant notamment que sa demande d'asile n'ait pas été enregistrée trois ans durant (du mois d'avril 2009 au mois de juillet 2012). Ces dispositions sont ainsi libellées :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
1. Sur l'épuisement des voies des recours internes
45. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il indique que le requérant avait été invité à comparaître devant la commission d'appel, afin de soutenir son recours, mais qu'il ne s'est pas présenté devant cette instance le jour de sa convocation.
46. Le requérant plaide que son grief devant la Cour concerne son impossibilité alléguée, pendant trois ans, à introduire une demande d'asile devant les autorités compétentes, ce qui aurait engendré pour lui un danger réel et imminent d'arrestation, de détention et d'expulsion. Sur ce point, il affirme qu'il n'a disposé d'aucun recours lui permettant de se plaindre du refus allégué des autorités d'enregistrer sa demande d'asile. Il estime qu'il est question en l'espèce d'un problème structurel et que celui-ci affectait, à l'époque des faits, l'ensemble des personnes souhaitant introduire une demande d'asile – ce qui, à ses yeux, est démontré par les rapports des instances nationales et internationales. Se référant ensuite aux affaires E.A. c. Grèce (no 74308/10, 30 juillet 2015) et R.T. c. Grèce (no 5124/11, 11 février 2016), le requérant indique que les requérants de ces affaires avaient quitté le territoire grec avant l'examen en appel de leurs demandes d'asile et que cette circonstance n'a pas empêché la Cour de conclure à la violation des articles 3 et 13 de la Convention en raison de défaillances de la procédure d'asile.
47. La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l'occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux États contractants, à savoir éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette règle se fonde sur l'hypothèse, objet de l'article 13 de la Convention – avec laquelle elle présente d'étroites affinités –, que l'ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Les dispositions de l'article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent toutefois l'épuisement que des seuls recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d'autres, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002‑VIII, et, plus récemment, Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, §§ 40 et 42, 11 février 2010).
48. La Cour rappelle en outre que dans les affaires B.M. c. Grèce (précitée) et S.G. c. Grèce ((comité), no 46558/12, 18 mai 2017) elle a conclu que les requérants n'avaient pas épuisé les voies de recours internes puisque, entre autres, ils ne s'étaient pas présentés devant la commission d'appel, pour l'un, et devant le département de l'asile de la direction des étrangers de l'Attique, pour l'autre. Or, à la différence des parties requérantes de ces affaires, le requérant en l'espèce ne se plaint pas de l'existence, une fois la demande enregistrée, de défaillances de la procédure d'asile : il dénonce le fait que sa demande d'asile n'a pas été enregistrée pendant une période très longue, ce qui l'aurait exposé à un risque de mauvais traitements. La Cour observe qu'à cet égard le Gouvernement ne démontre pas qu'il existait un recours approprié et effectif, accessible au requérant. Elle rejette donc l'exception du Gouvernement sur ce point.
2. Sur le respect du délai des six mois
49. Le Gouvernement soutient que, au cas où la Cour considérerait que le dénommé « U.H. » et le requérant sont la même personne, ce dernier n'a pas respecté le délai des six mois. Il est d'avis que la requête a été introduite plus de six mois après l'arrestation du requérant et la délivrance de l'acte d'expulsion, en avril 2009.
50. Le requérant rétorque que sa requête a été introduite dans le délai des six mois. Il indique que, selon le droit interne, l'introduction d'une demande d'asile n'est soumise à aucun délai et qu'il lui a été possible de faire enregistrer sa demande uniquement après la saisine de la Cour.
51. La Cour rappelle que, dans les cas de situation continue, le délai recommence à courir chaque jour, et ce n'est que lorsque la situation cesse qu'un délai de six mois commence réellement à courir (voir, parmi beaucoup d'autres, Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 54, 29 juin 2012, et Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, § 159, CEDH 2009). De même, lorsqu'il est clair d'emblée qu'un requérant ne dispose d'aucun recours effectif, le délai de six mois part de la date des actes ou mesures dénoncés ou de la date à laquelle l'intéressé en prend connaissance ou en ressent les effets ou le préjudice (Varnava et autres, précité, § 157). Il incombe alors à la Cour de déterminer, compte tenu des différents enjeux, à quel moment un requérant qui entend porter un grief devant elle est censé introduire sa requête (idem, § 169).
52. La Cour note qu'en l'espèce la demande d'asile du requérant a été enregistrée le 25 juillet 2012, soit après l'introduction de la présente requête, le 25 juin 2012. Il s'ensuit que l'exception soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.
3. Sur l'absence de qualité de victime
53. Le Gouvernement, qui soutient que le requérant n'est pas la même personne que le dénommé « U.H. », arrêté à Patmos, invite la Cour à rejeter la requête pour ce motif. Il indique que les données personnelles du requérant sont complètement différentes de celles de « U.H. », et ce non pas uniquement en ce qui concerne les nom et prénom mais également s'agissant de la nationalité et de la date de naissance, de sorte que, selon lui, ces différences ne peuvent être considérées comme négligeables.
54. Le Gouvernement soutient à cet égard que la présente affaire se distingue de l'affaire A.Y. c. Grèce (no 58399/11, 5 novembre 2015), au sujet de laquelle il indique que les différences ne concernaient qu'une ou deux lettres du nom du requérant et n'avaient alors eu aucun effet sur l'issue de la procédure devant la Cour. Il est d'avis que, si la Cour concluait en l'espèce à l'absence d'incidence des différences relevées par lui, il ne serait pas évident de déterminer quelles personnes seraient concernées par son arrêt. Faisant remarquer que le formulaire de requête et le pouvoir introduits devant la Cour contiennent uniquement les données du requérant et non pas celles de « U.H. », il estime que cela est d'autant plus vrai en l'espèce pour cette raison. Il indique aussi que, bien qu'ayant fait des études et ayant été actif sur le plan politique, le requérant n'a ni demandé aux autorités internes la correction de ses données personnelles ni présenté devant la Cour des explications convaincantes ou des preuves démontrant qu'il ne faisait qu'un avec le dénommé « U.H. ».
55. Le Gouvernement estime qu'aucune information n'est disponible sur la date d'entrée du requérant sur le territoire grec ou sur la date à laquelle celui-ci s'est rendu à Athènes pour la première fois. Il ajoute qu'il ressort du rapport de l'organisation non gouvernementale grecque Metadrasi, ainsi que de la demande d'asile du requérant et de la déclaration faite par ce dernier à son arrivée sur le territoire grec, que l'intéressé est entré en Grèce par l'île de Lesbos. Qui plus est, selon le Gouvernement, la personne dénommée « U.H. » n'a pas introduit une demande d'asile. Par conséquent, toujours d'après le Gouvernement, l'on peut sérieusement douter de la crédibilité des allégations du requérant. Enfin, indiquant que le requérant est désigné dans certains documents par les initiales « A.E.A. » et dans d'autres par les initiales « U.H. », le Gouvernement estime que cela ne permet pas de remettre en cause ses allégations sur l'identité de l'intéressé. En effet, à ses yeux, cette circonstance ne signifie pas que les autorités ont reconnu que le requérant et le dénommé « U.H. » étaient une seule et même personne.
56. Le requérant rétorque qu'il est entré en Grèce par l'île de Patmos et qu'il a initialement été enregistré sous le nom de « U.H. », de nationalité somalienne. Il précise que ses empreintes et sa photographie ont été prises par la police et transmises pour enregistrement dans la « liste nationale des personnes indésirables » et la « liste des pays de l'espace Schengen ». Il ajoute que, après l'enregistrement de sa demande d'asile, sa photographie et ses empreintes ont à nouveau été prises et enregistrées dans les mêmes listes, ainsi que dans la base de données Eurodac. Or, selon le requérant, les autorités ont procédé au couplage des données en question et constaté qu'il ne faisait qu'un avec le dénommé « U.H. ». Toujours selon lui, c'est pour cette raison que, dans le cadre de la procédure d'asile, il a été désigné sous les deux noms. Le requérant indique encore que, pendant la procédure d'asile, les autorités n'ont jamais contesté que « U.H. » et lui-même étaient une seule et même personne. Il ajoute que, en raison de l'existence, à l'époque, de défaillances dans la procédure d'enregistrement des migrants nouvellement arrivés sur le sol grec, les données des intéressés étaient corrigées soit lors de l'enregistrement des demandes d'asile soit lors de la conduite des entretiens devant la commission d'appel.
57. Se référant à cet égard à l'affaire A.F. c. Grèce (no 53709/11, 13 juin 2013), le requérant indique que dans cette cause la Cour a rejeté l'exception du Gouvernement tirée de l'introduction de la requête par un requérant ne pouvant être identifié. Il précise que, après l'introduction de sa requête devant la Cour, le requérant de cette affaire s'était rendu au Royaume-Uni et y avait été enregistré par les autorités britanniques sous un nom différent, et que, grâce à l'enregistrement de ses empreintes dans la base de données Eurodac, il avait été facile de prouver qu'il s'agissait d'une seule et même personne.
58. En l'occurrence, la Cour observe que, dans des documents délivrés dans le cadre de la procédure d'asile, tels que la preuve de l'introduction du recours du requérant devant la commission d'appel et la preuve de la notification de l'invitation à l'entretien relatif à la demande d'asile en deuxième instance, les autorités ont désigné le requérant en se référant aux deux noms, à savoir « A.E.A. ou U.H. », et aux deux nationalités, à savoir « soudanaise ou somalienne ». Elle constate donc que les autorités ont déjà reconnu que l'intéressé ne faisait qu'un avec le dénommé « U.H. ». Dès lors, elle estime que le requérant a pu démontrer qu'il a été « directement affecté » par la situation en cause, et elle rejette l'exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.
4. Conclusion
59. Constatant que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
60. Le requérant rétorque qu'en cas de renvoi au Soudan il court un risque de traitement contraire à l'article 3 de la Convention. Il reproche aux autorités d'avoir refusé, pendant trois ans, d'enregistrer sa demande d'asile, ce qui l'aurait exposé à un risque d'arrestation et d'expulsion, et il estime que, étant donné les opérations menées par la police et les contrôles réguliers effectués par les autorités, ce n'est que par chance qu'il n'a pas été arrêté et éloigné. Il ajoute qu'en cas d'arrestation il aurait dû faire face à un refus des autorités d'enregistrer sa demande d'asile, ainsi qu'à une absence d'assistance juridique et de recours effectif contre la décision d'expulsion. Le requérant se réfère à la jurisprudence de la Cour, notamment dans les affaires R.U. c. Grèce (no 2237/08, 7 juin 2011), R.T. (précitée), A.Y. (précitée) et E.A. (précitée), ainsi qu'aux rapports des instances nationales et internationales, et il précise qu'il n'avait à sa disposition ni un recours effectif lui permettant de contester la décision d'expulsion prise à son encontre ni une procédure d'asile fiable qui aurait pu le protéger contre le refoulement.
61. En ce qui concerne l'argument du Gouvernement selon lequel il aurait dû introduire sa demande d'asile pendant sa détention, le requérant allègue qu'il se trouvait privé de ses droits et n'avait donc accès ni à un interprète ni à une assistance juridique, qu'il craignait son éloignement vers le Soudan et qu'il n'avait pas à sa disposition un recours effectif qui lui aurait permis de contester la décision d'expulsion prise à son encontre. Il indique qu'il a résidé à Athènes après sa remise en liberté et ajoute qu'il ne pouvait se permettre de se rendre dans une autre ville grecque afin d'y introduire une demande d'asile. Il affirme que, à supposer même qu'il eût pu le faire, les autorités compétentes lui auraient demandé de prouver sa résidence permanente dans cette ville avant d'enregistrer sa demande d'asile. Il indique en outre que, en application de l'article 4 du décret présidentiel no 114/2010, il incombe aux autorités compétentes de garantir l'accès à la procédure d'asile et que, dans les circonstances de l'espèce, il a fait tout ce qui pouvait être raisonnablement exigé de lui.
62. Le requérant décrit ensuite les conditions qui régnaient à l'époque des faits à la direction des étrangers de l'Attique de la manière suivante : uniquement vingt personnes par semaine avaient accès à la procédure d'asile ; les demandeurs d'asile n'étaient pas autorisés à attendre devant l'entrée du bâtiment de la direction des étrangers de l'Attique et étaient confinés dans une rue située à proximité de ce bâtiment ; ils arrivaient le mercredi et attendaient trois jours en faisant la queue dans des conditions déplorables ; pendant tout ce temps, ils dormaient dans la rue, exposés à des conditions météorologiques très difficiles, sans accès aux toilettes, à l'eau potable et à la nourriture ; à plusieurs reprises, des incidents violents survenaient entre eux car des personnes qui ne faisaient pas la queue utilisaient la violence afin d'occuper les vingt premières places ; la police n'intervenait pas pour empêcher ce genre d'incidents ; après la sélection, le samedi, de vingt personnes, les forces de l'ordre éloignaient les autres demandeurs d'asile souvent de manière violente, en faisant usage par exemple de la force et de projectiles lacrymogènes ; les autres jours de la semaine, la police enregistrait quelques demandes concernant des personnes ayant des problèmes de santé.
Le requérant indique que la situation dénoncée par lui a eu une influence néfaste sur sa santé physique et psychologique. Il estime qu'il est question en l'espèce d'un problème systémique et d'une pratique établie par les autorités compétentes dans le but de décourager les potentiels demandeurs d'asile.
63. Le requérant ajoute que, lors de l'examen de sa demande d'asile, il a informé les autorités internes de son obtention du statut de réfugié placé sous le mandat du HCR et qu'il leur a soumis tous les documents pertinents, mais que la décision portant rejet de sa demande d'asile n'y a fait aucune référence.
b) Le Gouvernement
64. Le Gouvernement soutient que l'examen de la demande d'asile du requérant a été effectué conformément aux articles 3 et 13 de la Convention. Il allègue que le requérant présente un grief général concernant l'accès à la procédure d'asile à la direction des étrangers de l'Attique et qu'il décrit de manière générale les difficultés rencontrées par les personnes souhaitant introduire une demande d'asile. Or, selon lui, le requérant ne précise pas en quoi consistent les problèmes auxquels il dit avoir personnellement fait face. Le Gouvernement ajoute que le requérant avait la possibilité d'introduire une demande d'asile dans d'autres régions du pays, mais qu'il a choisi d'attendre pendant des années devant la direction des étrangers de l'Attique, dans les conditions décrites par lui. Il indique encore qu'il aurait pu introduire une demande d'asile pendant sa détention : en effet, selon lui, l'intéressé présente des arguments non compatibles avec son niveau d'éducation, son activité politique et son parcours. Le Gouvernement indique également que les seuls documents fournis par le requérant relativement à sa situation sont ceux du Conseil grec pour les réfugiés. Or, à ses dires, les documents établis par cette organisation ne décrivent pas à quel moment les personnes qui y sont mentionnées ont essayé d'introduire des demandes d'asile, sans succès, et ceux fournis par le requérant concernent une période très brève, comprise entre fin mars et fin juillet 2012, antérieure à la date d'enregistrement de la demande d'asile de l'intéressé.
65. Le Gouvernement soutient en outre que le requérant avait omis d'informer les autorités internes de l'obtention par lui du statut de réfugié placé sous le mandat du HCR. Or, selon lui, les autorités internes ne pouvaient pas protéger un étranger silencieux sur les raisons motivant sa demande d'asile. Le Gouvernement indique encore que les allégations du requérant ne sont pas crédibles pour le motif suivant : l'intéressé dit avoir été reconnu comme réfugié relevant du mandat du HCR le 7 février 2011, alors que, à cette date, selon sa version des faits, il se trouvait déjà en Grèce et essayait de faire enregistrer sa demande d'asile.
66. S'agissant de la réglementation applicable en l'espèce, le Gouvernement indique ce qui suit : l'article 78A de la loi no 3386/2005 a été modifié par l'article 18 de la loi no 4332/2015 et prévoit désormais qu'une décision d'expulsion n'est pas prise si les conditions du principe de non‑refoulement se trouvent réunies ; dans ce cas, les autorités compétentes ne prononcent pas de décision d'éloignement et elles délivrent un document attestant de l'impossibilité de procéder à un éloignement pour des raisons humanitaires. Le Gouvernement ajoute que la modification de la loi en cause démontre la volonté des autorités internes de protéger les ressortissants de certains pays tels que la Syrie, le Yémen, le Soudan du Sud, la Palestine et la Somalie contre le danger de refoulement. Il indique que le dénommé « U.H. » a fait l'objet d'une décision d'éloignement et que par conséquent, n'ayant pas les mêmes données personnelles que lui, le requérant ne pouvait voir cette décision être appliquée à son encontre. Le Gouvernement affirme aussi que pendant le séjour allégué du requérant en Grèce, de 2009 à 2015, les autorités compétentes n'ont entrepris aucune démarche aux fins de l'éloignement de celui-ci.
67. En ce qui concerne la procédure d'asile, le Gouvernement soutient que l'examen de la demande d'asile du requérant a eu lieu conformément à l'article 6 du décret présidentiel no 114/2010, soit de manière rapide, approfondie, objective et personnalisée. Il indique que la procédure en cause comprenait un entretien et que la demande d'asile a été rejetée avec une motivation suffisante puisque le requérant, qui aurait été membre de certaines organisations, n'a selon lui pas exposé en détail ses activités et son implication dans ces organisations. Le Gouvernement précise que la décision ayant rejeté sa demande d'asile a été notifiée au requérant et que celui-ci a été informé dans une langue comprise par lui de la possibilité d'introduire un recours. Il ajoute que le requérant ne s'est pas présenté devant la commission d'appel et que son recours a été rejeté, ce qui selon lui démontre que l'intéressé n'avait pas d'intérêt à suivre la procédure prévue par la loi. Le Gouvernement indique encore que le requérant a soumis devant les autorités internes des informations contradictoires concernant sa situation familiale et qu'il ne s'est pas conformé à l'obligation de coopérer avec les autorités.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
68. La Cour rappelle avoir précisé que, dans les affaires mettant en cause l'expulsion d'un demandeur d'asile, elle se gardait d'examiner elle‑même les demandes d'asile ou de contrôler la manière dont les États remplissaient leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de savoir s'il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu'il a fui (voir, parmi d'autres, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 286, T.I. c. Royaume-Uni (déc.), no 43844/98, CEDH 2000-III, et Müslim c. Turquie, no 53566/99, §§ 72-76, 26 avril 2005).
69. Toutefois, compte tenu de l'importance que la Cour attache à l'article 3 de la Convention et de la nature irréversible du dommage susceptible d'être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l'effectivité d'un recours au sens de l'article 13 de la Convention demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 448, CEDH 2005‑III), un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l'article 3 de la Convention (Jabari c. Turquie, no 40035/98, § 50, CEDH 2000‑VIII), ainsi qu'une célérité particulière (Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004‑IV) ; elle requiert également que les intéressés disposent d'un recours de plein droit suspensif (Čonka c. Belgique, no 51564/99, §§ 81-83, CEDH 2002‑I, et Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 66, CEDH 2007‑II).
70. L'effectivité du recours voulu par l'article 13 de la Convention s'entend d'un niveau suffisant d'accessibilité et de réalité de celui-ci : pour être effectif, le recours exigé par cette disposition doit être disponible en droit comme en pratique, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l'État défendeur (I.M. c. France, no 9152/09, § 130, 2 février 2012, et Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 112, CEDH 1999‑IV). Au sujet des recours ouverts aux demandeurs d'asile en Grèce, la Cour a également réaffirmé que l'accessibilité « en pratique » d'un recours est déterminante pour évaluer son effectivité (Sharifi et autres c. Italie et Grèce, no 16643/09, § 167, 21 octobre 2014, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 318).
71. La Convention ayant pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, dans le chef de toute personne relevant de la juridiction des Hautes Parties contractantes, la Cour ne saurait procéder à l'évaluation de l'accessibilité pratique d'un recours en faisant abstraction des obstacles linguistiques, de la possibilité d'accès aux informations nécessaires et à des conseils éclairés, des conditions matérielles auxquelles peut se heurter l'intéressé et de toute autre circonstance concrète de l'affaire (I.M. c. France, précité, §§ 145-148, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 301-318, et Rahimi c. Grèce, no 8687/08, § 79, 5 avril 2011).
b) Application à la présente espèce
72. Pour déterminer si l'article 13 de la Convention s'applique en l'espèce, la Cour doit rechercher si le requérant peut, de manière défendable, faire valoir que son éloignement vers le Soudan porterait atteinte à l'article 3 de la Convention.
73. La Cour note que, lors de l'introduction de la requête, le requérant a exposé en détail les raisons pour lesquelles il a été obligé de quitter le Soudan et qu'en outre il a produit, à l'appui de ses craintes dans son pays d'origine, la copie d'une lettre du HCR attestant, entre autres, de son obtention du statut de réfugié relevant du mandat de cette organisation. Elle observe à cet égard que le HCR a déjà reconnu le risque que l'intéressé courait et court toujours dans son pays d'origine. La Cour a également à sa disposition la copie de l'attestation de l'organisation non gouvernementale grecque Metadrasi selon laquelle le requérant avait subi des tortures, ainsi que des copies de deux certificats qui témoignent de la participation active de l'intéressé à l'Association des étudiants soudanais des monts Nouba et pour la protection des droits de l'homme au Soudan.
74. Pour la Cour, ces éléments montrent qu'il existait prima facie des risques sérieux et avérés que le requérant pourrait subir des traitements contraires à l'article 3 de la Convention en cas de renvoi au Soudan. Elle estime dès lors que le requérant a un grief défendable sous l'angle de cette disposition.
75. Cela dit, dans la présente affaire, la Cour n'a pas à se substituer aux autorités nationales et à évaluer les risques courus par le requérant en cas de renvoi au Soudan. Il lui importe seulement de savoir s'il existait en l'espèce des garanties effectives qui protégeaient le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d'origine.
76. La Cour relève d'emblée que le grief du requérant concerne l'impossibilité alléguée d'introduire une demande d'asile. Le requérant décrit à cet égard les conditions qui régnaient, à l'époque des faits, à proximité du bâtiment de la direction des étrangers de l'Attique et les difficultés rencontrées par les demandeurs d'asile.
77. La Cour note que les allégations du requérant sont corroborées par les observations du HCR. En effet, dans ses constats relatifs à la situation des réfugiés en Grèce du 16 juin 2011 ainsi que dans un communiqué de presse du 23 mars 2012, intitulé « Des centaines [de personnes] font la queue chaque semaine à Athènes pour demander l'asile », le HCR a relevé que l'enregistrement des demandes d'asile restait l'un des problèmes majeurs, en particulier à la direction des étrangers de l'Attique, que l'accès aux personnes qui souhaitaient introduire une demande d'asile était extrêmement limité, que certains migrants avaient essayé d'introduire une demande d'asile pendant des mois et qu'un nombre important de demandeurs d'asile se trouvaient dans l'impossibilité de faire enregistrer leurs demandes (paragraphes 42-43 ci-dessus). La Cour note aussi que, dans son rapport établi le 25 janvier 2011 à la suite de sa visite à la direction des étrangers de l'Attique, le médiateur de la République a constaté que des défaillances structurelles continuaient à « se manifester lors de la procédure d'examen des demandes relatives à la protection internationale » et que les personnes qui avaient besoin de protection internationale étaient, « à cause des spécificités de la situation en Grèce, privées même de l'accès à la procédure d'asile ».
78. La Cour observe encore que le rapport de quatorze associations, organisations non gouvernementales et groupes travaillant dans le domaine de la protection des réfugiés et des demandeurs d'asile en Grèce, établi à l'issue de visites effectuées à la direction des étrangers de l'Attique du 16 février au 7 avril 2012, décrit la situation de la même manière (paragraphes 36-39 ci-dessus).
79. La Cour rappelle que, dans son arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce (précité), elle a relevé les carences du système grec d'asile, tel qu'il était en place à l'époque de l'application du décret présidentiel no 81/2009, et notamment celles liées à l'accès à la procédure d'examen des demandes d'asile (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 300-302, 315, 318 et 320). À cet égard, elle a notamment constaté les défaillances suivantes : l'information insuffisante des demandeurs d'asile sur les procédures à suivre ; les difficultés d'accès aux bâtiments de la préfecture de police de l'Attique ; l'absence d'un système de communication fiable entre les autorités et les demandeurs d'asile ; la pénurie d'interprètes et le manque d'expertise du personnel pour mener les entretiens individuels ; le défaut d'assistance judiciaire empêchant en pratique les demandeurs d'asile d'être accompagnés d'un avocat ainsi que la longueur excessive des délais pour obtenir une décision.
80. La Cour observe que certaines de ses considérations dans l'arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce (précité) sur la procédure d'asile en Grèce sont confirmées par les faits de la présente cause. Qui plus est, en l'espèce, le Conseil grec pour les réfugiés avait à plusieurs reprises, à savoir les 30 mars, 6, 12 et 20 avril et 15 juin 2012, informé les autorités, par écrit, de la volonté du requérant de déposer une demande d'asile (paragraphe 20 ci‑dessus) – ce qui n'est pas contesté par le Gouvernement. Or cette demande n'a été enregistrée que le 25 juillet 2012, soit après l'introduction de la présente requête devant la Cour.
81. Ainsi, il ressort des rapports disponibles en l'espèce que, en ce qui concerne l'accès à la procédure d'asile, la situation était, à l'époque des faits, la même que celle décrite dans l'arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce (précité). La Cour observe à cet égard que la procédure d'asile a été modifiée par l'adoption du décret présidentiel no 114/2010. Pour autant, même si les demandeurs d'asile avaient désormais la possibilité d'introduire un recours avec effet suspensif contre le rejet de leur demande en première instance, et ce depuis l'entrée en vigueur dudit décret, il n'en reste pas moins que la procédure d'enregistrement des demandes d'asile à la direction des étrangers de l'Attique était restée inchangée.
82. La Cour relève aussi que le Gouvernement ne conteste pas la description de la situation dénoncée par le requérant lors de l'enregistrement des demandes d'asile. En effet, le Gouvernement soutient uniquement : que le requérant présente un grief général et ne précise pas en quoi consistent les problèmes auxquels il dit avoir personnellement fait face ; qu'il n'a pas démontré qu'il a essayé, pendant trois ans, d'introduire une demande d'asile ; qu'il aurait pu introduire une demande d'asile pendant sa détention ou dans une autre région du pays ; qu'il n'avait pas informé les autorités internes de l'obtention par lui du statut de réfugié relevant du mandat du HCR ; que ses assertions ne sont pas crédibles ; et que l'examen de sa demande d'asile a eu lieu conformément aux dispositions du droit interne et aux exigences de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3.
83. La Cour rappelle en outre que tant le droit international, y compris la Déclaration universelle des droits de l'homme, que le droit interne reconnaissent un droit de « chercher asile » (paragraphes 34 et 40 ci‑dessus). À cet égard, elle observe que l'article 4 du décret présidentiel no 114/2010, qui transpose dans l'ordre juridique grec l'article 6 de la directive du Conseil no 2005/85/CE du 1er décembre 2005 (sur les normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres) et qui est applicable en l'espèce, dispose que les autorités compétentes pour recevoir les demandes d'asile veillent à ce que « tout adulte puisse exercer le droit de présenter une demande ».
84. La Cour constate que, malgré cette obligation explicite, découlant du droit interne et du droit international, le requérant a été confronté à l'impossibilité d'introduire une demande d'asile pendant une longue période. Elle relève aussi que, entre la date à laquelle il s'est rendu à Athènes, en avril 2009, et la date à laquelle le Conseil grec pour les réfugiés a commencé à le représenter, en mars 2012, il n'avait aucune possibilité de signaler aux autorités sa situation ou le fait qu'il relevait du mandat du HCR, car, selon les rapports disponibles en l'espèce, l'accès au bâtiment de la direction des étrangers de l'Attique était très limité, voire impossible.
85. De l'avis de la Cour, la possibilité dans la pratique d'introduire une demande d'asile est une condition sine qua non aux fins de la protection effective des étrangers nécessitant la protection internationale. En effet, si l'accès sans entraves à la procédure d'asile n'est pas assuré par les autorités internes, les demandeurs d'asile ne peuvent nullement bénéficier des garanties procédurales liées à cette procédure et ils peuvent être arrêtés et placés en détention à tout moment. Force est de constater que, même si l'examen de la demande d'asile présente les garanties d'une procédure effective, fiable et sérieuse, ces dernières n'ont aucun sens si l'intéressé ne peut avoir au préalable la possibilité de voir sa demande enregistrée pendant une longue période. Étant donné les conditions dans lesquelles l'enregistrement des demandes d'asile avait lieu à l'époque des faits et les problèmes structurels susmentionnés, la Cour estime que le requérant a suffisamment établi devant elle les problèmes auxquels il a dû personnellement faire face. Elle note en outre que le fait que le requérant a quitté la Grèce pour la France ne saurait influer sur la situation.
86. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3 en raison des défaillances de la procédure d'asile, à l'époque des faits.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EN RAISON DES CONDITIONS D'EXISTENCE DU REQUÉRANT
87. Invoquant l'article 3 de la Convention, le requérant se plaint de la situation de dénuement total dans laquelle il se serait trouvé en raison du non-enregistrement de sa demande d'asile par les autorités et dans laquelle il se trouverait toujours malgré l'enregistrement de cette demande.
A. Arguments des parties
88. Le requérant plaide que, à la suite de sa remise en liberté et avant l'enregistrement de sa demande d'asile, soit pendant une période de trois ans, il a été obligé de vivre sans domicile fixe. Il affirme que, selon le décret présidentiel no 220/2007, seuls les demandeurs d'asile peuvent prétendre à certaines conditions d'accueil et qu'il n'avait donc pas le droit de demander à bénéficier d'un hébergement. Il ajoute que, à la suite de l'introduction de sa demande d'asile, il a sollicité une assistance afin de bénéficier d'un logement, qu'il a été enregistré par les autorités comme sans domicile fixe, mais que celles-ci n'ont entrepris aucune démarche à cet égard. Il déclare que, s'il est vrai qu'il a reçu 260 EUR comme aide financière pour son hébergement et 334 EUR pour son travail comme interprète, il ne s'est pas vu délivrer un permis de travail par les autorités compétentes. Par conséquent, il n'aurait pu ni continuer à travailler pour le Conseil grec pour les réfugiés ni être engagé par un autre employeur. Se référant à cet égard aux affaires Al. K. c. Grèce (no 63542/11, 11 décembre 2014), F.H. c. Grèce (no 78456/11, 31 juillet 2014), et M.S.S. c. Belgique et Grèce (précitée), le requérant soutient que le droit au travail des demandeurs d'asile existe uniquement en théorie. Il expose que, en vertu de l'article 4 du décret présidentiel no 189/1998, les demandeurs d'asile doivent introduire une demande d'autorisation de travail auprès de la préfecture compétente. Il ajoute que le permis de travail est délivré uniquement s'il est constaté, après examen du marché du travail concernant un métier spécifique, qu'aucun intérêt à exercer le métier en question n'a été manifesté par un ressortissant grec, un ressortissant de l'Union européenne, une personne ayant déjà obtenu le statut de réfugié ou un ressortissant étranger d'origine grecque. Enfin, il affirme que ses conditions d'existence en Grèce l'ont conduit à quitter ce pays pour la France.
89. Le Gouvernement affirme que le requérant n'a pas introduit une demande d'assistance matérielle et financière devant les autorités compétentes. Il indique que, bien au contraire, lors de son entretien du 8 mars 2013, l'intéressé a affirmé ne pas avoir besoin d'assistance pour son hébergement et a déclaré habiter à une adresse à Athènes, où toutes les notifications nécessaires auraient été faites. Le Gouvernement ajoute que le requérant ne s'est jamais plaint devant les autorités de ses conditions d'existence et des problèmes qu'il dit avoir rencontrés, et qu'il a présenté les allégations y afférentes pour la première fois devant la Cour. Il estime que, si le requérant avait souhaité bénéficier d'une assistance, il aurait pu déposer une demande en ce sens, étant donné en particulier son niveau d'éducation. Il considère aussi que, à la suite de l'introduction de sa demande d'asile, son avocat aurait pu le renseigner sur la procédure à suivre. Il indique également que le requérant a reçu les sommes de 260 EUR comme aide financière et de 334 EUR comme rémunération pour son travail d'interprète pour le Conseil grec pour les réfugiés. Par conséquent, pour le Gouvernement, ce grief est injustifié et abusif.
B. Appréciation de la Cour
90. La Cour rappelle qu'elle s'est déjà penchée sur les conditions d'existence en Grèce des demandeurs d'asile, livrés à eux-mêmes et vivant de longs mois dans une situation de dénuement extrême, dans l'arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce (précité). Dans cet arrêt (ibidem, § 263), la Cour s'est prononcée ainsi :
« (...) compte tenu des obligations reposant sur les autorités grecques en vertu de la directive Accueil (...), la Cour est d'avis qu'elles n'ont pas dûment tenu compte de la vulnérabilité du requérant comme demandeur d'asile et doivent être tenues pour responsables, en raison de leur passivité, des conditions dans lesquelles il s'est trouvé pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires, ne disposant d'aucun moyen de subvenir à ses besoins essentiels. La Cour estime que le requérant a été victime d'un traitement humiliant témoignant d'un manque de respect pour sa dignité et que cette situation a, sans aucun doute, suscité chez lui des sentiments de peur, d'angoisse ou d'infériorité propres à conduire au désespoir. Elle considère que de telles conditions d'existence, combinées avec l'incertitude prolongée dans laquelle il est resté et l'absence totale de perspective de voir sa situation s'améliorer, ont atteint le seuil de gravité requis par l'article 3 de la Convention. »
91. La Cour estime toutefois que ces considérations ne sont pas pertinentes dans les circonstances de la présente espèce. Elle observe que, à la suite de l'introduction de sa demande d'asile, le requérant n'a pas demandé au ministère de la Solidarité sociale de lui trouver une structure d'accueil ou à bénéficier d'une assistance matérielle et financière. À cet égard, elle prend acte du fait que, lors de son entretien en première instance, le 8 mars 2013, le requérant, qui était représenté par un avocat, a déclaré ne pas avoir besoin d'un logement. La Cour estime dès lors que l'intéressé n'a pas suffisamment établi, tant devant les autorités internes que devant elle, qu'il se trouvait dans la situation de dénuement qu'il décrit. Elle relève par ailleurs que le fait que le requérant s'est vu refuser la délivrance d'un permis de travail n'est pas susceptible de modifier la situation.
92. Dans ces conditions, la Cour conclut que ce grief est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
93. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
94. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il dit avoir subi.
95. Le Gouvernement est d'avis que la somme réclamée est excessive et arbitraire, et qu'un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. Il estime que la situation financière du pays doit être prise en compte.
96. La Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral du fait de la violation de ses droits garantis par l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3. Ce préjudice moral ne se trouve pas suffisamment compensé par les constats de violation. Aussi la Cour estime-t-elle qu'il y a lieu d'octroyer au requérant la somme de 2 000 EUR pour préjudice moral.
B. Frais et dépens
97. La Cour note que le requérant ne présente aucune demande de remboursement des frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
98. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 3 ;
3. Dit
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt,
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 mars 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Abel Campos Kristina Pardalos
Greffier Présidente