Dix ans après le début du conflit, les réfugiés syriens luttent toujours pour leur survie
Alors que la crise syrienne entre dans sa dixième année, des millions de réfugiés sont confrontés à des difficultés sans précédent en raison de la pauvreté croissante, du manque d'opportunités et de l'impact du Covid-19.
Hala Alhleil, 35 ans, réfugiée syrienne, avec sa plus jeune fille Yasmine dans leur maison au Liban.
© HCR/Haidar Darwish
Dans l'unique pièce humide où elle dort avec les cinq autres membres de sa famille – et où l'air est chargé de l'odeur de la moisissure qui tache les murs et les meubles - Hala, une réfugiée syrienne de 35 ans, décrit la détérioration de leurs conditions de vie depuis qu'ils ont fui le conflit dans leur pays et sont arrivés au Liban il y a 10 ans.
« Notre principal objectif était de sortir vivants de la guerre », raconte Hala à propos de la fuite de leur ville natale de Hama en 2011. « [Au Liban], il y avait un peu de sérénité [...]. Nos enfants allaient encore à l'école, ils étudiaient, ils pouvaient espérer se construire un avenir et rendre leurs parents fiers d'eux. »
Mais alors que la crise en Syrie voisine s'enlisait année après année, leurs ressources se sont taries et les dettes ont commencé à s'accumuler.
Les trois plus grands enfants de Hala ont dû abandonner l'école et son fils aîné Amer, 16 ans, a commencé à travailler pour compléter les faibles revenus issus du travail de son mari.
Le sort de Hala est malheureusement devenu la norme pour les familles prises au piège de la plus grande crise de réfugiés au monde.
Alors que le conflit syrien entre dans sa deuxième décennie, plutôt que de s'améliorer, la vie quotidienne des 5,6 millions de réfugiés vivant dans les pays de la région est plus difficile que jamais.
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La pauvreté et l'insécurité alimentaire ne cessent de croître, le taux de scolarisation et l'accès aux soins de santé sont en baisse, et la pandémie de Covid-19 a fait disparaître en grande partie le travail informel dont dépendaient les réfugiés.
« Petit à petit, tout ce que j'avais bâti [...] au cours des six ou sept dernières années a été réduit à néant, il ne reste plus rien », a expliqué Yasser, le mari de Hala. « La situation est très dure [...], ça nous a touché au plus profond de nous-mêmes, les enfants sont déprimés. »
« J'ai 16 ans - à cet âge, je devrais vivre les meilleurs moments de mon existence », a ajouté leur fils Amer. « Le fait de devoir abandonner l'école m'a donné l'impression d'être indésirable dans cette vie. Je travaillais 12 heures par jour, debout, alors que ma place est à l'école pour étudier. »
La crise financière au Liban a fait chuter le cours de la monnaie et augmenter les prix des produits de base. Combinée aux effets économiques dévastateurs de la pandémie de Covid-19, cette situation a fait passer le taux de réfugiés syriens dans le pays vivant sous le seuil d'extrême pauvreté à près de 90% à la fin de 2020.
« C'est comme si nous vivions une guerre quotidienne. »
Amer et son père Yasser ont tous deux perdu leur emploi au cours de la pandémie, les mettant en difficulté pour subvenir à leurs besoins et leur faisant craindre d'être expulsés de l'appartement humide où deux des enfants ont développé de graves problèmes d'asthme.
La situation a également nui à la santé mentale de la famille. Hala passe souvent des journées entières sans pouvoir sortir du lit, et elle et son fils Amer ont des pensées suicidaires.
C’est une tendance générale chez les réfugiés syriens, dont les problèmes psychiques sont de plus en plus nombreux, en raison de leur déracinement prolongé, de la pandémie et de la dégradation des conditions économiques. Fin 2020, un centre d'appels au Liban géré par le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, a fait état d'une augmentation des appels de réfugiés pensant au suicide et à l'automutilation.
Yasser résume leur situation en disant que malgré le fait qu'ils aient échappé au conflit en Syrie, « c'est comme si nous vivions une guerre quotidienne ; une guerre silencieuse et intérieure. »
Dans toute la région, le constat est le même pour les autres Syriens qui ont fui le conflit au cours de la dernière décennie. Originaire de Homs, Ahmad, 45 ans, a quitté le pays fin 2011 pour se rendre en Libye, où il espérait que le nombre relativement faible de réfugiés syriens lui donnerait plus de chances de trouver du travail en tant que carreleur expérimenté.
« Au début, quand nous sommes arrivés ici, les choses allaient bien. Mais ensuite, la situation a changé. Nous avons été témoins de la guerre en Syrie, puis nous avons à nouveau connu la guerre ici en Libye », explique Ahmad, faisant référence au regain de violence et d'instabilité qui a éclaté en 2014, dans le sillage de la première guerre civile du pays survenue en 2011.
« 2020 a été l'année la plus difficile pour moi. Non seulement les combats étaient toujours en cours, mais la pandémie de coronavirus a commencé », raconte Ahmad, qui vit avec sa femme et ses cinq enfants à Tripoli. « Ma plus grande inquiétude est de trouver une façon de gagner ma vie aujourd'hui. Il y a encore quelques années, il était très facile de trouver du travail, il y avait de nombreux emplois et je pouvais trouver du travail tous les jours. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. »
La précarité de leur situation en Libye a conduit Ahmad à envisager de s’en aller une nouvelle fois avec sa famille, mais lui et sa femme Ghadir estiment qu'ils ne peuvent pas envisager de retourner en Syrie pour le moment.
La longue crise a eu un impact disproportionné sur les groupes vulnérables tels que les enfants - qui représentent près de la moitié des réfugiés syriens - les personnes âgées, les personnes vivant avec un handicap et les femmes et mères célibataires.
Asma*, 40 ans, est originaire de Raqqa en Syrie, mais a fui en 2015 avec ses trois enfants vers Izmir, dans l'ouest de la Turquie, qui accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens au monde, à savoir plus de 3,6 millions de personnes.
« J'ai quitté la Syrie parce que j'ai perdu mon mari durant la guerre - il a été tué lors des bombardements », explique Asma. « Quand je suis arrivée en Turquie, j'ai emprunté de l'argent aux gens et j'ai commencé à travailler. De plus, certaines personnes m'ont aidée lorsque je suis arrivée ici. J'ai commencé à recevoir une aide financière. Mes enfants ont commencé à aller à l'école. Nous nous sentions plus en sécurité ici. »
Cependant, après plusieurs années passées à subvenir à ses besoins et bien qu'elle ait trouvé une certaine sécurité, la santé déclinante d'Asma et la difficulté d'accéder aux soins médicaux en raison de la barrière de la langue ont fait qu'elle n'est plus en mesure de travailler dans l'usine de confection qui l'employait, et qu'elle a désormais du mal à couvrir ses frais. Seul un de ses enfants, Ahmed, 13 ans, va encore à l'école.
« Le plus gros problème pour moi maintenant est de trouver le moyen de payer le loyer et les factures », confie-t-elle. « Pour la nourriture, Dieu merci, nous avons des gens autour de nous qui nous aident. Mais le loyer et les factures sont chers et nous devons payer l'électricité, l'eau et l'internet. Surtout pour mon fils Ahmed, qui suit une scolarité en ligne, nous avons besoin d'internet. »
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Un soutien financier accru et durable de la part de la communauté internationale est nécessaire pour atténuer les impacts économiques du Covid-19 et enrayer la baisse du niveau de vie. L'année dernière, seule la moitié environ du financement total sollicité par les organisations humanitaires pour répondre aux besoins croissants des réfugiés syriens et de leurs hôtes a été versée, soit le niveau le plus bas depuis 2015.
Alors que la fin de la crise n'est pas en vue, le risque existe que la diminution du soutien international et la détérioration des conditions économiques pour des millions de réfugiés et les membres vulnérables des communautés locales qui les accueillent réduisent à néant les progrès précédemment réalisés et limitent l'accès à l'éducation et aux moyens de subsistance, menaçant ainsi l'avenir de toute une génération. Beaucoup ont aujourd'hui le sentiment qu'il est déjà trop tard.
Khalil, 18 ans, est arrivé en Jordanie avec sa famille depuis la campagne d'Alep en 2013 et s'est installé dans la capitale Amman. Au début, ce jeune homme brillant et jovial a pu poursuivre sa scolarité dans une école locale. Mais à seulement 13 ans, il a dû abandonner ses études et commencer à travailler pour aider à faire vivre sa famille nombreuse.
« Il y a des enfants qui ont dû renoncer à leurs rêves. »
« Je voulais devenir médecin en Syrie, mais le fait de devoir se réfugier ici a changé la donne », explique Khalil. « Il y a des enfants qui ont dû renoncer à leurs rêves. »
Il travaille maintenant six jours par semaine comme mécanicien, gagnant 7 dinars jordaniens (10 dollars) par jour, quel que soit le nombre d'heures. « C'est épuisant », affirme Khalil.
Comme des millions de réfugiés syriens encore éparpillés dans la région, Khalil a vu ses perspectives d'avenir s'évaporer, bien qu'il ait échappé au conflit qui sévit dans son pays. Alors que la crise s'éternise après 10 ans de conflit, il envisage désormais l'avenir avec une certaine résignation.
« La vie continue, de toute façon », dit-il. « C'est mon destin, je dois l'accepter et vivre avec. »
*Le nom a été modifié pour des raisons de protection.
Avec le concours de Dalal Harb à Beyrouth, Caroline Gluck à Tripoli, Cansin Argun à Ankara et Nida Yassin à Amman. Rédaction : Charlie Dunmore.