« Ici Douala, les réfugiés parlent des réfugiés »
Apprentis journalistes et réfugiés, ils ont tous pour objectif de sensibiliser le grand public à la question du déplacement forcé et préparent une émission qui sera diffusée sur la radio nationale CRTV le 20 juin, lors de la Journée mondiale du réfugié.
Gado, Cameroun – Le regard rivé sur son interlocuteur, micro à la main, Emmanuel Ambei a les yeux rougis par la poussière qui flotte en nappes épaisses en cette chaude journée de saison sèche. La poussière, et l’émotion. Ce réfugié tchadien d’une trentaine d’année est apprenti journaliste. Aujourd’hui, il recueille des témoignages qui le renvoient à sa propre histoire.
Depuis le début de l’année, un groupe de jeunes réfugiés centrafricains et tchadiens de Yaoundé s’est lancé dans la production d’une émission radio dédiée au sort des réfugiés. Ce programme sera diffusé sur la radio publique nationale (CRTV) et des radios communautaires régionales le 20 juin, à l’occasion de la Journée mondiale du réfugié.
Leur objectif consiste à raconter au public un peu de l’histoire dramatique de la République centrafricaine, dont la frontière se situe à un jet de pierre du camp de Gabo. L’initiative est née d’une idée simple : qui mieux que les réfugiés pour parler des réfugiés ?
« De toutes les rencontres que nous avons faites et de tous les sujets que nous avons couverts, c’est celui qui m’a le plus bouleversée. »
Emmanuel capture aussi avec application des sons d’ambiance : les cris d’excitation des enfants, les appels lancinants des marchands ambulants, l’agitation du camp de réfugiés de Gabo, à l’est du Cameroun. Comme une dizaine d’autres reporters venus visiter le site, son équipe et lui enregistrent les voix souvent timides des réfugiés.
Plus tard, dans le calme du studio de montage du centre de formation du Conseil International des Radios et Télévisions d’expression francophone (Cirtef), ils couperont et monteront les séquences des témoignages, avant de les commenter.
Emmanuel connaît déjà une partie du parcours des personnes qu’il a interviewées. Il lui a été raconté par Levys et Mabel, ses deux collègues de travail centrafricains et réfugiés également, qui vivent à Yaoundé et qui ont effectué les interviews. Pour tous, c’est la première fois qu’ils se rendent dans un camp de réfugiés.
A Gado, bien que la vie soit rude et le travail rare, le site a des allures de grand village, avec ses maisons faites de briques de terre, son marché animé, ses agriculteurs, ses éleveurs. Des milliers d’enfants suivent pas à pas l’équipe des journalistes.
Ce jour-là, ils sont venus couvrir une opération de rapatriement, et suivre l’un des nombreux convois qui ramèneront chez eux 1500 réfugiés centrafricains, décidés à retrouver leurs terres.
« On formait une grande famille…Nous les avons reçus de bon cœur. Qu’ils rentrent et vivent en paix. »
Au micro de l’équipe, le chef du village de Gado commente, visiblement ému, le départ des réfugiés : « On formait une grande famille. Vraiment ça fait mal au cœur de les voir rentrer. Nous les avons reçus de bon cœur. Qu’ils rentrent et vivent en paix. »
Qui mieux que nous pour raconter nos histoires ? (Images : Cyriaque Ndi Mbella ; montage : Insa Diatta ; éditeur : Selim Meddeb Hamrouni)
Au petit poste frontière de Garoua Boulaï, entre le Cameroun et la République centrafricaine, les apprentis journalistes Mabel et Levys ne peuvent s’empêcher de fouler leur terre natale, le temps d’un selfie.
Ils font un geste de la main en direction des autobus à bord desquels leurs compatriotes - désormais ex-réfugiés ou « rapatriés » dans le langage juridique du HCR - roulent vers leur destin.
« De toutes les rencontres que nous avons faites et de tous les sujets que nous avons couverts, c’est celui qui m’a le plus bouleversée », explique Mabel. Elle a trouvé refuge à Yaoundé en 2003, alors qu’un autre conflit secouait déjà son pays, la République centrafricaine.
Elle n’avait jamais revu son pays depuis son arrivée au Cameroun. « C’était tellement émouvant. Les gens qui pleurent, qui partent, ceux qui restent… Les mots me manquent ».
« En allant dans les camps, en voyant les besoins de mes frères et sœurs réfugiés, j’ai surtout commencé à nourrir le projet de travailler dans l’humanitaire. »
C’est par le train de nuit, puis par la route, une très longue route, que la petite équipe poursuit son périple en direction de Minawao.
« Moi, je suis un réfugié qui vit en zone urbaine », explique Emmanuel. « Nous sommes tous liés parce que nous sommes tous réfugiés. Mais nous avons des modes de vie très différents. Je n’ai clairement pas les mêmes problèmes qu’un réfugié qui vit dans un camp comme Minawao. »
Une fois sur place, ils suivent des réfugiés qui replantent la forêt détruite par les changements climatiques et la pression démographique. Ils écoutent les histoires d’une autre guerre, si étrangère et si familière à la fois.
Le Cameroun offre asile et protection à plus de 400 000 réfugiés, dont une grande majorité de Centrafricains, majoritairement installés sur la façade est du pays. Le pays abrite aussi quelque 100 000 Nigérians ayant fui les violences des groupes armés pour se réfugier à l’extrême nord du Cameroun, dans le vaste camp de Minawao où vivent 70 000 personnes.
De retour à Douala, la capitale économique, ils rencontrent un vieil imam camerounais qui a accueilli chez lui une centaine de réfugiés pendant plusieurs années et interviewent des groupes de jeunes réfugiés venus sensibiliser leur communauté au coronavirus.
Et puis il y aussi ce réfugié congolais, devenu entrepreneur, qui a bien réussi dans le monde des affaires. « Voir qu’un réfugié comme moi peut réussir comme ça, ça fait vraiment rêver ! », s’enthousiasme Emmanuel
Cette émission est une première au Cameroun. Elle sera diffusée sur une grande radio du pays, dans l’espoir de la voir ensuite être diffusée dans d’autres pays d’Afrique francophone.
Alors que l’aventure ne fait que commencer, au-delà de l’apprentissage, de l’expérience et du travail de sensibilisation, tous semblent y avoir trouvé quelque chose de plus profond encore : l’inspiration.
« J’ai d’abord saisi l’opportunité parce que je suis de nature timide et que je voulais me lancer un défi », résume Mabel. Mais en allant dans les camps, en voyant les besoins de mes frères et sœurs réfugiés, j’ai surtout commencé à nourrir le projet de travailler dans l’humanitaire. »