Paolo Artini : « À Calais, il est temps de protéger les réfugiés et les migrants »
Dans une tribune dans le journal La Croix, le Représentant du HCR en France s'exprime sur la situation sur place et envisage des solutions, en coordination avec les acteurs institutionnels et associatifs.
Tous les soirs, près de la ville portuaire de Calais et de Grande-Synthe, des centaines de réfugiés et migrants, dont de jeunes enfants, dorment dehors dans les bois. Leurs abris de fortune forment une constellation de sites éparpillés. Beaucoup ont probablement été victimes d’abus sur les routes africaines de l’exil - des violences dénoncées par le HCR dans le récent rapport « Personne ne se soucie de ta vie ou de ta mort en route » - et ont survécu à la route meurtrière de la Méditerranée centrale. D’autres sont arrivés après un long voyage du désespoir par la route orientale, qui passe par la Grèce et les Balkans.
Leurs voyages ne prennent pas toujours fin dans les Hauts-de-France. Malgré les défis posés par la pandémie, le nombre des personnes en transit a augmenté ces derniers mois. Jamais autant de personnes n’ont tenté de franchir la Manche, l’une des voies maritimes les plus fréquentées au monde et où les conditions météorologiques sont souvent difficiles. Les dangers posés par cette traversée ont été récemment rappelés par la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord, très engagée dans le sauvetage en mer des petites embarcations de fortune.
"Calais, à l’image de nombreuses autres villes-frontières, est un miroir des défis migratoires et d’un manque d’harmonisation des politiques d’asile en Europe."
En me rendant sur place, à la veille de la présentation du Pacte européen sur la Migration et l’Asile, j’ai pu échanger avec les réfugiés et les migrants, mais aussi les acteurs qui leur viennent en aide. Calais, à l’image de nombreuses autres villes-frontières, est un miroir des défis migratoires et d’un manque d’harmonisation des politiques d’asile en Europe.
Au niveau local, les villes sont en première ligne pour faire face aux défis posés par l’arrivée des migrants et réfugiés. Elles doivent être pleinement soutenues pour faire face à ces difficultés. Située sur les routes de l’exil, Grande-Synthe a ainsi vu son quotidien bouleversé ces dernières années. La ville a fait le choix de devenir un laboratoire des possibles en matière d’aménagement du territoire et d’intégration, en intégrant le réseau Snapshot from the Borders.
À la périphérie de Calais, nous avons accompagné les associations qui aident à la distribution quotidienne de repas, délivrent de l’information et tentent d’identifier les personnes les plus vulnérables. Parmi celles-ci figurent les enfants non accompagnés, qui survivent au bord de la route. Ce jour-là, plus de 1 300 personnes ont bénéficié de ce soutien vital, autant d’histoires qui se sont assemblées au rond-point de Virval, carrefour symbolique des défis de la migration et de l’asile en Europe.
"Il faisait encore beau, malgré l’arrivée de l’automne. Mais que se passera-t-il demain, lorsqu’il y aura de la pluie et du vent ?"
Il faisait encore beau, malgré l’arrivée de l’automne. Mais que se passera-t-il demain, lorsqu’il y aura de la pluie et du vent ? À la croisée des saisons, il nous est apparu nécessaire qu’un lieu couvert et adapté soit mis en place. Il permettra un accès continu à l’aide humanitaire et à un accompagnement individualisé, tout en tenant compte des exigences de la communauté d’accueil, confrontée depuis des années à la présence de cette population en mouvement.
Parmi les personnes rencontrées, originaires du Soudan, d’Afghanistan ou de la Corne de l’Afrique, beaucoup ne parlent pas la langue française. Ils ont un besoin d’urgent d’avoir accès à de l’information sur leurs droits dans une langue qu’ils comprennent. Promouvoir l’accès à une information fiable et personnalisée est aujourd’hui primordial pour comprendre leurs projets ainsi que leurs vulnérabilités et les orienter vers une prise en charge adaptée. Les conséquences d’un déficit en la matière ne sont pas à négliger. Quand la rumeur prend le pas sur l’information, la rhétorique des passeurs est celle qui emporte les esprits. Pour être à la hauteur de ce défi, il faudrait investir davantage dans un accompagnement par des interprètes et des médiateurs culturels dans leur langue.
Aussi, aux défis habituels, une nouvelle difficulté est venue s’ajouter ces derniers mois. La pandémie de Covid-19 a eu un impact important sur la santé physique et mentale des personnes déplacées. La réponse humanitaire des acteurs de terrain s’en est trouvée encore complexifiée. Il est ainsi essentiel d’assurer aux personnes en exil un accès facilité au système de soins et à un accompagnement psychologique. Le « foyer », lieu où nous sommes à l’abri en ces temps incertains, n’existe plus pour cette population déplacée.
Nous avons constaté que de nombreuses familles - certaines avec des bébés -, ainsi que des enfants non accompagnés attendent au cœur de la forêt de Calais et Grande-Synthe. Particulièrement en danger, ils devraient être mis à l’abri en priorité et bénéficier de solutions adaptées.
"Dans ce contexte sensible, le rôle de pilotage et de coordination des pouvoirs publics est fondamental."
Ces enfants non accompagnés sont contraints de survivre dans un monde d’adultes, vulnérables à la violence et aux trafics. La possibilité de réunification familiale et des autres voies légales pour rejoindre les membres de leurs familles au Royaume Uni avait été particulièrement utile dans le passé pour pouvoir stabiliser ces enfants et construire avec eux leurs parcours. Être à leur écoute, comme dans la Maison du Jeune Réfugié de Saint-Omer, permettrait d’assurer, dans leur intérêt supérieur, un accès à une protection et à des solutions pour leur avenir. C’est le sujet du rapport « C’est bien qu’on nous écoute », que le HCR avait présenté à l’Assemblée Nationale en 2018.
En s’engageant à relocaliser des enfants non accompagnés depuis Lesbos, en Grèce, La France a envoyé un message fort. La mobilisation des acteurs de la protection de l’enfance en faveur de ce groupe vulnérable reste cruciale, aussi bien dans le contexte de cette initiative de solidarité qu’à Calais.
L’engagement de la société civile, qui travaille au plus près des populations vulnérables dans les deux villes, doit être salué. Dans un contexte où les démantèlements risquent de renforcer la détermination de certaines personnes en exil à accepter les risques d’une traversée, il est devenu encore plus difficile de créer les liens de confiance nécessaires pour trouver des solutions durables. Souvent, la dispersion ne fait que déplacer le problème de quelques centaines de mètres. Malgré toutes ces difficultés, les associations restent des acteurs incontournables pour offrir un meilleur accompagnement de ces personnes et doivent être soutenues.
Dans ce contexte sensible, le rôle de pilotage et de coordination des pouvoirs publics est fondamental. Le HCR est prêt à apporter sa contribution aux efforts portés par tous les acteurs, en vue de trouver des solutions et mieux protéger les personnes vulnérables. En ces temps troublés, le renforcement du partage de la responsabilité et de la solidarité doit être au cœur de toutes les initiatives, dans l’esprit du récent Pacte Mondial sur les réfugiés et, je l’espère, du nouveau Pacte européen sur la Migration et l’Asile.