Hommage de Khaled Hosseini aux réfugiés morts lors de leur traversée vers l'Europe

Khaled Hosseini, Ambassadeur de bonne volonté du HCR et auteur, publie cet avant-propos du rapport du HCR intitulé "Voyage du désespoir".

 

 

Le 2 septembre 2015, Alan Kurdi, réfugié syrien âgé de trois ans, se noyait dans la Méditerranée. Lorsque j’ai vu la photo de son petit corps sans vie sur une plage de Turquie, j’ai essayé d’imaginer, moi qui ai deux enfants, l’horrible souffrance que devait endurer son père qui avait également perdu sa femme et un autre fils ce même jour fatidique. Comment pouvait-il supporter de voir, encore et encore, les photos de son enfant mort soulevé du sable par un étranger, qui ne connaissait ni sa voix, ni son rire, ni son jouet favori ?

A ma manière, je voulais lui rendre hommage, rendre hommage à Alan et aux milliers d’autres qui sont morts en essayant de trouver un refuge face à la violence, les conflits et les persécutions. A travers Une prière à la mer, une lettre imaginaire d’un père à son fils alors qu’ils s’apprêtent à traverser la mer pour rejoindre l’Europe, j’ai tenté de décrire l’incroyable désespoir qui pousse nombre de familles à tout risquer pour chercher la paix sur des rivages étrangers.

Lors d’une récente visite au Liban et en Italie avec le HCR, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, j’ai pu constater que ce que j’avais imaginé en écrivant Une prière à la mer se jouait sans cesse dans la vie des réfugiés que j’ai rencontrés. Au Liban, j’ai passé du temps avec des familles déchirées par le départ d’un ou de plusieurs de leurs membres pour l’Europe dans l’espoir que leurs proches pourraient  les rejoindre en toute sécurité grâce aux politiques de regroupement familial. Après plusieurs années, ces familles n’avaient pas été réunies et vivaient dans les limbes, incertaines de leur avenir. D’eux j’ai appris que la décision de traverser la mer pour gagner l’Europe n’était jamais prise à la légère. C’était toujours une torture, toujours un déchirement, et toujours né du désespoir et de la peur pour l’avenir de leurs enfants.

En Sicile, j’ai rencontré des survivants qui avaient pris la mer du Liban et de la Turquie et me décrivaient leur terrible voyage sur des bateaux surchargés et dangereux. Les corps collés les uns contre les autres, les vagues gigantesques, la nuit si noire qu’on ne sait distinguer le ciel de la mer, la peur incessante du naufrage. Et toujours, les enfants qui ne savent pas nager, qui ont faim et qui sont brûlés par le soleil, l’eau de mer et l’essence toxique qui stagne au fond des bateaux en caoutchouc.

Dans un cimetière de Catane, en Sicile, il y a une zone qui, à première vue, ressemble à un terrain vague de gazon jauni, de mauvaises herbes et de détritus. En réalité, il s’agit de rangées de tombes anonymes et négligées, dans lesquelles reposent les corps de réfugiés et de migrants qui ont péri en Méditerranée en essayant d’atteindre l’Europe. Pas d’épitaphes aimantes gravées dans la pierre, de gardien, ni de fleurs.  Sur le lot 2, PM 3900 01, se trouve une petite plaque ovale sale, pas plus grosse que la paume de ma main. Dessus, un petit garçon aux cheveux blonds sourit. Son visage – et le polo rouge qu’il porte – me rappelle, inévitablement, Alan Kurdi.

Bien que les arrivées en Europe par la mer aient chuté de manière spectaculaire depuis la mort d’Alan Kurdi, le débat public autour de la question migratoire n’a cessé de s’exacerber et de diviser. Dans le même temps, le souvenir de sa mort tragique s’efface, comme s’est effacée  l’indignation collective qui avait saisi le monde lorsque les photos de son cadavre étaient devenues virales. Selon le rapport du HCR, « Voyage du désespoir », plus de 1500 personnes, y compris de nombreux enfants, sont morts en mer cette année lors de traversées semblables à celle d’Alan et de sa famille. Pourtant les réactions mondiales se font de moins en moins entendre.

En dépit de tout cela, je rentre toujours de mes visites avec le HCR profondément bouleversé. Bouleversé par la résilience humaine, par le puits profond et inépuisable de courage et de décence des hommes, bouleversé par ce que les gens sont prêts à supporter pour protéger leurs familles, leurs enfants et conserver leur dignité.

Et je suis toujours galvanisé lorsque je vois les efforts de nombreuses personnes pour accueillir et soutenir ceux qui ont accompli ces voyages du désespoir. Je suis inspiré par le HCR et bien d’autres qui travaillent inlassablement pour assouplir le cadre légal qui permet aux familles de se réunir, et de faire en sorte que les voyages des réfugiés se passent avec dignité et en toute sécurité. Et j’applaudis tous ceux qui sont solidaires des réfugiés et les aident d’innombrables manières à se reconstruire. Le troisième anniversaire de la mort d’Alan Kurdi doit être l’occasion pour nous tous de réfléchir à ce que nous pouvons faire pour empêcher de nouvelles tragédies.

La traduction de cet avant-propos a été faite par les éditions Albin Michel.

Le livre de Khaled Hosseini intitulé "Une prière à la mer" aux éditions Albin Michel sera en librairie à partir du 13 septembre 2018.