Un avocat intrépide atteint son objectif d'éradiquer l'apatridie au Kirghizistan
Se déplaçant à pied, à cheval ou en 4x4, Azizbek Ashurov et son équipe d'avocats ont aidé le Kirghizistan à mettre fin à l'apatridie.
Azizbek Ashurov (au centre) avec son équipe de juristes dans les locaux de leur organisation à Och, Kirghizistan.
© HCR/Chris de Bode
Selon lui, Azizbek Ashurov ne procure pas une citoyenneté à des personnes qui vivaient sans, mais il leur rend simplement celle qui leur appartenait depuis le début.
Voix douce et sourire chaleureux, l’avocat a passé les cinq dernières années à défendre les droits des plus de 10 000 apatrides au Kirghizistan, en remuant ciel et terre dans son combat visant à leur garantir l’obtention de la citoyenneté.
Accompagné de son équipe, il a parcouru le pays dans une Lada 4x4 hors d’âge. Il a escaladé des montagnes escarpées à dos de cheval et marché à travers les rues de communautés isolées pour identifier des personnes apatrides vivant à l’abri des regards.
Son travail acharné a payé et il peut désormais se targuer d’avoir aidé cette nation d’Asie centrale à atteindre un objectif historique : mettre fin à l’apatridie sur son territoire.
« Comme le dit un proverbe « pas de tonnerre, pas de pluie. »
« Tout le monde se demandait si nous serions capables d’y arriver », raconte cet homme de 38 ans. « Ils disaient que ce serait très difficile. Quand nous avons commencé, ces personnes étaient vraiment invisibles. L’État ne savait rien d’elles, il n’y avait aucune statistique. »
« Mais j’étais jeune et ambitieux, et mon équipe partageait cette passion pour les droits de l’homme. Comme le dit un proverbe « pas de tonnerre, pas de pluie. »
L’apatridie met à mal l’existence de millions de personnes dans le monde entier. Elle les prive de droits essentiels comme l’accès aux soins de santé, à l’éducation, à l’emploi et à la liberté de circulation. Elle les empêche même d’ouvrir un compte bancaire ou d’acheter une carte SIM pour un téléphone portable.
La dissolution de l’Union soviétique dans les années 1990 a engendré des centaines de milliers d’apatrides dans toute l’Asie centrale, notamment au Kirghizistan. D’autres personnes sont restées dans un vide juridique en raison de lacunes dans la législation ou de mariages entre différentes nationalités.
Dépourvue de papiers d’identité, Shirmonkhon Saydalieva, mère de trois enfants, fait partie des personnes qui se sont retrouvées apatrides après que les frontières de l’ex-Union soviétique aient été redessinées pour former le Kirghizistan indépendant.
« La vie était très difficile sans papiers », témoigne cette femme de 47 ans. « Nous ne pouvions pas travailler. Nous ne pouvions pas rendre visite à des proches. Nous ne pouvions rien faire. Nous ne pouvions même pas aller à l’hôpital. Personne ne nous aidait. »
Pendant plusieurs décennies, trois générations de sa famille ont vécu sous le seuil de pauvreté.
« Puis les avocats sont venus », se rappelle-t-elle en souriant.
L’ONG Avocats sans Frontières de la Vallée de Ferghana (FVLWB), dirigée par Azizbek Ashurov, a été créée en 2003 pour offrir des prestations gratuites d’aide juridique. Elle a commencé à lutter contre l’apatridie en 2007 puis, en 2014, des financements du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, ont permis de mettre en place des cliniques juridiques mobiles et d’identifier l’ampleur du problème.
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Les équipes ont découvert que la partie kirghize de la Vallée de Ferghana - une région d’Asie centrale densément peuplée englobant aussi des parties de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan — était un point sensible, avec plus de 10 000 personnes dépourvues de documents d’identité.
Trente avocats ont travaillé sans relâche, menant de front jusqu’à dix cas par jour. Les horaires de bureau se sont étendus aux nuits. « Nous n’avions même pas le temps de penser à ce qui nous motivait », se souvient Azizbek Ashurov qui rentrait rarement chez lui à temps pour coucher ses enfants. « Dès qu’un cas était terminé, nous passions au suivant. »
Dans leur lutte, ils étaient épaulés par des alliés essentiels qui faisaient pression pour modifier et améliorer la législation.
« Notre principale méthode consistait à travailler avec le gouvernement », raconte Azizbek Ashurov. « Nous avons réussi à attirer leur attention et à les mettre de notre côté. Nous étions peu de combattants mais, derrière nous, il y avait un gros tank. »
« Dès qu’un cas était terminé, nous passions au suivant. »
Dans un pays aussi montagneux, les équipes mobiles étaient essentielles. Elles sillonnaient le Kirghizistan pour atteindre certaines des communautés les plus isolées par le biais des cliniques mobiles juridiques et du porte-à-porte. Quand la Lada ne pouvait pas franchir des versants accidentés ou des vallées escarpées, les avocats se déplaçaient alors à cheval.
Azizbek Ashurov explique qu’il a fallu beaucoup de temps pour gagner la confiance des personnes qui se sentaient oubliées. Mais ces défis n’ont fait que renforcer leur détermination à les aider.
« Après tout, comment pouvez-vous être fautif simplement parce que vous n’avez pas été engendré par la bonne personne ou parce que vous étiez au mauvais endroit au mauvais moment ? »
En juillet dernier, les dernières personnes sans papiers au Kirghizistan ont finalement obtenu leur citoyenneté, en grande partie grâce à Azizbek Ashurov et à son équipe.
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Malgré l’immense impact de son action, cet homme remarquable peut facilement passer inaperçu. Lors d’une cérémonie dans la capitale kirghize pour célébrer la réussite du pays, il arborait un simple costume en polyester. Plutôt que de s’assoir, il est resté debout à l’arrière de la salle, observant tranquillement et partageant le mérite de cette première mondiale avec ses collègues.
« C’est vraiment un travail d’équipe », insiste-t-il en souriant.
Azizbek Ashurov a travaillé sans relâche depuis cinq ans. Il ne s’accorde que peu de temps libre. Il ne s’arrête que le dimanche pour emmener ses enfants à la fête foraine ou s’occuper des fleurs de son jardin. Il dit qu’il cherche encore les mots appropriés pour remercier son épouse.
Tous les avocats ont des passe-temps. Azizbek Ashurov dit que cela les aide à gérer leur stress. Kanat, 37 ans, est un fan de films de cascadeurs. Nurlan, 40 ans, garde des moutons. Selon la blague qui court, Almaz, 38 ans, a doublé sa charge de travail en devenant le surintendant de son immeuble. Mais même Superman a besoin d’une pause.
« À certains moments, j’ai pensé que je ne pourrais plus continuer », raconte Azizbek Ashurov. « La dernière fois c’était il y a un mois. Je suis tombé malade. J’avais des problèmes à la maison et beaucoup de travail au bureau. Je m’en souviens car il pleuvait. Je ne suis qu’un humain. »
« C’est vraiment un travail d’équipe. »
Ses cinq collègues, y compris Mayran la comptable, l’ont aidé à tenir bon.
« J’ai passé presque 16 années avec ces personnes », dit-il. « Nous ne sommes pas seulement collègues ou amis. Nous sommes frères. »
« Ce que je préfère chez Azizbek c’est qu’il ne se comporte pas comme un chef », déclare Kanat, qui travaille au sein de l’équipe depuis 2013. « Il se comporte comme un leader. Il sera toujours en première ligne avec vous. »
Quand ils ne s’occupent pas d’apatridie, les avocats ont un autre défi : gagner la ligue locale de ‘Что? Где? Когда?’ (‘Quoi? Où? Quand?’), un jeu collectif de questions-réponses populaire dans toute l’ex-Union soviétique.
Mais, pour l’instant, la victoire est restée hors de portée.
« Nous avons été récemment invités pour la version qui passe à la télévision locale. Nous avons dit que nous n’avions pas le temps, mais la vraie raison est que nous allons perdre », blague Azizbek Ashurov, l’œil taquin. « Nous continuerons. Je suis le genre de personne qui, si on lui pose une question, ne peut pas être tranquille avant de savoir la réponse. »
« Nous ne sommes pas seulement collègues ou amis. Nous sommes frères. »
Alors que la campagne #IBelong (#Jexiste) arrive à mi-parcours, le HCR a appelé les États à s’engager à prendre des mesures ambitieuses et rapides pour atteindre l’objectif de la campagne visant à mettre fin à l’apatridie d’ici 2024.
« Le rôle moteur joué par le Kirghizistan pour remédier aux cas connus d’apatridie constitue un exemple remarquable qui, je l’espère, sera salué et suivi par d’autres », a déclaré Filippo Grandi, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés.
Yasuko Oda, la Représentante régionale du HCR pour l’Asie centrale, espère que la réussite du Kirghizistan va inciter d’autres pays dans le monde à faire de même. « L’objectif de mettre fin à l’apatridie peut être atteint grâce à la compréhension et aux efforts véritablement communs de tous, y compris des anciens apatrides eux-mêmes qui peuvent jouer le rôle de modèles et de défenseurs, ainsi que des personnes encore sans papiers qui ont le courage de se faire connaitre et identifier », ajoute-t-elle.
Azizbek Ashurov et son équipe s’emploient désormais à aider d’autres pays d’Asie centrale à réduire l’apatridie. Ensemble, ils ont contribué à la création d’un réseau permettant de partager des informations et de réunir la société civile et les gouvernements.
« Nous sommes un petit pays, avec des ressources limitées », explique Azizbek Ashurov. « Mais nous avons remédié à l’apatridie ensemble. Ce n’est pas impossible, et cela peut être répliqué ailleurs. La citoyenneté n’est pas un privilège, c’est une nécessité. Ce ne sont pas que des statistiques, ce sont des personnes dont la vie a changé pour toujours. »