Une mère soudanaise obtient la citoyenneté pour ses enfants après sept années de bataille juridique
Sa victoire fait suite à de récentes décisions de justice allant dans le bon sens et permet à ses enfants de poursuivre leurs études, de trouver du travail et d'avoir ainsi leur place dans la société.
Lorsque le Soudan du Sud s'est séparé du Soudan en 2011, Hanan Jaber Abdallah ne soupçonnait pas que cette décision historique rendrait ses cinq enfants invisibles, car apatrides. Comme des milliers d'enfants dont les parents étaient d'origine mixte sud-soudanaise et soudanaise, ses enfants ont perdu leur nationalité immédiatement après la séparation.
Hanan est soudanaise, mais au Soudan les lois sur la nationalité ne donnent pas aux mères le droit de transmettre automatiquement la citoyenneté à leurs enfants. Son mari, originaire du sud du Soudan, n'a pu établir sa propre nationalité ni au Soudan, ni au Soudan du Sud. Leurs enfants, dont les certificats de naissance indiquaient qu'ils étaient nés au Soudan, se sont donc retrouvés apatrides.
« Je ne pouvais pas leur transmettre ma nationalité », a déclaré Hanan. « Nous ne pensions pas qu'ils auraient besoin d'un autre document d'identité. »
« Je ne pouvais pas dormir la nuit. J'avais peur de ne pas pouvoir terminer mes études. »
C'est la fille aînée de Hanan, Benazir, qui a été la première à réaliser qu'elle et ses frères et sœurs n'étaient plus citoyens. En 2012, Benazir était prête à passer ses examens nationaux de fin d'études secondaires, mais elle n'avait pas les papiers d'identité requis. Sa mère a essayé de lui obtenir un numéro d'identification national, mais sa demande a été rejetée par le service de l'état civil du gouvernement.
Benazir était dévastée. « Je ne pouvais pas dormir la nuit », se souvient-elle. « J'avais peur de ne pas pouvoir terminer mes études. »
Benazir a poursuivi sa scolarité, mais elle a dû s'inscrire en tant qu’étrangère, tout comme ses jeunes frères et sœurs. Ses frais de scolarité étaient plus de dix fois plus élevés que ceux des étudiants soudanais, et sa famille était obligée d'emprunter de l'argent à des proches.
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« J'ai même abandonné l'école pendant un an car mes parents ne pouvaient pas payer les frais de scolarité », a déclaré Benazir. « J'ai raté une opportunité de stage en tant que chercheur dans un laboratoire de recherche dépendant de l’Etat. »
Après avoir appris par un bénévole de la communauté que le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, fournissait une aide juridique aux personnes confrontées à l'apatridie, Benazir a exhorté sa mère à demander de l'aide. Pendant les sept années suivantes, la seule mission de Hanan a été d’établir officiellement la nationalité de ses enfants - et de garantir ainsi leur avenir. Grâce à sa propre détermination et au soutien du HCR, elle a appris à s'y retrouver dans un système juridique complexe, en rencontrant régulièrement un avocat pour préparer les comparutions devant le tribunal. Elle s'est rendue au moins dix fois à l'état civil. Mais les voyages et les efforts qu'elle a dû faire ont eu des conséquences sur ses finances et sa santé. Ses enfants ont également souffert.
« Mon cœur déborde de joie et j'ai l'impression qu'une nouvelle aube se lève dans ma vie »
Tout a changé le 15 décembre 2019, lorsque Hanan a finalement reçu le certificat de nationalité pour lequel elle avait tant lutté. La vie de ses enfants a immédiatement changé. Benazir, qui était entrée à l'université, a su qu'elle pourrait désormais trouver un emploi. Sa sœur peut entrer à l'université sans payer des frais exorbitants. Une sœur plus jeune, à l'école primaire, n'a plus à se soucier des frais de scolarité. La famille entière est apparue calme et heureuse lors d'une récente visite auprès d’un membre du personnel du HCR et a déclaré qu'elle avait le sentiment d'avoir retrouvé sa dignité.
« Mon cœur déborde de joie et j'ai l'impression qu'une nouvelle aube se lève dans ma vie », a déclaré Hanan. Elle reste cependant déterminée à défendre les femmes comme elle et à les encourager à lutter pour obtenir des papiers pour leurs enfants. Elle évoque son parcours chaque fois qu’elle le peut, dans l'espoir d'inspirer d'autres femmes confrontées à des défis similaires.
« La persévérance de Hanan, l'aide juridique et la représentation en justice de nos partenaires ont permis ce changement », a déclaré Eman Awad Naser, employé du HCR en charge de la protection basé à Khartoum. Eman a ajouté que la détermination de Hanan a impressionné les responsables de l'état-civil soudanais qui, depuis 2018, ont aidé quelque 1300 femmes soudanaises à transmettre la citoyenneté à leurs enfants. Le HCR, pour sa part, a fourni une aide juridique à plus de 500 familles qui ont perdu leur nationalité soudanaise et n'ont pas pu obtenir la nationalité sud-soudanaise suite à l'indépendance du Soudan du Sud en 2011.
Le Soudan a fait de grands progrès en matière de législation sur la nationalité. Toutefois, il reste l'un des 25 pays qui ne permettent pas encore aux femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants de la même manière que les hommes. Le cas de Hanan illustre la manière dont des obstacles juridiques, administratifs et procéduraux peuvent empêcher les démarches de mères comme elle pendant des années.
Le Soudan est signataire de la Déclaration de Brazzaville de 2017 sur l'élimination de l'apatridie dans la région des Grands Lacs (en anglais), qui contient onze engagements pour mettre fin à l'apatridie. Parmi ceux-ci se trouvent la réforme des lois et politiques relatives à la nationalité pour assurer la compatibilité avec les principes internationaux sur l'apatridie, l'adhésion aux conventions des Nations Unies sur l'apatridie et la suppression des éléments de discrimination sexuelle dans les lois et politiques relatives à la nationalité.
La discrimination sexuelle dans le transfert de la nationalité est l'une des principales causes d'apatridie. Lorsque les pères ne peuvent ou ne veulent pas transmettre leur nationalité à leurs enfants, les mères se retrouvent sans alternative. Il y a plus de dix millions d'apatrides dans le monde qui n'ont pas accès aux droits fondamentaux, tels que l'éducation, les soins de santé et l'emploi. Il leur est impossible de faire ce que la majorité considère comme allant de soi – se marier, ouvrir un compte bancaire ou voyager. Les enfants apatrides sont souvent victimes de discrimination, non seulement de la part des institutions et de l'État, mais aussi de leur propre famille.
Il y a cinq ans, le HCR a lancé la campagne #Jexiste (#IBelong en anglais) pour mettre fin à l'apatridie dans le monde entier d'ici 2024.