Le chef du HCR décrit une « violence sans précédent » au Burkina Faso et appelle à un soutien urgent
« Je suis bouleversé par la violence et sidéré par l'ampleur de leurs besoins », a déclaré le chef du HCR Filippo Grandi lors de sa visite auprès de déplacés internes burkinabés.
Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés Filippo Grandi s'entretient avec une fillette dans les locaux du HCR à Kaya, au Burkina Faso.
© HCR/Sylvain Cherkaoui
Lorsque des hommes armés ont fait irruption dans sa maison du nord du Burkina Faso et ont ouvert le feu, Rinata Baguigna a assisté aux décès de dix membres de sa famille. Une fois les assaillants partis, Rinata a enterré les morts. Puis elle a essayé de dormir. Le matin venu, elle a rassemblé ses cinq enfants et s'est enfuie.
« Les femmes sont profondément marquées. Elles sursautent au moindre bruit », explique-t-elle. « Elles font des cauchemars... Leurs maris tués devant elles - et puis certaines ont été violées. »
Des centaines de milliers de personnes ont fui. Comme Rinata, beaucoup se sont retrouvées ici, à 100 kilomètres au nord de la capitale du pays, Ouagadougou, où elles ont trouvé refuge auprès de leurs compatriotes burkinabés. Rinata est aujourd’hui en sécurité chez un chef communautaire, Diambendi Madiega, aux côtés de 560 autres personnes représentant six communautés ethniques différentes. Chaque jour, de nouveaux déplacés se présentent.
Le Burkina Faso, un pays de 20 millions d'habitants situé en Afrique de l'Ouest et l'un des plus défavorisés au monde, est confronté à une crise humanitaire aiguë alors que des centaines de milliers de ses citoyens fuient les violences commises par les extrémistes armés. Malgré les efforts du gouvernement et les interventions militaires internationales, la violence continue de s'intensifier.
« L'urgence est ici… C'est ici que nous devons intervenir avant que cette crise ne devienne ingérable. »
Plus d'un demi-million de personnes sont devenues des déplacés internes, après avoir fui les régions du nord et de l'est du pays vers les provinces voisines. Leurs hôtes, qui sont leurs concitoyens, sont confrontés à la pauvreté, à des services de santé surchargés, à des écoles inadaptées et à la disparition rapide de leurs moyens d'existence au fur et à mesure que les températures augmentent et que leurs terres deviennent infertiles.
Les communautés d'accueil sont également confrontées à l'éventualité de voir la violence gagner leurs villages. Leurs communautés sont au bord de la rupture, disent-ils. Et pourtant, ils continuent à partager tout ce qu'ils ont.
« Cela a chamboulé notre vie », a déclaré Yobi Sawadogo, un conseiller du maire de Kaya, au HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. « Mais nous ne pouvons pas les rejeter. Que ferions-nous ? Leur dire de partir pour aller se faire tuer ? »
Le Burkina Faso compte quelque 600 000 déplacés internes, soit une hausse de 1200% au cours de l’année écoulée. Environ 300 000 d’entre eux ont fui au cours des quatre derniers mois, faisant face à une recrudescence de la violence.
Cette semaine, un groupe d'hommes armés non identifiés a tué 20 civils lors d'une attaque contre le village de Lamdamol, dans la province de Seno, au nord du pays. Cette attaque a eu lieu une semaine après celle d'un marché de la province de Soum qui avait fait 39 morts.
Environ 90% des Burkinabés déplacés à l'intérieur du pays vivent au sein de familles d'accueil. Le HCR s'efforce de leur fournir des abris et des articles de première nécessité, car la majorité des déplacés ont fui les mains vides. Mais le travail du HCR reste entravé par des menaces sécuritaires croissantes que les groupes armés font peser sur son personnel, ce qui rend impossible de venir en aide à une partie des populations dans le besoin, y compris certains des 26 000 réfugiés maliens hébergés au Burkina Faso depuis 2012.
Le manque de ressources constitue également un défi : à la fin 2019, le HCR avait reçu un peu moins de 70% des fonds dont il avait besoin pour répondre de manière adéquate à la situation au Burkina Faso, soit un sous-financement de 30,5 millions de dollars dans l'un des pays les plus pauvres au monde.
Au Burkina Faso, dernière étape d'une visite dans trois pays du Sahel, le Haut Commissaire Filippo Grandi s'est entretenu avec des femmes et des enfants qui ont vu leurs fils, leurs maris et leurs pères assassinés pour avoir refusé de rejoindre les groupes armés. En plus des meurtres commis, les terroristes sont restés pour violer des femmes et des jeunes filles, détruire des maisons et des écoles, piller des fermes.
Voir aussi : Des réfugiés et leurs hôtes œuvrent ensemble pour bâtir un chez-soi sûr au Niger
« Quand on pense au Sahel, on pense terrorisme et migrations, à ce qui, en théorie, menace l’Europe », a déclaré Filippo Grandi. « Mais le vrai problème est ici. L'urgence est ici, dans le Sahel, là où les gens souffrent, sont tués, où les femmes sont violées, où les enfants ne peuvent pas aller à l'école. C'est ici que nous devons intervenir avant que cette crise ne devienne ingérable. »
Filippo Grandi termine aujourd'hui sa visite au Sahel, après s’être rendu au Niger et en Mauritanie pour mesurer l'impact des déplacements massifs sur les pays d'accueil. En Mauritanie, Filippo Grandi a entendu les témoignages de certains des quelque 60 000 réfugiés maliens du pays, qui lui ont affirmé qu'ils ne voyaient aucune possibilité de retour tant que le conflit continue de sévir dans leur pays.
« Ils ont fui les violences les plus terrifiantes qui m'aient jamais été rapportées. »
La violence au Sahel, une région qui couvre des pans entiers des pays situés au sud du Sahara, a éclaté après la révolution de 2011 en Libye et le soulèvement malien de 2012, au cours duquel une coalition de combattants armés s'est emparée d'une grande partie du Mali. Des groupes terroristes ainsi que des groupes criminels organisés et des bandits ordinaires ont franchi les frontières, exploitant les tensions ethniques, la pauvreté et la mauvaise gouvernance pour terroriser les populations locales.
L'ampleur de cette crise est déjà au-delà de l’entendement. Filippo Grandi et les employés du HCR - qui ont pour la plupart été témoins de certaines des crises de réfugiés les plus graves au monde dans des endroits comme la Syrie et le Myanmar - ont déclaré qu'ils avaient rarement vu un groupe de personnes exposées à autant de tragédies.
« Ils ont fui les violences les plus terrifiantes qui m'aient jamais été rapportées », a indiqué Filippo Grandi, debout au milieu d'une foule silencieuse de centaines de personnes déplacées. « Je suis bouleversé par cette violence et sidéré par l'ampleur des besoins en matière d'aide humanitaire. »
Voir aussi : Le HCR renforce son engagement face à l’escalade de la violence et aux déplacements de populations dans le Sahel