Côte-d'Ivoire : combien de morts faudra-t-il encore ?

Publisher: Libération
Author: Venance Konan
Story date: 03/08/2011
Language: Français

Le débat n'est pas clos 4/10 Chaque jour, retour sur un événement de l'année

L'affaire semblait pliée ce soir du 25 novembre 2010. Le débat télévisé qui avait opposé les deux candidats au second tour de l'élection présidentielle ivoirienne avait été courtois et Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo avaient fait assaut d'amabilités l'un à l'égard de l'autre. C'était une première sur le continent africain où les successions à la présidence se font le plus souvent par coup d'Etat. On aurait quand même dû se méfier un peu, après la surprenante décision de Laurent Gbagbo, dès l'entame du débat, d'instaurer un couvre-feu durant les opérations électorales. Le dimanche 28 novembre, les Ivoiriens ont donc été voter massivement, comme ils l'avaient fait pour le premier tour.

Ils attendirent les résultats durant deux longs jours, pendant que les rumeurs les plus folles circulaient. La télévision qui devait retransmettre en direct les résultats depuis les locaux de la Commission électorale indépendante (CEI), avait été priée de déguerpir. Puis ce fut le tour des agents de la CEI et mêmes des agents de sécurité d'être à leur tour chassés des lieux, pour être remplacés par les redoutables gardes républicains de Laurent Gbagbo. Les rumeurs disaient que ce dernier avait perdu l'élection, mais qu'il s'opposait à ce que cela soit su du peuple. Et un soir, le monde entier vit sur les écrans de télévisions le représentant de Laurent Gbagbo au sein de la CEI arracher des mains du porte-parole de la Commission les feuilles où étaient inscrits les résultats qu'il s'apprêtait à donner. Tout le monde avait compris que Laurent Gbagbo voulait confisquer la volonté du peuple ivoirien.

Le résultat finit par tomber. De la bouche du président de la CEI, depuis l'hôtel du Golf, l'un des rares endroits d'Abidjan sécurisés par la force de l'ONU, où s'étaient réfugiés Alassane Ouattara et ses proches. Laurent Gbagbo avait effectivement perdu l'élection. Alassane Ouattara avait eu la bonne idée de s'allier à Henri Konan Bédié, arrivé en troisième position et dont les militants, qui avaient vraiment Gbagbo dans le nez, avaient voté massivement pour son adversaire. Aussitôt, le président du Conseil constitutionnel, un vieux copain de Laurent Gbagbo, se précipita à la télévision pour annoncer qu'il ne reconnaissait pas ce résultat, et qu'il donnerait le sien le lendemain. Ce qu'il fit le 3 décembre. Après avoir effacé d'un coup de gomme rageur toutes les voix du Nord et du Centre, sept régions en tout, il déclara Laurent Gbagbo vainqueur. Le lendemain, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d'Ivoire, que toutes les parties ivoiriennes avaient mandaté pour certifier les résultats de l'élection présidentielle, déclara à son tour que le vrai gagnant était Alassane Ouattara. Faisant fi de cette certification, Laurent Gbagbo se fit aussitôt investir président de la République. Alassane Ouattara, confiné à l'hôtel du Golf, sous la protection de l'ONU, mais cerné par les soldats de Gbagbo, prêta lui aussi serment en tant que Président devant un huissier. La Côte d'Ivoire se retrouvait avec deux Présidents, et trois premières dames, car Gbagbo en avait officiellement deux. Le bras de fer qui devait conduire la Côte d'Ivoire à la guerre avait commencé.

Toute la communauté internationale reconnut la victoire d'Alassane Ouattara. Mais Laurent Gbagbo, soutenu par une cohorte de pasteurs évangéliques qui affirmaient sans rire que Dieu leur avait dit qu'il était le vrai gagnant, s'accrocha. Son épouse Simone, la première, organisa la résistance. Elle était faite de séances de prières, de meetings au cours desquels toute la communauté internationale était vouée à la géhenne, et surtout d'assassinats de tous ceux qui osaient contester la victoire de son mari. La terreur s'installa en Côte d'Ivoire. C'est qu'on la connaît, Simone. Déjà, en 2002, lorsqu'avait éclaté la rébellion qui avait coupé le pays en deux pendant plus de huit ans, on l'avait accusée d'avoir actionné des escadrons de la mort qui avaient assassiné des dizaines de personnes soupçonnées d'appartenir à la rébellion.

Toutes les médiations entreprises pour ramener Gbagbo à la raison échouèrent. Pendant ce temps, les morts s'accumulaient. Les «jeunes patriotes», composés d'étudiants et de désœuvrés conduits par Blé Goudé, le «général de la rue» autoproclamé, un des fidèles parmi les fidèles de Gbagbo, pillaient les maisons des opposants et lynchaient dans les rues tous ceux qu'ils soupçonnaient de ne pas être de leur côté.

Finalement, les rebelles de Guillaume Soro, ancien Premier ministre de Gbagbo qui s'était rallié à Ouattara, descendirent sur Abidjan. Cela se fit en quelques jours et sans véritable combat, sauf dans la ville de Duékoué, dans l'ouest du pays où il y eut, selon les organisations de défense des droits de l'homme, un véritable carnage. A Abidjan, les rebelles, rebaptisés Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) auxquels s'étaient joints des éléments de l'armée régulière peinèrent à venir à bout de Laurent Gbagbo. C'est que le bougre avait transformé Abidjan, et principalement son palais, en véritable poudrière. Il fallut que les forces françaises présentes dans le pays bombardent avec leurs hélicoptères les camps militaires et le palais de Gbagbo pour ce dernier soit finalement capturé dans ses sous-sols.

Alassane Ouattara a donc récupéré son pouvoir. Au bout de combien de morts ? Les forces qui l'ont aidé à venir à bout de Laurent Gbagbo sont accusées d'avoir commis des massacres à Duékoué. Et, depuis qu'elles sont devenues les maîtresses du pays, elles se livrent à toutes sortes d'exactions qui vont du racket aux assassinats en passant par les pillages. De nombreux partisans de Gbagbo refusent de reconnaître Ouattara comme le Président de leur pays et organisent des séances de prières, si ce n'est autre chose, comme un coup d'Etat ou une rébellion par exemple, pour le retour de leur idole. Pendant ce temps, le pays est en ruine et l'économie à genoux.

Les Ivoiriens, à qui des pasteurs illuminés ont fait croire que leur pays est béni de Dieu, attendent de Ouattara qu'il accomplisse un miracle pour les rendre heureux. Le débat n'est décidément pas clos.
 

Refugees Daily
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