Le calvaire des 25 migrants asphyxiés dans un chalutier au large de l'Italie

Publisher: Le Monde
Author: Salvatore Aloïse
Story date: 03/08/2011
Language: Français

La découverte des corps, lundi 1er août près des côtes siciliennes, provoque la stupeur dans le pays

Il fallait occuper tout l'espace disponible sur le rafiot qui allait faire la traversée vers l'Italie. C'est pourquoi les organisateurs du voyage ont obligé les premiers arrivés à se glisser, par une trappe large d'une cinquantaine de centimètres, dans la salle des machines et une petite chambre froide désactivée. Pas plus de six, sept mètres carrés, sans aucune ouverture et qui, dans le noir, avant le départ d'un port non loin de Tripoli (Libye), semblait presque une bonne solution.

" Ils nous ont dit que dessous, c'était mieux, sans le soleil du jour et sans le froid de la nuit ", a raconté au quotidien Corriere della Sera l'un des survivants – entre 50 et 60 selon les différents récits – parmi ceux qui étaient dans la cale. Après une journée, il avait réussi à se faufiler à l'extérieur. Mais 25 de ses compagnons ont été trouvés par les autorités italiennes morts, asphyxiés, à l'arrivée de l'embarcation sur l'île de Lampedusa, au petit matin du lundi 1er août.

Quand les autres se sont entassés sur le pont du vieux chalutier de quinze mètres plein à craquer, ceux qui étaient dans la cale ont été pris au piège de la véritable chambre à gaz qu'était devenue la salle des machines. " Ils les ont tués comme des chiens, le "capitaine" et l'homme armé de bâton qui contrôlait la trappe ", raconte Paul, un Nigérian de 24 ans. Son frère aurait été jeté par-dessus bord pour s'être rebellé contre la mort certaine qui attendait ceux qui se trouvaient ainsi prisonniers.

Benjamin, un autre Nigérian, a raconté aux volontaires des ONG l'horreur de ces moments : " Nous étions serrés comme des sardines. Impossible d'ouvrir la trappe parce que nous étions dessus et tout mouvement risquait de nous faire chavirer. " Le " capitaine " d'ailleurs les rassurait. " Ils souffriront un peu mais arriveront vivants ", disait-il. Puis les appels à l'aide de ceux qui se rendaient compte qu'ils allaient mourir se sont transformés en lutte pour la survie. Une enquête devra déterminer précisément le déroulement des faits.

Car si la mort par asphyxie semble certaine, des traces de sang sur le chalutier confirmeraient que ceux qui tentaient de se sauver ont été frappés. Selon des témoignages, des signes de blessures seraient visibles sur la tête et le corps de plusieurs passagers. Des autopsies vont être effectuées à Agrigente, en Sicile, où ont été transférés les corps des victimes. Six resteront sur l'île, dans la partie du cimetière réservée aux morts sans nom.

" Nous savions que le voyage allait être dangereux, raconte un autre survivant, que beaucoup, avant nous, étaient morts noyés, mais jamais nous n'aurions pu penser que l'on pouvait finir comme ça, emmurés vivants dans quelques mètres carrés d'embarcation. " Le drame a été un choc, même pour les observateurs habitués à cet exode sans fin.

L'arrivée de l'embarcation, signalée à une soixantaine de milles de Lampedusa, semblait routinière. Mais, après que les 271 occupants eurent débarqué, ce fut la terrible découverte.

" Quand j'ai ouvert la trappe, raconte l'un des gardes-côtes, j'ai été submergé par l'odeur de cadavres en putréfaction. Au cours de toutes ces années passées à secourir ces damnés de la mer, jamais je n'avais assisté à une scène aussi horrible. " Même constat pour Laura Boldrini, porte-parole pour l'Italie du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés : " Je pensais avoir tout vu, les embarcations à la dérive pendant des jours sans que personne ne leur prête secours, des hommes agrippés à des cages pour thons, mais cette tragédie dépasse tout ce qui était imaginable : des hommes ont dû lutter, peut-être même entre eux, pour une bouffée d'air, quelques centimètres d'espace qui représentaient la vie ou la mort. "

Les sacs en plastique verts contenant les corps, alignés sur le port, ont interpellé les Italiens, en dépit du faible intérêt que semblent susciter ces drames à répétition. Au même moment, d'autres événements ont rappelé que la question de l'immigration restait brûlante : des affrontements ont eu lieu à Bari (Pouilles), puis à Isola Capo Rizzuto (Calabre), entre les forces de l'ordre et des migrants qui attendent un statut dans des centres d'accueil pour demandeurs d'asile.

La révolte couve. Car même si la plupart des migrants arrivent désormais de Libye, pays en guerre, l'octroi du statut de réfugié n'est pas assuré. Les commissions territoriales prennent leur temps. D'où la nervosité dans les centres d'accueil. La situation risque de dégénérer également dans les centres de rétention pour immigrés. Après l'adoption définitive par le Sénat, mardi 2 août, de la directive européenne en la matière, la période maximale de rétention dans ces centres passe de six à dix-huit mois.
 

Refugees Daily
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