CHAPITRE 2 :
L’ENSEIGNEMENT SECONDAIREN
DES AVENIRS PERDUS
Année après année, la probabilité qu’un enfant réfugié passe en classe supérieure diminue nettement. Si la chute constante des inscriptions est constatée à l’école primaire, l’effet est particulièrement marqué dans la transition vers le secondaire. Alors que près des deux tiers des enfants réfugiés sont scolarisés dans le primaire, moins d’un quart des adolescents réfugiés entrent à l’école secondaire. Si l’on compare ce chiffre à la moyenne globale de 84 pour cent, il est évident que les adolescents réfugiés sont profondément défavorisés lorsqu’ils s’efforcent de passer à l’étape suivante de leur parcours éducatif.
Étant donné que l’école secondaire est la porte d’entrée de l’enseignement supérieur et la clé de meilleures possibilités d’emploi, cette situation est déplorable pour les jeunes réfugiés rêvant d’un avenir meilleur. Les progrès dans ce domaine ont été profondément lents : la scolarisation des réfugiés dans le secondaire n’a augmenté que d’un point de pourcentage en 2018, pour atteindre 24 pour cent. Pourtant cette hausse, pour modeste qu’elle puisse sembler, représente des dizaines de milliers de nouvelles places à l’école pour les réfugiés. Chaque effort consenti par les gouvernements hôtes, les donateurs, le HCR et les partenaires peut transformer la vie d’un enfant.
Besoins en concurrence, choix plus difficiles
Une large part du problème peut être attribuée au manque criant d’écoles secondaires dans beaucoup de régions accueillant des réfugiés, ce qui rend impossible le passage au niveau secondaire. Lorsque les écoles existent, y entrer peut déjà être un défi pour les jeunes locaux dans les régions en développement. L’ajout de centaines ou de milliers de nouveaux arrivants ne fait qu’exacerber la concurrence pour les places dans la classe.
La pénurie d’infrastructures matérielles est évidente dans le camp de réfugiés de Kakuma, au sud du Kenya, qui enregistre l’une des diminutions les plus nettes de la scolarisation entre le primaire et le secondaire, un phénomène qui touche aussi les enfants de la communauté hôte, au même titre que les réfugiés. Le chiffre de 76 pour cent de scolarisation pour les écoles primaires de Kakuma chute à 24 pour cent au niveau secondaire. La raison est évidente : il n’y a que sept écoles secondaires dans la région, contre 26 établissements primaires. Même ceux qui réussissent brillamment l’examen de fin d’études primaires peuvent entrevoir la fin de leur scolarité. La situation la plus dramatique se trouve au Bangladesh, où moins d’un pour cent des jeunes réfugiés dans les deux camps de réfugiés rohingyas formels créés au début des années 1990 suivent un enseignement secondaire du premier cycle formel. Les autres, notamment la majorité des personnes qui ont fui depuis août 2017, doivent se contenter d’un accès limité à l’éducation informelle, sans aucune forme de reconnaissance des études.
Beaucoup de raisons expliquent cette pénurie, mais le simple fait que l’enseignement secondaire soit plus coûteux que le primaire est au cœur du problème. L’apprentissage des matières au niveau secondaire est plus avancé et certaines disciplines exigent de meilleurs équipements et matériels pédagogiques. De plus, les études secondaires exigent des enseignants plus qualifiés. Le bon enseignant, doté des bons outils, peut insuffler à un enfant de l’enthousiasme et un sentiment positif à propos de la journée d’école ; au contraire, un piètre enseignement et une mauvaise supervision peuvent être extrêmement démotivants ce qui, s’ajoutant aux multiples autres pressions ressenties à cet âge, aboutit à des taux élevés d’abandon.
Ces besoins financiers ont des répercussions non seulement sur les ministères de l’éducation et les autorités locales, qui doivent trouver le financement requis, mais aussi sur les familles réfugiées. À mesure qu’ils grandissent, les adolescents réfugiés subissent des pressions accrues pour aider leur famille. À cet égard, les filles sont souvent encore plus désavantagées du point de vue des « coûts de renoncement », c’est-à-dire la perte ressentie du point de vue du revenu et des devoirs ménagers. Aller chercher de l’eau ou du bois, s’occuper des jeunes frères et sœurs ou de parents âgés et se charger des corvées sont autant de tâches qui pèsent lourdement sur les jeunes filles. Ces contributions à l’entretien du ménage sont souvent jugées plus rentables que tout investissement dans leur éducation. Quand elles atteignent l’adolescence, il est possible que les filles rencontrent des pressions accrues les exhortant à renoncer à leurs ambitions éducatives afin qu’elles puissent plutôt se marier jeunes ou commencer à gagner de l’argent. Si une famille réfugiée dispose de ressources limitées et doit choisir quels enfants peuvent poursuivre leurs études, les garçons ont souvent la priorité car les parents considèrent qu’ils ont le plus fort potentiel de revenus.
Certains des coûts sont quelque peu dissimulés, mais non moins réels. Par exemple, les longs trajets pour aller et venir de l’école rendent la scolarité plus onéreuse et, dans des régions instables, potentiellement plus dangereuse. Et dans certains endroits, les réfugiés connaissent des limitations à leur liberté de mouvement, ce qui les empêche de fréquenter des écoles éloignées de leur lieu de résidence.
Toutes ces pressions sont amplifiées si le « parcours » éducatif n’est pas clair. Pour beaucoup de réfugiés, l’adolescence est aussi le moment où la scolarité s’arrête. S’il n’y a guère d’espoir de continuer les études bien au-delà du primaire, il est probable que les familles seront tentées de remettre en question l’utilité de la scolarité de leurs enfants dans l’enseignement secondaire.
L’enseignement secondaire joue un rôle crucial dans la protection des jeunes réfugiés quand ils sont à un âge particulièrement vulnérable. S’ils n’ont rien à faire de leur journée et sans perspective claire d’emploi, les adolescents risquent davantage d’être exploités et de se tourner par désespoir vers des activités illégales.
Donner leur chance aux jeunes filles
Pour les jeunes filles, les risques d’exclusion de l’école peuvent être particulièrement graves, mais les retombées de l’éducation peuvent être extrêmement positives.
L’éducation réduit la vulnérabilité des filles à l’exploitation, les violences sexuelles et de genre, les grossesses chez les adolescentes et les mariages précoces. D’après l’UNESCO, si toutes les filles terminaient l’école primaire, les mariages d’enfants reculeraient de 14 pour cent. Si elles finissaient toutes l’enseignement secondaire, ils chuteraient de 64 pour cent. Selon une autre enquête de l’UNESCO, une année supplémentaire d’école peut augmenter les revenus d’une jeune fille d’un cinquième, ce qui apporte un bénéfice aux jeunes filles elles-mêmes, à leur future famille et à leur communauté. Tout aussi important, plus les filles progressent dans leurs études et plus elles acquièrent des compétences de leadership, d’entreprenariat et d’autosuffisance, des qualités personnelles qui aideront leur communauté à prospérer alors qu’elles s’efforcent de s’adapter à leur pays hôte ou qu’elles reconstruisent leur propre foyer.
Le temps qu’une jeune réfugiée passe en exil devrait donc être considéré comme une excellente occasion. Il est donc déplorable que, dans le monde, au niveau secondaire, il y ait environ sept jeunes réfugiées pour dix garçons réfugiés scolarisés. D’après un rapport de la Banque mondiale, les limitations des possibilités éducatives pour les filles et les obstacles à l’achèvement de 12 années d’enseignement coûtent aux pays de 15 à 30 milliards de dollars E.-U. en productivité et gains perdus sur une vie[1].
Un ingrédient vital pour améliorer ces statistiques est de relever le nombre d’enseignantes. Pour les filles, un manque d’enseignantes peut sonner la fin de leurs études secondaires car les parents dans certaines communautés conservatrices ne permettent pas à leurs filles de suivre l’enseignement d’un homme. Les enseignantes aident aussi les jeunes filles à se sentir plus à l’aise à l’école, spécialement si elles doivent signaler des incidents de harcèlement ou d’abus sexuels. Plus important encore, un modèle de rôle féminin peut inspirer les filles et les aider à achever leurs études et même les inciter à devenir enseignantes elles-mêmes.
Mais l’écart entre les sexes n’est pas seulement présent chez les étudiants : le nombre d’enseignantes dans les écoles qui scolarisent des réfugiés baisse entre le pré-primaire et l’enseignement secondaire. Par exemple, au Tchad, 98 pour cent des enseignants dans le pré-primaire sont des femmes, mais à l’école secondaire, ce chiffre tombe radicalement à 7 pour cent à peine.
« Je me souviens, pendant ma première et dernière année de lycée, j’avais une bonne prof de biologie. Elle était passionnée par son travail et m’a fait aimer les sciences », raconte Nassima Hissein Abdelalaziz, 29 ans, originaire de République centrafricaine. Mais la guerre a interrompu la vie de Nassima et a presque mis fin à son rêve de devenir médecin.
En décembre 2013, elle et sa mère ont dû fuir au Tchad quand elle était en cinquième année de l’école de médecine. Grâce au soutien du HCR et aux encouragements de sa mère, Nassima a pu reprendre ses études à la faculté de médecine de l’Université de N’Djamena. Elle est désormais en septième année et est très occupée à préparer sa thèse de doctorat.
« Maintenant que je suis à l’université, j’ai dix enseignantes, soit environ un quart de tous les professeurs. C’est très motivant », a-t-elle affirmé.
Avec l’enseignement secondaire dans un tel état de pénurie, inclure les enfants réfugiés dans le système éducatif national doit être au centre de tous les efforts pour améliorer la situation.
En mettant en place des systèmes intégrateurs dans lesquels les réfugiés et leurs camarades non réfugiés apprennent côte à côte, les ministères de l’éducation et leurs partenaires se dotent de ressources durables et à long terme. Elles pourraient être utiles à des générations d’étudiants, que ce soit pendant une urgence de réfugiés, des situations prolongées ou après le retour des réfugiés chez eux, leur installation ailleurs ou leur intégration dans le pays hôte.
Élargir l’accès à l’enseignement secondaire a un « effet multiplicateur » capital puisque cette mesure bénéficie potentiellement à des millions d’enfants autochtones de même qu’aux réfugiés. Dans le nord-est du Mozambique, par exemple, la décision du Gouvernement de construire l’école de Maratane, près du camp du même nom, permettra à la communauté locale et aux réfugiés d’avoir accès pour la première fois à l’enseignement secondaire. La demande devrait monter en flèche quand l’école sera finalement équipée et entrera en fonctionnement, avec des espaces réservés pour un maximum de 500 réfugiés.
Afin d’inclure les réfugiés dans leurs planifications pour l’enseignement secondaire, les ministères de l’éducation nationale doivent disposer de ressources suffisantes — matérielles, techniques et financières. Un financement fiable, pluriannuel, est donc nécessaire pour donner aux systèmes éducatifs les moyens de gérer à la fois les enfants issus de la population locale et les enfants réfugiés.
En janvier 2019, les bureaux du HCR dans plus de 20 pays africains collaboraient avec les autorités éducatives nationales, d’autres institutions des Nations Unies et des organisations de la société civile pour faciliter l’inclusion des réfugiés dans la planification relative au secteur de l’éducation, par exemple en offrant des conseils sur la prestation de services éducatifs dans les crises de réfugiés. Pour faire des progrès réels et durables, tous les pays qui accueillent des réfugiés devraient suivre cet exemple.
Néanmoins, des fonds sont également nécessaires pour venir en aide aux familles de réfugiés qui, sinon, auraient besoin du soutien financier de leurs enfants adolescents, et pour permettre à ces derniers de tirer pleinement parti des occasions de suivre des études secondaires qui se présentent. Les frais de scolarité et d’examen ainsi que le coût des uniformes, de supports pédagogiques et des transports peuvent avoir un effet dissuasif, de sorte que la réduction ou l’élimination de ces frais supprime ces obstacles. Les aides en espèces donnent non seulement aux familles la possibilité de satisfaire leurs besoins comme elles l’entendent (et de stimuler l’économie locale par leurs dépenses) mais réduisent le risque de recours au travail des enfants et au mariage forcé pour se procurer des revenus. Les aides en espèces ont amélioré l’accès, l’assiduité et la participation à l’école dans une série de pays, dont le Kenya, la Turquie, le Tchad et l’Égypte. Dans ce dernier cas, un projet mis en œuvre par Catholic Relief Services, avec obligation de produire une attestation d’inscription et d’assiduité mais sans restriction aucune concernant la manière dont l’argent est dépensé, a permis d’améliorer l’assiduité des enfants réfugiés à l’école, en particulier dans le secondaire.
Prince-Bonheur, 22 ans, et son cousin Gothier, 23 ans, ont grandi ensemble à Mougoumba, en République centrafricaine, mais le conflit les a séparés en 2013. Prince a traversé l’Oubangui et a réussi à rejoindre le camp de réfugiés de Boyabo en République démocratique du Congo, alors que Gothier a sauté dans le bateau le plus proche et descendu le fleuve jusqu’à Bétou au Congo.
Comme la plupart des enfants de leur âge qui fuient la guerre, ils n’ont ni l’un ni l’autre pu poursuivre leurs études en raison du manque d’écoles secondaires, d’enseignants et de matériels pédagogiques dans les camps.
« Le fait de perdre cinq années de scolarité m’a fait faire un véritable bond en arrière », explique Gothier. « Mais c’est le seul moyen de repartir dans la vie. L’éducation, c’est la clé de tout. » Il a enfin pu rentrer chez lui en 2018, lorsque le HCR a aidé les autorités à organiser le rapatriement volontaire de près de 4500 Centrafricains, qui ont quitté le Congo pour regagner la région de Lobaye. Il s’est inscrit à l’école secondaire et fait aujourd’hui de son mieux pour rattraper son retard.
Prince, cependant, n’a pas pu rentrer à Mougoumba et reste réfugié en République démocratique du Congo. « Depuis que j’ai quitté mon pays il y a cinq ans, je ne vais pas à l’école. Je reste là les bras croisés, sans étudier. »
Lorsque davantage de Centrafricains rentreront d’exil, le pays aura besoin d’argent pour construire et agrandir des écoles, pour former un plus grand nombre de professeurs et pour fournir du matériel pédagogique supplémentaire.
Pour soutenir ces projets et ces politiques et remédier à la très grande inégalité des chances, le HCR met actuellement sur pied une nouvelle initiative destinée à améliorer l’accès des enfants et des jeunes réfugiés à l’enseignement secondaire. Intitulé Programme d’éducation secondaire pour les jeunes, ce programme vise à accroître la scolarisation et à encourager la poursuite et l’achèvement des études secondaires. L’initiative est testée à petite échelle, et avec succès, depuis 2017 au Kenya, en Ouganda, au Pakistan et au Rwanda et sera considérablement développée dans les années à venir. Le HCR travaille avec les ministères de l’éducation pour faire la liste des principaux facteurs facilitant le passage de l’école primaire à l’école secondaire, en particulier pour les filles. Parmi ces facteurs, citons le placement de conseillers au sein des ministères de l’éducation, l’augmentation du nombre d’enseignantes, la construction et la remise à neuf d’infrastructures, et la distribution directe d’espèces aux ménages, qui leur permet de faire face aux frais de scolarisation de leurs enfants.
Les enfants ont droit à un cycle d’études complet. Avec des mesures visant à placer l’inclusion au cœur des politiques nationales, une planification adaptée, un financement fiable et une collaboration avec les communautés de réfugiés comme avec les communautés d’accueil, il sera enfin possible d’éliminer les obstacles persistants qui entravent l’accès à l’enseignement secondaire — ce qui ouvrira de nouvelles voies vers l’enseignement supérieur.
ÉTUDE DE CAS : BANGLADESH
Les jeunes réfugiés rohingyas s’accrochent à leur rêve de faire des études
Bien qu’ils n’aient aucun accès à l’éducation, la plupart des enfants rohingyas sont prêts, envers et contre tout, à surmonter tous les obstacles pour étudier
Elles n’ont ni bureaux, ni chaises. Dans une salle en bambou décorée d’affiches et de peintures, 30 adolescentes rohingyas de 15 ans et plus sont assises à même le sol, studieusement penchées sur leurs cahiers à réfléchir à la formule mathématique écrite au tableau.
Celles-ci font partie des chanceuses. Rares sont les jeunes filles qui peuvent poursuivre leurs études au-delà de l’adolescence. Dans les camps de réfugiés tentaculaires au sud-est du Bangladesh, il n’existe en outre que très peu de centres temporaires d’apprentissage qui dispensent des cours à des élèves de plus de 15 ans.
Environ 55% des réfugiés vivant dans les camps rohingyas ont moins de 18 ans. Aucun d’entre eux n’est autorisé à suivre le cursus scolaire officiel du Bangladesh.
Shehana, une adolescente intelligente mais timide de 16 ans, sait qu’elle s’en sort bien mieux que beaucoup, mais rêve tout de même d’être admise dans l’enseignement officiel. Elle fait partie des adolescentes qui étudient dans cette case en bambou, le Club Diamant pour adolescents, créée il y a près de deux ans par CODEC, un des partenaires du HCR.
« Au Myanmar, j’étais en sixième année. Je voulais être enseignante et poursuivre mes études à l’université. J’adore enseigner et je suis heureuse d’être ici », dit-elle.
« Nous apprenons de nouvelles choses presque tous les jours. Je me dis que j’ai de la chance, mais j’essaye d’expliquer aux autres pourquoi l’éducation est importante et de les convaincre de laisser les filles étudier parce que ça peut déboucher sur de meilleures opportunités à l’avenir. Certains des membres de notre famille m’ont entendue et ils envoient maintenant leurs filles à l’école. »
Shehana est issue d’une famille qui a toujours accordé beaucoup d’importance à l’éducation. Mohammed Sharif, son frère de 17 ans, étudie dans le même club avec d’autres garçons qu’il retrouve l’après-midi tandis que Jannat Ara, l’une des sœurs aînées de 21 ans fait la classe à des petits de quatre à cinq ans dans un centre d’apprentissage à domicile où elle amène sa propre fille de cinq ans.
On comprend aisément l’origine de cette passion pour l’enseignement sachant que leur père Nur Alam, 43 ans, était l’un des professeurs principaux d’une école de 450 élèves à Maungdaw, dans l’État de Rakhine au Myanmar.
Quand la famille a fui les violences au Myanmar il y a deux ans pour arriver au camp de réfugiés de Kutupalong, Nur Alam a proposé ses services pour enseigner aux jeunes dans une mosquée établie à l’intérieur du camp. Il montre dans son téléphone une photo de ses élèves, un groupe de garçons et de filles dans son ancienne école.
« Ça me fait pleurer à chaque fois que je regarde cette photo », dit-il. « Mes élèves me manquent énormément. Nombre de ceux qui ont achevé leur sixième année de scolarité vivent maintenant dans le camp. Ils sont nombreux à travailler bénévolement dans le camp pour des organisations… Quand ils me voient, ils me saluent. Ils me disent que parce qu’ils ont su écouter et apprendre, ça les a aidés à tirer parti de ces opportunités et qu’ils vont mieux maintenant. »
Les jeunes enfants peuvent recevoir une éducation informelle, dans des centres d’apprentissage assurant un système de rotation de trois classes par jour et dispensant un enseignement en anglais, en mathématiques, en birman et en aptitudes à la vie quotidienne.
Toutefois, cette filière d’apprentissage n’est liée à aucun programme scolaire public et il n’existe pas encore d’enseignement adapté aux élèves plus âgés – y compris ceux qui étaient scolarisés au Myanmar avant leur fuite en exil au Bangladesh.
La pénurie d’enseignants qualifiés pose également problème malgré les efforts déployés par le HCR, les autres agences des Nations Unies et les partenaires pour développer la formation d’enseignants.
Le fait que des centaines de milliers de jeunes Rohingyas au Bangladesh ne puissent accéder au programme d’enseignement national a pour résultat direct que l’Objectif de développement durable 4 — « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie » ne sera pas atteint.
« Dans les camps, le système d’enseignement n’est pas axé sur l’éducation en tant que telle, mais vise plutôt à occuper les enfants et à les maintenir en sécurité », déclare Nur Alam.
ÉTUDE DE CAS : LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Premier de sa classe et avide de savoir : La lutte d’un jeune réfugié contre l’adversité
Gift, un jeune garçon qui a fui la guerre civile au Soudan du Sud, est déterminé à poursuivre ses études. Or, son ingéniosité, son talent et sa détermination pourraient bien ne pas suffire à le maintenir scolarisé.
Gift, 14 ans, est premier de sa classe depuis trois ans et ça ne suffira peut-être pas pour qu’il poursuive ses études.
« Quand je serai grand, je veux être enseignant. Ce travail me plaît parce que j’aime aider ceux qui ont moins de connaissances », dit-il en évoquant l’ambition qui l’a poussé à aller de l’avant contre vents et marées.
Les obstacles étaient pourtant considérables. Gift a fui la guerre qui ravagé sa patrie, le Soudan du Sud, un conflit qui a coûté la vie à son père. Déterminé à réussir, il a appris le français sans en connaître un traître mot et s’est même construit une lanterne avec les pièces d’une vieille lampe solaire pour pouvoir étudier une fois la nuit tombée.
Malgré son dur labeur, l’avenir de Gift paraît bien sombre. Cet adolescent talentueux est en dernière année de primaire, dans une école située à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) où les places disponibles dans le secondaire sont plus que rares.
Le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, aide des enfants réfugiés tels que Gift à poursuivre leur scolarité en fournissant aux familles des allocations en espèces pour couvrir les frais de scolarité et l’achat de manuels scolaires, de fournitures et d’uniformes. Malgré tout, les financements et les opportunités sont limités, surtout au secondaire, ce qui signifie que Gift et des milliers d’autres jeunes réfugiés sud-soudanais risquent d’être contraints d’achever prématurément leur scolarité.
Gift et son oncle — qui est devenu son tuteur légal après la mort de son père et la perte de sa mère — sont venus chercher la sécurité au camp de Biringi, en RDC, en 2016.
L’adolescent se rappelle bien de sa première journée de classe à l’école primaire d’Uboko où 800 élèves congolais et réfugiés étudiaient côte à côte depuis la remise en état de l’école par le HCR. Il était enthousiaste et reconnaissant de cette nouvelle occasion d’apprendre.
« La guerre fait souffrir beaucoup de gens. J’ai dû quitter l’école à cause de la guerre. Quand j’ai appris que j’allais y retourner, je me suis senti très heureux », se souvient-t-il dans un sourire.
Gift a acquis la maîtrise du français, principale langue d’enseignement en RDC, en suivant des cours de langue fournis par le HCR et il est même sorti premier d’un concours régional d’orthographe.
Il s’est ensuite heurté à un problème pratique : sans électricité, il n’avait pas de lumière pour étudier chez lui une fois la nuit tombée. Qu’à cela ne tienne ! Gift a construit sa propre lampe solaire. « Il fallait que je construise cette lampe », dit-il en montrant sa fragile lanterne composée de trois ampoules et d’une batterie solaire retenues par du ruban adhésif.
L’afflux persistant de jeunes sud-soudanais en territoire congolais ne cesse de creuser le fossé éducatif. Seuls 4400 enfants sud-soudanais sur les 12 500 en RDC ont accès à l’enseignement primaire. Jusqu’à récemment, il n’y avait strictement aucune possibilité pour eux au secondaire.
En 2019, le HCR a lancé un petit programme visant à inscrire des élèves réfugiés au secondaire. Il a également contribué à la construction et à la remise en état de bâtiments scolaires.
Pour autant, sur plus de 6000 réfugiés sud-soudanais en âge de fréquenter l’école secondaire, 92 % ne sont toujours pas scolarisés, une proportion sidérante.
Gift est conscient des obstacles qui se dressent sur son chemin. Il craint de passer pour un bon à rien aux yeux des locaux comme des autres réfugiés s’il ne peut poursuivre ses études. Il est vital pour lui d’étudier, tant parce qu’il espère devenir enseignant que pour offrir une voix à d’autres dans sa situation.
Il n’arrive tout simplement pas à imaginer une existence sans éducation. « Ça serait horrible si je ne pouvais pas aller au collège », dit-il. « Il devrait y avoir un moyen d’étudier pour tout le monde. »
Ann Encontre, la Représentante régionale du HCR en RDC, dit avoir découvert « d’extraordinaires talents » chez les jeunes réfugiés qu’elle a rencontrés. « Quand on discute avec eux, on se rend compte de leur soif de connaissances. »
« L’école secondaire donne aux adolescents réfugiés une raison d’être, une vision de la personne qu’ils souhaitent devenir et les connaissances qui les aideront un jour à reconstruire leur foyer », ajoute-t-elle.
« En l’absence de scolarisation, il ne leur reste qu’à traîner dans l’attente d’un avenir incertain. C’est pourquoi nous faisons tout notre possible pour les garder scolarisés. »