«N’oubliez pas les gens en Libye!»

Asmerom est arrivé en Allemagne avec l’aide du HCR, et a pu y obtenir l’asile par le biais de la réinstallation. Avant cela, il a passé plusieurs mois dans un camp de détention en Libye. La détresse, la violence et la mort – omniprésentes dans ce camp – le hantent aujourd’hui encore à Hambourg, son nouveau foyer.

Asmerom Okubagebriel en visite au Bureau du HCR à Berlin. © HCR/Martin Rentsch

Hambourg est bien différente de l’Erythrée. Pour Asmerom, la ville ne représente pas seulement un nouveau foyer. Hambourg est synonyme de sécurité. De liberté; d’espoir. En Erythrée, cet historien de métier n’avait ni liberté ni avenir. En Lybie, ce n’est qu’avec «beaucoup de chance» qu’il dit avoir survécu. «Tout est différent à Hambourg», dit-il d’une voix douce. «Je suis libre. Et j’ai une chance». Puis, après une petite pause: «Merci. Merci pour tout cela.»

En tant qu’historien déjà, Asmerom s’était déjà intéressé au thème de l’exil. «Il ne s’agissait pas d’histoire réelle ou de science, mais plutôt de ce que le régime prétendait», explique-t-il. Lorsque son recrutement pour un service militaire de durée indéterminée devint imminent, il se décide à prendre la fuite. «Je ne veux pas vivre dans un pays où il n’y a pas de lois et où l’on peut être mis en prison pour avoir dit ce que l’on pense».

Il n’aime à vrai dire pas parler de la Libye. «C’était …». Il cherche le bon mot en allemand. «Horrible», dit-il doucement, «tout simplement horrible». Il a passé huit mois dans ce pays ravagé par la guerre civile. «Le camp était non seulement petit, mais aussi surpeuplé. Nous étions 1600 personnes. Il n’y avait qu’une seule toilette. Il n’était pas possible de se laver. Et il n’y avait presque rien à manger. Nous étions constamment affamés.» Et puis cette violence perpétuelle: «Nous avons été battus. Sans raison, juste comme ça. Moi aussi, j’ai été maltraité. A plusieurs reprises. Juste comme ça.» Une paroi les sépare d’une autre zone du camp. «Les femmes et même des enfants y étaient enfermés. Nous ne les avons jamais vus. Mais elles ont aussi été battues. Nous l’entendions. Tous les jours.» Comment a-t-il pu survivre dans ces conditions? «Comme ça», dit-il en posant la main sur la croix en bois accrochée à son torse.

En tant que chrétien, il a été particulièrement visé par les mauvais traitements infligés par les gardiens du camp. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir jeté sa croix de bois? Il semble déconcerté. «Je ne peux pas vivre sans», dit-il avec détermination. «La jeter serait mentir à Dieu.» Un jour, un garde la lui arrache du cou et la détruit. Asmerom la ramasse alors, et la répare. «Je l’ai protégée. Mais en réalité, c’est surtout elle qui m’a protégé.»

Ce ne sont pas seulement la violence et la détresse qui étaient omniprésentes, mais aussi la mort. «Les gens mourraient. Beaucoup de gens sont morts.» La plupart d’entre eux parce qu’ils ne supportaient pas les conditions, parce qu’il n’y avait pas assez à manger et que les prisonniers étaient complètement négligés. «Beaucoup d’entre eux étaient blessés. Certains durant la fuite, d’autres à cause des coups et des abus. Personne ne s’est occupé d’eux. On les laissait simplement mourir.» Il se souvient d’un homme qui était allongé à côté de lui. Il devenait chaque jour plus faible. Avant de mourir. «J’ai vu beaucoup de gens mourir. Mais cet homme était juste à côté de moi. Je ne l’oublierai jamais.»

 

 

Il raconte à quel point les gens étaient traités comme des esclaves par les milices libyennes, qui s’échangeaient les prisonniers ou les vendaient au plus offrant. Asmerom a eu la chance que des employés du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, puissent visiter le camp, puis parviennent à le libérer à force de négociations et de pressions internationales.

Le programme grâce auquel Asmerom est finalement arrivé dans un pays sûr s’appelle la réinstallation. Grâce à ce système, le HCR identifie parmi des millions de réfugiés – qui font tous face à des conditions de vie difficiles – ceux qui se trouvent dans des situations particulièrement précaires. Leurs dossiers sont ensuite proposés à des pays tiers sûrs, qui réexaminent leurs cas et donnent ensuite leur feu vert pour les accueillir. Les réfugiés peuvent alors voyager à destination de ce pays de manière officielle et légale, sans devoir traverser la Méditerranée au risque de leur vie. Le HCR veille de cette manière à ce que les personnes les plus démunies et vulnérables puissent effectivement être aidées, tandis que les autorités des pays d’accueil veillent à ce que le processus se déroule correctement. «Ce programme a une importance capitale pour les réfugiés», nous dit Asmerom. «J’ai vu tant de gens souffrir. Aidez-les, s’il vous plaît, aussi grâce à la réinstallation. N’oubliez pas la Libye! S’il vous plaît, n’oubliez pas les gens en Libye!»

Le Pacte mondial sur les réfugiés, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2018, vise lui aussi à encourager les Etats à créer davantage de places de réinstallation dans le but d’améliorer la protection des réfugiés et de la rendre plus efficace. Le premier Forum mondial sur les réfugiés, qui se tiendra à Genève les 17 et 18 décembre de cette année, examinera les progrès réalisés par les différents Etats dans la mise en œuvre du Pacte mondial et de ses objectifs. Un échange entre les Etats et les acteurs sociaux sera simultanément rendu possible afin d’y présenter des bonnes pratiques. L’Allemagne a par exemple fourni 300 places de réinstallation pour des réfugiés évacués de Libye, comme cela a été le cas pour Asmerom. Au total, 10’200 réfugiés devaient être réinstallés en Allemagne pour la période 2018-2019. Le HCR estime que 1,4 million de réfugiés dans le monde auront besoin d’une place de réinstallation en 2020, parce qu’ils ne peuvent rester dans le pays vers lequel ils ont fui, n’y étant par exemple pas suffisamment en sécurité ou souffrant d’une maladie qui ne peut y être traitée. En 2018, cependant, seules 56’000 places d’accueil de ce type ont été mises à disposition par les Etats.

Asmerom a eu de la chance. Son nouveau foyer s’appelle Hambourg, et la ville s’offre à lui avant tout comme un lieu d’apprentissage. Il vient d’ailleurs de réussir son examen d’allemand. En six mois, il est parvenu au niveau B1, que l’on attribue aux utilisateurs dits «indépendants». Il veut débuter une formation le plus rapidement possible, soit comme comptable, soit comme éducateur. Il nous explique qu’il aimerait bien travailler avec des enfants: «Les enfants sont heureux. Ils représentent la vie, l’avenir.» Et ce jeune homme de 28 ans ne sera désormais jamais plus rassasié de vie et d’avenir.

Il est fier de sa nouvelle ville et salue déjà avec «Moin!», comme les locaux. Ce qu’il aime à Hambourg? «Que les gens sont très gentils. Toujours prêts à rendre service». Et ce qu’il n’aime pas? «En fait, j’aime tout.» Il fait une pause. «Quoique, dit-il – en hiver, la météo n’est parfois… pas très bonne!»