Fuyant la pire catastrophe humanitaire au monde, Mohammed arrive par le chemin de Roxham au Québec.
Par Emmanuelle Paciullo à Montréal, Canada
« J’ai été accueilli au Canada avec beaucoup de respect et de dignité. J’ai ressenti une émotion très forte, mélangé de peur et de soulagement, sans savoir ce qui m’attendait encore mais avec cette lueur d’espoir que la paix était de nouveau possible ».
S’il compte parmi ces deux millions de Yéménites qui ont dû fuir leur foyer en raison des flambées de violence, Mohammed est aussi l’un de ces 10 300 demandeurs d’asile qui sont entrés de manière irrégulière au Canada entre janvier et août 2019.
« C’était durant l’hiver 2019, à l’aube, que j’ai traversé la frontière canadienne à pied pour demander l’asile, seul. J’avais peur ».
« Pour ma sécurité, j’ai été obligé de tout quitter derrière moi, du jour au lendemain, et de fuir en espérant que la situation dans mon pays s’arrange »
Réputé pour sa tradition d’accueil, Mohammed a décidé de chercher refuge au Canada et de trouver du soutien au sein de la communauté yéménite au Québec.
Mais son histoire commence au Yémen, son pays qu’il a dû quitter précipitamment après avoir été capturé, battu puis relâché par des groupes armés.
Depuis 2015, le conflit qui oppose le gouvernement du Yémen et les Houthis, alliés aux partisans de l’ex-président du Yémen, a sérieusement aggravé la situation humanitaire découlant de longues années de pauvreté et d’insécurité faisant du Yémen l’un des pays les plus pauvres du Moyen-Orient. Près de 80% de la population, soit 24 millions de Yéménites, sont aujourd’hui dépendants de l’aide humanitaire pour leur survie.
- Voir aussi : Bathoul Ahmed du HCR, décrit certaines des horreurs dont elle a été témoin en travaillant au Yémen, déchiré par la guerre. [Article en anglais]
« Je n’oublierai jamais ces journées passées dans le noir, quelque part sous terre, à être frappé tout simplement parce que j’avais refusé de travailler pour des groupes armés violents », dit-il.
Les violences se sont poursuivies au point où sa famille l’a encouragé à fuir le pays. Sa vie bascule cette nuit-là. Assis sur le siège passager, un voisin de la famille a accepté de le conduire à l’aéroport de la ville voisine pour qu’il puisse, à l’abri des regards, prendre le premier vol vers un des rares pays qui ne demandent pas de visa pour les Yéménites.
« Pour ma sécurité, j’ai été obligé de tout quitter derrière moi, du jour au lendemain, et de fuir en espérant que la situation dans mon pays s’arrange ».
Après avoir trouvé un refuge temporaire en Asie du Sud-Est, Mohammed a obtenu un visa temporaire pour étudier aux États-Unis. Mais dans l’impossibilité d’y obtenir une résidence permanente et de rentrer au Yémen où le conflit s’était enflammé, Mohamed s’est retrouvé sans issue. Il a alors entendu parler de la possibilité de demander l’asile au Canada. Ne sachant trop les détails d’une telle demande, il s’est renseigné sur Internet et a appris qu’en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs, il n’avait alors pas d’autre choix que d’emprunter le chemin Roxham pour demander l’asile, ce qu’il a fait à contrecoeur.
« ‘Si vous franchissez cette ligne, vous serez en état d’arrestation’ m’a dit l’agent frontalier canadien au chemin Roxham. J’étais effrayé, j’étais seul, j’étais épuisé. Je leur ai dit de m’arrêter. Je leur ai dit que je venais demander l’asile au Canada ».
Mohammed a formulé sa demande d’asile en bonne et due forme et s’est alors amorcée l’attente.
Jusqu’au jour où, Mohammed est convoqué à son audience en mai 2019. Il se souvient encore de ces 15 minutes d’attente qui ont précédé la décision du juge au sujet du bien-fondé de sa demande d’asile.
« J’ai réalisé à ce moment précis que ma vie allait enfin reprendre là où elle s’était arrêtée il y a cinq ans »
« Ces 15 minutes ont été les plus longues de ma vie. Le temps s’est arrêté. Tout se joue à ce moment-là. Vous repensez à toutes les souffrances vécues et toutes les raisons qui vous ont conduit à vous tenir debout devant le juge. Vous ressentez encore ces douloureux souvenirs de votre maison qui tremble sous les bombes qui éclatent. C’est une angoisse inexplicable de savoir que votre liberté et même votre survie dépend d’une personne. Et la décision est tombée. J’ai été accepté comme réfugié. J’étais sans voix, presque sous le choc de réaliser ce que cela allait enfin signifier. J’ai réalisé à ce moment précis que ma vie allait enfin reprendre là où elle s’était arrêtée il y a cinq ans ».
Depuis, Mohammed travaille au centre d’hébergement qui l’a accueilli ses premiers jours au Canada et se réjouit de pouvoir, à son tour, aider les demandeurs d’asile qui y séjournent temporairement.
En vertu des lois canadiennes et internationales, traverser la frontière de manière irrégulière n’est pas considéré comme une infraction si c’est pour faire une demande d’asile. Dû aux circonstances ayant entraîné leur fuite, plusieurs réfugiés sont contraints de voyager sans documents ou autorisations de voyage.