Habitée par la terreur, la famille Arafat a pris la fuite, abandonnant derrière elle sa maison de Syrie. Elle trouve aujourd’hui un regain d’espoir et de bonheur dans une communauté montagneuse du Canada.
Par Leyland Cecco et Annie Sakkab à Whitehorse, Canada
Derrière la baie vitrée, l’aîné des enfants Arafat et ses parents admirent la farandole d’enfants costumés à travers les rues enneigées.
Chaque fois que l’on sonne à la porte, ils échangent des regards incertains, encore indécis sur ce qu’il faut faire. C’est l’aîné qui sort de l’impasse en se précipitant dans l’escalier pour aller distribuer des bonbons. Les plus jeunes ne tardent pas à se joindre aux enfants d’à côté pour aller récolter de porte en porte des sacs lourds de gourmandises. C’est leur toute première fête d’Halloween au Canada.
En janvier 2016, Hussein et Fatma Arafat, ainsi que leurs neufs enfants, ont été réinstallés à Whitehorse, la capitale du Territoire du Yukon au nord-ouest du Canada. Parrainée à titre privé par un groupe de résidents, la famille syrienne a vu s’achever ainsi une fuite interminable, laissant derrière eux un pays jadis assez sûr pour être considéré comme leur foyer. Ils ont suivi l’exemple de milliers d’autres avant eux, car l’histoire du Yukon est imprégnée du vécu des chercheurs d’or qui ont écumé les montagnes, il y a plus d’un siècle de cela, en quête d’un nouveau départ.
Quinze jours à peine après leur installation à Whitehorse, des bombes artisanales ont réduit en cendres leur première maison, dans un village proche de Hama. Aujourd’hui, grâce à leurs parrains canadiens, ils ont une nouvelle maison dans un quartier bordé d’épais bosquets de pins.
Pour cette famille issue d’un pays chaud, habituée aux ondulations de collines poussiéreuses, ce vaste territoire ressemblait à un nouveau monde barré de chaînes de montagnes. Whitehorse est nichée dans une vallée traversée par les eaux vives du Yukon, et les Arafat ont été soulagés d’y trouver tout le confort moderne : magasins d’alimentation, cinémas et centres de loisirs.
« Ici, je me sens libre pour la première fois depuis cinq ans. »
« L’une des principales raisons avancée par Hussein pour expliquer son désir de s’installer au Canada était de donner à ses enfants la chance de recevoir une bonne éducation, » dit Raquel de Queiroz, infirmière et principale marraine de la famille. Avant de s’installer à Whitehorse il y a deux ans, elle travaillait pour Médecins sans frontières dans les vallées fluviales de Colombie, une expérience qui a affermi sa résolution d’aider les autres. « Aider, c’est bien agir, » dit-elle.
Les plus jeunes des enfants Arafat ont été inscrits à l’école par des bénévoles dans les semaines qui ont suivi leur arrivée à Whitehorse. Pour les deux filles aînées, Hussein et Fatima ont pris conscience que les meilleures chances leur seraient offertes par l’école catholique.
Ils sont allés voir le directeur de l’école, inquiets que l’on impose aux filles d’ôter leur foulard.
« Il m’a répondu ‘Est-ce que tu me demanderais d’enlever ma croix ?’, » se rappelle Hussein. « Je lui ai répondu que non. Il m’a dit qu’il comprenait que les gens aient leur propre façon de vivre et qu’on ne peut pas leur demander d’y renoncer. »
La scolarité canadienne a ouvert des perspectives nouvelles aux enfants.
Hassan a espéré longtemps devenir pharmacien, un rêve qui semblait devenu impossible. Aîné de la fratrie, il se rappelle que son père l’a sorti du lycée une semaine avant les derniers examens, terrifié à l’idée qu’il puisse être enrôlé de force dans l’armée. Après une course effrénée, la famille a pu rejoindre le Liban. Mais pendant les cinq dernières années, Hassan n’a pas pu reprendre ses études, car la famille en exil arrivait à peine à joindre les deux bouts.
« Ici, je me sens libre pour la première fois depuis cinq ans, » dit-il. « Je peux sortir et me promener. Je peux apprendre. »
Hassan doit commencer les cours au Collège du Yukon en janvier 2017. Quant aux plus jeunes des filles, elles sont ravies de retourner à l’école après quatre ans de cours intermittents. « Le premier jour, quand elles sont descendues du bus de l’école, elles faisaient littéralement des bonds de joie, » se rappelle Raquel, leur marraine. « Je me suis dit ‘combien d’enfants en Amérique du Nord sautent de joie à l’idée d’aller à l’école’ ? »
Les parrains de la famille attribuent en grande partie l’accueil chaleureux de la communauté à la photo d’Alan Kurdi, ce bébé syrien dont le petit corps a été retrouvé échoué sur une plage de Turquie. Pour eux, comme pour des millions d’autres personnes dans le monde, une fenêtre s’est brièvement ouverte sur les atrocités de la guerre, incitant la communauté de Whitehorse à passer à l’action.
« Pour notre première collecte de fonds, nous avons organisé un dîner spaghetti, » raconte Raquel. « On a cuisiné pour 200 personnes à l’école et en 20 minutes, tout était parti. Je pensais que c’était une blague. ‘Quoi ? On a déjà tout vendu ?’ Et c’était bel et bien le cas ! »
Soucieux de s’insérer dans la communauté, les deux grands frères ont rapidement trouvé du travail. Hassan regarnit les étagères dans une pharmacie et Ismail travaille tous les jours chez un coiffeur. Tous deux très communicatifs, ils engagent la conversation avec les clients, ce qui leur permet de pratiquer leur anglais. Pour leur père, tout aussi désireux de contribuer à la vie de la communauté, trouver un emploi régulier et apprendre la langue est plus compliqué. Une fibrose pulmonaire l’empêche de travailler longtemps à des tâches fatigantes. Cet ancien camionneur a tout de même trouvé du travail dans une fabrique de bagels où il pétrit la pâte pendant les sombres matins d’hiver, participant ainsi à la fabrication quotidienne de plus d’un millier de bagels.
« Ça montre qu’ils sont travailleurs, » constate Raquel. « Ils veulent améliorer leur quotidien. Ils se donnent les moyens de réaliser leurs rêves. »
Non contente de travailler, la famille a aussi adopté le style de vie local. Le père et ses fils se sont pris de passion pour la pêche et, en compagnie de leurs parrains, ils vont jeter leurs lignes dans le Yukon en été et dans des trous d’eau glacée en hiver. Les enfants passent leurs week-ends à patiner et à nager avec leurs nouveaux amis de l’école et du quartier.
Durant la dernière année, le Canada a contribué à la réinstallation de plus de 31 000 réfugiés déplacés par le conflit en Syrie. Même s’ils sont peu nombreux dans le nord, Whitehorse a déjà accueilli deux familles et un étudiant et compte bien en accueillir d’autres.
Une semaine après leur première fête d’Halloween, les Arafat ont organisé un dîner pour remercier leurs parrains et d’autres volontaires. Devant leurs assiettes garnies de kebbeh et de taboulé, les invités ont pu se faire une idée de ce que leurs hôtes avaient laissé derrière eux. Fatima s’active auprès de tous pour veiller à ce que les assiettes restent bien pleines, pendant que les garçons et les plus jeunes des filles échangent avec les invités dans un anglais nouvellement acquis, autant de conversations qui auraient été impossibles un an plus tôt.
Juste avant le départ de leurs invités, Hussein s’éclipse avec une assiette pleine pour le fils d’un ami qui n’a pas pu se joindre à eux.
Parce que pour les Arafat, c’est ça être un bon voisin.
Ton histoire est une épopée est une série de profils concernant des citoyens canadiens qui ont accueilli des réfugiés syriens avec compassion et soutien. A travers tout le pays, des étrangers, des amis, des familles et des communautés créent de puissants liens d’amitié qui transcendent le langage et la culture.
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Les réfugiés, qui deviennent nos collègues, nos voisins et nos amis, font la force de votre ville et la rendent plus inclusive. Demandez à votre maire d’apporter son appui officiel aux réfugiés et à des villes du monde entier en signant la Déclaration de solidarité envers les réfugiés du HCR. Dites à votre ville que vous vous engagez #Aveclesréfugiés.
Publié par le HCR, le 22 décembre 2016