Une star de la mode lance un message d'espoir aux réfugiés somaliens en Hongrie
Un documentaire retrace le parcours de Kafia Mahdi, une enfant réfugiée devenue un mannequin très demandé.
Kafia Mahdi (au centre), en compagnie des réalisatrices Dorottya Zurbó (à gauche) et Julianna Ugrin.
© HCR
Le mannequin Kafia Mahdi, née en Somalie, pose sous une statue de Budapest, vêtue d’un ensemble en imprimé léopard de saison, pour une séance de photo de mode. À seulement 19 ans, elle semble avoir trouvé une nouvelle vie, faite de glamour, en Hongrie.
Pourtant, son voyage jusqu’ici a été difficile et son succès a démarré à petite échelle, après plusieurs étapes douloureuses dans un foyer d’enfants.
La transformation de Kafia, d’enfant réfugiée en star de la mode, fait aujourd’hui l’objet d’un documentaire qui vient de sortir sur les écrans.
Le film « Easy Lessons » (« Könnyű Leckék »), réalisé par Dorottya Zurbó, suit Kafia à l'école et tandis qu’elle entame sa carrière de mannequin. En apparence, tout semble aller pour le mieux mais la jeune femme a le cœur gros à l’idée de laisser derrière elle sa maman et d’être déracinée de ses origines en Somalie.
« Faire ce film était un défi », a déclaré Kafia, avant la sortie du documentaire dans les salles de cinéma hongrois, le mois dernier.
« Je devais partager toute mon histoire, mes sentiments et mes pensées les plus intimes, ce qui a toujours été quelque chose de difficile pour moi. Mais, avec le temps, j'ai appris à connaître l’équipe de tournage, et cela m’a mise en confiance ; j’ai pu exprimer beaucoup plus de choses. »
Kafia a grandi dans la ville de Qoryoley, située dans le sud de la Somalie, avec sa maman, son beau-père et six frères et sœurs. La guerre était omniprésente. Son père biologique voulait la marier à l’âge de 14 ans mais Kafia rêvait d’émancipation et d’éducation.
« En Somalie, les hommes décident pour nous », dit-elle. « Vous ne pouvez pas dire ce que vous pensez ». C'était particulièrement difficile pour elle de quitter sa mère. « J'ai toujours été une petite fille à sa maman. »
Pour éviter un mariage forcé et faire des études, Kafia a quitté la Somalie à l’âge de 15 ans. Après un voyage difficile, qui a duré environ un an, elle a été arrêtée alors qu’elle tentait de passer de Serbie en Hongrie.
« Je voulais simplement être en sécurité. »
« Je ne savais pas où nous étions », dit-elle. « Je n’avais aucune idée de la langue dans laquelle ils parlaient (les garde-frontières). Cela m’était égal. Je voulais simplement être en sécurité. »
Les autorités hongroises ont séparé les réfugiés, en envoyant les plus âgés dans des centres de réception et en prenant en charge les mineurs. Kafia a été envoyée dans ce qui fût, à l’époque communiste, un important orphelinat, dans la ville de Fot, près de Budapest.
« Je me sentais très mal », explique-t-elle. « Il n'y avait qu'une seule autre fille, qui venait aussi de Somalie, et nous avons d'abord dû partager la chambre avec les garçons. Mais les travailleurs sociaux étaient gentils et j'ai décidé de faire un effort. J'ai commencé à apprendre le hongrois. Lorsque vous parlez le hongrois, vous comprenez ces gens. Ils sont simples et gentils. »
Après l'orphelinat, Kafia a été envoyée dans un centre pour adolescents en difficultés, à Budapest. Elle était la seule jeune femme à ne pas être hongroise dans la maison.
« Les autres filles hurlaient, se battaient et se scarifiaient. Je n’étais pas une fille méchante. Je me demandais ce que je faisais là. Mais elles m'ont accepté et j'ai continué mes études. J'ai obtenu mon diplôme dans toutes les matières au lycée. »
Kafia a le statut protégé de réfugiée et elle espère obtenir la citoyenneté hongroise. Sans doute à cause de son physique atypique, Kafia a souvent été arrêtée dans les rues de Budapest et on lui a proposé à plusieurs reprises de faire du mannequinat, mais elle a toujours été méfiante. Elle a accepté de travailler pour une agence qui lui avait été recommandée par des amis et a reçu des propositions d’emploi de la part de créateurs, de magazines et de coiffeurs.
« Je ne me considère pas vraiment comme une star. »
La robe à motifs léopard qu'elle porte est destinée à un magasin de mode en ligne. Au milieu des touristes qui prennent des photos à proximité de la statue, Kafia reste professionnelle, debout contre un mur de pierres blanches, sous un beau ciel bleu.
« Je me suis toujours intéressée aux belles choses », dit-elle. « Lorsque j’étais en Somalie, j'aimais les textiles colorés. Nous portions de petits foulards doux, transparents et élégants. Il ne fallait pas que ce soit une lourde burqa. »
En plus du mannequinat, Kafia gagne sa vie comme ouvreuse dans un cinéma et comme réceptionniste dans un magazine. Consciente que le mannequinat ne la mènera peut-être que jusque là, elle a entamé des études de langue.
Kafia a passé deux années à faire le film avec la réalisatrice Dorottya Zurbó, qui se dit attirée par « les sujets multiculturels et les questions d'identité. »
Le film montre Kafia qui étudie, fait du sport, apprend à nager, porte des vêtements occidentaux et va même danser. L'histoire est truffée de monologues en somalien, ce qui nous plonge dans son mal du pays.
Dans la scène finale du film, Kafia met un voile pour passer un appel vidéo avec sa mère en Somalie. Comment peut-elle expliquer son nouveau style de vie?
« J'ai tellement peur », dit-elle à sa mère tout au long du film. « Si tu savais ce que je fais, que dirais-tu? Me mépriserais-tu? »
Lors de la première du film, Kafia, vêtue avec élégance d’une jupe en cuir et portant de longues boucles d'oreilles, accepte les félicitations et les embrassades, mais elle reste consciente du coût émotionnel de son succès en Europe.
Elle est aussi modeste quant à ses réalisations. « Le film m’a rendu plus visible mais je ne me considère pas vraiment comme une star. J'espère que cela aidera d'autres réfugiés en leur montrant qu'ils sont capables de concrétiser leurs rêves. »