Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni
Publisher | Council of Europe: European Court of Human Rights |
Publication Date | 26 September 1991 |
Citation / Document Symbol | 45/1990/236/302-306 |
Related Document(s) | Vilvarajah and Others v. The United Kingdom |
Cite as | Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 45/1990/236/302-306, Council of Europe: European Court of Human Rights, 26 September 1991, available at: https://www.refworld.org/cases,ECHR,402a2e694.html [accessed 2 June 2023] |
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La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée,
conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de
sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales
("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement***,
en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. J. Cremona, président,
B. Walsh,
Sir Vincent Evans,
MM. R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
I. Foighel,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier
adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 avril
et 26 septembre 1991,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________
Notes du greffier
* L'affaire porte le numéro 45/1990/236/302-306. Les deux
premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année
d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des
saisines de la Cour depuis l'origine et sur celles des requêtes
initiales (à la Commission) correspondantes.
** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11),
entré en vigueur le 1er janvier 1990.
*** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril
1989 s'appliquent en l'espèce.
_______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission
européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") puis par le
gouvernement britannique ("le Gouvernement"), les 11 et 16
juillet 1990 respectivement, dans le délai de trois mois
qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de
la Convention. A son origine se trouvent cinq requêtes
(n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87) dirigées
contre le Royaume-Uni et dont cinq citoyens sri-lankais,
MM. Nadarajah Vilvarajah, Vaithialingam Skandarajah, Saravamuthu
Sivakumaran, Vathanan Navratnasingam et Vinnasithamby Rasalingam,
avaient saisi la Commission les 26 août et 16 décembre 1987, en
vertu de l'article 25 (art. 25).
2. La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et
48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration britannique
reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46)
(art. 46), la requête du Gouvernement à l'article 48 (art. 48).
Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de
savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat
défendeur aux exigences de l'article 13 (art. 13) et, dans le cas
de la demande, de l'article 3 (art. 3).
En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du
règlement, les requérants ont manifesté le désir de participer
à l'instance et désigné leur conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir
Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43
de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la
Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 27 août 1990,
celui-ci en a désigné par tirage au sort les sept autres membres,
à savoir MM. B. Walsh, R. Macdonald, C. Russo, R. Bernhardt,
I. Foighel, R. Pekkanen et A.N. Loizou, en présence du greffier
(articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement)
(art. 43).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre
(article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté, par
l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le délégué
de la Commission et le conseil des requérants au sujet de la
nécessité d'une procédure écrite (article 37 par. 1).
Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le
mémoire du Gouvernement le 28 janvier 1991, puis celui des
requérants le 31. Par la suite, le délégué de la Commission l'a
informé qu'il s'exprimerait à l'audience.
5. Le 15 octobre 1990, le président avait fixé la date de
celle-ci au 23 avril 1991 après avoir recueilli l'opinion des
comparants par les soins du greffier (article 38).
6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au
Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg. La Cour avait tenu
auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. N.D. Parker, ministère des Affaires
étrangères et du Commonwealth, agent,
M. M. Baker, Q.C.,
M. J. Eadie, conseils,
M. C.M.L. Osborne, ministère de l'Intérieur,
M. A. Cunningham, ministère de l'Intérieur, conseillers;
- pour la Commission
Sir Basil Hall, délégué;
- pour les requérants
M. R. Plender, Q.C.,
M. N. Blake, conseils,
M. D. Burgess,
M. C. Randall, solicitors.
7. La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en
leurs réponses à ses questions, M. Baker pour le Gouvernement,
Sir Basil Hall pour la Commission, MM. Blake et Plender pour les
requérants. Ceux-ci ont déposé divers documents le jour de
l'audience. Le 14 mai 1991, le Gouvernement a présenté ses
observations sur leurs demandes au titre de l'article 50 (art. 50)
de la Convention.
8. La délibération finale a eu lieu sous la présidence de M.
le vice-président Cremona, qui avait assisté aux débats en
qualité de suppléant et qui remplaçait M. Ryssdal, empêché
(articles 21 par. 5 et 24 par. 1 du règlement).
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
A. M. VILVARAJAH
1. Avant le refoulement
9. Né en 1960, le premier requérant, M. Nadarajah Vilvarajah,
est un citoyen sri-lankais d'origine ethnique tamoule.
Il travaillait comme assistant dans le magasin de son
père à Paranthon, district de Kilinochchi, dans la partie nord
de l'île de Ceylan. A plusieurs reprises, l'armée sri-lankaise
avait attaqué le secteur, tuant des gens et causant des
destructions. En 1986 elle avait abattu le cousin du requérant
et cinq autres hommes puis, le 28 mars 1987, mis à sac le magasin
familial.
10. Il affirme que par deux fois, en mars et en avril 1986,
des militaires des forces navales s'emparèrent de lui et lui
infligèrent des sévices. La première, il pilotait un minibus qui
tomba en panne près d'une base navale; avec ses passagers, il fut
détenu pendant dix heures par une patrouille de la marine qui
l'aurait sévèrement battu. La seconde, toujours au volant du
minibus, il fut interpellé par une patrouille navale, puis détenu
pendant vingt-quatre heures. Les militaires escortèrent le
véhicule jusqu'à Krainagar, la ville où il résidait, puis
tirèrent au hasard sur les gens. Il y eut également un échange
de coups de feu entre un groupe séparatiste tamoul, les Tigres
libérateurs de l'Eelam tamoul (Liberation Tigers of Tamil Eelam
- "LTTE"), et les soldats des forces navales, qui se servirent
des passagers du bus comme de boucliers.
11. Lors d'une importante offensive de l'armée sri-lankaise
visant à reprendre la province du Nord aux LTTE, sa famille
perdit son magasin ainsi que ses biens, et ses membres faillirent
être tués. En mai 1987, son père s'arrangea avec un agent à
Colombo pour l'envoyer à Londres. M. Vilvarajah gagna Madras le
6 juin 1987, muni de son propre passeport, puis, le 10, Londres
via Bombay, porteur d'un passeport malaisien (obtenu d'un agent
à Madras). Arrivé le 11, il demanda l'autorisation d'entrer au
Royaume-Uni pour deux jours, en qualité de visiteur en transit
pour Montréal, au Canada, où il disait se rendre en vacances.
Il fut détenu le temps d'une enquête. Après avoir reconnu qu'il
n'était pas le titulaire régulier du passeport, dans lequel on
avait substitué sa photo à celle du vrai propriétaire, il essuya
un refus fondé sur l'article 3 du "Texte d'amendements aux règles
sur l'immigration" (Statement of Changes in Immigration Rules;
paragraphe 84 ci-dessous), qui oblige une personne sollicitant
un permis d'entrée à produire un passeport ou toute autre pièce
valable d'identité.
12. Le 12, il demanda l'asile au Royaume-Uni en invoquant la
Convention des Nations Unies, de 1951, relative au statut des
réfugiés, amendée par le Protocole de 1967 ("la Convention de
1951"). Le 19, des fonctionnaires des services de l'immigration
l'interrogèrent en tamoul avec l'assistance d'un interprète; il
affirma qu'il était risqué pour lui de rester à Sri Lanka, pour
les raisons précitées.
13. Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du service
"Immigration et nationalité" du ministère de l'Intérieur conclut
qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions,
au sens de la Convention de 1951. Le 20 août 1987, le ministre
de l'Intérieur prit une décision de rejet que l'intéressé se vit
notifier dans les termes suivants:
"Vous avez sollicité l'asile au Royaume-Uni en affirmant craindre
avec raison d'être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race,
de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance
à un groupe social ou de vos opinions politiques. Vous avez
allégué qu'il était risqué pour vous d'y demeurer, à cause des
opérations menées par le gouvernement dans la région de Jaffna.
Vous avez déclaré aussi avoir été détenu à deux reprises, en mars
et en avril 1986, pendant dix et vingt-quatre heures, et vous
avez dit que l'armée avait saccagé votre entreprise familiale le
28 mars 1987. Toutefois, les incidents rapportés par vous
revêtaient un caractère fortuit et relevaient d'une action
générale de l'armée, destinée à identifier et neutraliser les
extrémistes tamouls. Ils ne constituent pas une preuve de
persécution.
Vous n'avez fourni aucun autre élément à l'appui de votre
demande.
Le ministre a examiné les circonstances propres à votre cas,
ainsi que la situation dans votre pays; il a conclu que vous
n'aviez pas démontré craindre avec raison d'y être persécuté.
En conséquence, il rejette votre requête. Comme vous ne
remplissez pas les conditions voulues pour entrer au Royaume-Uni
à un autre titre, il a chargé les services de l'immigration de
vous refouler vers Sri Lanka, pays dans lequel vous devez être
renvoyé, en vertu de l'article 10 de l'annexe (schedule) 2 à la
loi de 1971 sur l'immigration (Immigration Act)."
14. Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri
Lanka le 22 août 1987. Il engagea alors une action en contrôle
judiciaire tendant à l'annulation de la décision du ministre,
mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous).
2. Après le renvoi à Sri Lanka
15. L'intéressé dut retourner dans son pays le 10 février 1988.
Des policiers l'escortaient, les autorités locales ayant été
prévenues. Son nom parut dans la presse sri-lankaise. A son
arrivée à l'aéroport, les services de l'immigration
l'interrogèrent brièvement. Un membre de la Haute Commission
britannique (British High Commission) se trouvait sur place à sa
descente d'avion. Le ministère de l'Intérieur assuma les frais
du refoulement. Quant au requérant, il avait sur lui plus de 100 £.
16. Après son rapatriement, ses solicitors introduisirent au
Royaume-Uni, en vertu de l'article 13 de la loi de 1971 sur
l'immigration, un recours contre le refus d'asile (paragraphes 71-72
ci-dessous). Ils se rendirent à Colombo pour s'entretenir
avec lui et recueillir ses déclarations. Il confirma que, grâce
à la publicité faite autour de son cas et à la présence du membre
de la Haute Commission britannique, il n'avait guère eu d'ennuis
à l'aéroport. Il signala que la police sri-lankaise l'avait
questionné pendant trois heures environ pour savoir s'il avait
des liens avec des groupes séparatistes tamouls tels que
l'Organisation de libération du peuple tamoul de l'Eelam
(People's Liberation Organisation of Tamil Eelam - "PLOTE") et
les LTTE, ce qu'il avait nié. Elle avait noté son adresse et
pris ses empreintes digitales.
17. Il dit avoir regagné son village natal pour éviter les
autorités sri-lankaises et les dénonciations par la PLOTE, avec
laquelle il avait en réalité coopéré, mais qui aidait à présent
les Forces indiennes de maintien de la paix (Indian Peace Keeping
Forces - "IPKF") à identifier ses anciens adhérents et les
membres présumés des LTTE.
18. Il ajouta que, deux semaines après son retour, il avait été
dénoncé aux IPKF et convoqué au bureau du chef de la police
locale. Accusé d'intelligences avec les LTTE, il avait eu peur.
On l'avait néanmoins laissé rentrer chez lui au terme de
l'interrogatoire. En avril 1988, au cours d'un voyage à Jaffna,
les IPKF l'avaient interpellé, en même temps que d'autres
Tamouls, et gardé pendant dix heures. Le groupe fut aligné
devant des hommes masqués qui identifièrent certaines personnes.
L'intéressé redoutait une erreur, mais on le relâcha.
19. Il relata d'autres incidents qui l'amenaient à craindre des
mauvais traitements de la part des IPKF, en raison de son
activité passée au sein de la PLOTE et de leur comportement
arbitraire envers les Tamouls. Pour se rendre à Colombo afin d'y
rencontrer ses solicitors, il avait dû franchir de nombreux
points de contrôle des IPKF et sri-lankais, ce qui avait doublé
la durée normale - huit heures - du trajet.
20. L'Adjudicator donna gain de cause à M. Vilvarajah le 13 mars 1989.
Autorisé en conséquence à revenir au Royaume-Uni le
4 octobre 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous), celui-ci déposa,
peu après son retour, une nouvelle demande d'asile sur laquelle
il n'a pas encore été statué. On lui accorda un permis de séjour
exceptionnel valable d'abord pour douze mois, puis jusqu'au
22 mars 1992.
B. M. SKANDARAJAH
1. Evénements antérieurs au refoulement
21. Né en 1958, le deuxième requérant, M. Vaithialingam Skandarajah,
est originaire de Jaffna, dans le nord de Sri Lanka,
zone qui se trouvait sous le contrôle des LTTE à l'époque où il
y habitait. D'après lui, en 1985 l'armée sri-lankaise y régnait
par la terreur. La population ne pouvait pas sortir. Des jeunes
hommes étaient arrêtés sans motif, parfois torturés ou abattus
à vue tandis que d'autres "disparaissaient". Soupçonnés tous
d'être des séparatistes tamouls, ils vivaient dans la peur. Lors
des descentes de l'armée, l'intéressé se cachait avec sa famille
dans des tranchées. Sa maison fut régulièrement fouillée
jusqu'en 1985, puis détruite en 1986. La famille devait se
passer de nourriture pendant des jours, parce qu'il était trop
dangereux d'aller s'en procurer au-dehors. L'armée bombardait
quotidiennement la zone tamoule de manière aveugle. C'est ce
pilonnage, et les dégâts causés à sa maison et à son entreprise
le 24 avril 1987, qui auraient incité le requérant à partir. Il
affirme avoir été interrogé par la police au sujet des LTTE, bien
que n'en ayant jamais fait partie.
22. Il quitta Jaffna après avoir perdu tous ses biens, sauf
150 000 roupies. Il rallia Colombo où la police l'arrêta le 2 mai 1987
chez son oncle. Il aurait été détenu pendant vingt heures
et torturé. Sa jambe droite porterait encore les marques des
blessures subies de la sorte.
23. Le 6 juin 1987, il se rendit en avion de Colombo à Madras,
muni de son propre passeport sri-lankais. Le 10, il gagna
Londres via Bombay, grâce à un faux passeport malaisien fourni
par un agent à Madras. Il sollicita l'autorisation d'entrer au
Royaume-Uni pour deux jours, en qualité de visiteur en transit
pour Montréal, au Canada.
24. Le 12, les services de l'immigration lui opposèrent un refus
en vertu de l'article 3 du Texte d'amendements aux règles sur
l'immigration (paragraphe 11 ci-dessus). Là-dessus, il révéla
sa nationalité sri-lankaise et demanda l'asile. Le 17, des
fonctionnaires desdits services l'interrogèrent en tamoul avec
l'assistance d'un interprète; il déclara redouter d'être inquiété
s'il retournait dans son pays.
25. Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du ministère de
l'Intérieur conclut qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu de
craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951. Le
20 août 1987, le ministre de l'Intérieur prit une décision de
rejet que l'intéressé se vit notifier dans les termes suivants:
"Vous avez sollicité l'asile au Royaume-Uni en affirmant craindre
avec raison d'être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race,
de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance
à un groupe social ou de vos opinions politiques. Le ministre
a étudié votre demande. Vous avez allégué qu'il était risqué
pour vous de rentrer à Sri Lanka, à cause des opérations menées
par le gouvernement dans la région de Jaffna. Vous avez déclaré
que votre maison et les locaux de votre entreprise avaient été
détruits par les tirs d'obus des forces gouvernementales. Vous
avez dit aussi avoir été détenu pendant 20 heures en mai 1987 et
avoir subi des sévices. Il apparaît toutefois que la destruction
de votre maison et de votre entreprise ont eu pour cause des
bombardements aveugles liés aux troubles civils. De même, votre
arrestation et votre brève détention résultaient d'une action
générale de l'armée, destinée à identifier et neutraliser les
extrémistes tamouls.
Le ministre a examiné les circonstances propres à votre cas,
ainsi que la situation dans votre pays; il a conclu que vous
n'aviez pas démontré craindre avec raison d'y être persécuté.
En conséquence, il rejette votre requête. Comme vous ne
remplissez pas les conditions voulues pour entrer au Royaume-Uni
à un autre titre, il a chargé les services de l'immigration de
vous refouler vers Sri Lanka, pays dans lequel vous devez être
renvoyé, en vertu de l'article 10 de l'annexe 2 à la loi de 1971
sur l'immigration."
26. Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri
Lanka le 22 août 1987. Il engagea alors une action en contrôle
judiciaire tendant à l'annulation de la décision du ministre,
mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous).
2. Après le renvoi à Sri Lanka
27. L'intéressé dut retourner à Sri Lanka le 10 février 1988.
A son arrivée à l'aéroport, les choses se passèrent comme pour
le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus). La police
sri-lankaise l'interrogea ensuite pendant plusieurs heures et lui
prit ses empreintes digitales. Il séjourna chez son oncle à
Colombo un mois environ, en attendant de pouvoir regagner Jaffna
sans risques.
28. Après son rapatriement, ses solicitors introduisirent au
Royaume-Uni, en vertu de l'article 13 de la loi de 1971 sur
l'immigration, un recours contre le refus d'asile. Ils se
rendirent à Colombo pour s'entretenir avec lui et recueillir ses
déclarations (paragraphes 71-72 ci-dessous). Il leur dit que le
10 mars 1988, alors qu'il roulait vers Jaffna à bicyclette, il
dut s'arrêter à un poste de contrôle des IPKF. Les Tamouls de
sexe masculin auraient été alignés en vue d'une identification
par deux hommes masqués, dont l'un aurait désigné le requérant.
Celui-ci aurait été emmené, en compagnie d'une dizaine de
personnes, à un poste des IPKF dans une maison de Jaffna où on
l'aurait battu pendant à peu près trois heures, à l'aide
notamment de tuyaux de plastique remplis de sable. En même
temps, on lui beuglait des questions relatives aux LTTE, qu'il
affirma ne pas connaître. On l'aurait gardé dans une petite
pièce sans literie ni installations sanitaires, avec six autres
détenus qui auraient subi le même type de traitements. Certains
d'entre eux auraient été suspendus par les pieds et roués de
coups. Le requérant aurait encore été rossé à trois reprises au
cours des sept jours suivants, chaque fois pendant une demi-heure
environ.
29. Détenu jusqu'au 24 mai 1988 et interrogé par les mêmes
individus, il aurait perdu de 10 à 15 kilos, souffert de violents
maux de tête et éprouvé de vives angoisses. Les soldats indiens
lui répétaient sans cesse qu'il resterait enfermé à vie s'il ne
parlait pas. Les détenus recevaient du riz, du dahl et des
chapatis; on ne leur donnait pas assez d'eau. Ce régime les
aurait déshydratés et constipés. On les filma et il semble qu'on
les ait montrés à la télévision comme des membres des LTTE
s'étant rendus. Le requérant fut relâché grâce à des membres de
sa famille qui auraient soudoyé le commandant des IPKF locales
en lui versant de l'or.
30. A sa libération, on lui ordonna de se présenter tous les
jours au poste. Il s'enfuit alors à Colombo. D'après lui, les
Tamouls y vivaient dans une situation très tendue, exposés à un
risque permanent de se voir arrêter et détenir de façon
arbitraire et dénoncer par des indicateurs. Néanmoins, il se
sentait plus en sécurité qu'à Jaffna. Pour justifier son séjour,
il s'inscrivit comme étudiant.
31. L'Adjudicator donna gain de cause à M. Skandarajah le 13 mars 1989.
Autorisé en conséquence à revenir au Royaume-Uni le
4 octobre 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous), celui-ci déposa,
peu après son retour, une nouvelle demande d'asile sur laquelle
il n'a pas encore été statué. On lui accorda un permis de séjour
exceptionnel valable d'abord pour douze mois, puis jusqu'au 22 mars 1992.
C. M. SIVAKUMARAN
1. Avant le refoulement
32. Né en 1966, le troisième requérant, M. Saravamuthu Sivakumaran,
est originaire de Point Pedro, dans le nord de Sri Lanka,
où vit sa famille. En avril 1984, il assista au meurtre
de son frère par des militaires de la marine. La victime pêchait
avec un ami au large de Point Pedro quand ceux-ci s'approchèrent
en bateau, ouvrirent le feu et tuèrent les deux hommes sans
sommation ni motifs.
33. En mars 1984, les forces de sécurité descendirent dans la
région et opérèrent parmi les Tamouls de sexe masculin une rafle
qui engloba le requérant. Elles les gardèrent un jour durant et
les frappèrent à coups de crosse de fusil et de bâton. Elles
prirent note de leurs noms et de renseignements concernant leurs
familles, puis emmenèrent certains d'entre eux. En juin 1984,
300 Tamouls de sexe masculin, dont le requérant, furent détenus
à Point Pedro et subirent des sévices. Les forces de sécurité
emmenèrent quinze personnes. Elles les abattirent le même jour
et brûlèrent leurs corps.
34. En septembre 1984, des Tamouls de sexe masculin, dont
l'intéressé, furent à nouveau rassemblés et détenus pendant une
journée. Une vingtaine d'entre eux furent emmenés et exécutés.
Leurs corps furent brûlés sur place.
35. L'aviation et l'artillerie déversent régulièrement des
projectiles sur Point Pedro. En octobre 1985, un bombardement
aérien endommagea la maison de la famille du requérant et les
habitants durent se réfugier dans une demeure voisine.
36. L'intéressé affirme avoir été membre des LTTE de la fin de
1984 jusqu'à son départ de Sri Lanka. Il suivait un entraînement
militaire et occupait un poste de sentinelle du camp. Il servait
aussi de messager. Il affirme toutefois n'avoir jamais participé
à des actes de violence ou de terrorisme.
37. Le jugeant menacé en sa qualité de jeune Tamoul de sexe
masculin, son père décida qu'il devait quitter Sri Lanka. Il
chargea un agent tamoul de Point Pedro de le faire sortir du
pays. Le requérant se rendit à Colombo le 28 novembre 1986 et
séjourna chez l'agent jusqu'au 11 décembre 1986. Il gagna le
Royaume-Uni via l'Inde, le Népal et Dacca. Juste avant
d'atteindre l'aéroport de Colombo, le minibus qui l'y amenait dut
s'arrêter à un poste de contrôle de l'armée. On les accusa, lui
et les autres passagers, d'aller en Inde pour s'y entraîner avec
des militants. On les conduisit dans un bureau où on les
interrogea pendant trois heures. On prit en outre leurs
empreintes digitales.
38. Le requérant figurait dans un groupe de quelque 64 Tamouls
qui arrivèrent à l'aéroport de Heathrow, à Londres, le 13 février 1987,
et demandèrent l'asile. Il se prétendit d'abord en transit
pour la Norvège. Les intéressés restèrent tous détenus pendant
la procédure.
39. Assistés d'un interprète, des agents des services de
l'immigration interrogèrent M. Sirakumaran en tamoul. Il relata
les événements décrits ci-dessus. A ce stade, il déclara ne pas
appartenir aux LTTE; il ne reconnut le contraire auprès des
autorités britanniques qu'en septembre 1987, car il craignait que
cela n'entraînât l'échec de sa demande d'asile. Saisie de celle-
ci, la section "Réfugiés" du ministère de l'Intérieur conclut
qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions,
au sens de la Convention de 1951, et le débouta le 16 février
1987. Toutefois, la Divisional Court lui accorda le 24
l'autorisation, sollicitée par lui, d'intenter une action en
contrôle judiciaire. Le 2 mars, le ministère de l'Intérieur
informa ses solicitors qu'il allait réexaminer la demande
d'asile.
40. A la suite de démarches du Conseil consultatif britannique
pour les immigrants (United Kingdom Immigrants' Advisory Service
- "UKIAS"), l'intéressé fut à nouveau interrogé, le 14 avril 1987,
au sujet de celle-ci. Saisie une seconde fois, la section
"Réfugiés" conclut derechef qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu
de craindre des persécutions. Les détails de l'affaire furent
communiqués au ministre, qui aboutit à une conclusion analogue.
En conséquence, on adressa au requérant, le 20 août 1987, une
lettre de refus ainsi libellée:
"Vous avez sollicité l'asile au Royaume-Uni en affirmant craindre
avec raison d'être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race,
de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance
à un groupe social ou de vos opinions politiques. Le ministre
a étudié votre demande plus avant. Vous avez allégué que vous
courriez un trop grand danger à rester à Sri Lanka, où les forces
de sécurité arrêtaient sans motif des personnes et les
exécutaient. Vous avez aussi déclaré avoir été détenu trois fois
entre 1984 et 1985, puis une quatrième pendant trois jours, après
avoir été appréhendé avec vos compagnons de route en vous rendant
à Colombo. Enfin, vous avez dit que des militaires de la marine
avaient abattu votre frère Kamarajah en 1984. Toutefois, les
incidents rapportés par vous constituaient le résultat des
troubles à Sri Lanka, plutôt qu'une persécution au sens de la
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, vos
arrestations s'inscrivaient dans le cadre d'une action générale
de l'armée, destinée à identifier et neutraliser les extrémistes,
et chaque fois on vous a relâché à bref délai sans vous inculper.
Il échet de relever aussi que votre frère a été tué par la marine
après avoir refusé d'obéir à un ordre régulier. Le ministre a
examiné les circonstances propres à votre cas, ainsi que la
situation dans votre pays; il a conclu que vous n'aviez pas
démontré craindre avec raison d'y être persécuté. En
conséquence, il rejette votre requête. Comme vous ne remplissez
pas les conditions voulues pour entrer au Royaume-Uni à un autre
titre, il a chargé les services de l'immigration de vous refouler
vers Sri Lanka, pays dans lequel vous devez être renvoyé, en
vertu de l'article 10 de l'annexe 2 à la loi de 1971 sur
l'immigration."
41. Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri
Lanka le 22 août 1987. Il engagea alors une action en contrôle
judiciaire tendant à l'annulation de la décision du ministre,
mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous).
2. Après le renvoi à Sri Lanka
42. L'intéressé dut retourner à Sri Lanka le 12 février 1988.
A son arrivée à l'aéroport, les choses se passèrent comme pour
le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus).
43. Le 9 janvier 1990, ses représentants produisirent le texte
d'une déclaration qu'il leur avait faite au sujet de sa situation
à Sri Lanka depuis son rapatriement le 13 février 1988. La
police sri-lankaise (section de la police judiciaire) aurait
commencé par le garder durant une journée; elle l'aurait traité
comme un criminel quand elle l'interrogea sur les motifs de son
séjour au Royaume-Uni. Il aurait ensuite passé quelques semaines
chez ses parents. Le 2 avril 1988, alors qu'il franchissait un
poste de contrôle, il aurait été identifié par un homme masqué
comme ayant trempé dans les activités des LTTE. Les IPKF
l'auraient alors détenu, interrogé au sujet des LTTE et torturé
tous les quatre ou cinq jours. On l'aurait déshabillé et frappé
avec des barres de fer et des tuyaux de plastique remplis de
sable. On l'aurait parfois suspendu par les pieds en faisant
brûler des piments sous sa tête pendant dix à quinze minutes,
jusqu'à ce qu'il perdît connaissance. A quatre ou cinq reprises,
on l'aurait soumis à un traitement aux électrochocs sur les
parties génitales. Il aurait avoué avoir eu des liens avec les
LTTE. Relâché le 3 octobre 1988 après que ses parents eurent
réussi à soudoyer le chef de la police, il aurait vécu deux
semaines à l'hôpital car il pouvait à peine marcher.
Le 29 novembre 1988, les IPKF l'auraient cependant arrêté derechef,
en compagnie de membres du Front révolutionnaire de libération du
peuple de l'Eelam (Eelam People's Revolutionary Liberation Front
- "EPRLF"). Il aurait subi les mêmes sévices qu'auparavant et
recouvré la liberté le 30 décembre 1988, ses parents ayant à
nouveau corrompu la police. Après deux mois de clandestinité,
il aurait essayé de se rendre au Canada mais aurait été dupé par
un agent qui l'aurait abandonné en Malaisie. En avril 1989, il
avait dû rentrer à Sri Lanka et s'était caché à Colombo. Un
jour, des militaires de la marine l'auraient roué de coups.
Depuis son retour au Royaume-Uni, il a déclaré que les IPKF et
l'EPRLF continuaient de harceler sa famille.
44. Bien que l'on ait ignoré pendant un temps son adresse, il
resta en contact avec ses solicitors. En son nom, ils
attaquèrent au Royaume-Uni le refus d'asile. L'Adjudicator
accueillit le recours le 13 mars 1989 (paragraphes 71-72
ci-dessous). Autorisé à rentrer au Royaume-Uni le 4 octobre 1989,
le requérant se vit accorder un permis de séjour exceptionnel
valable d'abord pour douze mois, puis jusqu'au 22 mars 1992.
Peu après son retour, il déposa une nouvelle demande
d'asile sur laquelle il n'a pas encore été statué.
D. M. NAVRATNASINGAM
1. Avant le refoulement
45. Né en 1970, le quatrième requérant, M. Vathanan Navratnasingam,
est originaire d'Achelu mais a suivi sa scolarité
à Point Pedro jusqu'en décembre 1986. Les forces armées
sri-lankaises l'auraient détenu cinq fois: un mois en 1983, un
jour en 1984, une semaine en 1985, une demi-journée en 1986, un
jour et demi en 1987.
46. En mai 1984, elles auraient mis le feu à son école à Point
Pedro. Le lendemain, on l'aurait détenu pendant six ou sept
heures au camp militaire local et accusé d'avoir provoqué
l'incendie. Le directeur de l'établissement aurait protesté,
provoquant sa libération.
47. En mai 1986, tandis que l'intéressé se rendait à l'école,
un hélicoptère de l'armée bombarda un pont que devait franchir
son bus et tous les passagers durent descendre. Détenu dans un
camp militaire pendant sept heures, il s'entendit menacer de
mauvais traitements. Dans l'intervalle, son frère aîné avait fui
en France (en janvier 1986) où on lui avait accordé l'asile
politique.
48. Après août 1986, l'artillerie se livra à des tirs
intensifs et la maison familiale d'Achelu fut détruite le 1er janvier 1987.
Le requérant n'a revu ni sa mère ni sa soeur depuis lors.
Retourné sur place, son père ne put que constater les dégâts;
le 15 janvier 1987, ils prirent tous deux le car pour
Colombo. Arrêtés à Elephant Pass, à quelque 50 kilomètres de
Jaffna, ils restèrent détenus au camp militaire local pendant un
jour et demi.
49. Ils arrivèrent à Colombo le 18 janvier 1987; le père y
chargea un agent de faire sortir son fils de Sri Lanka. Celui-ci
ne s'y sentait pas en sécurité car il avait des papiers
d'identité tamouls et les autorités savaient qu'il venait
d'ailleurs. Il s'envola donc pour Londres et atterrit le 13 février 1987
à Heathrow où il demanda l'asile. Plusieurs pages
de son passeport avaient été arrachées. Il figurait dans un
groupe de 64 demandeurs d'asile tamouls (paragraphe 38 ci-dessus).
50. Il demeura détenu pendant la procédure. Interrogé à deux
reprises en tamoul par un agent des services de l'immigration
assisté d'un interprète, il relata les événements décrits
ci-dessus. Il déclara aussi ne pas avoir eu d'activités
politiques à Sri Lanka.
51. Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du ministère de
l'Intérieur conclut qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu de
craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951, et
le débouta le 17 février 1987. Toutefois, la Divisional Court
lui accorda le 24 l'autorisation, sollicitée par lui, d'intenter
une action en contrôle judiciaire. Le 2 mars, le ministère de
l'Intérieur informa ses solicitors qu'il allait réexaminer la
demande d'asile.
52. A la suite de démarches de l'UKIAS, l'intéressé fut à
nouveau interrogé, le 23 avril 1987, au sujet de celle-ci.
Saisie une seconde fois, la section "Réfugiés" du ministère de
l'Intérieur conclut derechef qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu
de craindre des persécutions. Les détails de l'affaire furent
communiqués au ministre, qui aboutit à une conclusion analogue.
On en informa M. Navratnasingam par une lettre du 1er septembre 1987,
ainsi libellée:
"Vous avez sollicité l'asile au Royaume-Uni en affirmant craindre
avec raison d'être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race,
de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance
à un groupe social ou de vos opinions politiques. Le ministre
a étudié votre demande plus avant.
Ces dernières années, Sri Lanka a connu des troubles
considérables et les autorités ont dû prendre des mesures pour
rétablir l'ordre. L'agitation a entraîné des souffrances pour les
individus de tous les groupes ethniques. Toutefois, après avoir
pesé tous les éléments de preuve disponibles, le ministre estime
que les Tamouls de Sri Lanka ne constituent pas un groupe
persécuté dont les membres puissent revendiquer, sur la seule
base de leur origine ethnique ou nationale, le statut de réfugié
au titre de la Convention des Nations Unies de 1951 régissant la
matière.
Il étudie néanmoins chaque demande d'asile introduite par un
Tamoul sri-lankais, afin de vérifier si elle répond aux critères
de ladite Convention. La décision dépend des circonstances
propres au cas d'espèce.
A l'appui de votre requête, vous avez affirmé que votre vie se
trouvait en danger à Sri Lanka et que des tirs d'artillerie
avaient endommagé votre maison. Vous avez dit aussi que l'armée
vous avait détenu un jour pendant six heures, en compagnie des
autres passagers de votre car scolaire, et qu'elle avait aussi
bloqué pendant 24 à 36 heures le bus qui vous conduisait de
Jaffna à Colombo. Lors de l'entretien du 13 avril 1987, vous
avez ajouté avoir été emmené par elle et gardé pendant une heure
en 1984.
Toutefois, le ministre a également tenu compte des circonstances
suivantes: les dégâts causés à votre maison résultaient de tirs
aveugles; on ne vous a rien fait lors de vos deux arrestations,
pas plus qu'à vos compagnons de route, ni quand on vous a détenu
pendant une heure en 1984. En outre, le Service consultatif
britannique pour les immigrants a indiqué en votre nom qu'arrivé
à Colombo le 18 janvier 1987, vous n'y étiez pas resté parce que
vous ne vous y sentiez pas en sécurité: vous aviez une carte
d'identité tamoule et les autorités savaient que vous veniez
d'ailleurs. Lors d'un entretien ultérieur, en avril 1987, vous
avez déclaré penser que votre père, qui vous avait accompagné à
Colombo, puis à l'aéroport le 2 février, avait probablement
repris ses activités d'enseignant dans une école de l'Etat et
renoué le contact avec votre mère et votre soeur.
Eu égard à tous les éléments avancés par vous à l'appui de votre
demande, ainsi qu'aux autres données exposées dans la présente
lettre, le ministre n'a pas la conviction que vous ayez lieu de
craindre des persécutions à Sri Lanka, au sens de la Convention
des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés.
Comme vous ne remplissez pas les conditions voulues pour entrer
au Royaume-Uni à un autre titre, il a chargé les services de
l'immigration de vous refouler vers Sri Lanka, pays dans lequel
vous devez être renvoyé, en vertu de l'article 10 de l'annexe 2
à la loi de 1971 sur l'immigration."
53. Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri
Lanka le 4 septembre 1987. Il engagea alors une action en
contrôle judiciaire tendant à l'annulation de la décision du
ministre, mais en vain (paragraphe 67-69 ci-dessous).
2. Après le renvoi à Sri Lanka
54. M. Navratnasingam dut regagner Sri Lanka le 12 février 1988.
A son arrivée à l'aéroport, les choses se passèrent comme pour
le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus). La police
sri-lankaise l'interrogea ensuite de manière agressive durant
quatre heures au sujet de ses liens avec des groupes tamouls et
des agences de voyage qui l'avaient aidé à fuir au Royaume-Uni.
Elle prit ses empreintes digitales.
55. Après son rapatriement, ses solicitors introduisirent au
Royaume-Uni un recours contre le refus d'asile. Ils se rendirent
à Colombo pour s'entretenir avec lui et recueillir ses
déclarations. Il leur dit qu'à son retour il avait séjourné à
Colombo chez un ami de la famille, car on n'avait découvert
aucune trace de celle-ci. Il ne sortait qu'accompagné d'une
personne parlant le cingalais et capable de régler les problèmes
éventuels avec la police. Il connut maintes difficultés parce
qu'il ne possédait plus sa carte d'identité, égarée par les
services britanniques de l'immigration. Il ne tenta pas de
retrouver sa famille, faute de pouvoir franchir les nombreux
contrôles.
56. Arrêté sans carte d'identité par la police vers le 10 mars 1988,
il fut détenu quatre heures et interrogé sur ses activités
à Colombo. Un ami de la famille persuada la police de le
relâcher. A Colombo, les Tamouls vivaient dans une atmosphère
très tendue, parce qu'en butte aux attaques des Cingalais. A
nouveau appréhendé par la police en mai 1988, l'intéressé resta
détenu jusqu'au lendemain. Il reçut des coups de ceinture et des
coups de pied durant une demi-heure environ. On l'accusa d'avoir
caché des terroristes tamouls du groupe des LTTE. L'ami de la
famille réussit à soudoyer quelqu'un pour obtenir sa libération.
Les coups subis eurent pour effet d'aggraver un ulcère apparu
pendant son séjour au Royaume-Uni et, en conséquence, de
l'obliger à passer une semaine à l'hôpital.
57. Le requérant fut aussi vivement affecté par un reportage
télévisé montrant deux membres de sa famille tués lors d'un
échange de coups de feu entre les LTTE et les IPKF à plusieurs
kilomètres de son village.
58. Le recours formé au Royaume-Uni aboutit: l'Adjudicator
l'accueillit le 13 mars 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous).
Autorisé à rentrer au Royaume-Uni le 4 octobre 1989, le requérant
se vit accorder un permis de séjour exceptionnel valable d'abord
pour douze mois, puis jusqu'au 22 mars 1992. Peu après son
retour, il déposa une nouvelle demande d'asile sur laquelle il
n'a pas encore été statué.
E. M. RASALINGAM
1. Avant le refoulement
59. Né en 1961, le cinquième requérant, M. Vinnasithamby Rasalingam,
est originaire de Manor Town, dans le nord-ouest de
Sri Lanka, à quelque 150 kilomètres de Jaffna. Vers la fin de
1986, la ville devint la proie de bombardements incessants des
forces gouvernementales. De nombreux Tamouls cherchèrent refuge
dans la jungle. En 1985, des soldats incendièrent la maison et
le magasin de la famille de l'intéressé. Celui-ci croit qu'en
1986 l'armée tua deux de ses frères. En 1985 déjà, il l'aurait
vue abattre deux personnes. A l'époque, il se terrait dans la
jungle pour des raisons de sécurité. Un jour, des soldats
traversant la ville auraient tiré sur lui. Depuis 1983, la zone
où il résidait connaît des problèmes liés à la majorité
cingalaise de la ville. Il y aurait eu beaucoup de meurtres et
de destructions. On a parlé de massacres en d'autres endroits.
60. Un camp militaire se trouvait à huit kilomètres du domicile
du requérant. Les jeunes hommes surtout étaient menacés.
Repérés par les militaires, ils risquaient l'arrestation
sommaire, la torture, voire l'assassinat. Les gens fuyaient à
la vue des soldats. Au moment où le requérant quitta Sri Lanka,
ceux-ci restaient en général dans leurs cantonnements; ils n'en
visitaient pas moins les convois, à la recherche de personnes.
La région où habitait l'intéressé était sous le contrôle des
séparatistes tamouls. L'armée fouillait sa maison chaque
semaine. Il n'appartenait ni à un parti politique, ni à une
organisation terroriste.
61. Il versa 50 000 roupies sri-lankaises à un agent pour qu'il
l'aidât à sortir du pays. Il atterrit à Heathrow le 19 mars 1987
et demanda l'asile, alors qu'il avait d'abord compté se rendre
au Canada. Plusieurs pages de son passeport avaient été
arrachées. Le 20 mars, on l'interrogea en tamoul avec l'aide
d'un interprète. Il relata les événements décrits ci-dessus.
62. Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du ministère de
l'Intérieur conclut qu'il n'avait pas prouvé avoir lieu de
craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951. Les
détails de l'affaire furent communiqués au ministre, qui aboutit
à une conclusion analogue. On en informa M. Rasalingam par une
lettre du 1er septembre 1987, ainsi libellée:
"Vous avez sollicité l'asile au Royaume-Uni en affirmant craindre
avec raison d'être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race,
de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance
à un groupe social ou de vos opinions politiques. Ces dernières
années, Sri Lanka a connu des troubles considérables et les
autorités ont dû prendre des mesures pour rétablir l'ordre.
L'agitation a entraîné des souffrances pour les individus de tous
les groupes ethniques. Toutefois, après avoir pesé tous les
éléments de preuve disponibles, le ministre estime que les
Tamouls de Sri Lanka ne constituent pas un groupe persécuté dont
les membres puissent revendiquer, sur la seule base de leur
origine ethnique ou nationale, le statut de réfugié au titre de
la Convention des Nations Unies de 1951 régissant la matière.
Il étudie néanmoins chaque demande d'asile introduite par un
Tamoul sri-lankais, afin de vérifier si elle répond aux critères
de ladite Convention. La décision dépend des circonstances
propres au cas d'espèce.
A l'appui de votre requête, vous avez allégué l'impossibilité de
vivre à Sri Lanka parce qu'on y persécute les Tamouls. Un camp
militaire se trouverait à huit kilomètres de votre village, dont
les troupes ne cesseraient de chasser les habitants. Vous avez
déclaré que la maison de vos parents avait été incendiée en 1985
avec le reste du village, que des militaires vous avaient
interrogé et menacé en 1985 et que votre magasin avait été réduit
en cendres. Vous avez affirmé aussi que des soldats avaient
abattu deux de vos cinq frères.
Toutefois, le ministre a également tenu compte des circonstances
suivantes: vous avez passé en sécurité à Sri Lanka les deux
années qui ont suivi la destruction de la maison de vos parents
et de votre magasin; vos parents vivent à présent dans un petit
village situé de l'autre côté de la forêt, et vous travailliez
sur les terres de votre père. D'après les renseignements fournis
par vous, vos parents, vos trois autres frères et vos quatre
soeurs - dont certains, mariés, ont eux-mêmes des enfants -
vivent toujours en sécurité à Sri Lanka.
Eu égard à tous les éléments avancés par vous à l'appui de votre
demande, ainsi qu'aux autres données exposées dans la présente
lettre, le ministre n'a pas la conviction que vous ayez lieu de
craindre des persécutions à Sri Lanka, au sens de la Convention
des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés.
Comme vous ne remplissez pas les conditions auxquelles les règles
sur l'immigration subordonnent l'entrée à un autre titre, je vous
refuse l'autorisation de pénétrer sur le territoire."
63. Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri
Lanka le 4 septembre 1987. Il engagea alors une action en
contrôle judiciaire tendant à l'annulation de la décision du
ministre, mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous).
2. Après le renvoi à Sri Lanka
64. M. Rasalingam dut regagner Sri Lanka le 12 février 1988.
A son arrivée à l'aéroport, les choses se passèrent comme pour
le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus).
65. Une fois rapatrié, il éprouva des difficultés car, comme le
quatrième requérant, il n'avait plus sa carte d'identité: les
services britanniques de l'immigration l'avaient momentanément
égarée; ils la lui restituèrent plus tard par la poste. Il s'en
procura une fausse et réussit à éviter l'arrestation lors de
nombreuses opérations de police. Son frère rallia les LTTE et
lui-même se fit extorquer des fonds pour leur cause. Les
autorités sri-lankaises et indiennes le suspectaient et
continuent à le rechercher. En avril 1988, il s'enfuit en France
après avoir appris que son père et son frère avaient été détenus
par les IPKF.
66. Bien que l'on ait ignoré pendant un temps son adresse, il
resta en contact avec ses solicitors. En son nom, ils
attaquèrent au Royaume-Uni le refus d'asile. L'Adjudicator
accueillit le recours le 13 mars 1989 (paragraphes 71-72
ci-dessous). Autorisé à rentrer au Royaume-Uni le 28 août 1989,
le requérant se vit accorder un permis de séjour exceptionnel
valable d'abord pour douze mois, puis jusqu'au 22 mars 1992. En
octobre 1989, il déposa une nouvelle demande d'asile sur laquelle
il n'a pas encore été statué.
F. Les actions en contrôle judiciaire intentées par les
requérants
67. Les trois premiers requérants sollicitèrent auprès de la
High Court l'autorisation d'intenter une action en contrôle
judiciaire du rejet de leur demande d'asile par le ministre. Un
juge unique les débouta le 21 août 1987. De nouvelles requêtes,
adressées par eux à un juge unique de la cour d'appel, échouèrent
elles aussi le même jour. Le ministère de l'Intérieur refusa de
surseoir à leur refoulement, prévu pour le lendemain, ce qui leur
eût permis de saisir une cour d'appel plénière le lundi 24 août.
Ils se tournèrent alors vers le juge de garde de la High Court,
le samedi 22 août au matin, alléguant que le refus de sursis les
privait de manière déraisonnable du droit de revenir à la charge
devant la cour d'appel.
Ledit juge leur donna gain de cause et interdit leur refoulement.
Le 26 août, la cour d'appel les admit à intenter une action en
contrôle judiciaire de la décision du ministre.
Après le refus opposé par le ministre à leur demande d'asile, les
quatrième et cinquième requérants engagèrent eux aussi une action
en contrôle judiciaire après avoir obtenu l'autorisation
nécessaire.
68. Le juge McCowan, de la High Court, débouta les cinq
intéressés le 24 septembre 1987. En revanche, la cour d'appel
annula sur recours, le 12 octobre 1987, les décisions de refus
d'asile. Le ministre se pourvut alors devant la Chambre des
Lords qui, le 11 décembre 1987, statua en sa faveur (R. v.
Secretary of State for the Home Department, ex parte Sivakumaran
and conjoined appeals, All England Law Reports 1988, vol. 1, p. 193).
69. La haute assemblée devait se prononcer sur l'interprétation
exacte de l'article 1 A.2 de la Convention de 1951, telle
qu'amendée, qui définit le "réfugié" comme toute personne "qui,
(...) craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race,
de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve
hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du
fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de
ce pays (...)".
Elle estima qu'il s'agissait là d'un critère objectif; il fallait
démontrer l'existence d'un degré raisonnable de probabilité, ou
un risque réel et sérieux, de voir l'intéressé subir des
persécutions si on le renvoyait dans son pays. Or il ressortait
du dossier que le ministre, pour décider de refuser l'asile,
avait appliqué le critère de la Convention de 1951. Le texte de
l'arrêt contenait les opinions suivantes:
Lord Keith of Kinkel: "Les termes des décisions [du ministre]
montrent qu'il s'est fondé sur la situation objective à Sri
Lanka, telle qu'il l'a perçue. Il ressort de la déclaration sous
serment de M. Pott, fonctionnaire du ministère de l'Intérieur,
que le ministre a eu égard à des rapports de la section
'Réfugiés' de son département, rédigés à partir d'articles de
presse, de comptes rendus et de publications d'Amnesty
International, ainsi qu'à des renseignements reçus par lui du
ministère des Affaires étrangères et à la suite de visites
récentes de secrétaires d'Etat à Sri Lanka. Chacun sait que ce
pays, ou du moins une partie de son territoire, connaît depuis
assez longtemps de graves troubles revêtant parfois l'ampleur
d'une guerre civile. Les autorités ont adopté des mesures pour
y mettre fin et pour en identifier et arrêter les responsables.
Ces mesures, ainsi que les activités subversives, ont
naturellement débouché sur des expériences pénibles et
affligeantes pour beaucoup de gens pris malgré eux dans la
tourmente. Comme l'agitation a sévi surtout dans les régions
habitées par des Tamouls, ce sont eux qui ont le plus souffert.
Dans ses décisions, le ministre a estimé que les opérations
militaires destinées à démasquer et neutraliser les extrémistes
tamouls ne constituent pas des preuves de persécution des Tamouls
en tant que tels. Les avocats des requérants ne l'ont pas
contesté; ils n'ont pas non plus sérieusement avancé qu'un groupe
quelconque de Tamouls, les jeunes Tamouls du Nord par exemple,
subissait des persécutions pour l'un des motifs énoncés dans la
Convention. Il apparaît que le ministre, tout en considérant que
ni les Tamouls en général, ni un groupe donné d'entre eux ne se
trouvaient en butte à pareille persécution, a recherché en outre
s'il n'en allait pas différemment pour l'un ou l'autre des
requérants; il a constaté que tel n'était pas le cas. D'après
lui, il fallait tenir compte des événements passés pour évaluer
les perspectives d'avenir.
On a plaidé que les décisions du ministre ne reflétaient pas
clairement l'utilisation du critère du 'risque réel et sérieux',
et non le recours à un simple calcul de probabilités. Ses
déclarations montrent pourtant nettement qu'il n'existait pas,
selon lui, de risque réel de persécution pour l'un des motifs
énoncés dans la Convention."
Lord Templeman: "Pour que l'on considère une personne demandant
le statut de réfugié comme 'craignant avec raison d'être
persécutée', il doit exister un risque de la voir subir un tel
traitement en cas de renvoi dans son pays d'origine. La
Convention n'habilite pas le demandeur à en décider; elle confie
cette décision au pays où il sollicite l'asile. Aux termes de
la loi de 1971 [sur l'immigration], les demandes de permis
d'entrée au Royaume-Uni, y compris celles fondées sur la
revendication du statut de réfugié, sont instruites par les
autorités compétentes en matière d'immigration instituées par
elle. En vertu de son règlement d'application, c'est au ministre
qu'il incombe de statuer sur la qualité de réfugié du demandeur.
En l'espèce, sa tâche consistait et consiste à déterminer, pour
chaque demandeur, s'il y a risque de persécution en cas de renvoi
à Sri Lanka. Il s'agit manifestement d'une question de degré et
de jugement. Le ministre reconnaît à un demandeur craignant
d'être persécuté le droit à l'asile dans ce pays, sauf s'il a la
conviction qu'il n'existe pas de risque réel et sérieux de
persécution. Il a conclu à l'absence de semblable risque (...)
En l'occurrence, l'examen du processus décisionnel ne révèle
aucune erreur de sa part ni n'autorisait la cour d'appel à
contredire son avis selon lequel les requérants ne risqueront pas
d'être persécutés si on les renvoie à Sri Lanka."
Lord Goff of Chieveley: "Tout d'abord, je pense avec Lord Keith,
et pour les raisons invoquées par lui, que l'exigence d'une
crainte fondée de persécution signifie simplement la nécessité
de démontrer que la probabilité d'une persécution pour un motif
prévu par la Convention atteint un certain degré. La thèse de
l'avocat du ministre, selon laquelle il doit exister un risque
réel et sérieux de persécution, me paraît d'ailleurs se concilier
avec cette interprétation. En second lieu, il ne faut pas
oublier que le ministre jouit, de toute manière, d'un pouvoir
discrétionnaire lui permettant de s'écarter des règles en matière
d'immigration et d'accorder le statut de réfugié s'il estime
juste de le faire. Enfin, je ne puis me rallier à l'opinion de
Sir John Donaldson MR, d'après laquelle les critères applicables
diffèrent selon qu'il s'agit de l'article 1 de la Convention ou
de l'article 33 (Weekly Law Reports 1987, pp. 1047-1051). Aux
termes de l'article 33 par. 1,
'Aucun des Etats Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de
quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des
territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de
sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance
à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.'
D'après Sir John Donaldson, le ministre, même quand il reconnaît
à un requérant la qualité de réfugié au sens de l'article 1, doit
rechercher ensuite si l'article 33, qui pose un critère objectif,
interdit le refoulement du demandeur vers le pays concerné. Je
ne puis y souscrire. Il me semble clair, et les observations de
l'avocat du [Haut Commissaire des Nations Unies pour les
réfugiés], qui s'appuie sur les travaux préparatoires, le
confirment du reste, que la clause de non-refoulement de
l'article 33 a été conçue pour s'appliquer à toute personne
considérée comme un réfugié au sens de l'article 1 de la
Convention. J'ai néanmoins le sentiment que les articles 1 et
33 se concilient plus aisément si l'on adopte, de préférence à
celle du Haut Commissaire, l'interprétation donnée par le
ministre aux mots 'craint avec raison', figurant à l'article 1
A. 2)."
70. Après cette décision, les solicitors des cinq requérants,
agissant en leur nom à tous, écrivirent au ministère de
l'Intérieur pour lui signaler qu'ils entreprendraient de
nouvelles démarches et saisiraient la Commission européenne des
Droits de l'Homme en la priant d'user de l'article 36 de son
règlement intérieur. Ils l'invitèrent aussi à confirmer qu'il
ne prendrait aucune mesure contre leurs clients pendant sept
jours; il s'y engagea. La Commission rejeta la demande
d'application de l'article 36 le 18 décembre 1987. Sur les
instances du Comité d'action tamoul au Royaume-Uni (Tamil Action
Committee U.K.), le Conseil britannique pour les réfugiés
(British Refugee Council), l'UKIAS et un député intervinrent de
leur côté pour empêcher le renvoi. Le ministre estima que les
candidats à l'asile ne pouvant obtenir le statut de réfugié
devaient retourner à Sri Lanka, sauf raisons humanitaires graves;
il conclut à l'absence de semblables raisons dans le cas des
requérants.
G. Les recours ultérieurs des requérants au titre de l'article 13
de la loi de 1971 sur l'immigration
71. A la suite du renvoi des requérants à Sri Lanka, leurs
solicitors attaquèrent les refus d'asile devant un Adjudicator
au Royaume-Uni, en vertu de l'article 13 de la loi de 1971 sur
l'immigration. Ils déposèrent une documentation importante
concernant la situation -passée et présente- des Tamouls à Sri
Lanka. Les représentants du ministre n'en contestèrent aucun
élément et ne fournirent aucune autre information sur laquelle
il eût fondé son refus. Par une décision du 13 mars 1989,
l'Adjudicator admit que les requérants avaient quitté Sri Lanka
parce que, jeunes Tamouls, ils risquaient notamment d'être
"interrogés, détenus, voire molestés". Il accorda un large
crédit au tableau que chacun d'eux avait brossé de sa situation
personnelle, à savoir:
- pour le premier, la mise à sac de l'entreprise familiale, la
mort de son cousin, ses arrestations et sa détention en 1986 et,
plus tard, à son retour à Sri Lanka, son interrogatoire par la
police (mais non son appartenance alléguée à la PLOTE);
- pour le deuxième, sa situation familiale, ses allégations de
détention et de voies de fait, la destruction de sa maison et,
à son retour à Sri Lanka, son arrestation et les mauvais
traitements subis par lui à Jaffna;
- pour le troisième, ses arrestations, ses interrogatoires et la
mort de son frère (mais non son appartenance alléguée aux LTTE);
- pour le quatrième, la destruction de la maison de sa famille
par des tirs d'obus, les incidents auxquels il assista et, à son
retour à Sri Lanka, ses diverses détentions dues au défaut de
carte d'identité;
- pour le cinquième, l'incendie de sa maison, la mort par balles
de deux de ses frères et, après son retour à Sri Lanka,
l'arrestation de sa famille et de ses proches.
Il admit aussi qu'en général, les victimes des mauvais
traitements infligés par les forces sri-lankaises étaient des
jeunes Tamouls de sexe masculin et que l'armée sri-lankaise, puis
les IPKF, avaient fait dans le Nord un usage excessif de la
violence contre des non-combattants.
Il conclut que les requérants avaient lieu de craindre des
persécutions et jugea, notamment,
- qu'ils avaient tous droit à l'asile au moment de la décision
du ministre;
- que les circonstances n'avaient guère changé depuis lors;
- que la décision du ministre concernant chacun d'eux n'était pas
conforme à la loi;
- que leurs recours étaient donc fondés;
- que l'on devait les ramener au Royaume-Uni dans les plus brefs
délais.
72. Le 19 avril 1989, la commission de recours en matière
d'immigration (Immigration Appeal Tribunal) déclara tardif
l'appel du ministre: une erreur administrative avait entraîné le
dépassement du délai légal de quatorze jours. Le 12 mai, le
ministre sollicita un contrôle judiciaire des décisions de ladite
commission et de l'Adjudicator. Il contestait, entre autres, la
légalité ou le caractère raisonnable de l'ordre d'assurer le
retour des requérants au Royaume-Uni.
Le juge McCowan ayant accordé l'autorisation voulue le 17 mai
1989, le Lord Justice Lloyd et le juge Auld examinèrent l'affaire
le 11 juillet; la High Court confirma la décision de la
commission de recours. Le 31 juillet, le ministre demanda un
sursis à exécution quant au retour des cinq requérants, en
attendant un recours éventuel. Il fut débouté le 31 juillet 1989.
Le 17 mai 1990, la cour d'appel rejeta un recours introduit par
lui contre la décision du juge Auld, dans la procédure précitée,
reconnaissant à MM. Vilvarajah et Skandarajah le droit de porter
leur demande d'asile en appel devant l'Adjudicator bien qu'ayant
commencé par présenter de faux passeports malaisiens et par
chercher à pénétrer sur le territoire en qualité de visiteurs (R.
v. Immigration Appeal Tribunal and Another, ex parte Secretary
of State for the Home Department, Weekly Law Reports 1990,
vol. 1, p. 1126).
H. La situation à Sri Lanka
73. Sri Lanka compte 16 100 000 habitants, dont 74 % de
Cingalais et 18 % d'Hindous tamouls. Concentrés dans certaines
régions, les Tamouls représentent 90 % de la population de la
péninsule de Jaffna, dans le nord du pays. Le conflit ethnique
entre Tamouls et Cingalais remonte à plusieurs générations; le
chauvinisme anti-tamoul des seconds constitue un facteur
important dans la politique sri-lankaise depuis 1948.
L'hostilité aux Tamouls a provoqué, entre autres, une série de
pogroms contre les communautés tamoules, surtout depuis 1956.
La situation a beaucoup empiré en 1983, à la suite de
l'assassinat de treize soldats sri-lankais par un groupe de
libération tamoul. L'état d'urgence proclamé à l'époque demeure
en vigueur. La communauté tamoule a ainsi été exposée à une
politique de répression violente du gouvernement qui a notamment
toléré, sinon approuvé, des massacres organisés.
74. En vertu d'un accord signé entre Sri Lanka et l'Inde le 29 juillet 1987,
l'armée indienne occupa des régions tamoules pour
protéger la population tamoule, et les forces cingalaises
devaient regagner leurs casernes. Toutefois, les IPKF entrèrent
en action contre les extrémistes tamouls qui rejetaient l'accord.
Il y aurait eu des arrestations, des détentions arbitraires, des
cas de torture et des destructions, surtout en octobre et en
novembre 1987, lorsque les villages et les villes du Nord se
trouvèrent pris sous des bombardements et des tirs aveugles. La
ville de Jaffna subit un siège pendant lequel les IPKF tuèrent
de 2 000 à 5 000 civils; de nombreuses atrocités furent commises
durant et après l'assaut. A l'époque, les Tamouls avaient
absolument besoin de deux cartes d'identité - l'une sri-lankaise,
l'autre délivrée par les IPKF à tous les habitants du Nord - pour
éviter le risque de détention arbitraire.
75. Lors du renvoi des requérants en février 1988, de nombreux
communiqués continuaient à relater des troubles. Le gouvernement
défendeur analyse la situation ainsi: de vastes secteurs,
notamment dans le nord et l'est de Sri Lanka, étaient en proie
à la confusion et à la violence, même si de larges portions du
territoire restaient épargnées. L'agitation sembla diminuer en
décembre 1987. Eu égard à l'accord de juillet 1987, les
gouvernements sri-lankais et indien étaient pleinement acquis aux
principes du rétablissement du droit et de l'ordre, de la
garantie des droits fondamentaux pour toutes les communautés et
de l'élection démocratique de représentants régionaux. On assista
aussi au rapatriement volontaire de nombre de Tamouls sri-lankais
- dont la plupart avaient fui en Inde - dans le cadre d'une
opération organisée par le Haut Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés ("HCR") sur la base de certaines clauses dudit
accord.
76. Au 11 février 1988, grâce au dispositif mis en place par le
HCR à la fin de décembre 1987, 2 746 Sri-lankais avaient regagné
leur pays et en août 1988 leur nombre dépassait 23 000. Le HCR
a estimé qu'à la même date, 12 OOO de plus avaient recouru à
leurs propres moyens pour rentrer volontairement à Sri Lanka.
De leur côté, plusieurs pays d'Europe occidentale - par exemple
les Pays-Bas et la France - commencèrent à renvoyer des Tamouls
à Sri Lanka pendant la période d'août 1987 à février 1988.
D'autres, dont la République fédérale d'Allemagne et l'Italie,
avaient pour politique de ne pas refouler à l'époque les
demandeurs d'asile tamouls.
77. En décembre 1987, Amnesty International, le Conseil
britannique pour les réfugiés et le H.C.R. pressèrent le
gouvernement défendeur de ne pas renvoyer de Tamouls à Sri Lanka,
en raison de l'instabilité qui y régnait, de l'effet incertain
de l'accord de juillet et des récits de violation des droits de
l'homme par les forces de sécurité sri-lankaises et les IPKF.
78. Un rapport du comité "Asie" du Conseil britannique pour les
réfugiés, daté du 15 décembre 1987, parlait de destructions
massives ainsi que de problèmes alimentaires et sanitaires à
grande échelle. La situation s'était légèrement améliorée depuis
le début de novembre 1987, mais l'ensemble des zones à majorité
tamoule étaient le théâtre d'attaques de la guérilla et de
contre-attaques des IPKF, et l'on ne pouvait guère y mener une
vie normale.
I. Sources d'information utilisées pour statuer sur les
demandes d'asile des requérants
79. Les renseignements dont bénéficiait le ministre quant
à la situation à Sri Lanka émanaient de nombreuses sources:
télégrammes de la Haute Commission britannique à Colombo, avis
du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,
informations et preuves documentaires fournies par des milliers
de demandeurs d'asile sri-lankais, contacts fréquents avec des
représentants du HCR, articles de presse, comptes rendus et
rapports d'organisations, telle Amnesty International, qui
suivaient les événements de près. Le ministère des Affaires
étrangères et du Commonwealth donnait aussi des informations
provenant des représentations diplomatiques au sujet de
l'évolution de la conjoncture à Sri Lanka.
80. En outre, M. Timothy Renton, député et ministre adjoint à
l'Intérieur, se rendit dans l'île du 10 au 14 septembre 1987,
accompagné du plus haut fonctionnaire du service de l'immigration
et de la nationalité du ministère de l'Intérieur, responsable
général de la politique d'asile, ainsi que du chef du service de
l'Asie du Sud du ministère des Affaires étrangères et du
Commonwealth. Pendant son séjour, il s'entretint avec le
président Jayawardene et plusieurs ministres: il visita Jaffna
et Trincomalee où il rencontra des responsables locaux, des
membres des forces armées sri-lankaises, des citoyens, des
comités et des représentants des LTTE.
II. Droit et pratique internes pertinents
A. Le processus décisionnel dans les affaires de demande d'asile
81. Le "Texte d'amendements aux règles sur l'immigration" (House
of Commons paper 169) du 9 février 1983 ("les règles de 1983")
contient des dispositions particulières relatives à la situation
des réfugiés et des personnes qui demandent l'asile au
Royaume-Uni. L'article 16 est ainsi libellé:
"Dans le cas d'un réfugié, il y a lieu de tenir pleinement compte
des dispositions de la Convention et du Protocole relatifs au
statut des réfugiés (Cmnd. 9171 et Cmnd. 3096). Rien dans les
présentes règles ne peut s'interpréter comme exigeant une action
contraire aux obligations du Royaume-Uni au titre de ces
instruments."
82. Une personne peut introduire une demande d'asile à son
arrivée au Royaume-Uni ou après avoir pénétré sur le territoire.
D'après l'article 4 par. 1 de la loi de 1971 sur l'immigration
("la loi de 1971"), dans le premier cas un fonctionnaire des
services de l'immigration examine la demande conformément à
l'article 73 des règles de 1983, aux termes duquel
"Des considérations spéciales entrent en jeu quand le seul pays
vers lequel on pourrait refouler une personne est un pays où elle
ne veut pas se rendre parce qu'elle craint avec raison d'y être
persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité,
de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions
politiques. Si l'agent des services de l'immigration a le
sentiment, à la suite d'affirmations ou renseignements émanant
de la personne qui sollicite à son arrivée le droit de pénétrer
sur le territoire, que le présent texte pourrait s'appliquer, il
saisit le ministère de l'Intérieur, pour décision, indépendamment
de tout motif prévu dans l'une quelconque des présentes règles
et pouvant sembler justifier un refus. Le permis d'entrée ne
peut être refusé s'il apparaît que le refoulement irait à
l'encontre de la Convention et du Protocole relatifs au statut
des réfugiés."
83. Quand l'article 73 trouve à s'appliquer, un agent des
services de l'immigration interroge le passager au point
d'arrivée sur le territoire, au besoin avec l'aide d'un
interprète. Une partie de la formation générale de ces
fonctionnaires porte sur les questions d'asile. Le Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés y est associé
depuis peu. Selon ledit article 73, le dossier passe alors à la
section "Réfugiés" du service "Immigration et nationalité" du
ministère de l'Intérieur, spécialisé en la matière. Les agents
des services de l'immigration ne statuent jamais sur une demande
d'asile au point d'arrivée.
84. La section "Réfugiés" dispose d'effectifs importants,
répartis en sous-sections géographiques sous la direction de
quatre "Senior Executive Officers" (SEO), respectivement
responsables du Proche-Orient, de l'Extrême-Orient, de l'Afrique
et de l'Europe de l'Est ainsi que des Amériques. Elle comprend
aussi une unité de recherche qui rassemble et diffuse des
renseignements de base sur des pays particuliers. Un "Executive
Officer" de la section géographique compétente étudie d'abord la
demande, en apprécie le bien-fondé puis adresse une
recommandation à un "Higher Executive Officer". Celui-ci peut
accorder l'asile ou un permis d'entrée exceptionnel. Un refus
pur et simple doit émaner au moins d'un SEO. Un agent peut
déférer à un supérieur, ou, comme en l'espèce, à un secrétaire
d'Etat les cas complexes ou ceux qui lui inspirent des doutes
particuliers.
85. Ce mécanisme se combine avec un système, décrit ci-dessous,
de consultation de l'UKIAS (paragraphes 94-95). Si les
fonctionnaires estiment ne pouvoir accéder à une demande
nonobstant les démarches dudit service, ils saisissent un
secrétaire d'Etat, pour décision, et informent l'UKIAS des
questions à trancher de la sorte.
B. Les droits d'appel garantis aux demandeurs d'asile par la loi
de 1971 sur l'immigration
86. Si quelqu'un se voit débouter de sa demande d'asile avant
d'avoir obtenu l'autorisation d'entrer au Royaume-Uni, l'article
13 de la loi de 1971 lui reconnaît le droit d'en appeler aux
organes créés par la partie II de la loi ("les organes d'appel").
Cette faculté ne peut en général s'exercer que de l'étranger,
mais on peut aussi attaquer le refus d'asile par une action en
contrôle judiciaire (paragraphes 89-93 ci-dessous).
Un Adjudicator, juge unique nommé par le Lord Chancelier, connaît
en première instance des recours formés en vertu de l'article 13.
Ses décisions peuvent donner lieu à un appel, d'ordinaire après
autorisation, devant une commission de recours en matière
d'immigration. Elle se compose de trois personnes, désignées par
le Lord Chancelier et pouvant ne pas posséder de qualifications
juridiques; un juriste doit cependant présider les séances.
87. D'après l'article 17 de la loi de 1971, une personne n'ayant
pu obtenir un permis d'entrée au Royaume-Uni et dont on ordonne
le refoulement peut saisir un Adjudicator en plaidant qu'il
faudrait, à tout le moins, la renvoyer vers un autre pays ou
territoire. C'est à elle qu'il incombe d'en trouver un qui
consente à l'accueillir.
88. La procédure relative aux recours des demandeurs d'asile
contre les refus de permis d'entrée obéit à un règlement de 1984
(Immigration Appeals (Procedure) Rules; Statutory Instruments,
1984/2041).
Les appelants peuvent se faire représenter par l'UKIAS, que le
ministre finance pour lui donner les moyens de prêter conseil et
assistance aux titulaires d'un droit légal de recours (article 23
de la loi de 1971). Ils peuvent aussi mandater des solicitors.
Le règlement de 1984 prévoit la production, par le gouvernement,
d'un mémoire explicatif (article 8), la faculté pour l'organe
d'appel d'exiger des précisions (article 25), la convocation de
témoins (article 27), l'audition de chacune des parties (article 28),
l'administration de preuves orales, écrites ou autres
(article 29) et l'examen des preuves documentaires (article 30).
Aucune disposition du règlement n'autorise l'appelant à rentrer
au Royaume-Uni pour assister à l'audience d'appel, mais il peut
communiquer ses observations par écrit ou par l'intermédiaire de
son représentant. Il peut demander aux organes d'appel une
procédure accélérée. S'il obtient gain de cause, l'Adjudicator,
en vertu de l'article 19 de la loi de 1971, ou la commission, en
vertu de l'article 20, donnent les directives nécessaires pour
l'exécution de la décision. S'ils accueillent un recours formé
de l'étranger, ils peuvent enjoindre au fonctionnaire compétent
de délivrer à l'intéressé le titre requis pour lui permettre de
retourner au Royaume-Uni. Chacune des deux parties peut attaquer
la décision de l'Adjudicator devant la commission de recours en
matière d'immigration. Elle peut, en outre, solliciter un
contrôle judiciaire de la décision de ladite commission et
bénéficier, au besoin, de l'aide judiciaire à cette fin.
C. Le contrôle judiciaire des décisions en matière d'asile
89. Il appartient au ministre d'apprécier s'il y a lieu
d'accéder à une demande d'asile, sous réserve du droit légal de
recours sur le fond mentionné plus haut. Les tribunaux
(contrairement aux organes d'appel institués par la loi de 1971)
n'ont pas compétence pour se prononcer sur la qualité de réfugié.
La décision du ministre se prête toutefois à un contrôle
judiciaire pouvant conduire à l'annuler pour des motifs divers.
L'autorisation de solliciter pareil contrôle peut s'obtenir à
bref délai et l'intéressé se voir accorder une aide judiciaire
quelle que soit sa nationalité.
90. Les tribunaux recherchent si le ministre de l'Intérieur a
bien interprété la loi pour accorder ou refuser l'asile. Dans
la seconde hypothèse, même s'ils constatent l'absence d'erreur
de droit ils peuvent contrôler sa décision à la lumière des
"principes Wednesbury" (Associated Provincial Picture Houses Ltd
v. Wednesbury Corporation, Kings Bench 1948, vol. I, p. 223).
Cet examen consiste à déterminer si le ministre, en usant de son
pouvoir discrétionnaire, a laissé de côté un facteur qui aurait
dû entrer en ligne de compte, ou pris en considération un élément
qu'il aurait dû négliger, ou abouti à une conclusion si
déraisonnable que nulle autorité raisonnable n'aurait pu y
arriver. D'après le Gouvernement, un tribunal aurait compétence,
en vertu de ces principes, pour annuler une décision de renvoi
d'un fugitif vers un pays où il existerait un risque sérieux et
avéré de traitements inhumains ou dégradants, par le motif qu'au
vu de toutes les circonstances de la cause aucun ministre
raisonnable ne pouvait prendre une telle décision. Pour leur
part, les requérants contestent l'ampleur du contrôle judiciaire
du bien-fondé de la décision du ministre (paragraphe 118 ci-
dessous).
91. La Chambre des Lords illustra l'étendue et les effets du
contrôle judiciaire dans l'affaire Bugdaycay (R. v. Home
Secretary, ex parte Bugdaycay and Others, All England Law Reports
1987, vol I, p. 940). Elle estima que le ministre de l'Intérieur
avait méconnu un élément dont il aurait dû spécialement tenir
compte. Lord Bridge déclara (pp. 945 et 952):
"(...) toute question de fait dont dépend la décision
discrétionnaire d'accorder ou refuser un permis d'entrée ou de
séjour doit nécessairement être appréciée par l'agent des
services de l'immigration ou par le ministre (...) Même s'il
revêt une importance particulière, le point de savoir si le
demandeur a ou non la qualité de réfugié n'est qu'une des
multiples questions à trancher chaque jour par les agents des
services de l'immigration et les fonctionnaires du ministère de
l'Intérieur agissant au nom du ministre (...) Les décisions en
la matière ne peuvent être attaquées devant les tribunaux que sur
la base des célèbres principes Wednesbury (...) Il n'y a aucune
raison de déroger à la règle pour traiter la question soulevée
par une demande de statut de réfugié (...)
(...)
A l'intérieur de ces limites, le tribunal doit pouvoir, me
semble-t-il, pour s'assurer que nul vice n'entache une décision
administrative, la soumettre à un examen d'autant plus rigoureux
que son objet est grave. Or le droit le plus fondamental de
l'homme est le droit à la vie; si, d'après un requérant, la
décision administrative litigieuse peut mettre sa vie en danger,
les éléments qui la fondent appellent donc sans nul doute le
contrôle le plus scrupuleux."
Lord Templeman ajouta (p. 956):
"Quand une décision viciée risque de mettre en danger la vie ou
la liberté, une responsabilité particulière incombe, à mon avis,
au tribunal qui examine la manière dont elle a été prise."
En l'espèce, la Chambre, après avoir étudié les preuves avec
soin, annula les arrêtés de refoulement quant à l'un des
requérants, pour défaut de prise en compte de faits pertinents.
Par la voie du contrôle judiciaire, des tribunaux ont aussi
annulé des refus d'asile émanant du ministre dans R. v. Secretary
of State, ex parte Jeyakumaran (décision de la High Court du
28 juin 1985), R. v. Secretary of State, ex parte Yemoh (décision
de la High Court du 14 juillet 1988), et Gaima v. Secretary of
State (Immigration Appeals Reports 1989). Dans l'affaire
Jeyakumaran, la High Court examina la décision du ministre sous
l'angle des "principes Wednesbury". Le juge Taylor déclara: "Je
suis (...) troublé par certains des éléments qui semblent bien
avoir pesé dans la balance et par d'autres qui n'ont joué aucun
rôle. Il échet donc d'étudier d'assez près les preuves fournies
par le défendeur." Il conclut à la nécessité d'annuler le refus
opposé par le ministre, au motif que "pour se décider [celui-ci]
avait eu égard à des éléments qu'il aurait dû négliger et laissé
de côté des éléments pertinents". La High Court adopta une
démarche analogue dans la deuxième affaire (Yemoh). Quant à la
troisième (Gaima), elle concernait plutôt le caractère équitable
de la procédure ayant abouti au refus d'asile: la cour d'appel
jugea que l'on n'avait pas offert à la requérante une occasion
suffisante de donner sa version des faits pris en considération
par le ministre pour apprécier sa crédibilité. Le juge May, avec
qui ses deux collègues marquèrent leur accord, souligna qu'"en
matière d'asile, la Cour peut et doit soumettre les décisions
administratives à un examen rigoureux" et "s'assurer que le
processus décisionnel a été entièrement équitable d'un bout à
l'autre".
92. Le ministre de l'Intérieur a précisé que l'on ne saurait
s'attendre à voir les demandeurs d'asile bénéficier d'une
permission automatique de rester au Royaume-Uni jusqu'à la fin
de la procédure. En pratique, toutefois, aucun demandeur n'est
refoulé dès lors qu'il a obtenu l'autorisation de solliciter un
contrôle judiciaire. En outre, dans R. v. Secretary of State for
Education and Science, ex parte Avon County Council (Local
Government Reports 1991, n° 88, p. 737), la cour d'appel a estimé
qu'un tribunal statuant au titre du contrôle judiciaire a le
pouvoir d'ordonner un sursis même s'il doit en résulter une
restriction aux prérogatives de la Couronne.
93. En cas de refus de l'autorisation de solliciter un contrôle
judiciaire, l'intéressé peut saisir la cour d'appel d'une
nouvelle demande. Même si son action échoue à l'issue de débats
sur le fond, il peut former un recours sur un point de droit
devant la cour d'appel, puis devant la Chambre des Lords avec
l'accord de celle-ci ou de la cour d'appel.
D. Le système de consultation de l'UKIAS
94. Depuis 1983, le dossier d'un demandeur d'asile non autrement
représenté peut être transmis, pour avis ou pour d'autres
services d'assistance, au Conseil consultatif britannique pour
les immigrants (UKIAS), subventionné par le gouvernement. Le
ministère de l'Intérieur considère alors l'UKIAS comme l'agent
du HCR.
95. Depuis le 1er septembre 1988 (soit après le refoulement des
requérants), aucune catégorie de demandeurs d'asile ne se trouve
automatiquement exclue de ce système, bien que le ministre de
l'Intérieur garde en tout temps le droit de conserver un dossier
par-devers lui. Si une personne peut être envoyée dans un pays
tiers où elle ne craint pas de persécutions, on téléphone à
l'UKIAS pour savoir s'il souhaite s'entretenir avec elle; dans
l'affirmative, on lui accorde deux jours à cette fin et pour
formuler des observations. S'il envisage de rejeter la demande
d'asile d'une personne non représentée risquant d'être refoulée
vers un pays où elle affirme redouter des persécutions, le
ministère de l'Intérieur saisit l'UKIAS qui peut présenter des
observations dans le délai d'une semaine, pour les personnes
détenues, ou de quatre pour les personnes en liberté. Le
ministre a l'obligation d'étudier toutes les observations ainsi
recueillies et d'y répondre. Elles peuvent, avec la réponse
donnée, servir d'éléments au regard desquels les motifs et
conclusions des décisions prises peuvent être examinés dans le
cadre de la procédure de contrôle en cas de refus d'asile.
E. Les députés
96. Les députés interviennent fréquemment auprès du secrétaire
d'Etat en faveur de demandeurs d'asile éconduits ou d'autres
personnes menacées d'expulsion. Les premières directives en la
matière remontent à 1986. Avant mars 1987, un simple coup de
téléphone pouvait suspendre un renvoi jusqu'à l'issue des
démarches. Le 3 mars 1987, le ministre de l'Intérieur déclara
que les députés ne devaient plus compter sur l'octroi
systématique de sursis. Des directives révisées, entrées en
vigueur le 3 janvier 1989 quant à la suite à réserver à de telles
interventions, ménagent la possibilité d'un sursis valable pour
huit jours ouvrables et destiné à permettre des démarches dès
lors que l'on dispose de preuves nouvelles et convaincantes non
encore prises en compte.
F. Le droit et la pratique dans le cas de réfugiés auxquels la
Convention de 1951 ne s'applique pas
97. Le ministre jouit du pouvoir discrétionnaire d'autoriser ou
non à entrer au Royaume-Uni, et à y séjourner, une personne qui
ne possède pas le statut de réfugié au titre de la Convention de
1951. En conséquence, si une personne pénétrant au Royaume-Uni
ne peut prétendre audit statut mais allègue que, renvoyée dans
son pays, elle courrait un risque réel de traitements
incompatibles avec l'article 3 (art. 3) de la Convention
européenne, il peut lui accorder un permis exceptionnel d'entrée.
Le demandeur d'asile peut alors demeurer au Royaume-Uni pour une
période initiale de douze mois.
En 1988, 57,4 % des décisions rendues en matière d'asile ont
octroyé un tel permis, en général pour des motifs humanitaires,
et 17,2 % ont opposé un refus pur et simple; dans 25,4 % des cas,
il y a eu reconnaissance du statut de réfugié. La même année,
304 Sri-lankais ont obtenu un permis exceptionnel.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
98. MM. Vilvarajah, Skandarajah et Sivakumaran ont saisi la
Commission le 26 août 1987 (requêtes n° 13163/87, 13164/87 et
13165/87), MM. Navratnasingam et Rasalingam le 15 décembre 1987
(requêtes n° 13447/87 et 13448/87). Ils alléguaient qu'en leur
qualité de jeunes Tamouls de sexe masculin, ils avaient des
motifs plausibles de craindre de subir des persécutions, la
torture, une exécution arbitraire ou des traitements inhumains
ou dégradants contraires à l'article 3 (art. 3) de la Convention.
Ils affirmaient en outre ne disposer en droit britannique d'aucun
recours effectif pour le grief tiré de ce texte.
Le 18 décembre 1987, la Commission a décidé de ne pas recommander
au gouvernement britannique, en vertu de l'article 36 de son
règlement intérieur et ainsi que les requérants l'en avaient
priée, de suspendre leur renvoi à Sri Lanka en attendant l'issue
de la procédure.
99. Elle a retenu les requêtes le 7 juillet 1989.
Dans son rapport du 8 mai 1990 (article 31) (art. 31), elle
conclut à l'absence de violation de l'article 3 (art. 3) (sept
voix contre sept, avec la voix prépondérante du président) mais
à l'existence d'une infraction à l'article 13 (art. 13) (treize
voix contre une).
Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il
s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
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* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y
figurera que dans l'édition imprimée (volume 215 de la série A
des publications de la Cour), mais on peut s'en procurer une
copie auprès du greffe.
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CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
100. A l'audience publique du 23 avril 1991, le Gouvernement a
confirmé les conclusions figurant dans son mémoire. Elles
invitaient la Cour à dire
"1. que dans les circonstances propres à chaque espèce, il n'y
a pas eu violation de l'article 3 (art. 3);
2. qu'il n'y a pas eu infraction à l'article 13 (art. 13), eu
égard notamment à la manière dont le contrôle judiciaire
fonctionne actuellement en la matière".
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 3 (art. 3)
101. Les requérants voient dans leur refoulement vers Sri Lanka
en février 1988 un traitement inhumain et dégradant contraire à
l'article 3 (art. 3), ainsi libellé:
"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou
traitements inhumains ou dégradants."
A. Applicabilité de l'article 3 (art. 3) en matière d'expulsion
102. La Cour rappelle d'emblée que les Etats contractants ont,
en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans
préjudice des engagements découlant pour eux de traités y compris
l'article 3 (art. 3), le droit de contrôler l'entrée, le séjour
et l'éloignement des non-nationaux (arrêt Moustaquim du 18 février 1991,
série A n° 193, p. 19, par. 43, avec les références).
Elle note aussi que ni la Convention ni ses Protocoles
ne consacrent le droit à l'asile politique, ce que
confirment diverses recommandations de l'Assemblée du Conseil de
l'Europe (recommandation 293 (1961), Textes adoptés, 30e session
ordinaire, 21-28 septembre 1961, et recommandation 434 (1965),
Annuaire de la Convention, 1965, vol. 8, pp. 56-57) ainsi qu'une
résolution et une déclaration ultérieures du Comité des Ministres
(résolution 67 (14), Annuaire de la Convention, 1967, vol. 10,
pp. 104-105, et déclaration relative à l'asile territorial,
adoptée le 18 novembre 1977, Recueil de textes, édition de 1987,
p. 202).
103. Dans son arrêt Cruz Varas du 20 mars 1991, elle a jugé que
l'expulsion d'un demandeur d'asile par un Etat contractant peut
soulever un problème au regard de l'article 3 (art. 3), donc
engager la responsabilité de l'Etat en cause au titre de la
Convention, lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire
que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque
réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (série A n° 201, p. 28, paras. 69 et 70).
B. Application de l'article 3 (art. 3) en l'espèce
1. Thèse des comparants
104. Les requérants allèguent qu'à l'époque de leur renvoi, il
existait des motifs sérieux de craindre de voir leur retour à Sri
Lanka se traduire pour eux par des traitements contraires à
l'article 3 (art. 3). Ils contestent que l'intérêt général entre
en ligne de compte dans l'examen de la question. Ils invoquent
la détérioration des conditions de sécurité à Sri Lanka depuis
septembre 1987 et la forte préoccupation exprimée par diverses
organisations à propos de leur refoulement (paragraphe 77 ci-
dessus). En outre, ils couraient un plus grand risque de mauvais
traitements que la population sri-lankaise en général: ils en
avaient déjà subi par le passé et les jeunes Tamouls de sexe
masculin étaient particulièrement exposés à la menace d'une
arrestation par les forces de sécurité si elles les soupçonnaient
de sympathies militantes. Ces dangers se trouvaient encore
accrus dans le cas des quatrième et cinquième requérants:
renvoyés à Sri Lanka sans carte d'identité, ils devaient pendant
leur voyage passer sans papiers les points de contrôle installés
par l'armée.
A l'appui de leurs assertions, ils affirment qu'après leur retour
à Sri Lanka trois d'entre eux furent détenus par les forces de
sécurité qui les soumirent à la torture ou à d'autres mauvais
traitements (paragraphes 28-29, 43 et 56 ci-dessus). De plus,
l'Adjudicator estima par la suite qu'à l'époque de la décision
du ministre, ils avaient lieu de redouter des persécutions et
auraient dû bénéficier de l'asile (paragraphe 71 ci-dessus).
105. D'après le Gouvernement, il faut, pour déterminer si la
responsabilité d'un Etat se trouve réellement engagée dans un cas
donné, mettre en balance les exigences de l'intérêt général de
la communauté et les impératifs de la protection des droits
fondamentaux. Un constat de violation de l'article 3 (art. 3) en
l'espèce aboutirait à conférer à toutes les autres personnes
placées dans une situation analogue, c'est-à-dire exposées à des
risques non individualisés liés à des troubles dans leur Etat
d'origine, le droit à ne pas être refoulées; on autoriserait de
la sorte l'entrée d'une population potentiellement très
nombreuse, avec les graves conséquences économiques et sociales
qui en découleraient.
Aux yeux du Gouvernement, aucun des requérants ne paraissait
spécialement menacé. Les risques étaient, pour l'essentiel,
diffus et identiques à ceux que connaissaient d'autres jeunes
hommes pris comme eux dans une conjoncture de désordres civils.
Ils résultaient du contexte général à Sri Lanka et valaient pour
tous les non-combattants. En février 1988, la situation s'était
du reste améliorée dans le nord et l'est de l'île, comme en
témoignait le programme de rapatriement volontaire des réfugiés
tamouls élaboré par le HCR.
Le Gouvernement aurait examiné avec soin tous les renseignements
dont il disposait et toutes les interventions effectuées auprès
de lui en faveur des requérants. Les éléments résumés plus haut
l'auraient amené à juger que les intéressés n'avaient pas établi
l'existence d'un risque assez important de mauvais traitements,
ni d'un lien de causalité suffisamment net entre leur renvoi et
tout mauvais traitement pouvant avoir eu lieu. Dès lors, la
décision de les refouler ne saurait passer pour déraisonnable ou
arbitraire.
106. La majorité de la Commission arrive à une conclusion
analogue: selon elle, l'instabilité générale à Sri Lanka créait
dans certains secteurs des risques pour tous les non-combattants
et les requérants n'avaient pas couru de dangers personnels plus
grands à leur retour en février 1988.
2. Examen par la Cour des questions en litige
a) Comment apprécier l'existence d'un risque de mauvais
traitements
107. Dans son arrêt Cruz Varas précité, la Cour a jugé pertinents
en la matière les principes suivants (série A n° 201, pp. 29-31,
paras. 75-76 et 83):
1) afin de déterminer s'il y a des motifs sérieux et avérés de
croire à un risque réel de traitements incompatibles avec
l'article 3 (art. 3), elle s'appuie sur l'ensemble des éléments
qu'on lui fournit ou, au besoin, qu'elle se procure d'office;
2) dans une telle affaire, un Etat contractant assume une
responsabilité au titre de l'article 3 (art. 3) pour avoir exposé
quelqu'un au risque de mauvais traitements. En contrôlant
l'existence de ce risque, il faut donc se référer par priorité
aux circonstances dont l'Etat en cause avait ou devait avoir
connaissance au moment de l'expulsion, mais cela n'empêche pas
la Cour de tenir compte de renseignements ultérieurs; ils peuvent
servir à confirmer ou infirmer la manière dont la Partie
contractante concernée a jugé du bien-fondé des craintes d'un
requérant;
3) pour tomber sous le coup de l'article 3 (art. 3), un mauvais
traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation
de ce minimum est relative par essence; elle dépend de l'ensemble
des données de la cause.
108. En vue d'apprécier l'existence, à l'époque considérée, d'un
risque de traitements contraires à l'article 3 (art. 3), la Cour
se doit d'appliquer des critères rigoureux, eu égard au caractère
absolu de cette disposition et au fait qu'elle consacre l'une des
valeurs fondamentales des sociétés démocratiques formant le
Conseil de l'Europe (arrêt Soering du 7 juillet 1989, série A
n° 161, p. 34, par. 88). Il résulte des principes énumérés ci-
dessus que l'examen de la question doit se concentrer en l'espèce
sur les conséquences prévisibles du renvoi des requérants à Sri
Lanka, compte tenu de la situation générale dans l'île en février
1988 et des circonstances propres au cas de chacun d'eux.
b) Sur le point de savoir si leur refoulement exposait les
requérants à un risque réel de traitements inhumains
109. Du rapport de la Commission et des commentaires y relatifs
des requérants et du Gouvernement, il semble ressortir qu'en
février 1988 la situation dans le nord et l'est de l'île, le plus
touchés par les troubles, s'était améliorée. Conformément à
l'accord de juillet 1987, les IPKF y avaient relevé les forces
de sécurité, à prédominance cingalaise, et la bataille avait
cessé à Jaffna.
Si de larges portions du territoire demeuraient tranquilles, des
escarmouches continuaient d'avoir lieu dans le nord et l'est
entre des unités des IPKF et des militants tamouls hostiles à
l'accord. Ces secteurs vivaient sous la menace permanente de
nouvelles violences et les civils risquaient d'être pris dans les
combats (paragraphes 74-75 ci-dessus).
110. Néanmoins, le programme de rapatriement volontaire du HCR,
dont l'exécution avait commencé à la fin de décembre 1987, montre
nettement qu'en février 1988 la situation s'était détendue à un
point suffisant pour permettre à de nombreux Tamouls d'être
ramenés à Sri Lanka malgré la persistance de troubles. Il
s'avère aussi que beaucoup d'autres y retournèrent par leurs
propres moyens (paragraphe 76 ci-dessus).
111. Les preuves fournies à la Cour quant aux antécédents des
requérants et au contexte général à Sri Lanka n'établissent pas
que la situation personnelle des intéressés fût pire que celle
de la généralité des membres de la communauté tamoule ou des
autres jeunes Tamouls de sexe masculin qui regagnaient leur pays.
La conjoncture restant instable, ils se trouvaient devant un
certain risque de détention ou de mauvais traitements, qui
s'était apparemment déjà réalisé pour certains d'entre eux par
le passé (paragraphes 10, 22 et 33 ci-dessus). Toutefois, en de
telles circonstances une simple possibilité de mauvais
traitements n'entraîne pas en soi une infraction à l'article 3
(art. 3).
112. Les requérants affirment que le second, le troisième et le
quatrième d'entre eux en subirent effectivement après leur retour
(paragraphes 28-29, 43 et 56 ci-dessus). Quoi qu'il en soit,
leurs cas ne présentaient aucun élément distinctif qui aurait pu
ou dû permettre au ministre de prévoir qu'il en irait ainsi.
113. Le renvoi des quatrième et cinquième requérants sans carte
d'identité prête à critique, car il était de nature à compliquer
leurs déplacements en raison de l'existence de nombreux points
de contrôle installés par l'armée. On ne saurait toutefois
considérer que ce seul fait les ait exposés à un véritable risque
de traitements dépassant le seuil fixé par l'article 3 (art. 3).
114. La Cour attache aussi du poids aux connaissances et à
l'expérience accumulées par les autorités britanniques en
étudiant le dossier de nombreux demandeurs d'asile sri-lankais,
dont beaucoup obtinrent un permis de séjour, et à la circonstance
que le ministre de l'Intérieur avait examiné avec soin le cas
personnel de chacun des requérants à la lumière d'une
documentation importante sur la situation régnant à Sri Lanka et
sur le sort de la communauté tamoule dans l'île (arrêt Cruz Varas
précité, série A n° 201, p. 31, par. 81, et paragraphes 5, 17,
34, 46, 57, 77-79 et 97 ci-dessus).
115. Ces considérations l'amènent à conclure à l'absence de
motifs sérieux et avérés de croire que le renvoi des requérants
à Sri Lanka en février 1988 allait les exposer à un risque réel
de subir des traitements inhumains ou dégradants, au sens de
l'article 3 (art. 3).
116. Partant, il n'y a pas eu violation de ce texte.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 13 (art. 13)
117. Les requérants se plaignent en outre de n'avoir bénéficié
au Royaume-Uni, pour leur grief tiré de l'article 3 (art. 3),
d'aucun recours effectif au sens de l'article 13 (art. 13),
d'après lequel
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la
(...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours
effectif devant une instance nationale, alors même que la
violation aurait été commise par des personnes agissant dans
l'exercice de leurs fonctions officielles".
118. Les tribunaux saisis d'une action en contrôle judiciaire ne
s'occuperaient pas du bien-fondé du refus d'asile opposé par le
ministre, mais seulement de la manière dont ce dernier a pris sa
décision. En particulier, ils ne rechercheraient pas s'il a
correctement apprécié les risques que courraient les intéressés.
En outre, ils auraient toujours affirmé ne pas vouloir substituer
leur avis sur le bien-fondé de la demande à celui du ministre
quand ils contrôlent l'exercice de son pouvoir discrétionnaire
en la matière.
Selon les requérants, le contrôle judiciaire peut constituer un
recours effectif lorsque, comme dans l'affaire Soering (arrêt
précité du 7 juillet 1989, série A n° 161), les faits ne prêtent
pas à contestation et qu'il s'agit de savoir si la décision était
telle que nul ministre raisonnable ne pouvait y parvenir. Il
n'en irait pourtant pas ainsi en l'espèce, car leur litige avec
le ministre portait précisément sur les risques auxquels ils se
trouveraient exposés si on les renvoyait à Sri Lanka.
119. La Commission partage leur opinion; à ses yeux, en matière
d'asile les tribunaux doivent vérifier de près le caractère
raisonnable de la crainte de persécutions exprimée par les
demandeurs.
120. D'après le Gouvernement, la procédure de contrôle judiciaire
fournit un recours effectif pour les griefs tirés de l'article 3
(art. 3). La Cour l'aurait constaté dans l'affaire Soering
(loc. cit., pp. 46-48, paras. 116-124) et il n'existerait à cet
égard aucune différence essentielle entre celle-ci et la présente
cause. Dans la première, les problèmes de preuve n'étaient pas
moins complexes que dans la seconde et les parties ne
s'accordaient pas non plus sur le risque, pour le requérant, de
subir des traitements inhumains et dégradants. Elles soulevaient
toutes deux la même question: y avait-il un risque réel et
sérieux que les intéressés fussent exposés à des traitements
inhumains et dégradants ? Rien n'empêchait les requérants, sur
la base de leurs objections actuelles contre les décisions du
ministre, d'attaquer ces dernières en les taxant de
déraisonnables au sens des "principes Wednesbury", mais ils ne
l'ont pas fait. Or le contrôle judiciaire fondé sur ce critère
impliquerait un examen du bien-fondé de pareille décision, ainsi
qu'il ressortirait des arrêts Bugdaycay, Jeyakumaran et Yemoh
(paragraphe 91 ci-dessus); en l'occurrence, il représentait un
moyen suffisant d'en obtenir un.
121. Le caractère défendable du grief des requérants au titre de
l'article 3 (art. 3) n'a pas prêté à discussion devant la Cour
(voir notamment l'arrêt Boyle et Rice du 27 avril 1988, série A
n° 131, p. 23, par. 52).
122. L'article 13 (art. 13) garantit l'existence en droit interne
d'un recours permettant de s'y prévaloir des droits et libertés
de la Convention tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés
(ibidem). Il a donc pour conséquence d'exiger un recours interne
habilitant l'"instance" nationale compétente à connaître du
contenu du grief fondé sur la Convention et, de plus, à offrir
le redressement approprié (voir notamment l'arrêt Soering
précité, série A n° 161, p. 47, par. 120). Il ne va pas
cependant jusqu'à exiger une forme particulière de recours, les
Etats contractants jouissant d'une marge d'appréciation pour
honorer les obligations qu'il leur impose. En outre,
l'"effectivité" qu'il exige du recours ne dépend pas de la
certitude d'un résultat favorable (arrêt Syndicat suédois des
conducteurs de locomotives du 6 février 1976, série A n° 20,
p. 18, par. 50).
123. Dans son arrêt Soering du 7 juillet 1989 (loc. cit., pp. 47-48,
paras. 121 et 124), la Cour a vu dans le contrôle judiciaire
un recours effectif pour le grief de l'intéressé. Elle s'est
dite convaincue que les juridictions anglaises pouvaient
apprécier le "caractère raisonnable" d'une décision d'extradition
à la lumière d'éléments du genre de ceux que le requérant
invoquait à Strasbourg dans le contexte de l'article 3 (art. 3).
Elle a notamment relevé qu'au titre du contrôle judiciaire, le
tribunal pouvait juger illicite l'exercice du pouvoir
discrétionnaire de l'exécutif parce qu'entaché d'illégalité,
d'irrationalité ou d'irrégularité procédurale, et que le critère
de l'"irrationalité", selon les "principes Wednesbury", serait
qu'un ministre raisonnable n'eût jamais pris un arrêté
d'extradition dans les circonstances de l'espèce. En outre,
selon le gouvernement britannique un tribunal aurait compétence
pour annuler la décision de livrer un fugitif à un Etat où il
courrait un risque sérieux et avéré de traitements inhumains ou
dégradants, au motif que nul ministre raisonnable ne l'eût
adoptée dans les circonstances de la cause.
124. La Cour n'aperçoit entre la présente espèce et l'affaire
Soering aucune différence essentielle qui doive l'amener à une
autre conclusion à cet égard.
125. Nul ne conteste que les juridictions anglaises ont, en
matière d'asile, compétence pour contrôler un refus du ministre
sur la base des mêmes principes que ceux déjà étudiés dans
l'affaire Soering et pour annuler une décision dans des
circonstances analogues, ni qu'elles en ont usé en plusieurs
occasions (paragraphes 89-91 ci-dessus). Elles ont en effet
souligné leur responsabilité particulière en ce domaine:
soumettre les décisions administratives à l'examen le plus
minutieux quand la vie ou la liberté d'un requérant risque de se
trouver en danger (paragraphe 91 ci-dessus). De surcroît, en
pratique aucun demandeur d'asile n'est refoulé du Royaume-Uni
avant la fin de la procédure une fois qu'il a obtenu
l'autorisation de solliciter un contrôle judiciaire
(paragraphe 92 ci-dessus).
126. A la vérité, les pouvoirs correspondant à la procédure de
contrôle judiciaire ne sont pas sans limites (paragraphes 89-92
ci-dessus). La Cour estime pourtant qu'exercés par les plus
hautes juridictions du pays, ils offrent un degré effectif de
contrôle sur les décisions administratives relatives aux demandes
d'asile et suffisent à remplir les exigences de l'article 13 (art. 13).
127. Les requérants disposaient donc d'un recours effectif pour
leur grief fondé sur l'article 3 (art. 3). Partant, il n'y a pas
eu méconnaissance de l'article 13 (art. 13).
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par huit voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation
de l'article 3 (art. 3);
2. Dit, par sept voix contre deux, qu'il n'y a pas eu
infraction à l'article 13 (art. 13).
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience
publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le
30 octobre 1991.
Signé: John CREMONA
Président
Signé: Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2
(art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l'exposé
des opinions séparées suivantes:
- opinion partiellement dissidente de M. Walsh, approuvée par M. Russo;
- opinion dissidente de M. Russo.
Paraphé: J. C.
Paraphé: M.-A. E.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE WALSH,A LAQUELLE
SE RALLIE M. LE JUGE RUSSO
(Traduction)
1. J'estime fondé le grief des requérants selon lequel il y
a eu violation de l'article 13 (art. 13) de la Convention. La
comparaison de la présente cause avec l'affaire Soering ne tient
pas. Dans cette dernière, il n'y avait aucune contestation
relative aux faits, tandis qu'en l'espèce ils sont controversés.
Le contrôle judiciaire n'existe pas pour la solution de tels
litiges. La question de l'objet et de la portée de cette
procédure devant les tribunaux anglais relève exclusivement du
droit anglais. Il me paraît que les principes régissant
l'exercice de cette voie de recours sont clairement exposés dans
les décisions suivantes de juridictions anglaises:
The Chief Constable of North Wales Police v. Evans, W.L.R. 1982,
vol. 1, p. 1155, per Lord Brightman, pp. 1173-1174:
"Le contrôle judiciaire porte non sur la décision mais sur la
procédure qui y a abouti. Si le tribunal méconnaît cette
limitation de son pouvoir, il se rend selon moi coupable, sous
couvert d'éviter un abus de pouvoir, d'une usurpation de pouvoir
(...). Ainsi que le terme l'indique, le contrôle judiciaire
n'est pas un appel d'une décision mais un contrôle de la manière
dont cette décision a été prise."
Dans la même affaire, le Lord Chancelier, Lord Hailsham, déclara
(p. 1160):
"Mais il importe de se souvenir dans chaque espèce que le but de
cette voie de recours [le contrôle judiciaire] est de s'assurer
que l'individu reçoit un traitement équitable de la part de
l'autorité à laquelle il a été assujetti, et qu'il n'entre
nullement dans ce but de substituer l'avis du pouvoir judiciaire
ou de juges individuels à celui de l'autorité constituée par la
loi pour statuer sur la problématique en question."
L'une des hypothèses dans lesquelles le processus décisionnel
peut être soumis à un contrôle judiciaire est l'exercice d'un
pouvoir d'une manière tellement déraisonnable qu'il devient
susceptible de contrôle en vertu des "principes Wednesbury",
consacrés par le droit anglais et auxquels la Chambre des Lords
et la cour d'appel ont fréquemment fait référence et donné leur
approbation. L'affaire dont ils dérivent leur appellation est
l'affaire Associated Provincial Picture Houses Ltd v. Wednesbury
Corporation (KB 1948, vol. 1, p. 223, per Lord Greene M.R.,
pp. 230, 233):
"On a raison de dire que, si une décision prise par une autorité
compétente est déraisonnable au point qu'aucune autorité
raisonnable ne l'aurait jamais prise, alors les tribunaux peuvent
intervenir."
Dans l'affaire Council of Civil Service Unions v. Minister for
the Civil Service (A.E.R. 1984, vol. 3, p. 935), Lord Diplock
déclara que le critère Wednesbury
"s'applique à une décision si extravagante dans le défi à la
logique ou aux normes morales admises qu'elle représente,
qu'aucune personne sensée qui se serait penchée sur la question
ne l'aurait tranchée de cette manière." (p. 921)
Bref, la décision doit être indéfendable car manifestement et
sans ambiguïté contraire à la raison et au bon sens les plus
élémentaires. On a dit dans l'affaire Wednesbury que, pour
apporter la preuve d'un tel état de choses, il fallait "quelque
chose d'irrésistible".
En l'espèce, l'argument du gouvernement britannique selon lequel
le contrôle judiciaire "vérifie" la décision des autorités en
matière d'immigration doit être analysé à la lumière du fait
qu'en droit anglais, le contrôle judiciaire ne porte que sur la
procédure et non sur le bien-fondé de la décision incriminée.
L'examen du bien-fondé des demandes des requérants a finalement
débouché en l'espèce sur une décision de l'Attorney General en
leur faveur. Il n'était pas possible de procéder au stade du
contrôle judiciaire à un examen au fond aux fins de statuer sur
le fond. Pareil examen n'aurait pu intervenir qu'aux fins
d'instruire tout argument selon lequel la décision en matière
d'immigration cadrait avec les critères de déraison ou
d'extravagance mentionnés dans les affaires anglaises citées plus
haut. Cela "exigerait quelque chose d'irrésistible". Or nul n'a
plaidé en l'espèce l'existence de semblable preuve irrésistible
du caractère déraisonnable ou extravagant de la décision
attaquée.
2. L'autorité nationale visée à l'article 13 (art. 13) de
la Convention est une autorité capable d'offrir un recours
effectif pour une violation des droits et libertés consacrés par
la Convention. Or le contrôle judiciaire ne peut offrir de
réparation pour le seul motif que les faits d'une affaire donnée
révèlent une infraction à la Convention. Dans certaines espèces
où semblable violation a réellement eu lieu, le contrôle
judiciaire peut certes déboucher sur l'annulation de la décision
incriminée au motif que la preuve d'un vice de procédure
important au regard du droit anglais a été apportée, mais ce
dernier motif est le seul que l'on puisse concevoir. Dans un tel
cas, l'existence d'une violation de la Convention constituerait
simplement une coïncidence. Les tribunaux anglais ne contrôlent
pas une décision au simple motif que l'autorité qui l'a rendue
a omis de rechercher s'il y avait ou non violation de la
Convention (paragraphe 35 de l'arrêt Soering du 7 juillet 1989,
série A n° 161, pp. 18-19). L'avis de la Cour sur
l'"effectivité" du contrôle judiciaire, exprimé au paragraphe 121
dudit arrêt, ne peut se comprendre qu'à la lumière des
circonstances de l'affaire concernée, car il n'y avait de
contestation sur aucune question de fait essentielle, et si un
contrôle judiciaire était intervenu il n'aurait porté sur aucune
question de fait litigieuse ni aucun argument de fond. En
théorie, les tribunaux anglais auraient pu, mais ils ne furent
jamais appelés à se prononcer sur la question, considérer, en se
fondant sur le droit anglais, "le syndrome du couloir de la mort"
comme une épreuve tellement barbare que n'importe quel ministre
qui eût permis une telle extradition aurait rendu une décision
(pour reprendre les termes de Lord Diplock) "si extravagante dans
le défi (...) aux normes morales admises qu'elle représente" que,
d'un point de vue juridique, elle aurait dû être annulée au motif
qu'aucune autorité raisonnable n'aurait pu y aboutir. Si une
chose semblable s'était produite devant les tribunaux anglais,
l'affaire en serait restée là, il n'y aurait pas eu violation de
l'article 3 (art. 3), et la question ne serait pas venue devant
les organes de la Convention. Si une demande de contrôle
judiciaire avait échoué, la question aurait finalement été
tranchée par la Cour comme ce fut le cas, et le contrôle
judiciaire aurait été réputé ne pas satisfaire aux critères de
l'article 13 (art. 13).
3. Il me paraît qu'un système national fournissant
prétendument un recours effectif pour une violation de la
Convention et excluant le pouvoir de rendre une décision sur le
fond ne saurait répondre aux exigences de l'article 13 (art. 13).
4. Je souscris au constat de la Cour selon lequel il n'y a pas
eu violation de l'article 3 (art. 3).
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE CARLO RUSSO
Je partage l'opinion de la minorité de la Commission et je suis
d'avis qu'il y a une violation de l'article 3 (art. 3) de la
Convention dans les présentes affaires pour les motifs suivants:
L'article 3 (art. 3) fait partie du "noyau dur" de la Convention
et ne supporte pas de dérogation, même dans les hypothèses
couvertes par l'article 15 (art. 15); il faut donc veiller avec
soin à ne pas restreindre l'importance d'un droit aussi
fondamental pour la protection des droits de l'homme.
Je n'ignore pas que la question des réfugiés concerne presque
tous les pays d'Europe et même du monde: mon pays - l'Italie -
a connu très récemment une situation difficile avec plus
de 20 000 Albanais qui ont demandé l'asile politique. Il s'agit
d'établir un équilibre entre l'intérêt général du pays d'accueil
et l'intérêt individuel des demandeurs d'asile.
On ne peut pas dire que les autorités nationales doivent accepter
un groupe pour la seule raison qu'il appartient à une minorité:
on créerait des problèmes d'une dimension dépassant les
possibilités réelles des Etats. En l'occurrence, on ne peut donc
pas affirmer que tous les Tamouls ont le droit d'être accueillis,
même s'ils font partie d'une minorité vraiment persécutée. En
l'espèce toutefois, ainsi que la minorité de la Commission l'a
bien souligné dans son opinion séparée, "même si l'on se base sur
l'analyse que le Gouvernement fait de la situation à Sri Lanka
en février 1988, les requérants risquaient réellement de subir
des mauvais traitements graves à leur retour dans ce pays".
Cette conclusion est confirmée par les opinions d'associations
ou organisations particulièrement qualifiées, comme le Conseil
britannique pour les réfugiés, le Haut Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés ou Amnesty International. L'Adjudicator
a reconnu valable la thèse des requérants et le Gouvernement en
a correctement tiré les conséquences en payant aux intéressés
leur voyage de retour. Les requérants couraient par conséquent
un risque réel de subir des persécutions et de voir menacée leur
intégrité physique.
Il y a donc pour moi, sans aucun doute, violation de l'article 3
(art. 3) de la Convention.
J'ai voté aussi pour la violation de l'article 13 (art. 13) pour
les raisons indiquées par le juge Walsh dans son opinion
dissidente.