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Le Gouvernement Maintient en Vigueur des Procédures Contraires aux Normes Internationales d'Equité

Publisher Amnesty International
Publication Date 1 December 1996
Citation / Document Symbol AMR/46/25/96
Cite as Amnesty International, Le Gouvernement Maintient en Vigueur des Procédures Contraires aux Normes Internationales d'Equité , 1 December 1996, AMR/46/25/96, available at: https://www.refworld.org/docid/3ae6a9911c.html [accessed 7 June 2023]
Comments La version originale en langue anglaise de ce document a été éditée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre : PERU : Government persists in retaing unfair trial procudures. Index AI : AMR 46/25/96. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat International par les ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - Service RAN - janvier 1997.
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En 1992, le président Alberto Fujimori et son Conseil des ministres, qui ont gouverné le pays par décrets entre avril et décembre de cette même année, ont adopté une nouvelle série de lois antiterroristes. Cette nouvelle législation devait contribuer à contrer l'offensive du groupe clandestin d'opposition armée nommé Partido Comunista del Perú (Sendero Luminoso), (PCP-SL, Parti communiste du Pérou "Sentier lumineux"). En 1992, les actions armées du PCP-SL avaient pris une telle ampleur qu'elles compromettaient la survie de l'État.

Amnesty International juge particulièrement préoccupant que le Pérou maintienne en vigueur des dispositions législatives qui ne respectent pas les normes internationales relatives à l'équité des procès. Les organes des Nations unies chargés de veiller au respect des droits de l'homme ont déjà exprimé les mêmes préoccupations et adressé au gouvernement péruvien des recommandations les invitant à mettre cette législation en conformité avec les normes internationales d'équité. La plupart de ces recommandations n'ont pas été prises en considération. Ainsi, en octobre 1996, deux mois après que le Comité des droits de l'homme des Nations unies eut recommandé au gouvernement péruvien d'abolir sans délai l'institution des "juges sans visage", le Congrès péruvien a voté sa prorogation pour une année, c'est-à-dire jusqu'en octobre 1997.

L'Organisation est également préoccupée par le fait que les lois antiterroristes comportent des dispositions qui facilitent la mise en détention de personnes dont rien n'indique qu'elles ont des liens avec l'opposition armée, et qui sont en fait arrêtées pour des motifs politiques. Amnesty International les considère donc comme des prisonniers d'opinion. L'Organisation a rassemblé des informations sur les cas d'au moins 700 prisonniers accusés à tort de délits liés à des actes de terrorisme et considérés par Amnesty International comme des prisonniers d'opinion avérés ou probables. Les organisations péruviennes de défense des droits de l'homme évaluent, elles, à près de 1 400 le nombre de ces prisonniers, communément appelés au Pérou "prisonniers innocents".

Depuis 1993, le président Fujimori et d'autres représentants du gouvernement ont reconnu en diverses occasions que des prisonniers avaient été accusés à tort de "crimes de terrorisme" en vertu des lois antiterroristes. En août 1996, le Congrès a adopté une loi instituant une commission ad hoc chargée de proposer au président de la République des mesures de clémence en faveur des personnes qui étaient en attente d'être jugées sous des inculpations non fondées, et des mesures de grâce et de remise en liberté pour celles qui avaient été condamnées. Le 15 novembre 1996, 74 prisonniers ont été libérés.

Amnesty International se félicite de ces libérations mais regrette que ces personnes n'aient pas bénéficié d'une révision judiciaire aboutissant à l'annulation de leur inculpation ou de leur jugement de condamnation, suivant le cas. L'absence d'annulation a pour elles des conséquences durables en matière d'état civil. Par ailleurs, il est préoccupant de constater qu'aucune disposition n'a été prise pour réparer le préjudice subi par celles qui ont été arbitrairement détenues.

Introduction

En mai 1980, le groupe clandestin d'opposition, le Partido Comunista del Perú (Sendero Luminoso), (PCP-SL, Parti communiste du Pérou "Sentier lumineux"), a lancé une campagne d'attaques armées contre les autorités péruviennes et contre certaines catégories de la population civile rurale qui refusaient de collaborer avec lui. Ces attaques s'accompagnaient de violations systématiques des droits de l'homme, notamment de tortures et d'exécutions sommaires. En 1990, au moment où le président Alberto Fujimori est arrivé au pouvoir, l'influence du PCP s'était étendue de l'intérieur du pays à Lima, capitale du pays, et aux bidonvilles qui entourent la ville. Deux ans plus tard, les actions armées de ce groupe avait pris une telle ampleur qu'elle compromettaient la survie même de l'État[1]

Face à cette situation, le président Fujimori et son Conseil des ministres, qui ont gouverné le pays par décrets entre avril et décembre 1992, ont adopté un nouvel arsenal de lois antiterroristes. Selon les autorités, ces lois étaient destinées à permettre la mise en oeuvre d'une nouvelle stratégie anti-insurrectionnelle incluant un renforcement du rôle des services de renseignement et des patrouilles de défense civile appuyées par l'armée. Ces mesures visaient tout spécialement à contrer l'offensive du PCP-SL, en diminuant dans de fortes proportions le nombre d'acquittements judiciaires et en allongeant la durée des emprisonnements d'une manière significative[2]

La nouvelle stratégie anti-insurrectionnelle du président Fujimori a entraîné une modification du type des violations des droits de l'homme commises au Pérou jusqu'en 1992. De 1983 à 1992, des milliers de cas de disparitions forcées et d'exécutions sommaires attribuées aux forces de sécurité ont fait l'objet de plaintes auprès du ministère public péruvien, des Nations unies et de l'Organisation des États américains (OEA). Ces violations des droits de l'homme ont effectivement pris fin en 1992, mais elles ont été remplacées par d'autres. Dès lors, des milliers de personnes tombant sous le coup de la nouvelle législation antiterroriste ont été privées du droit fondamental à un procès équitable et des centaines d'individus ont été injustement accusés à tort de délits liés à des actes de terrorisme.

Amnesty International ne possède pas de données précises en ce qui concerne le nombre de personnes qui, par l'effet de l'application de cette législation, ont été jugées ou se trouvent en instance de jugement.[3] En août 1995, le ministre des Affaires étrangères, Francisco Tudela, a informé les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, sur la torture, et sur l'indépendance des juges et des avocats, ainsi que le président du Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires, qu'au moins 5 000 personnes avaient été condamnées en vertu de cette législation, pour des délits liés à des actes de terrorisme.

Ces prisonniers ont été jugés à la suite de procédures qui continuent de comporter de graves manquements aux normes internationales d'équité. Ainsi, les lois antiterroristes disposent actuellement que les civils accusés du crime de trahison en relation avec une entreprise terroriste doivent être déférés à la justice militaire. En outre, quelle que soit la nature de la juridiction saisie, les procès se déroulent à huis clos devant des "juges sans visage"[4], et les membres de la police ou de l'armée impliqués dans la détention et l'interrogatoire des accusés ne peuvent apparaître en qualité de témoins devant les tribunaux civils ou militaires.[5]

Amnesty International estime que les lois antiterroristes contiennent des dispositions qui continuent de faciliter la mise en détention de personnes dont rien n'indique qu'elles aient des liens avec l'opposition armée et qui sont en fait arrêtées pour des motifs politiques. Amnesty International les considère donc comme des prisonniers d'opinion. L'Organisation a rassemblé des informations sur les cas d'au moins 700 prisonniers accusés à tort de délits liés à des actes de terrorisme et considérés par Amnesty International comme des prisonniers d'opinion avérés ou probables. Selon les organisations péruviennes de défense des droits de l'homme, leur nombre avoisine les 1 400.[6]

Critiques concernant la législation antiterroriste du Pérou

La Coordinadora Nacional de Derechos Humanos (CNDDHH, Coordination nationale des droits de l'homme), association qui chapeaute 47 organisations indépendantes de défense des droits de l'homme au Pérou, a fait campagne pour attirer l'attention sur la situation des personnes qui ont été injustement emprisonnées pour des délits liés au terrorisme. Ces organisations se sont occupées d'au moins 1 390 cas de prisonniers appartenant à cette catégorie et ont travaillé activement à obtenir leur libération.[7]

La CNDDHH a, par ailleurs, demandé aux autorités de mettre la législation antiterroriste en conformité avec les normes internationales relatives à l'équité des procès. Elle a également joué un rôle essentiel dans la sensibilisation de la communauté internationale au sort des centaines de prisonniers injustement accusés d'actes de terrorisme[8] En 1993, le président Fujimori a alors admis publiquement pour la première fois qu'il y avait dans les prisons péruviennes des personnes injustement accusées de délits liés à des actes de terrorisme.

En septembre 1993, une commission créée conjointement par le gouvernement du Pérou et celui des États-Unis et connue sous le nom de Commission of International Jurists (Commission de juristes internationaux) s'est rendue au Pérou pour y étudier la manière dont la justice traitait les affaires de terrorisme. Le rapport de la commission, communément appelé le "Rapport Goldman"[9] a conclu que « l'actuelle administration de la justice en matière de terrorisme, et particulièrement dans les affaires de trahison, souffre de graves imperfections et méconnaît sur plusieurs points essentiels les obligations du Pérou eu égard au droit international[10]

En mai 1994, une délégation du barreau de New York s'est également rendue au Pérou pour y étudier le fonctionnement de la justice pénale et de la législation antiterroriste, en particulier. Dans le communiqué de presse diffusé à la fin de sa visite, la délégation a déclaré : « Tout d'abord, nous reconnaissons que tout pays a le droit de se défendre contre les attaques terroristes et de veiller à ce que les auteurs de ces crimes odieux soient traduits devant la justice. Cependant, il apparaît que certaines des mesures adoptées par le gouvernement dans sa lutte contre le terrorisme ont conduit [...] à des violations des droits de l'homme[11]

Les institutions des Nations unies chargées de veiller au respect des droits de l'homme ont, de leur côté, exprimé leurs préoccupations au sujet de cette législation et adressé au gouvernement péruvien des recommandations l'engageant à mettre sa législation en conformité avec les normes internationales d'équité.

C'est ainsi que le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, a déclaré, dans le compte-rendu de sa visite au Pérou au milieu de 1993, qu'il était « profondément préoccupé par les conséquences des graves restrictions apportées par la législation antiterroriste aux garanties de protection contre l'arbitraire, restrictions qui contreviennent à de nombreuses garanties incluses dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ». Par ailleurs, le rapporteur spécial a instamment prié les autorités péruviennes de « réformer la législation relative aux enquêtes préliminaires et aux procédures judiciaires, de manière à les mettre en conformité avec les normes internationales d'équité[12]

En novembre 1994, le Comité des Nations unies contre la torture a examiné le premier rapport du Pérou portant sur l'application dans ce pays de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité a conclu que la législation antiterroriste ne respectait pas les normes internationales d'équité et s'est déclaré inquiet d'apprendre que les juridictions militaires avaient compétence pour juger des civils.[13]

En juillet 1996, le Comité des droits de l'Homme des Nations unies, chargé de surveiller l'application par les États parties du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), a commencé l'examen du troisième rapport périodique du gouvernement péruvien. Le 25 juillet, le Comité, qui avait remis au mois d'octobre suivant la poursuite de son examen, a publié ses observations préliminaires. Il recommandait notamment au gouvernement de ce pays de « prendre immédiatement les mesures nécessaires en vue de faire libérer les prisonniers innocents et d'abolir l'institution des "juges sans visage" ». Il recommandait également « le rétablissement immédiat de la publicité des débats pour tous les procès, y compris pour ceux des personnes accusées d'activités liées au terrorisme [... et] le respect, dans la conduite de tous les procès, des garanties des droits de la défense énoncées à l'article 14 du PIDCP[14]

La recommandation du Comité relative au rétablissement des règles internationales d'équité est restée lettre morte. Au cours de la période comprise entre la publication de ses observations préliminaires et la reprise de l'étude du dit rapport, les autorités péruviennes, loin de supprimer la pratique des "juges sans visage", ont adopté des dispositions qui la renforcent[15] [16].

En septembre 1996, le rapporteur spécial des Nations unies sur l'indépendance des juges et des avocats s'est rendu dans le pays. À la fin de sa mission, il a déclaré publiquement : « Il ne fait aucun doute que les "tribunaux sans visages" ont jugé beaucoup d'affaires sans respecter les règles d'équité.» Il a poursuivi en recommandant que ces tribunaux soient « supprimés sans délai », que « toutes les affaires en cours soient transférées pour être jugées, aux juridictions ordinaires » et que « les civils ne soient plus déférés devant les tribunaux militaires

Position d'Amnesty International vis-à-vis de la législation antiterroriste du Pérou

Amnesty International a exprimé a plusieurs reprises ses préoccupations au sujet de la législation antiterroriste actuellement en vigueur au Pérou et a instamment demandé aux autorités de ce pays de se conformer aux normes internationales d'équité. l'Organisation a fait connaître ses observations aux autorités par le biais de plusieurs documents[17], de communiqués de presse et lors de rencontres avec des représentants du gouvernement.

La dernière de ces rencontres a eu lieu en mai 1996, lorsqu'une délégation d'Amnesty International, dont l'un des membres était un magistrat de la Cour suprême d'Espagne, s'est rendue au Pérou. La délégation y a rencontré le ministre de la Justice, Carlos Hermoza Moya, le ministre des Affaires étrangères, Francisco Tuleda, le président du Conseil suprême de la justice militaire, le général Guido Guevara Guerra, un magistrat de la Cour suprême, Luis Felipe Almenara, le tout premier médiateur du Pérou, Jorge Santistevan y de Noriega, et les commissions juridique et des droits de l'homme du Congrès.

A l'exception du général Guido Guevara, toutes ces personnalités ont réitéré les déclarations faites précédemment par le président Fujimori au sujet des hommes et des femmes qui avaient été injustement emprisonnés pour des délits liés au terrorisme. Selon le général Guevara, les tribunaux militaires n'avaient, pour leur part, commis aucune erreur judiciaire dans les affaires relatives aux 1 200 civils accusés du crime de trahison lié à des actes de terrorisme.

Les ministres de la Justice et des Affaires étrangères ont exposé à la délégation que les dispositions antiterroristes, y compris celles concernant les "juges sans visage" et les juridictions militaires, se justifiaient par la gravité des menaces que l'opposition armée faisait peser sur l'État. Ils ont ajouté que cette législation serait révisée une fois le pays «pacifié».

Amnesty International a rappelé aux autorités péruviennes que les actions menées par l'opposition armée ne pouvait en aucune manière justifier la violation des droits fondamentaux et les a engagés de faire en sorte que les règles d'équité en matière de procédure pénale soient rétablies et que les prisonniers d'opinion soient libérés immédiatement et sans conditions.

Le gouvernement péruvien et la législation antiterroriste

Les appels lancés au gouvernement pour qu'il se conforme aux normes d'équité internationales ont provoqué des réponses contradictoires.

D'une part, les autorités ont périodiquement, mais partiellement, amendé la législation antiterroriste. Ainsi, en novembre 1993, l'habeas corpus a été réintroduit et la possibilité de juger, déclarer coupable et de condamner un prisonnier in absentia (par défaut) a été supprimée. En novembre 1994, la loi du repentir, qui prévoyait des mesures de clémence en faveur des membres de l'opposition armée qui livraient des informations permettant de capturer des membres supposés de cette opposition, a également été abolie.[18] En avril 1995, des dispositions nouvelles ont autorisé les suspects à contacter rapidement un avocat. En mars 1996, la dernière modification en date a substitué une sommation à comparaître à un mandat d'arrêt lorsqu'une affaire doit être rejugée, après annulation par la Cour suprême d'une décision d'acquittement de la Haute Cour.[19]

D'autre part cependant, les autorités continuent de maintenir en vigueur des dispositions qui privent tous les prisonniers de leur droit fondamental à un procès équitable. Elles n'ont ainsi tenu aucun compte des recommandations du Comité des droits de l'homme des Nations unies relatives à la suppression dans les plus brefs délais de la pratique des "tribunaux sans visages". Alors que les réformes adoptées en avril 1995 prévoyaient cette suppression pour le mois d'octobre de cette même année, le Congrès a voté à deux reprises la reconduction pour douze mois de la pratique en question, en sorte qu'elle doit finalement demeurer en vigueur jusqu'en octobre 1997.

En autorisant l'anonymat des juges, le gouvernement péruvien marque également son peu de considération pour l'une des recommandations du rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, faite en septembre 1996, quelques jours seulement avant la dite décision du Congrès. En quittant le Pérou, le rapporteur spécial a déclaré publiquement que « la pratique persistante des "juges sans visage" tournait en dérision les droits fondamentaux [et] devait être abolie sans délai[20] De son côté, le Comité des droits de l'homme des Nations unies "déplorait" que le gouvernement ne tienne aucun compte de sa recommandation de mettre fin à cette pratique, et réitérait cette dernière.[21]

Le gouvernement péruvien et les prisonniers injustement accusés d'actes de terrorisme

En plusieurs occasions depuis 1993, le président Fujimori et d'autres représentants du gouvernement ont reconnu que des prisonniers avaient été injustement accusés de "crimes de terrorisme" et emprisonnés. En fait, depuis 1994, au moins sept projets de loi tendant à apporter une solution à ce problème ont été présentés au Congrès, mais aucun n'a fait l'objet d'un débat.

En mai 1996, le président de la Commission de la justice du Congrès a fait savoir à Amnesty International que cette commission était dans l'attente d'un projet de loi élaboré par l'exécutif et visant à porter remède à la situation de cette catégorie de prisonniers. Deux mois plus tard, l'Organisation a appris que deux projets de loi avaient été présentés par le bureau du médiateur et par le ministère de la Justice.[22]

En août 1996, le Congrès a finalement adopté une loi d'une portée égale à celle du projet proposé par le bureau du médiateur. Cette loi a créé une commission ad hoc chargée de proposer au président de la République de faire bénéficier de derecho de gracia (mesures de grâce) entraînant leur libération, les prisonniers abusivement inculpés de délits liés à des actes de terrorisme, en attente de jugement, et ceux déjà condamnés pour des motifs identiques. La commission, composée du médiateur, Jorge Santistevan y de Noriega, du ministre de la Justice, Carlos Hermoza Moya, et d'un représentant du président de la République, le Père Hubert Lanssiers, dispose, pour mener sa mission à terme, d'un délai de 180 jours reconductible pour une durée égale.

Le 15 novembre 1996, 74 prisonniers accusés de délits liés à des actes de terrorisme ont été libérés après examen de leur cas par cette commission. Toutes ces personnes, qui ont été incarcérées pendant des périodes allant de quelques mois à plus de quatre ans, sont considérés par Amnesty International comme ayant été des prisonniers d'opinion, avérés ou probables.

Amnesty International salue ces libérations. Cependant, elle regrette que les personnes concernées n'aient pas bénéficié d'un réexamen judiciaire aboutissant à l'annulation des inculpations, pour celles qui étaient en détention préventive, et à l'infirmation des jugements de condamnation pour celles qui avaient été injustement frappées. Le défaut d'annulation des inculpations ou d'infirmation des jugements de condamnation des cas considérés a effectivement des conséquences défavorables et durables pour les intéressés, puisque leurs casiers judiciaires conservent des traces de condamnations pénales. Par ailleurs, l'Organisation reste préoccupée de constater qu'aucune mesure n'a été prise pour indemniser les victimes de détention arbitraire du préjudice que leur a causé cette épreuve. Comme l'a énoncé le Comité des droits de l'homme des Nations unies dans la conclusion de son commentaire du troisième rapport périodique du gouvernement péruvien : « Tout en saluant la libération de 69 personnes, le Comité considère que la grâce accordée aux prisonniers ne constitue pas une réparation complète pour les victimes de procédures non équitables ... »[23]

Recommandations d'Amnesty International au gouvernement du Pérou

Amnesty International demande instamment au gouvernement du Pérou :

•                d'entreprendre un réexamen de la législation antiterroriste en vue de la mettre en conformité avec les normes internationales d'équité ;

•                de libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d'opinion ;

•                de faire prononcer judiciairement la nullité des inculpations pour actes de terrorisme retenues contre les personnes qui ont été libérées par l'effet d'une mesure présidentielle de clémence alors qu'elles étaient en attente de jugement, ;

•                de faire prononcer judiciairement l'infirmation des jugements de culpabilité et des condamnations touchant les personnes accusées de délits liés au terrorisme et qui ont été libérées en exécution d'une mesure de grâce présidentielle ;

•                de veiller à ce que toutes les personnes qui ont été arbitrairement détenues après avoir été accusées à tort de délits liés à des actes de terrorisme, reçoivent une juste indemnisation pour la réparation de leur préjudice ;

•                d'accorder toute son attention aux observations et aux recommandations faites par le rapporteur spécial nommé par la Commission des droits de l'homme des Nations unies et par le Comité des droits de l'homme des Nations unies.

décembre 1996

Index AI: AMR 46/25/96



[1] En 1984, le groupe d'opposition clandestin Movimiento Revolucionario Tœpac Amaru (MRTA, Mouvement révolutionnaire Tœpac Amaru), a également lancé une campagne d'attaques armées. Le MRTA, qui n'a jamais eu une influence comparable à celle du PCP-SL, a commis moins de violations des droits de l'homme que ce dernier.

[2] C'est en mars 1981 que le Pérou a adopté les premières dispositions légales contre les "actes de terrorisme". D'autres mesures importantes ont été promulguées en mars et juin 1987. On estime à environ 2 000 le nombre de personnes qui ont été condamnées à des peines d'emprisonnement au cours des dix années d'application de cette législation. Depuis l'introduction des nouvelles lois antiterroristes de 1992, au moins 5 000 personnes ont également été condamnées à la prison. Des centaines d'autres, en instance de jugement, sont maintenues en détention.

[3] Le présent rapport est basé sur les informations qui sont parvenues à Amnesty International jusqu'au 15 novembre 1996.

[4] L'expression "juges sans visage" fait allusion au fait que les procès concernant des personnes accusées de terrorisme au Pérou, qu'ils se déroulent devant des juridictions civiles ou devant des tribunaux militaires, sont conduits par des juges dont l'identité est gardée secrète. Ils sont en effet séparés des justiciables par des écrans et, sur les pièces de procédure, leurs noms sont remplacés par des numéros. Par ailleurs, les audiences de première instance et d'appel se tiennent dans des enceintes auxquelles le public n'a pas accès.

[5] Pour la liste complète des carences que présente la législation antiterroriste au Pérou, voir : Pérou. Prisonniers d'opinion (AMR 46/09/96, mai 1996, Annexe 1).

[6] Au Pérou, ces prisonniers sont communément appelés "prisonniers innocents".

[7] Voir le rapport annuel 1995 de la CNDDHH.

[8] (8) VoirEn nombre de los inocentes, II parte, [Au nom des innocents, IIème partie]CNDDHH, Lima, octobre 1995, et 300 Historias de prisión injusta en el Perœ, Los inocentes tienen nombre [ Il faut donner un visage aux innocnts : 300 histoires d'emprisonnement abusif au Pérou] , Lima, novembre 1995.

[9] Traduction non officielle. La Commission de juristes internationaux était présidée par Robert Goldman, un juriste spécialiste des droits de l'homme, attaché à la Law School Center for Human Rights and Humanitarian Law de l'Université améicaine de Washington, D.C.

[10] Rapport de la Commission de juristes internationaux sur l'administration de la justice au Pérou, 30 novembre 1993, page 49 du texte original.

[11] Communiqué de presse du barreau de New York, 9 mai 1994, Lima, Pérou.

[12] Document des Nations unies E/CN.4/1994/7/ Add2 paras. 76 et 78, 15 novembre 1993.

[13] Voir Pérou. Préoccupations d'Amnesty International concernant la torture et les mauvais traitements, AMR 46/19/96, novembre 1994.

[14] Document des Nations unies CCPR/C/79/Add.67, paragraphe 22 et 26, 25 juillet 1996.

[15] Amnesty International pense que le Comité des droits de l'homme entendait viser le paragraphe 26 des observations préliminaires de juillet 1996, dans lequel il pressait le gouvernement péruvien de supprimer l'institution des "juges sans visages".

[16] Document des Nations unies CCPR/C/79/Add.72, paragraphe 11, 8 novembre 1996. Les observations définitives et les recommandations du Comité ont été publiées en espagnol. La traduction en français est d'Amnesty International.

[17] Voir Pérou. Les droits de l'homme depuis la suspension du régime constitutionnel (Index AI : AMR 46/13/93, mai 1993) ; Pérou. Les lois antiterroristes cne sont toujours pas conformes aux normes internationales (Index AI : AMR 46/05/94, avril 1994) ; Pérou. Des réformes insuffisantes pour rendre la législation antiterroriste conforme aux normes internationales relatives aux droits de l'homme (Index AI : AMR 46/06/95) ; et Pérou. Prisonniers d'opinion (Index AI : AMR 46/09/96, mai 1996).

[18] De nombreuses personnes injustement condamnées pour des délits liés au terrorisme et dont les cas avaient été répertoriés par Amnesty International et des organisations péruviennes de défense des droits de l'homme ont été accusées, inculpées et condamnées sur la seule base de telles dénonciations non confirmées par d'autres éléments et provenant de membres de l'opposition armée cherchant à bénéficier de cette mesure.

[19] Pour une description détaillée de ces amendements, voir : Pérou. Prisonniers d'opinion (Index AI : AMR 46/09/96, mai 1996, Annexe 1).

[20] Urge suprimir tribunales sin rostro (Les "tribunaux sans visages" doivent être rapidement supprimés), communiqué de presse de la Coordinadora Nacional de Derechos Humanos, 9 octobre 1996.

[21] Voir ci-dessus, pages 6-7

[22] Pour le texte intégral des deux projets, voir Pérou. Projets de loi relatifs à la gr‰ce en faveur des prisonniers injustement condamnés pour terrorisme (Index AI : AMR 46/18/96, 16 juillet 1996).

[23] Document des Nations unies CCPR/C/79/Add 72, paragraphe 10, 8 novembre 1996. Les observations définitives et les recommandations du Comité ont été publiées en espagnol. La traduction en français et d'Amnesty International.

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