Réussite commerciale pour un réfugié syrien à Amman

C'est dans la capitale jordanienne qui a une longue tradition d'accueil des réfugiés qu'Ehab a rencontré Amani, sa collaboratrice locale, et qu'ils ont créé ensemble une start-up spécialisée dans les nouvelles technologies.

Ehab Kahwati (à droite), réfugié syrien, en plein cours lors d'un atelier sur le numérique avec des étudiants de l'Université du Yarmouk, en Jordanie.
© HCR/Jose Cendon

Depuis son plus jeune âge, Ehab a toujours été fasciné par le fonctionnement des choses, au point de sacrifier certains de ses jouets préférés pour satisfaire son insatiable curiosité. « Quand j'étais gosse, je démontais mes jeux électroniques juste pour voir comment c'était fait dedans », dit-il.


Et le voici aujourd'hui dans une université jordanienne, face à une salle pleine d'étudiants, à dessiner des diagrammes sur un écran numérique pour expliquer l’utilisation des appareils intelligents vendus par sa start-up pour le contrôle à distance, depuis les appareils de chauffage domestique aux arrosages automatiques.

Même si l'évolution du gamin passionné d'informatique en un entrepreneur de nouvelles technologies peut sembler aussi logique que les programmes informatiques qu'il écrit, le fait que cette évolution soit celle d'un réfugié syrien en Jordanie témoigne de sa propre détermination et du soutien de sa communauté d'adoption.

Originaires d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, Ehab et sa famille vivaient temporairement en Jordanie pour les besoins de l’entreprise de construction de son père quand la guerre a éclaté en Syrie il y a plus de huit ans de cela. Face à l'impossibilité d'un retour dans leur pays, ils se sont enregistrés comme réfugiés auprès du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et sont restés en Jordanie.

En limitant les dépenses au minimum, ils ont réussi à économiser assez sur les allocations mensuelles versées par le HCR pour permettre à Ehab d'aller à l'université. Après avoir obtenu son diplôme en sciences informatiques, Ehab a d'abord travaillé bénévolement pour un laboratoire d'innovation où il enseignait la programmation à d'autres réfugiés syriens ainsi qu'à des Jordaniens.

« Durant ces ateliers, j'ai pu me rendre compte de certains des problèmes auxquels les étudiants se heurtent dans leurs études, notamment leurs difficultés en programmation », explique-t-il. « Donc j'ai mis au point une série de modules pour les aider à apprendre chez eux. Les modules portent sur des appareils de dernière génération et des présentations vidéo qui leur permettent d'apprendre facilement, étape par étape. »

  • Ehab Kahwati (à droite), réfugié syrien, en plein cours lors d'un atelier sur le numérique avec des étudiants de l'Université du Yarmouk, en Jordanie.
    Ehab Kahwati (à droite), réfugié syrien, en plein cours lors d'un atelier sur le numérique avec des étudiants de l'Université du Yarmouk, en Jordanie. © HCR/Jose Cendon
  • Des étudiants attentifs aux explications données par Ehab sur l'utilisation des technologies de télédétection commercialisées par sa société.
    Des étudiants attentifs aux explications données par Ehab sur l'utilisation des technologies de télédétection commercialisées par sa société.  © HCR/Jose Cendon
  • Des étudiants de l'Université du Yarmouk en conversation avant le début de l'atelier.
    Des étudiants de l'Université du Yarmouk en conversation avant le début de l'atelier.  © HCR/Jose Cendon
  • Ehab configure les capteurs vendus par sa société, Drag IOT, pour mesurer les changements de température et d'humidité.
    Ehab configure les capteurs vendus par sa société, Drag IOT, pour mesurer les changements de température et d'humidité.  © HCR/Jose Cendon
  • Amani vérifie ses messages au Campus pour l'innovation de Zain à Amman où elle vient souvent travailler avec Ehab, son partenaire commercial.
    Amani vérifie ses messages au Campus pour l'innovation de Zain à Amman où elle vient souvent travailler avec Ehab, son partenaire commercial.  © HCR/Jose Cendon

Rien n'aurait pu laisser supposer l'événement qui a permis à Ehab de transformer une idée prometteuse en une start-up pleine d'avenir. Ce fut la rencontre d'Amani, une Jordanienne de 22 ans dont les notes de fin d'études étaient insuffisantes pour étudier la programmation, mais qui était suffisamment déterminée à apprendre le codage pour venir suivre les cours de programmation dispensés par Ehab.

« L'informatique, c'est l'avenir, c'est pour ça que ça m'attirait et que je voulais apprendre la programmation, mais je n'avais pas obtenu les notes nécessaires », explique-t-elle. « Ehab m'a aidée à apprendre la programmation, ce que je n'aurais jamais cru possible. »

Quand Amani a entendu parler de l'idée d'Ehab, elle l'a aidé à monter un projet de développement commercial. Pleine de confiance et extravertie, à l'inverse du timide Ehab, Amani a beaucoup fait pour réunir les financements de démarrage grâce auxquels ils ont pu fonder ensemble Drag IOT (Internet des objets) et commencer à commercialiser des kits de programmation de haute technologie.

« Elle a cru en moi et en mon idée. »

« Sans Amani, je n'aurais pas pu prendre ce chemin », dit Ehab. Comme il ne pouvait pas enregistrer une entreprise en tant que réfugié syrien, il était juridiquement indispensable qu’Amani participe à l'affaire. « Mais les aspects juridiques à eux seuls ne suffisent pas à construire une équipe gagnante. C'est le fait qu'elle a cru en moi et en mon idée qui a fait la différence. »

Issue d'une société traditionnelle, Amani dit que sa famille a d'abord eu du mal à accepter sa décision d'apprendre la programmation et de créer une société avec Ehab. « Mais je n'ai pas voulu me le tenir pour dit et aujourd'hui, nos familles se connaissent et s'apprécient », explique-t-elle.

Outre sa nouvelle partenaire commerciale, Ehab attribue son succès au soutien qu'il a reçu dans la ville qu'il considère aujourd'hui comme la sienne, Amman, capitale de la Jordanie, qui a une longue tradition d'accueil de réfugiés, qu'il s'agisse de Palestiniens ou d'Irakiens et, plus récemment de Syriens.

Le pays accueille actuellement plus de 755 000 réfugiés enregistrés, dont la majorité sont des Syriens. En plus d’y trouver un havre de paix, les réfugiés ont accès aux services, notamment les soins de santé et l'éducation. Depuis 2016, la Jordanie a également délivré plus de 125 000 permis de travail à des réfugiés syriens.

Environ 84 % des réfugiés présents en Jordanie vivent en dehors des camps et Amman ayant toujours été une ville d'accueil, près de 270 000 déplacés y sont actuellement installés.

Amman fait partie d'un réseau mondial de villes toujours plus nombreuses qui ont fait le choix d'accueillir les réfugiés et les opportunités qu'ils amènent. De Sao Paulo à Vienne, ces villes de lumière sont une source d'espoir pour les plus vulnérables du monde à qui elles offrent un sanctuaire et la chance de trouver leur place dans le tissu social.

Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, se rendra à Amman le 20 juin à l'occasion de la Journée mondiale du réfugié. Durant sa visite, il rencontrera d'autres entrepreneurs syriens qui viendront vendre leurs produits à une foire de producteurs réfugiés organisée par le HCR dans le centre historique de la capitale.

« Amman mérite d'être vue comme une ville de lumière. »

« Nous sommes fiers de rendre hommage à Amman en cette Journée mondiale du réfugié, car notre ville a une tradition d'accueil des réfugiés remontant à sa fondation même », a déclaré le maire de la ville, Youssef Al-Shawarbeh.

« Les villes intelligentes investissent sans hésitation dans la présence des réfugiés parce qu'ils peuvent contribuer à l'avancement de leur communauté d'accueil », a-t-il ajouté.

Ehab et Amani sont d'accord sur le fait que leur expérience témoigne de ce qui peut être réalisé quand les réfugiés sont bien accueillis au sein de leur communauté. « Amman mérite d'être vue comme une ville de lumière », dit Ehab. « Elle offre de multiples opportunités et tout le monde veut vous aider. »

« Notre partenariat entre un Syrien et une Jordanienne est une belle réussite dont d'autres peuvent s'inspirer », ajoute Amani. « Je suis fière que quelqu'un comme Ehab puisse réaliser tout ça et m'apporter de l'aide, à moi comme à d'autres Jordaniens, sans se considérer comme un réfugié vulnérable. Si tout le monde voyait les choses de cette manière, imaginez comme ça serait formidable ! »