A Venise, l'exposition "Rothko à Lampedusa" met en lumière la vie des réfugiés
L'exposition "Rothko à Lampedusa" présente les œuvres d'artistes contemporains comme Ai Weiwei, ainsi que celles de cinq artistes émergents, tous des réfugiés originaires de Syrie, d'Iran, d'Irak, de Côte d'Ivoire ou de Somalie.
Une oeuvre d'Ai Weiwei est présentée lors de l'inauguration de l'exposition "Rothko à Lampedusa", organisée par le HCR à la Biennale de Venise, Italie.
© HCR/Andrew McConnell
VENISE, Italie - Une nouvelle exposition présentée à Venise place les réfugiés au centre d'un débat sur l'art en tant que vecteur de changement de la société.
L’exposition “Rothko à Lampedusa“ présente des œuvres d'artistes de renommée internationale - comme Ai Weiwei et Richard Mosse - ainsi que celles de cinq artistes émergents de Syrie, d'Iran, d'Irak, de Côte d'Ivoire et de Somalie qui sont également des réfugiés.
Vendredi dernier, plus de 100 personnes ont assisté à l'inauguration de l'exposition qui se déroule en parallèle de la Biennale de Venise. Le thème de la biennale, qui est considérée comme le plus grand festival d'art au monde, s’intitule « May You Live In Interesting Times » et vise à susciter une réflexion sur des questions d’ordre social, dont la réponse à la crise des réfugiés en Europe.
Alors que la grande majorité des 70 millions de déracinés dans le monde sont accueillis au sein de pays en développement, environ deux millions de personnes ont déposé une demande d'asile sur le territoire européen depuis 2014 et la réponse qui leur est apportée va des mesures d’accueil jusqu’au renforcement des frontières en Europe.
« Cette exposition fait réfléchir… En effet, si nous ne donnons pas (une opportunité) aux réfugiés et aux migrants qui arrivent dans les pays développés, il nous manque peut-être le Rothko du 21ème siècle », a déclaré Francesca Giubilei, commissaire de l'exposition.
Mark Rothko a émigré aux États-Unis en 1913, pour fuir les persécutions exercées à l’époque par son pays qui s’appelle aujourd’hui la Lettonie. Mark Rothko est devenu l'un des artistes les plus célèbres du XXè siècle. Centre d'accueil incontournable pour les arrivées, la petite île de Lampedusa, entre la Sicile et la Tunisie, représente un symbole de la crise des réfugiés.
« Peut-être nous manque-t-il le Rothko du 21ème siècle si nous ne donnons pas (une opportunité) aux ... réfugiés ».
Pour les artistes émergents dont les œuvres sont exposées, la réaction artistique à leur statut de réfugié s’exprime de diverses façons. Majid Adin, originaire d'Iran et vivant à Londres, a présenté un dessin animé d'une famille qui a enduré un voyage périlleux par voie maritime et terrestre. Mohammed Keita, qui a fui la Côte d'Ivoire, photographie des scènes de rue dans sa nouvelle maison en Italie.
Quant à Rasha Deeb, artiste syrienne résidant aujourd'hui dans le sud de l'Allemagne, c'est la guerre dans son pays d'origine, plutôt que son expérience en tant que réfugiée, qui s’est avérée une source de motivation pour sa sculpture abstraite.
« La guerre est mon grand problème et c’est mon message. Pas les réfugiés. À cause de la guerre, il y a des réfugiés. S'il n'y avait pas de guerre, il n'y aurait pas de réfugiés. Je n'aurais pas eu à fuir mon pays. Pourquoi ? J'avais une belle vie, tout était bon pour moi. Pourquoi »
Rasha Deeb, Majid Adin, Mohammed Keita et le photographe Bnar Sardar Sdiq, originaire de la région du Kurdistan irakien, participent à l'exposition pendant la Biennale, dans le cadre d'une résidence d'un mois à Venise financée par le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Un cinquième artiste dont les œuvres sont exposées, Hassan Yare, un illustrateur somalien qui vit dans un camp au Kenya, n'a pas pu obtenir les documents de voyage nécessaires pour y assister.
Francesca Giubilei a déclaré que l’exposition “Rothko à Lampedusa“, bien qu’elle soit la seule spécifiquement consacrée aux réfugiés, n'est pas l’unique exposition abordant ce thème. A l'Arsenal de Venise, qui accueille des manifestations d’art contemporain, un bateau qui a coulé au large de la Méditerranée en avril 2015 où ont péri environ 800 réfugiés et migrants est exposé.
Les autorités italiennes ont récupéré l’épave et l'artiste suisse-islandais Christoph Buchel et ses collègues ont fait en sorte qu’elle soit transportée sur une péniche jusqu’à la Biennale pour y être exposée en tant que symbole de notre époque. Volontairement privée de toute référence au corps humain, l'exposition qui s’intitule « Notre Bateau », représente en fait une tombe et s’apparente à un acte de provocation artistique.
Vendredi, des amateurs d'art se sont rassemblés autour de l’épave endommagée, sirotant un apéritif dans un café voisin sous le soleil, certains apparemment ignorants de l'horreur qui s’est déroulée en Méditerranée.
« J'ai... rencontré les survivants de ce bateau », a partagé Carlotta Sami, porte-parole du HCR. « Ils étaient seulement 24, tous des jeunes, des garçons qui tremblaient avec des yeux apeurés. C'était à l'aube dans ... le port de Catane en avril 2015. Et puis j'ai vu ce monstrueux bateau quand on l'a retrouvé avec ses 800 cadavres. Un moment tragique qui restera à jamais gravé dans ma mémoire. »
L’exposition “Rothko à Lampedusa” est présentée au palais Querini jusqu'au 24 novembre.