Un jardin à partager

Dans les potagers familiaux de Suisse romande fleurissent des groupes de jardiniers d’un genre atypique. Des Suisses et des réfugiés retournent la terre ensemble, et font ainsi connaissance.

Les jardins familiaux d’Yverdon abritent l’un des huit potagers romands exploités par l'Entraide protestante suisse (EPER) dans le cadre de son programme «Nouveaux Jardins». © UNHCR/Mark Henley

Les jardins familiaux d’Yverdon se sont imposés comme une institution. Ces quelque 500 petites parcelles mises à la disposition des habitants par la commune figurent dans de nombreux articles de presse et même dans un documentaire. Pour les citadins jardiniers, elles symbolisent un attachement à la nature et un certain esprit de village, avec ses bons et mauvais côtés. Depuis la création de ces potagers en 1940, dans le cadre d’un plan national en faveur de l’autosuffisance alimentaire, les drapeaux suisses ne sont plus les seuls à flotter ici. Les familles issues des vagues d’immigration de la deuxième moitié du 20e siècle, d’Europe du Sud et des Balkans notamment, occupent une partie de ces fameux «plantages» et y arborent leurs couleurs. On peut même désormais y apercevoir un drapeau de prière tibétain.

Au pied de cette guirlande de tissus bigarrée se déploie l’un des huit potagers romands exploités par l’Entraide protestante suisse (EPER) dans le cadre de son programme «Nouveaux Jardins». Le jardin d’Yverdon est divisé en plusieurs zones, qui sont attribuées au printemps à des groupes de jardiniers amateurs. Chaque groupe comprend au minimum une personne réfugiée et un habitant de la région, et se réunit au moins une fois par semaine pour cultiver sa parcelle. Lors d’un rendez-vous mensuel baptisé «café-jardinage», l’ensemble des équipes se retrouve sur place. Une animatrice de l’EPER est aussi présente pour informer des nouveautés du programme et livrer des astuces écologiques.

«J’ai dû adapter mes techniques et réapprendre certaines choses.»

Lodoe, 55, réfugié du Tibet, participe au programme «Nouveaux Jardins» de l’EPER.

Lodoe, 55 ans, fait partie de ces «nouveaux jardiniers». C’est lui qui a installé ici le drapeau de prière symbolisant les cinq éléments, «afin d’apporter la paix sur la région». Au Tibet, il cultivait l’orge et le blé. Aujourd’hui réfugié politique, il partage ses connaissances avec les autres membres de son groupe, l’Yverdonnoise Daisy, 47 ans, et l’Irakien Karim, 54 ans. «La terre et l’altitude diffèrent, reconnait Lodoe. J’ai dû adapter mes techniques et réapprendre certaines choses.» L’échange de savoirs qui s’opère dans chaque équipe est d’ailleurs l’un des buts affichés par l’EPER.

 

Switzerland. Integration of refugees through a gardening project

Le jardin d’Yverdon est divisé en plusieurs zones, qui sont attribuées au printemps à des groupes de jardiniers amateurs. Chaque groupe comprend au minimum une personne réfugiée et un habitant de la région, et se réunit au moins une fois par semaine pour cultiver sa parcelle. © UNHCR/Mark Henley

Switzerland. Integration of refugees through a gardening project

Lors d’un rendez-vous mensuel baptisé «café-jardinage», l’ensemble des équipes se retrouve sur place. Une animatrice de l’EPER est aussi présente pour informer des nouveautés du programme et livrer des astuces écologiques. © UNHCR/Mark Henley

Switzerland. Integration of refugees through a gardening project

Lodoe, 55 ans, fait partie de ces «nouveaux jardiniers». Au Tibet, il cultivait l’orge et le blé. © UNHCR/Mark Henley

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Aujourd’hui réfugié en Suisse, il partage ses connaissances avec les autres membres de son groupe, l’Yverdonnoise Daisy, 47 ans, et l’Irakien Karim, 54 ans. © UNHCR/Mark Henley

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«Cette expérience m’apporte finalement bien plus que des tomates», commente Daisy. «Cela m’a amenée à changer de perspective et à sortir de ma zone de confort.» © UNHCR/Mark Henley

 

Quant à Daisy, c’est l’envie de cultiver ses propres tomates qui l’a poussée à s’inscrire au programme. Elle ne regrette pas son choix: «Cette expérience m’apporte finalement bien plus que des tomates.» Puisque Karim ne parle encore pas très bien le français, elle s’arrange pour trouver d’autres moyens de communiquer avec lui. «Il faut parvenir à exprimer ce que l’on veut dire sans infantiliser l’autre. Cela m’a amenée à changer de perspective et à sortir de ma zone de confort.» Karim, une botte de menthe fraîche à la main, acquiesce: «Daisy est un peu devenue ma professeure de français. J’aime d’ailleurs surtout venir ici pour parler et échanger avec mes amis.»

Faire pousser ses légumes, c’est aussi une nécessité économique pour bon nombre de ces jardiniers urbains. En Suisse, plus de 85% des réfugiés et demandeurs d’asile vivent de l’aide sociale. Cela représente une allocation de 986 francs par mois pour un individu seul et de 2’110 francs pour une famille de quatre. Consciente de la faiblesse de ces revenus, l’EPER s’adresse en priorité aux réfugiés ou à des migrants précarisés. «La production de leurs propres aliments permet aux familles de manger sainement tout en maintenant un budget adapté à leurs revenus», explique l’organisation.

«Durant leur parcours migratoire, les réfugiés se sentent parfois comme des numéros ou des enfants. Prendre la responsabilité d’un jardin les aide à retrouver une meilleure estime de soi.»

Clea Rupp, collaboratrice de l’EPER, anime les cafés-jardinages au jardin d’Yverdon-les-Bains.

Shafighe a fait le trajet depuis Lausanne pour venir s’occuper de sa parcelle. Cet Afghane de 44 ans, mère de deux enfants, n’a qu’un petit balcon à la maison. «C’est suffisant pour des fleurs, mais pas pour des légumes», dit-elle. Elle a entendu parler des «Nouveaux Jardins» grâce à son assistante sociale. Depuis mars, elle bêche, en tandem avec Claudia, une Yverdonnoise de 49 ans qui a elle-même cultivé un plantage avec ses parents lorsqu’elle était enfant. Les deux femmes discutent de leur principale préoccupation: la récolte. Elles parlent des courgettes, des petits pois et des courges ramassés récemment. «Mais ça passe tellement vite, regrette Claudia. Il faudrait venir tous les jours. Ne serait-ce que pour veiller aux limaces!»

 

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Faire pousser ses légumes, c’est aussi une nécessité économique pour bon nombre de ces jardiniers urbains. En Suisse, plus de 85% des réfugiés et demandeurs d’asile vivent de l’aide sociale. © UNHCR/Mark Henley

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Shafighe a fait le trajet depuis Lausanne pour venir s’occuper de sa parcelle. Cet Afghane de 44 ans, mère de deux enfants, n’a qu’un petit balcon à la maison. © UNHCR/Mark Henley

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Depuis mars, elle bêche, en tandem avec Claudia, une Yverdonnoise de 49 ans qui a elle-même cultivé un plantage avec ses parents lorsqu’elle était enfant. © UNHCR/Mark Henley

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«Durant leur parcours migratoire, les réfugiés se sentent parfois comme des numéros ou des enfants. Prendre la responsabilité d’un jardin les aide à retrouver une meilleure estime de soi», explique Clea Rupp, qui anime les cafés-jardinages. © UNHCR/Mark Henley

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En retournant cette nouvelle terre qui leur est prêtée, les réfugiés ne font ainsi pas que remplir leur panier de verdure: ils en apprennent aussi davantage sur la vie locale et les usages qui la gouvernent. © UNHCR/Mark Henley

 

Reprendre confiance et mobiliser ses ressources constituent des éléments centraux du projet, explique Clea Rupp, qui anime les cafés-jardinages. «Durant leur parcours migratoire, les réfugiés se sentent parfois comme des numéros ou des enfants. Prendre la responsabilité d’un jardin les aide à retrouver une meilleure estime de soi.» Le jardinage est également bon pour la santé physique et psychique des personnes qui le pratiquent, rappelle l’animatrice de l’EPER.

Fateme, 19 ans, forme un duo avec Angéline, 25 ans. La jeune Afghane, arrivée en Suisse en novembre 2015 avec sa sœur, vient d’entrer au gymnase d’Yverdon et s’exprime dans un français excellent. Elle souhaitait toutefois rencontrer d’avantage de jeunes de la région. Un pari réussi grâce au programme: «Avec Angéline et Mathilde, qui forme un tandem avec ma sœur, on organise des sorties. Le weekend dernier, nous étions toutes les quatre à un concert à Romainmôtier.»

Les plantages enfin, c’est aussi une immersion dans la culture helvétique. Alors que les jardiniers évoquent la tenue des potagers durant l’hiver, certains s’interrogent sur leur marge de manœuvre dans ces carrés de terre bien délimités. «Faire pousser des épinards ou de la phacélie pour régénérer les sols, est-ce bien ‘conforme’?» s’inquiète une participante avec une pointe d’ironie. A travers des questions pratiques et en retournant cette nouvelle terre qui leur est prêtée, les réfugiés ne font ainsi pas que remplir leur panier de verdure: ils en apprennent aussi davantage sur la vie locale et les usages qui la gouvernent – en douceur, au rythme des saisons et des règles de bon voisinage.