Colombie : La lutte pour la survie des Awá chassés de leurs terres
Un avenir précaire se dessine pour cette communauté autochtone déracinée par le conflit armé.
Ignacio Cuasaluzan Nastacuas, 68 ans, avec sa famille après toute une journée passée à chercher du travail hors de l'installation de déplacés internes Awá proche de Villagarzón, en Colombie.
© HCR/Ruben Salgado Escudero
Lorsqu’il vivait sur leurs terres ancestrales dans la forêt pluviale de Colombie, Cuasaluzan Nastacuas, un ancien Awá Mayasquer, passait ses journées à chasser, élever des bêtes et s’occuper des jardins potagers.
Aujourd'hui âgé de 63 ans et déraciné par le conflit armé sanglant qui ravage le pays, Cuasaluzan Nastacuas se lève tous les matins à trois heures pour trouver à se faire embaucher comme journalier dans une ville de province située à une demi-heure de bus.
« Quand on vivait dans la jungle… on travaillait la terre, on plantait du manioc et on élevait des cochons. On n’avait jamais travaillé en ville avant d’être déplacés, » explique son fils Armando Cuasulzan Pai.
Les peuples autochtones tels que les Awá Mayasquer sont peut-être les plus durement touchés par les cinq décennies de conflit armé qui ont déraciné plus de 7,6 millions de Colombiens, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger.
La communauté a ses terres dans la province de Nariño, au sud-est de la Colombie, et elle s'est retrouvée prise entre les tirs des forces armées gouvernementales et des FARC, les Forces armées révolutionnaires de Colombie.
Bien qu'un accord de paix ait mis fin aux hostilités en 2016, les massacres perpétrés par les rebelles qui ont tué au moins 11 personnes en 2009 et la peur des mines antipersonnel pèsent dans les mémoires et les déplacés craignent de rentrer sur leurs terres coutumières.
« Les anciens ne veulent même pas entendre parler d'un retour. Ils disent qu'ils préféreraient mourir ici plutôt que d'être contraints d'y retourner. Nous avons décidé de rester ici et avons demandé à être relogés pour des raisons de sécurité, » dit Armando, le chef de la communauté.
La Colombie est l'un des pays les plus diversifiés du monde au plan ethnique, avec 102 groupes autochtones différents. D’après la Cour constitutionnelle de Colombie, un tiers d'entre eux, dont les Awá, est cependant menacé d'extinction en raison du conflit et des déplacements qu'il a provoqués.
« Il est important de comprendre que leur existence est basée sur le groupe, » dit Harold Juajibioy, un employé du HCR qui travaille avec les Awá. « Quand le conflit armé a gagné leurs terres, c'est leur sentiment d'unité qui en a pâti le premier. Il ne s'agit pas de faire du tort à un individu, mais bien à une communauté tout entière. »
En 2011, la Cour constitutionnelle a appelé à l'adoption de mesures de protection en faveur du groupe. En avril l'an dernier, six ans après avoir été déplacées, 17 familles Awá ont reçu du gouvernement 239 hectares de terre dans la municipalité de Villagarzon, dans la région de Putumayo au sud de la Colombie, pour qu’ils puissent y reconstruire leur existence.
Ces 17 familles, les premières à être relogées dans cette zone par les autorités, ont progressivement construit des cabanes sur pilotis pour s'y abriter. Mais dans leurs nouvelles maisons, ils n'ont pas l'eau courante, pas de toilettes intérieures et pas d'électricité et leurs toits sont globalement recouverts de sacs de poubelle en plastique noir, seule protection contre les fortes précipitations de la saison des pluies.
« De quoi a besoin cette communauté autochtone ? Pas seulement d'un territoire, nous avons besoin de logements, d'électricité, d'eau, d'eau courante pour pouvoir subsister et de projets rémunérateurs afin de pouvoir cultiver nos aliments. Le gouvernement nous a vraiment négligés, » dit Armando.
« Nous avons besoin de logements, d'électricité, d'eau, d'eau courante pour pouvoir subsister et de projets rémunérateurs afin de pouvoir cultiver nos aliments. »
Selon Armando, la communauté a besoin d’un appui financier pour se reconstruire, semer des plantes alimentaires et acheter du bétail. « C’est pour ça que c’est dur pour nous ici. Il y a des jours où on mange et d’autres où on doit se contenter d’un peu de café. Voilà dans quelle situation nous vivons ici, » dit-il.
Même si les conditions de vie sont difficiles, le déplacement des communautés autochtones signifie bien plus qu’une simple perte de terres. « Très souvent, par peur ou pour se protéger, ils ne parlent pas leur langue autochtone en dehors de leurs terres, » dit Harold Juajibioy. « La discrimination qui règne en milieu urbain entraîne une lente dégradation, voire la disparition de leurs traditions culturelles, de leurs rites et de leurs coutumes, » ajoute-t-il.
Bien que la plupart des maisons de Villagarzon ne soient toujours pas finies, une petite maison de bois joliment construite se dresse au milieu de leurs terres. C’est leur centre culturel, construit par l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, puis décoré et revêtu de l’emblème de leur projet de réserve autochtone.
Un instrument de percussion en bambou appelé marimba a été placé au centre pour que les membres de la communauté puissent en jouer. « Nous l’avons ramenée de Nariño, » explique Armando, « les anciens m’ont appris à en jouer et maintenant j’apprends à mes fils pour que notre culture puisse survivre. »
Le soleil se couche et Ignacio Cuasaluzan vient juste de rentrer de Mocoa, à 18 kilomètres de là. Il a gagné 25 000 pesos pour toute une longue journée de labeur, soit quelque 8 dollars. C’est juste assez pour acheter 12 kilos de riz qui permettront de nourrir les membres de sa famille. Il s’installe à côté de ses enfants pour écouter Armando jouer de la marimba.
« On vivait connectés à la nature, » dit-il avec nostalgie. « On entendait les oiseaux chanter et la musique de notre marimba les accompagnait. »