A Djakarta, les réfugiés façonnent leur nouvelle vie

Le projet d'une entrepreneure indonésienne du secteur de la mode a pour objectif de former les réfugiés, de les rendre autonomes et de créer de nouvelles opportunités.

Khatira Mahmudi, 24 ans et réfugiée afghane, est l'une des stagiaires du projet Benang à Djakarta en Indonésie.
© HCR/Caroline Gluck

A Paris, la capitale française, des mannequins défilent sur la passerelle d'un bateau amarrée sur la Seine, au son d’une musique endiablée et au milieu des flashs qui crépitent, sous les yeux d’acheteurs et de journalistes.


A des milliers de kilomètres de là, dans un atelier de couture de la capitale indonésienne Djakarta, un groupe de réfugiés afghans est fasciné en visionnant la vidéo de ce défilé sur un ordinateur. Certains d’entre eux ont travaillé sur des tenues et créé des pochettes pour le défilé. Ils réalisent alors qu'ils peuvent rêver en grand et bénéficier d’une plate-forme mondiale pour leur travail.

« Je suis vraiment heureuse de voir ça », a expliqué Khatira Mahmudi, 24 ans, une réfugiée afghane mère de deux enfants qui vit en Indonésie depuis trois ans. « Je ferai de mon mieux pour l'avenir, pour réussir », a-t-elle poursuivi, rayonnant d'enthousiasme. « J'aimerais faire un défilé de mode pour moi-même. C'est mon rêve ! »

Le projet a pour objectif de donner aux réfugiés de l'expérience en couture. C’est l'idée de Franka Soeria, une entrepreneure de mode née en Indonésie et co-fondatrice de Modest Fashion Week, qui présente des styles vestimentaires féminins plus amples et moins corsetés dans plusieurs villes du monde entier. Franka Soeria possède également sa propre marque, Markamarie.com. Elle est à la tête d’une agence de mode créative et travaille également comme consultante pour d'autres marques internationales.

« Nous espérons que nous pourrons assembler ces deux composantes - la société et les réfugiés. »

Franka Soeria a identifié une opportunité et elle a commencé en septembre le projet Benang qui dispense à six réfugiés une formation sur la mode. L’enseignement comprend le design, le modélisme, la couture, la création de marque, l'organisation de séances-photo et de défilés de mode pour les aider à s'intégrer dans la société indonésienne.

« Benang signifie fil », explique-t-elle. « Nous espérons que nous pourrons assembler ces deux composantes - la société et les réfugiés - afin qu'elles ne fassent qu’une. Ensemble, nous pouvons voir grand. »

Franka Soeria a déjà tendu la main aux jeunes designers indonésiens et aux personnes handicapées. Après une réunion avec le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, à Djakarta et après avoir entendu parler des problèmes auxquels sont confrontés les réfugiés urbains, elle a toutefois voulu faire davantage pour aider.

  • Ahmad Musawer Faizi, 21 ans, travaille sur des créations de mode à l'atelier Markamarie de Franka Soeria à Djakarta-Sud.
    Ahmad Musawer Faizi, 21 ans, travaille sur des créations de mode à l'atelier Markamarie de Franka Soeria à Djakarta-Sud.  © HCR/Caroline Gluck
  • Franka Soeria (en foulard bleu marine) aide certains de ses étudiants en mode et réfugiés à faire des ajustements de dernière minute avant une séance photo dans son atelier Markamarie à Djakarta-Sud.
    Franka Soeria (en foulard bleu marine) aide certains de ses étudiants en mode et réfugiés à faire des ajustements de dernière minute avant une séance photo dans son atelier Markamarie à Djakarta-Sud.  © HCR/Caroline Gluck
  • Les stagiaires afghans Ahmad (à gauche) et Khatari (au centre) observent une séance photo qu'ils ont organisée à l'atelier Markamarie de Franka Soeria à Djakarta-Sud.
    Les stagiaires afghans Ahmad (à gauche) et Khatari (au centre) observent une séance photo qu'ils ont organisée à l'atelier Markamarie de Franka Soeria à Djakarta-Sud.  © HCR/Caroline Gluck
  • Des stagiaires en mode tiennent une séance photo à l'atelier Markamarie de Franka Soeria à Djakarta-Sud.
    Des stagiaires en mode tiennent une séance photo à l'atelier Markamarie de Franka Soeria à Djakarta-Sud.  © HCR/Caroline Gluck
  • Franka Soeria (en foulard bleu marine) donne des cours particuliers à certains des six réfugiés qu'elle a accueillis dans son atelier Markamarie à Djakarta-Sud.
    Franka Soeria (en foulard bleu marine) donne des cours particuliers à certains des six réfugiés qu'elle a accueillis dans son atelier Markamarie à Djakarta-Sud. © HCR/Caroline Gluck

Des villes comme Djakarta jouent un rôle croissant dans l'inclusion des réfugiés.

Environ 60 % des 25,4 millions de réfugiés dans le monde vivent non pas dans des camps mais dans des villes et en milieu urbain en Amérique, en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie.

Les maires, les autorités locales, les entreprises sociales et les groupes de citoyens de ces Villes de Lumières - de Sao Paulo à Vienne, en passant par Erbil et Kigali - sont en première ligne de la réponse mondiale aux crises de réfugiés, en favorisant la cohésion sociale, protégeant et aidant les hommes, femmes et enfants déracinés parmi eux.

Outre Franka Soeria, des entrepreneurs basés à Djakarta, tels que la chaîne de restaurants Gourmand Group et des organisations à but non lucratif comme Art for Refuge, Indonesia for Refugees et The Learning Farm, offrent également une formation pour aider les réfugiés à développer leurs compétences dans divers domaines - cuisine, art, fabrication de savon, couture et agriculture biologique.

Avec le soutien de la municipalité de Djakarta, une cinquantaine d'enfants réfugiés apprennent également à parler le bahasa indonesia, la langue officielle indonésienne. Ils ont accès aux écoles élémentaires publiques de la capitale, avec le soutien des partenaires du HCR, de Dompet Dhuafa, du Catholic Relief Service et de PKPU Human Initiative.

« Nous devons trouver des moyens d'aider les réfugiés à prendre soin d'eux-mêmes et à donner en retour à leurs communautés d'accueil. »

Les possibilités de formation offertes sont une bouée de sauvetage pour les réfugiés. Moins de 14 000 réfugiés, dont la moitié sont originaires d'Afghanistan, vivent en Indonésie, l'un des pays les plus peuplés au monde. Bien que le pays accueille généreusement ces réfugiés jusqu'à ce que des solutions à long terme puissent être trouvées, ils n'ont pas le droit de travailler et il est difficile pour eux de fréquenter l'université.

Alors que les possibilités de réinstallation diminuent et que le financement global devient de plus en plus imprévisible, le HCR cherche de nouveaux moyens d'aider les réfugiés en Indonésie à devenir autosuffisants et prêts à saisir des opportunités.

« Nous essayons de préparer les réfugiés pour l'avenir », a déclaré Thomas Vargas, Représentant du HCR en Indonésie. « Nous devons trouver des moyens de les aider à prendre soin d'eux-mêmes et à rendre en retour à leurs communautés d'accueil, en partageant les compétences et les connaissances dont ils disposent. Cela peut aussi favoriser un développement économique qui aidera tout le monde. » 

« Lorsque les réfugiés peuvent améliorer leurs compétences, ils augmentent leurs chances de reconstruire leur vie où qu'ils se trouvent et y compris lorsqu’ils sont réinstallés », a-t-il ajouté.

« Ils m'ont donné la clé pour que je puisse ouvrir la porte et que mes rêves se réalisent. »

L'impact positif du projet sur la vie des stagiaires sélectionnés est déjà perceptible. Ahmad Musawer Faizi, 21 ans, a fui l'Afghanistan en 2015 et est arrivé seul en Indonésie. Il a appris à coudre quand il était jeune garçon en regardant sa mère faire des vêtements à la maison. A Esmod, l'école de mode de Djakarta, il a également suivi un cours de mode soutenu par le HCR.

« J'adore le design de mode », a déclaré Ahmad. « Nous pouvons venir ici, faire quelque chose pour nous-mêmes, améliorer nos compétences. Je suis heureux parce que je suis occupé avec ce projet. Je n'ai pas le temps de penser aux choses négatives, je suis occupé à penser aux choses positives. »

« Maintenant, je sens que je peux améliorer mes compétences... Ils m'ont donné la clé pour que je puisse ouvrir la porte et que mes rêves se réalisent... » a-t-il ajouté.

Dans l'attention intense qu'ils accordent à leurs créations pendant l'atelier et dans l'enthousiasme qu'ils éprouvent à assister à leur toute première séance photo, en ayant également recours à un modèle et un maquilleur tous deux réfugiés, la passion des stagiaires pour leur travail est évidente.

Bien que le projet ait commencé à petite échelle, Franka Soeria espère l'étendre - et peut-être même encourager d'autres chefs d'entreprise à envisager des possibilités de formation professionnelle similaires. « Peut-être... que cette idée aura un effet boule de neige. Peut-être que davantage de personnes se joindront à nous et que nous pourrons en aider davantage. »

Elle pense également que l'énergie et l'enthousiasme dont ont fait preuve les réfugiés du projet Benang, ainsi que leur mentalité ‘proactive’, sont des attitudes dont elle et d'autres Indonésiens peuvent également s’inspirer.

« Ce que nous apprenons, c'est qu'ils sont prêts à accomplir quelque chose », a compris Franka Soeria. « Cela... peut inspirer d'autres Indonésiens. On ne devrait pas tenir une situation pour acquise. C'est très inspirant de voir leur énergie pour réussir - et je sais qu'ils y arriveront. »

Avec la contribution additionnelle de Mitra Suryono


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