Vivre normalement : la quête des réfugiés et migrants vénézuéliens atteints du VIH/sida

Plus de 7 700 Vénézuéliens ayant besoin d'un traitement anti-VIH/sida ont quitté leur pays et sont confrontés à des difficultés supplémentaires dans leur quête de sécurité et de soins médicaux.

Le psychologue Julio Rondinel, lors d'une séance de thérapie de groupe avec des réfugiés et des migrants vénézuéliens, à Lima, au Pérou. Beaucoup de ses patients sont atteints du VIH/sida.
© HCR / Santiago Escobar-Jaramillo

Assis dans un bus bondé à l’approche de Lima, au Pérou, après sept jours de route et à des milliers de kilomètres du Venezuela, son pays d’origine, Arturo* était terrifié. Le jeune homme, âgé de 47 ans, se demandait s’il trouverait des médicaments contre le VIH, le virus de l'immunodéficience humaine. « Vais-je mourir dans ce pays où je ne connais personne ? » a-t-il pensé.


À ce jour, plus de trois millions de réfugiés et de migrants ont quitté le Venezuela. La pénurie de médicaments a forcé des milliers d’individus à trouver un traitement et de l’espoir dans d’autres pays, en particulier les personnes atteintes de maladies chroniques comme le VIH/sida.

Pour les personnes vivant avec le VIH/sida, accéder à un traitement antirétroviral leur permet non seulement de survivre mais aussi de mener une existence normale. Selon l'ONUSIDA, plus de 7 700 Vénézuéliens vivent avec la maladie en dehors de leur pays d'origine et elles ont besoin de thérapies antirétrovirales.

Arturo a appris le diagnostic de sa maladie en 2000. Jusqu’à ce que les stocks de médicaments antirétroviraux diminuent, il y a environ deux ans, il vivait confortablement et sainement à Caracas, au Venezuela, où il était styliste coiffeur-maquilleur.

« J'avais vraiment peur de ne plus avoir de médicaments. »

Pour obtenir le traitement quotidien dont il a besoin, Arturo a dû faire appel à des amis médecins, mais la situation a rapidement empiré. Il a estimé qu’il n’avait plus le choix.

« Cela a précipité ma décision de partir », dit-il. « J'avais très peur de ne plus avoir de médicaments. »

Depuis son départ, il y a moins de six mois, cinq de ses amis atteints du VIH/sida et restés au Venezuela sont décédés, explique Arturo.

Des pays comme le Pérou et le Mexique ont accordé un statut à des réfugiés vénézuéliens atteints du VIH/sida. Il n’existe cependant

aucune réponse régionale en Amérique latine, qui garantirait l'accès à des médicaments antirétroviraux pour les réfugiés et les migrants vénézuéliens atteints du VIH/sida. L’accès à leur traitement dépend de la politique mise en place dans chaque pays et varie considérablement d’un pays à l’autre.

Le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et ONUSIDA apportent leur appui technique aux ONG nationales, qui mettent en place un réseau régional permettant aux malades du VIH de contacter en toute sécurité des cliniques, des hôpitaux, des lieux d’accueil et d’autres organisations fournissant une aide humanitaire aux personnes qui cherchent un traitement en dehors du Venezuela.

« Les réfugiés et les migrants vénézuéliens atteints du VIH/sida doivent pouvoir bénéficier d’un traitement antirétroviral, qui leur est vital, et de soins dans les pays hôtes, ainsi que des messages de prévention sur le VIH, d’éducation, des actions de communication, des consultations, de tests volontaires et de préservatifs », explique la conseillère régionale pour les programmes d’ONUSIDA, Alejandra Corao.

Darwin (à droite) et son partenaire. Darwin, qui vient du Venezuela et vit avec le VIH au Pérou, est bénévole au sein de la fondation AIDS Healthcare Foundation (AHF), à Lima.

Darwin (à droite) et son partenaire. Darwin, qui vient du Venezuela et vit avec le VIH au Pérou, est bénévole au sein de la fondation AIDS Healthcare Foundation (AHF), à Lima.   © HCR / Regina de la Portilla

Ne pas faciliter l’accès aux traitements antirétroviraux peut vite devenir un problème de santé publique car cela peut entraîner une hausse du risque de résistance du VIH aux antirétroviraux, ainsi qu’une augmentation du nombre de nouvelles infections, ajoute-t-elle.

Les réfugiés et les migrants risquent d’éviter de se rendre à l'hôpital de peur d'être victimes de discrimination en raison de leur état de santé ou - s'ils ne sont pas en situation légale – de peur d'être expulsés. Cela augmente le risque de transmission dans les pays d'accueil.

À sa grande surprise, il n’a fallu que 20 jours à Arturo pour pouvoir démarrer un traitement à Lima. « Les soins médicaux ont été formidables », dit-il. « J'ai tout de suite commencé le traitement. Tout le monde était très respectueux à mon égard. »

L’accès aux médicaments antirétroviraux est gratuit au Pérou. Toutefois, la disponibilité des stocks et l'accès au traitement ne sont pas toujours garantis. L’organisation PROSA, l’un des partenaires du HCR, a signalé trois cas de Vénézuéliens, dont elle assurait le suivi, mais qui sont décédés faute d’accès, en temps opportun, à un traitement antirétroviral. De leur côté, les acteurs de la société civile ont dénombré huit cas de ce genre, au total.

« Dès que je leur ai parlé de mon état, ils m'ont demandé de partir. Ils ont dit que je risquais d’infecter les autres. »

En outre, la plupart des réfugiés et des migrants n’ont pas accès aux infrastructures de santé publique -- par exemple, lorsqu’il s’agit de soigner les infections résultant du VIH.

« Nous demandons la couverture de santé universelle », dit Julio Rondinel, un psychologue péruvien, qui aide les réfugiés vénézuéliens et les migrants atteints du VIH dans le cadre de thérapies de groupes, au sein de l'association CCEFIRO. « La prise prolongée d'antirétroviraux entraîne des désordres métaboliques, tels que le diabète ou l'hypertension artérielle. »

En raison de leur vulnérabilité particulière, les Vénézuéliens atteints du VIH/sida peuvent demander un statut de résident extraordinaire au Pérou. Pour y avoir droit, ils doivent passer un examen médical et se soumettre à des contrôles de santé qui peuvent coûter jusqu'à 170 soles (45 euros).

« Garantir l’accès le plus large possible à des soins de santé est indispensable pour les personnes les plus vulnérables comme les réfugiés et les migrants atteints du VIH/sida, dont la vie en dépend », souligne Sabine Waehning, la Représentante par intérim du HCR au Pérou.

L’arrivée de Willy au Pérou n’a pas été une expérience aussi positive que celle d’Arturo. Le jeune homme, âgé de 22 ans, a appris le diagnostic de son infection au VIH en septembre 2017 au Venezuela, et le conseil du médecin fut sans équivoque : « Si vous restez ici, vous mourrez. »

Après avoir passé quelques mois en Colombie et en Équateur, Willy s’est rendu dans la capitale péruvienne en août. Il a passé ses 10 premiers jours sur place dans un abri. « Dès que je leur ai parlé de mon état, ils m'ont demandé de partir », se souvient Willy. « Ils ont dit que je risquais d’infecter les autres. »

Grâce à des associations comme PROSA ou la fondation AHF, Willy a pu réaliser les examens médicaux nécessaires pour obtenir un traitement. Willy n’a que des louanges au sujet de la thérapie antirétrovirale au Pérou. Les soins médicaux étaient « d’excellence » et il a rapidement démarré le traitement.

« Ici, on se sent en sécurité. »

Willy essaie à présent de finaliser les tests médicaux afin qu’il puisse introduire une demande de statut de résident extraordinaire. « Si vous ne l’avez pas, c’est très difficile de trouver un emploi », dit-il.

Darwin, qui a 29 ans, a le sentiment d’aider à son tour les autres en étant bénévole à la fondation AIDS Healthcare Foundation (AHF), à Lima. Il milite pour l'accès aux traitements et pour la mise en place d’une aide, tant pour les Péruviens que les Vénézuéliens ; il accompagne à l’hôpital de nouveaux arrivants vénézuéliens atteints du VIH/sida et les soutient dans leur recherche d’un traitement antirétroviral.

Darwin serait mort s'il était resté au Venezuela. Après trois mois sans médicament - parce que les antirétroviraux étaient introuvables dans les hôpitaux ou trop chers au marché noir -, il est tombé gravement malade à la suite d’une grippe intestinale. Il était si faible qu'il ne pouvait plus marcher. Il a perdu 34 kilos en l’espace de quatre mois. Darwin s’est dit : « Je ne veux pas abandonner, je veux continuer à vivre. »

Il y a un an, Darwin a trouvé la sécurité au Pérou. Pour lui, les pays d’accueil devraient davantage réaliser que n'importe qui peut devenir réfugié : « C’est comme le VIH. Nous sommes tous exposés. Personne n'est à l'abri de ce risque. »

Arturo vient d’obtenir son statut de résident extraordinaire. Il prend actuellement huit comprimés par jour et travaille comme coiffeur à Lima. Quitter son foyer fut difficile, mais il remercie le Pérou. « Ce n’est pas facile parce qu’à l’arrivée, tellement de choses nous manquent », dit Arturo. « Mais, ici, on se sent en sécurité. »

* Les noms de famille ont été omis pour des raisons de protection.

Avec la contribution de Regina de la Portilla, à Lima.