Par Rima Cherri et Charlie Dunmore à Beyrouth, Liban
Mohammad avait juste deux mois lorsque la guerre a éclaté en Syrie. Au début, la vie a poursuivi son cours normal dans le petit village tranquille situé à proximité des ruines de la Palmyre antique où vivait sa famille. Mais rapidement, le conflit a profondément marqué leur vie, et plus particulièrement encore celle de Mohammad.
N’ayant jamais rien connu d’autre que la guerre chez lui et l’exil au Liban, où il vit maintenant comme réfugié avec sa famille, l’histoire de Mohammad n’est que l’une de celles des millions de personnes touchées par la guerre en Syrie, tristement entrée dans sa huitième année ce mois-ci.
Le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, estime qu’aujourd’hui, comme Mohammad, plus d’un million d’enfants syriens réfugiés n’ont jamais connu leur pays en paix et leurs plus profonds souvenirs sont marqués par la guerre et l’exil.
Pendant une bonne partie de l’enfance de son fils, Hussein, 41 ans, le père de Mohammad, a vécu au Liban voisin, travaillant comme journalier sur des chantiers de construction pour subvenir aux besoins de la famille et laissant Aicha, son épouse, gérer le ménage au pays. « À l’époque, notre village était paisible et nous pouvions encore rêver d’offrir une vie meilleure à nos enfants », raconte-t-il.
Mohammad avait un an et demi lorsqu’on lui a diagnostiqué une déficience auditive. Il a commencé à porter un appareil auditif et devait effectuer un contrôle tous les trois mois chez un spécialiste à Damas. Puis rapidement, au début 2013, le conflit qui jusque-là avait fait rage dans d’autres parties de la Syrie a progressivement commencé à affecter leurs vies.
« Les groupes armés venaient et repartaient – aucun d’entre nous ne savait qui se battait contre qui », raconte Hussein. « Au début on pouvait encore aller d’un endroit à l’autre. Puis les gens ont cessé de se déplacer à la nuit tombée, et peu après, il est devenu impossible de se déplacer à n’importe quel moment. Les gens avaient trop peur de quitter le village, quelle qu’en soit la nécessité. »
« La maison s’est écroulée autour de nous. J’ai pris mes enfants et j’ai essayé de les éloigner. »
Les restrictions de liberté de mouvement confinaient Hussein au Liban lorsque la guerre est finalement arrivée à leur porte en Syrie cette nuit d’août 2014 et que la vie du petit Mohammad a été bouleversée à jamais. Vers 2 heures du matin, Aïcha, 32 ans, a été réveillée par le bruit assourdissant des bombardements.
« La maison s’est écroulée autour de nous. J’ai pris mes enfants et j’ai essayé de les éloigner », se souvient-elle. « En sortant, j’ai vu mes voisins porter des corps sans vie hors de leur maison ». Ils sont allés se réfugier dans les champs voisins.
Dans la panique et la confusion ambiante, Aïcha n’a réalisé qu’au petit matin qu’il y avait du sang sur ses vêtements et que c’était le sang de Mohammad. Provoquée par un éclat, la blessure à sa main gauche ne paraissait initialement pas très grave, mais ils ont mis deux jours avant de pouvoir se rendre à l’hôpital et les dégâts nerveux ont contraint les médecins à l’amputer.
Et les choses ne sont pas améliorées par la suite. Des groupes armés ont pris le contrôle de la région autour de leur village en 2015 et empêchaient les gens de partir. Mohammed ne pouvait plus aller voir le spécialiste à Damas et son ouïe s’est rapidement détériorée. Sans autre choix, au début de 2016, Aïcha a payé des passeurs pour fuir le territoire occupé par les extrémistes avec ses quatre enfants et aller retrouver Hussein au Liban.
Le voyage vers Beyrouth via Raqqa, Alep et Damas a pris deux mois au total. À certains moments, Aïcha a dû supplier des étrangers de lui donner de l’eau, monter à dos de mulet et marcher des heures durant avec ses quatre jeunes enfants. « En tant que femme voyageant seule, j’ai pris énormément de risques, mais je suis restée forte », explique-t-elle. « J’ai puisé ma force chez ceux que j’ai croisés en route et qui avaient dû surmonter bien pire. »
Après avoir enfin retrouvé sa famille, la priorité absolue d’Hussein était de trouver une aide spécialisée pour la déficience auditive de Mohammad. Une recommandation l’a conduit jusqu’à l’Institut du Père Andeweg pour les sourds, une école spécialisée installée dans les collines boisées qui surplombent Beyrouth.
« Mohammad est un élève très intelligent. Il veut constamment prouver qu’il est comme tout le monde. »
L’école compte 50 élèves libanais et 20 enfants réfugiés syriens qui assistent gratuitement aux cours. Outre les cours d’arabe et d’anglais, l’école fournit des appareils auditifs et donne accès à des logopèdes, des psychologues et des travailleurs sociaux.
Après tout ce qu’il a vécu, Mohammad s’épanouit enfin pleinement grâce à l’école. Chaque matin, il se coiffe devant le miroir avant la demi-heure de trajet qui le mène à l’école et la première chose qu’il fait en rentrant de l’école, ce sont ses devoirs. Il veut tellement être le meilleur qu’en classe il essaie de répondre à toutes les questions.
« Mohammad est un élève très intelligent », explique Sabine, l’un de ses professeurs. « Il veut constamment prouver qu’il est comme tout le monde, qu’il peut tout faire, même s’il lui manque une main. »
Hussein rappelle que la guerre en Syrie a le même âge que son fils qui grandit bien vite. « Les sept années passées nous ont ramenés 100 ans en arrière. Elles nous ont vieillis », dit-il. « Mais je ne me fais pas de soucis pour l’avenir de Mohammad. Je fais de mon mieux pour qu’il soit heureux et, d’une manière ou d’une autre, ça se passe toujours bien pour lui. »
Sa mère, Aïcha, résume l’état d’esprit qui selon elle définira l’avenir de Mohammad, en dépit de tout ce qui lui est arrivé dans le passé. « Sa détermination a toujours été plus forte que ses handicaps. »
Cette histoire a été initialement publiée sur unhcr.org.
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