Des réfugiés brillent sur scène à Berlin

Apprendre les paroles d'une comédie musicale leur a permis d'améliorer leur maîtrise de l'allemand.

Une ovation pour les acteurs d'une comédie musicale qui a transformé des réfugiés en stars.
© HCR/Henry H. Herrmann

« Je n’imaginais pas ressentir un jour une telle émotion », chante Maher Shamashan, un jeune Syrien de 18 ans. Le public crie et siffle d’enthousiasme pendant la première d'une comédie musicale qui a transformé des réfugiés en stars de la scène à Berlin.


En fin de spectacle, le public ovationne le compositeur américain Todd Fletcher et la troupe multiculturelle de Hoch Hinaus (Tout là-haut).

La veille, Todd Fletcher, diplômé de Harvard, âgé de 48 ans et auteur de 35 comédies musicales, ne trouvait pas le sommeil tant son dernier projet lui paraissait risqué : mettre sur scène des réfugiés ignorant quasiment tout de la musique occidentale ou de la langue allemande, à Berlin, Hambourg et Leipzig.

Mais le pari s’est avéré gagnant pour ce spectacle itinérant qui raconte une nouvelle fois l'éternelle aventure du combat entre le bien et le mal.

La musique et la danse aident les réfugiés à s'intégrer en Allemagne  (Sylvie Francis, productrice)

« Moi, je suis dans l'armée du mal, habillé en noir », explique Rahman Yaqoubi, 17 ans, un Afghan qui a grandi en exil en Iran. « J'aime Justin Bieber, Michael Jackson – sa façon de danser. En Iran, je n'avais aucune chance de monter sur scène. C'est super de travailler avec Monsieur Todd. Monsieur Todd, c'est un diamant. »

Fletcher Todd a grandi dans le Connecticut, immergé dans la passion, le spectacle et la musique des églises baptistes du Sud. Depuis son installation en Allemagne en 2006, il a travaillé sur différents projets pour les jeunes. Le spectacle Hoch Hinaus est un produit de la coopération entre sa propre entreprise, PluralArts International, et l'organisation caritative catholique allemande Malteser Hilfsdienst.

« Un de mes amis gérait un abri », explique Fletcher. « Les réfugiés m'intriguaient mais je n'en avais jamais rencontré un seul. Je les voyais couchés dans leurs lits, tuant le temps sur leurs téléphones — des centaines d'hommes parfaitement valides, intelligents, et totalement désœuvrés. J’ai pensé qu’il y avait là tellement de talent gâché. »

Il a donc eu l’idée d'écrire une comédie musicale, spécialement pour eux.

Hoch Hinaus est vaguement basé sur le vécu des réfugiés et aborde des thèmes tels que l'amitié, la liberté et la trahison. Une épopée fantastique, aux relents du Magicien d'Oz et d'Alice au pays des merveilles, qui raconte les aventures d'un groupe de villageois innocents, tous vêtus de blanc, qui sont capturés par les soldats de la Petite Sorcière, tous vêtus de noir.

Les villageois sont retenus en otage dans les montagnes et forcés à participer à la réception organisée par la sorcière jusqu'à ce que le héros, Maher, vienne les secourir avec l'aide de la Princesse Deyse et que les belligérants se réconcilient.

  • Enfin libre, l'avant-dernier chant en choeur de la comédie musicale Hoch Hinaus. « En arrivant à la gare de Munich, j'aurais chanté Enfin libre si j'avais connu la chanson à l'époque », commente Maher.
    Enfin libre, l'avant-dernier chant en choeur de la comédie musicale Hoch Hinaus. « En arrivant à la gare de Munich, j'aurais chanté Enfin libre si j'avais connu la chanson à l'époque », commente Maher.  © HCR/Henry H. Herrmann
  • •	La Petite Sorcière, jouée par Nastassja Selow, a été vaincue et retourne chez sa mère. « Je n'avais jamais vraiment rencontré de réfugiés avant ça. Nous sommes devenus amis. »
    • La Petite Sorcière, jouée par Nastassja Selow, a été vaincue et retourne chez sa mère. « Je n'avais jamais vraiment rencontré de réfugiés avant ça. Nous sommes devenus amis. »  © HCR/Henry H. Herrmann
  • Le compositeur américain Todd Fletcher était au piano et dirigeait les spectacles.
    Le compositeur américain Todd Fletcher était au piano et dirigeait les spectacles.  © HCR/Henry H. Herrmann
  • Pour les réfugiés, apprendre les paroles a été une excellente méthode pour améliorer leur maîtrise de l'allemand.
    Pour les réfugiés, apprendre les paroles a été une excellente méthode pour améliorer leur maîtrise de l'allemand.  © HCR/Henry H. Herrmann

De nombreux demandeurs d'asile arrivés en Allemagne en 2015 étaient de jeunes hommes, et donc la plupart des rôles féminins de la comédie musicale sont joués par des Allemandes tandis que les réfugiés jouent les rôles masculins, même si des femmes réfugiées y participent également. D'autres encore aident à créer les costumes en utilisant le savoir-faire acquis dans leurs pays d'origine.

Apprendre les paroles a permis aux réfugiés d’améliorer leur maîtrise de l'allemand, un facteur déterminant pour leur intégration — même si seuls les « gentils » chantent en allemand, alors que les « méchants » parlent anglais.

Les répétitions ont duré des mois. Alors qu'il formait les réfugiés recrutés à Berlin, Fletcher se rendait à Hambourg tous les lundis pour les répétitions de l’autre troupe.

Pendant la dernière semaine de répétitions au centre culturel de la ufaFabrik de Berlin, la tension montait. « J’ai l’impression que je n'arrête pas de leur crier dessus, de crier, de crier encore”, explique Fletcher. Et pourtant, les acteurs adoraient. « Je suis heureux quand je chante », déclare Kim Saad, un Palestinien de 30 ans qui vivait en Libye avant de venir en Europe. Plus âgé que les autres, il joue le rôle d’un vieil homme. « J'ai vécu beaucoup de stress parce que j'ai perdu ma femme et ma fille pendant la guerre en Libye. La comédie musicale m'a aidé. »

Nastassja Selow, 14 ans, joue le rôle de la sorcière. « Ça a été tellement amusant », dit-elle. « Je n'avais jamais joué ce genre de rôle et je n'avais jamais vraiment rencontré des réfugiés. Nous sommes devenus amis. Je n’ai pas envie que ça se termine parce que je ne les verrai plus toutes les semaines. »

Fletcher rappelle la troupe à l'ordre. « Écoutez-moi tous », dit-il. « On a sept minutes pour apprendre quelque chose de nouveau, mais c'est super facile.

‘Élevez vos voix et chantez !

Nous ne devons plus attendre,

Nous sommes plus forts. Redressez-vous maintenant !

Nous avons fait tourner la clé dorée

Nous sommes enfin libres…’”

En quelques instants, la troupe apprend également les nouveaux pas de danse qui accompagnent la chanson.

À quelques heures seulement de la première, Maher était tendu. « Je n'ai pas une voix parfaite, mais Todd dit qu'on peut tous chanter. Alors j'ai essayé et ça a été super », explique le héros de la pièce.

« Je sais qu'un jour on rentrera à la maison et on reconstruira notre pays. »

« Dans la pièce, je suis le perdant. J'ai peur de tout – si ce n'est que je parle des langues étrangères, que je sais m'orienter avec des cartes, et donc je parviens à sauver les autres. Mais je ne suis pas une star. Je ne suis pas seul sur scène. »

Le vrai héros, c'est peut-être bien Reza Yaqoubi, 17 ans. À quelques jours du spectacle il a remplacé un membre de la troupe tombé malade et il a réussi à apprendre le rôle principal de Reza le Traitre en une semaine à peine.

« La musique c'est une langue universelle », dit-il avec modestie. « La musique, c'est un sentiment que tout le monde comprend. »

L'heure de la levée de rideau était arrivée.

Hoch Hinaus contient quelques très belles chansons – La prière du voyage, qui conjugue des prières de voyage islamiques, chrétiennes et juives ; Toujours et partout, dans laquelle le guerrier blanc Khaled promet qu'il sera toujours là pour son ami ; et Je n'imaginais pas, le duo d'amour de la princesse Deyse et de Maher.

Fletcher a permis au talent des réfugiés de s'épanouir. « Ma devise », dit-il, « c'est la phrase de Benjamin Disraeli : ‘Le plus grand bien que l'on peut offrir à l'autre, ce n'est pas de partager ses propres richesses avec lui, mais de lui faire découvrir les siennes.’ »

Les réfugiés semblent abasourdis par le tonnerre d'applaudissements qui suit la dernière chanson Enfin libre.

Et pourtant, Enfin libre n'est pas vraiment la fin. À la fin de la comédie musicale, Maher retourne dans la montagne pour libérer ceux qui sont asservis.

Maher, qui est arrivé en Allemagne en train en 2015, trouve sa signification à chaque note du spectacle. « J'ai perdu des amis en Syrie », dit-il. « En arrivant à la gare de Munich, j'aurais chanté ‘Enfin libre’ si j'avais connu la chanson à l'époque. Maintenant, je suis en Allemagne, je fais des études. Mais comme tous les Syriens, je sais qu'un jour on rentrera chez nous, on reconstruira notre pays et on bâtira un autre avenir. »