La distinction Nansen 2017 du HCR attribuée au médiateur qui a négocié la libération des collégiennes de Chibok

La fondation de Zannah Mustapha donne une éducation aux orphelins et une nouvelle chance aux femmes qui ont perdu leur mari dans l'insurrection au nord-est du Nigéria.

Mustapha et des élèves de l'École de la Fondation islamique des prouesses futures avant l'assemblée du matin.
© HCR/Rahima Gambo

Devant l'École de la Fondation islamique des prouesses futures, une pancarte ternie indique : « L’école où chaque enfant compte ».


C'est le mantra de son fondateur, Zannah Mustapha, un avocat de 58 ans au ton mesuré qui est le lauréat de la distinction Nansen 2017 du HCR.

« Ici, chaque enfant compte, quels que soient sa religion, son origine ou sa culture... Notre but est d'apporter des changements positifs dans leur existence, » a expliqué Mustapha lors d'un entretien avec le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés.

D'abord avocat, puis promoteur immobilier, Mustapha a fondé l'école en 2007 pour les orphelins et les enfants vulnérables. Il s'inquiétait du nombre croissant d'enfants qui erraient dans les rues de Maiduguri, capitale de l'État de Borno et cœur de l'insurrection durant laquelle environ 20 000 personnes ont péri et 2,3 millions d'autres ont été déplacées.

« Sans éducation, que leur arriverait-il. »

Il redoutait l'insécurité croissante et la sévère riposte militaire qui ne manqueraient pas de produire une génération d'enfants non éduqués, exacerbant ainsi les problèmes de cette région parmi les plus pauvres du pays.

« Il y avait des enfants partout, tous seuls dans les rues, » raconte-t-il… « Sans éducation, que leur arriverait-il… Je n'arrêtais pas de penser à ce que deviendrait ma fille si je venais à mourir, qui paierait pour son éducation ? C'est là que j'ai pris conscience qu'il fallait agir. »

« Quand j'étais jeune, on ne voyait pas ce genre de problème. C'était la famille qui s'occupait des orphelins, mais maintenant c'est devenu de plus en plus difficile. »

Avec l'aide et le soutien d'un petit groupe d'amis avec lesquels il jouait souvent au tennis de table, son passe-temps favori, il a décidé de créer l’école de la Fondation islamique des prouesses futures afin d’établir une école et différents organisations de bienfaisance pour venir en aide aux victimes de toutes les parties à l'insurrection.

Montrant une zone boisée de son terrain de 60 ares, fruit d'une heureuse transaction immobilière, il raconte : « C'est là qu'on venait jouer au ping-pong, mais j'ai décidé que je n'avais pas besoin de tant d’espace. Alors j'ai remplacé les tables de ping-pong par un petit bâtiment… pour les enfants. »

Ce premier pas a conduit à la construction d'une école de 540 élèves, dont 282 filles. Il y a encore 2000 enfants inscrits sur la liste d'attente. Dans le bureau du directeur, les dossiers de demandes sont empilés dans un coin.

  • Mustapha et trois de ses enfants sont assis dans le jardin de sa maison familiale, à côté de la première des deux écoles qu'il a créées pour les orphelins et d'autres enfants de Maiduguri, dans l'État de Borno, au Nigéria, ravagé par le conflit.
    Mustapha et trois de ses enfants sont assis dans le jardin de sa maison familiale, à côté de la première des deux écoles qu'il a créées pour les orphelins et d'autres enfants de Maiduguri, dans l'État de Borno, au Nigéria, ravagé par le conflit.  © HCR/Rahima Gambo
  • Les élèves de l'École de la Fondation islamique des prouesses futures  aiment se dépenser pendant les pauses.
    Les élèves de l'École de la Fondation islamique des prouesses futures aiment se dépenser pendant les pauses.  © HCR/Rahima Gambo
  • Ayuba Mustapha, 8 ans, son meilleur ami Adam Alhaji, 8 ans, et Abubakar Muhammed, 8 ans, disent qu'ils aiment étudier à l'École de la Fondation islamique des prouesses futures, à Maiduguri, dans l'État de Borno, au Nigéria.
    Ayuba Mustapha, 8 ans, son meilleur ami Adam Alhaji, 8 ans, et Abubakar Muhammed, 8 ans, disent qu'ils aiment étudier à l'École de la Fondation islamique des prouesses futures, à Maiduguri, dans l'État de Borno, au Nigéria.  © HCR/Rahima Gambo
  • Mustapha s'entretient avec les élèves de l'une des classes du cycle moyen de son École de la Fondation islamique des prouesses futures à Maiduguri, au Nigéria.
    Mustapha s'entretient avec les élèves de l'une des classes du cycle moyen de son École de la Fondation islamique des prouesses futures à Maiduguri, au Nigéria.  © HCR/Rahima Gambo
  • Mustapha tient dans ses bras le bébé Zannah à qui ses parents déplacés lui ont donné son propre nom. Cette famille déplacée vit près de la deuxième des deux écoles que Mustapha a créées à Maiduguri.
    Mustapha tient dans ses bras le bébé Zannah à qui ses parents déplacés lui ont donné son propre nom. Cette famille déplacée vit près de la deuxième des deux écoles que Mustapha a créées à Maiduguri.  © HCR/Rahima Gambo
  • Des jeunes filles étudient dans la classe 3A de l'École de la Fondation islamique des prouesses futures. Maiduguri, État de Borno, Nigéria.
    Des jeunes filles étudient dans la classe 3A de l'École de la Fondation islamique des prouesses futures. Maiduguri, État de Borno, Nigéria.  © HCR/Rahima Gambo
  • Mustapha entouré d'élèves dans l'une des classes maternelles.
    Mustapha entouré d'élèves dans l'une des classes maternelles.  © HCR/Rahima Gambo
  • Mustapha inspecte les travaux pour une troisième école qu'il construit actuellement sur les rives du Gadabul à Maiduguri. L'école accueillera des élèves adultes qui n'ont pas pu aller à l'école en raison de conflits.
    Mustapha inspecte les travaux pour une troisième école qu'il construit actuellement sur les rives du Gadabul à Maiduguri. L'école accueillera des élèves adultes qui n'ont pas pu aller à l'école en raison de conflits.  © HCR/Rahima Gambo

« On n’arrive tout simplement pas à répondre à la demande, » dit Suleiman Aliyu, qui travaille à l'école depuis sa création.

« Ce lieu est protégé parce que toutes les parties au conflit y sont représentées et que nous enseignons l'éducation islamique et la supposée éducation occidentale. Nous enseignons l'arabe, le français, l'anglais, les maths… Tout ça, c'est Mustapha qui l’a accompli. « Pour lui, un enfant c'est un enfant, quelle que soit son origine. »

Partisan d’une approche inclusive, Mustapha veille à accueillir à l'école des enfants issus de familles chrétiennes et musulmanes appartenant aux deux parties du conflit. Il n'y a pas de frais de scolarité, le principal obstacle à l'éducation pour des milliers de Nigérians démunis.

« Il faut donner un coup de main aux personnes frappées par l'insurrection pour qu'elles puissent poursuivre leur route, être encouragées à vivre, » s'exclame-t-il devant un déjeuner de viande grillée, d'épices et de pain. Vêtu de la traditionnelle robe bleu marine, il explique combien il est important de lancer des « bouées de sauvetage » aux gens déplacés par le conflit pour qu'ils puissent redevenir autonomes.

En plus de l'école, sa fondation a créé une association de veuves et distribué des terres à cultiver à d'autres déplacés.

Nombre des élèves de cette école sont orphelins, mais ils se mêlent aux enfants des enseignants, des gardes de sécurité et même certains des plus jeunes enfants de Mustapha. Les parents de certains d'entre eux étaient des partisans de Boko Haram, tandis que d'autres appartenaient aux forces de sécurité qui combattaient les militants.

« Ici, nous ne faisons qu'un… et rien d'autre n'est important, » dit Mustapha. « Le message que je voudrais donner, c'est que nous sommes tous pris dans un indissociable réseau de mutualité. En tant qu'humanité, nous sommes une et même nation et c'est pourquoi nous devons être le gardien de notre frère… Il faut que nous ne fassions qu'un… Non seulement ne faire qu’un, mais être vu comme tel. »

« Cet homme a changé la vie de tant de gens ici. »

La demande est telle que la fondation de Mustapha a maintenant ouvert un deuxième établissement, sur les berges de la rivière Gadabul. Pour l'instant, cette école ne compte que 88 élèves, mais sera encore développée pour devenir un internat.

Près de l'école, Mustapha a mis à disposition environ 16 hectares de terres exploitées par les déplacés qui vivent dans des abris proches fournis par le HCR et ses partenaires.

« Cet homme a changé la vie de tant de gens ici, » dit Sharif Abubakar, qui a fui après la destruction de sa maison par Boko Haram il y a deux ans et qui est maintenant responsable du projet agricole de la fondation. « Il nous a gratuitement fourni des terres agricoles, une éducation gratuite, il nous a même donné les semences pour démarrer et a cultivé sa propre parcelle pour nous montrer ce qui pouvait être fait. »

La philanthropie de Mustapha est admirée par beaucoup. À la différence des élus politiques, il n'a pas d'ennemi et entretient des relations avec les deux parties au conflit. C'est ce qui lui a permis d’être l'un des principaux médiateurs lors des négociations engagées pour faire libérer les collégiennes de Chibok dont l'enlèvement par les militants de Boko Haram a attiré l’attention mondiale en avril 2014.

Au total, 276 filles ont été kidnappées. Dans la confusion qui a suivi, 57 d'entre elles ont pu s'échapper tandis que les autres ont été conduites très loin dans la forêt de Sambisa.

Mustapha a pris contact avec les kidnappeurs et, après un ensemble de mesures destinées à susciter leur confiance, il a pu négocier la libération de 21 filles. En mai dernier, il a obtenu un nouveau succès avec la libération de 82 autres jeunes filles.

« Elles ont été acheminées jusqu'à un endroit fixé d'un commun accord, près de la frontière avec le Cameroun, et elles sont sorties l'une après l'autre et se sont identifiées… Quand elles ont compris ce qui se passait, elles étaient folles de joie, » se souvient-il avec un grand sourire. « Je suis persuadé que d'autres seront libérées bientôt. »