Innovation

Sophie Douce, étudiante à l'Institut Pratique de Journalisme (IPJ), remporte le Concours HCR-Le Monde en 2017 grâce à son article « Une plate-forme Web pour aider les 'talents exilés' en quête d'emploi»

« Ma famille était en danger là-bas. J’ai eu peur de mourir », se rappelle-t-il. Hafiz est Hazara, une communauté persécutée par les talibans afghans. Après s’être exilé en Iran pendant 15 ans, puis en Norvège, où il enchaîne les « petits boulots », il obtient finalement l’asile en France en 2015. Son statut de réfugié reconnu, il peut enfin travailler. Un soulagement pour cet ancien tapissier autodidacte :

« Il fallait à tout prix que je gagne ma vie pour m’intégrer. »

« Il fallait à tout prix que je gagne ma vie pour m’intégrer. » Désormais, Hafiz est couturier dans une maison de création de robes de mariée. Un CDD signé il y a six mois grâce au site « Action emploi réfugiés », une plateforme numérique qui l’a mis en relation avec son employeur. « La fondatrice du site a repéré mon profil. Elle m’a appelé pour me proposer d’envoyer mon CV », explique Hafiz.

Très vite, le tailleur réfugié retient l’attention de plusieurs recruteurs. Il déniche un contrat d’un an dans un atelier de couture et participe à la création d’une collection de vêtements. Puis, en septembre, le profil d’Hafiz « tape dans l’oeil » de la créatrice de robes de mariée Marie Laporte. « C’était la première fois que j’entendais parler d’une telle démarche, j’ai hésité au début c’est vrai. Je cherchais à recruter. Je n’ai pas choisi Hafiz parce qu’il est réfugié, mais parce qu’il a du talent », raconte la jeune chef d’entreprise.

« Vivier de talents »

Des « talents exilés » que la plateforme « Action emploi réfugiés » (AERé) souhaite valoriser. Fondé il y a un an, cette association a pour objectif d’aider ces déplacés à trouver un nouvel emploi en France. La cofondatrice Kavita Brahmbhatt, consultante à l’ONU, qui a travaillé pendant près de 15 ans avec des réfugiés, constate : « L’emploi est le premier facteur d’aide à l’intégration. » « Notre approche est pragmatique, ces personnes sont formées, parfois très éduquées et diplômées. C’est un vivier de talents », affirme la jeune anglaise née au Kenya. Médecins, professeurs, ingénieurs, chefs cuisiniers ou encore fleuristes, les parcours sont multiples. La plateforme compte déjà 450 candidatures de réfugiés.

Pour s’inscrire, il suffit au demandeur d’emploi d’insérer son CV ou de le créer sur le site. Il est ensuite référencé selon sa région, ses qualifications, les langues parlées, etc. Les recruteurs n’ont plus qu’à faire leur choix.

« Nous voulions créer une solution qui soit simple et innovante, en utilisant la technique du "matching", pour faire se rencontrer recruteurs et candidats selon leurs compétences », détaille la coprésidente de l’association. « 50 entreprises, TPE et particuliers ont rejoint le réseau », se félicite Kavita Brahmbhatt. Depuis le lancement, 150 réfugiés ont trouvé un travail via la plateforme.

Travailler pour s’intégrer

Pour les employeurs, recruter une personne de langue étrangère demande un temps d’adaptation. « J’ai eu quelques craintes au début à cause de la langue, mais Hafiz apprend vite. Il note dans un carnet les mots techniques et les apprend par cœur. Il s’aide aussi de dessins et de gestes pour s’expliquer », décrit la créatrice Marie Laporte, amusée.

« Un réfugié qui travaille, c’est un réfugié mieux intégré et donc un atout pour la société. »

Mais pour les deux passionnés, la plupart du temps, les mots sont inutiles : ils parlent déjà le même langage, celui de la mode. « Il a une "main", comme on dit dans le milieu. Ses gestes sont précis et rapides », observe son employeur avec admiration. Pour le jeune tailleur, passer des ateliers de tapisserie afghans aux showrooms d’une maison de couture française était impensable. Un parcours exceptionnel qui le pousse à vouloir faire ses preuves : « Je dois redoubler d’efforts, travailler plus, c’est difficile pour moi la langue, mais je veux rester ici, je ne veux pas retourner en Afghanistan », confie Hafiz, qui prends des cours de français le week-end.

Il habite une chambre de 7m₂ dans un logement social à Ermont, dans le Val d’Oise, à une trentaine de minutes en transport de son travail. « Les réfugiés sont très débrouillards. Ils ont vécu des horreurs, ont fui leur pays pour venir jusqu’ici, alors pour eux apprendre une nouvelle langue ce n’est pas le plus difficile ! », souligne Kavita Brahmbhatt.

Pour travailler, certains n’hésitent pas d’ailleurs à se reconvertir. Sur la plateforme, les annonces de services à la personne, dans la restauration et l’industrie sont majoritaires. « Les réfugiés viennent compléter une main d’oeuvre manquante dans des secteurs qui ont du mal à recruter, comme le bâtiment, les services, les emplois pénibles », analyse El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine.

Pourtant, les préjugés restent tenaces. L’association reçoit régulièrement, via sa page Facebook, des messages xénophobes l’accusant de privilégier « les étrangers aux Français ». La cofondatrice, elle, rétorque : « Un réfugié qui travaille, c’est un réfugié mieux intégré et donc un atout pour la société. »

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