Volker Türk explique les raisons de l'élaboration d'un Pacte mondial sur les réfugiés

Le Haut Commissaire assistant du HCR chargé de la protection explique comment un nouveau Pacte sur les réfugiés pourra aider à la fois les réfugiés et leurs communautés d'accueil.

Volker Turk explique l'importance d'un Pacte mondial sur les réfugiés.
© Ariane Rummery, productrice / Alex St-Denis, cameraman

Pourquoi c’est important

Pourquoi avons-nous besoin d’un nouveau Pacte sur les réfugiés ?

Près de 60 pour cent des réfugiés dans le monde vivent dans 10 pays, tous des pays du sud. Les réfugiés vivent souvent dans les régions les plus pauvres de ces pays. 

Pour la communauté internationale, le Pacte mondial répond à une nécessité : celle de s’unir et d’aider les pays particulièrement touchés par les mouvements de réfugiés. Voilà l’objectif global de ce pacte.

Pourquoi un nouvel accord international ? La Convention relative au statut des réfugiés n’est-elle pas adaptée à la situation ?  

La Convention relative au statut des réfugiés se concentre sur les droits et les obligations des Etats mais elle ne traite pas de la coopération internationale dans son ensemble, tandis que le Pacte mondial sur les réfugiés cherche à aborder cette question.

Quel changement concret ce pacte apportera-t-il dans la vie des réfugiés ou des communautés qui les accueillent ?

Il permettrait une meilleure éducation pour les garçons et les filles réfugiés, de même qu’un meilleur accès aux services de santé pour l’ensemble des réfugiés et davantage d’occasions de gagner leur vie. Il proposerait aussi une vision différente de la manière dont les communautés d’accueil s’engagent en faveur des réfugiés, avec l’espoir de s’éloigner des politiques de campement, toujours d’actualité dans de trop nombreux pays.

Des pays d’accueil comme l’Ouganda, le Rwanda, l’Iran, des pays d’Amérique centrale ou le Liban, par exemple, bénéficieraient du soutien dont ils ont besoin parce que leurs infrastructures ou leurs services de santé font face à d’énormes défis en accueillant un million de réfugiés.

Le Pacte mondial ferait en sorte que des pays comme le Liban soient soutenus, non seulement au niveau de l’aide humanitaire mais aussi en termes de perspectives de coopération au développement. C’est l’une des nouveautés du pacte.  

Nous espérons aussi obtenir la mise à disposition d’un plus grand nombre de places de réinstallation et davantage de solutions permettant aux réfugiés de se rendre dans des pays tiers comme, par exemple, le regroupement familial, des bourses d'études ou des visas humanitaires ; de façon à ce que les réfugiés puissent voyager en toute sécurité. (C’est ce que nous appelons les « voies complémentaires »). Il y aurait aussi plus soutien sous la forme de dispositifs de réserve pour l’appui technique aux pays d’accueil, notamment en matière de collecte, d’analyse des données ou de gestion environnementale.

Mais si le pacte n’est pas juridiquement contraignant et que les pays peuvent choisir les éléments qui leur conviennent, comment pourra-t-il réellement faire une différence ? 

Il est vrai que le Pacte mondial n’est pas un instrument juridiquement contraignant mais il enverra cependant un signal politique très fort parce qu’il devra être adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies comme le moyen de s’engager pour la cause des réfugiés.

Les Etats Membres prennent cette tâche avec extrêmement de sérieux et souhaitent négocier chacun des paragraphes du document. Ils veulent se l’approprier. Même si le texte n’est pas contraignant, sa portée est d’une importance exceptionnelle.   

Réactions au projet de pacte

Certains ont exprimé leur inquiétude d’aboutir à un projet de pacte qui ne contiendrait aucune déclaration ferme à l’égard des principes clés de la protection des réfugiés comme le principe de non-refoulement. Pourquoi le pacte n’aborde-t-il pas ces questions phares ?

Il ne s’agit pas de reformuler la Convention de 1951 ou chacun des principes et chacune des normes dont nous disposons déjà. Nous partons d’une base très solide du droit international, de normes et de pratiques internationales. Nous voulons aller plus loin que cela et pallier des manques très spécifiques, notamment mieux définir la coopération internationale afin de partager les responsabilités.

Les discussions sur le projet ont démarré. Des préoccupations particulières ont-elles vu le jour ?

Il est évident que les pays d’accueil ont le sentiment que le projet devrait être plus audacieux et qu’il faudrait que la communauté internationale prenne des engagements plus précis au sujet des mécanismes de partage des responsabilités. 

Certains pays donateurs nous ont également dit qu’il fallait élargir la base de soutien pour ne pas la limiter au petit groupe historique. La situation des réfugiés dans le monde est un enjeu international qui concerne l'ensemble des 193 États Membres de l'ONU, pas seulement pour 10, 15 ou 20 pays. Il nous faut plus de donateurs et plus de pays qui apportent leur soutien.

Ce mécanisme de partage des responsabilités, comment fonctionnera-t-il ?

Pouvez-vous me décrire son fonctionnement dans le cas d’une nouvelle crise de réfugiés avec des centaines de milliers de personnes qui fuient vers le Bangladesh, par exemple ?

Tout d’abord, quand un pays est touché par un afflux massif de réfugiés, comme c’est le cas au Bangladesh ou en Ouganda après les récentes arrivées de réfugiés congolais, nous devons très rapidement connaître les besoins des personnes et les conséquences de cette situation dans le pays d’accueil.

Ensuite, nous devons présenter ces besoins à la communauté internationale dans son ensemble, en les formulant en termes de soutien financier, d’aide humanitaire ou de coopération au développement. 

Nous verrions alors les pays qui se font connaître en disant : « Oui, je m’engage à contribuer au financement. Je vais aider dans le domaine de l'éducation. J’apporterai mon expertise technique via des arrangements de réserve, par exemple, en faisant en sorte que la végétation ne disparaisse suite à cet énorme afflux de personnes dans la région (comme c’est le cas, actuellement, au  Bangladesh). Oui, nous allons augmenter le nombre de place de réinstallation, etc. »

Nous souhaitons parvenir à une galvanisation très rapide du soutien, qu’il soit politique, financier ou lié à l’aide à la réinstallation – pour que les pays confrontés à une telle situation ne se sentent pas seuls ou isolés et ne pensent pas que nul ne se soucie d’eux ; qu’ils sentent que la communauté internationale se soucie réellement des personnes mais aussi du pays qui est touché ; qu’elle demeure solidaire et agit solidairement avec eux. C’est vraiment l’objectif que nous souhaitons atteindre.

Est-ce qu’il s’agit de rassembler différents outils existants et de faire en sorte qu'ils soient déployés de façon plus rapide et plus systématiquement ?

L'idée est de déclencher et d'activer des mécanismes qui soient plus rapides, équitables, prévisibles et complets.

Que faudra-t-il pour instaurer la confiance entre les pays d'accueil et permettre aux réfugiés de travailler, de créer des entreprises, de vivre hors des camps, ou de mettre en place des politiques plus progressistes vis-à-vis des réfugiés ?

D’abord, il faut reconnaître que le défi est considérable pour un pays comme l’Ouganda, l’Ethiopie, la Soudan, La Tanzanie ou le Rwanda,  c’est-à-dire des pays qui font déjà face à leurs propres défis en matière de développement et qui sont soudainement confrontés à l’arrivée de centaines de milliers de personnes.

Mais si les pays considèrent cette crise comme une opportunité et adaptent leurs politiques en conséquence, cela peut en réalité devenir un avantage. Cela signifie que, si dans la partie reculée d’un pays, il y a un afflux de personnes, étant donné que le pays bénéficie de l’appui de la communauté internationale, il peut l’employer pour faire en sorte qu’aussi bien la population réfugiée que les communautés d’accueil puissent en bénéficier. Nous ne développerions pas et nous ne nous concentrerions pas seulement sur un camp mais sur toute une zone où sont hébergés les réfugiés, où ils vivent avec les communautés hôtes. Et nous ferions en sorte qu’ils construisent des infrastructures, comme des routes, un réseau électrique, de l’approvisionnement en eau, des infrastructures qui profiteraient aux réfugiés et aux communautés d’accueil. Nous développerions les moyens de subsistance nécessaires. 

Nous avons bien sûr besoin d’investissements et d’une première réponse solide. Nous avons besoin de soutien et de solidarité. Voici ce qui change dans l’approche du pacte mondial et c’est un argument solide à faire valoir auprès des pays.

Le nouveau mécanisme de financement de la Banque mondiale pour les pays à faible revenu accueillant des réfugiés a été largement salué. Mais que répondez-vous aux gouvernements qui se demandent pourquoi ils devraient emprunter pour aider les réfugiés ?

C'est formidable de voir cet important engagement de la Banque mondiale pour aider les pays d’accueil à faible revenu dans des zones fragilisées, en faisant en sorte qu’ils puissent recevoir des fonds pour développer certaines régions du pays où vivent également des réfugiés.  

Le programme combine à la fois des subventions et des prêts à des conditions très souples, et il prend en compte les bénéfices pour les réfugiés et pour les communautés d'accueil. Comme les communautés d'accueil bénéficient de cette aide, il s’agit d’un investissement dans le développement du pays. La Banque mondiale examine à la fois la faisabilité financière du projet et ses avantages à long terme pour le pays.

Liens entre pacte sur les réfugiés et pacte sur les migrations

Deux pactes mondiaux sont en réalité en discussion, l’un sur les réfugiés, l’autre sur les migrations. Qu’ont-ils en commun ? Forment-ils deux pactes distincts ?

La Déclaration de New York, adoptée en septembre 2016, a donné naissance à deux pactes mondiaux, l’une sur les réfugiés, l’autre sur les migrations. Ils doivent être cohérents l’un vis-à-vis de l’autre mais ils poursuivent des objectifs très différents.

En ce qui concerne les réfugiés, étant donné que nous possédons déjà des normes, des fondements, des cadres juridiques et des connaissances opérationnelles, nous nous sommes tournés vers des aspects plus particuliers de la question, qui nécessitent une coopération internationale. Alors que pour la migration, il faut presque tout reprendre à zéro.

Les deux pactes sont ambitieux. Lorsqu’ils seront adoptés, dans le courant de l’année, cela va profondément modifier la manière dont la communauté internationale aborde la question très complexe des migrations ou s’engage aux côtés des réfugiés et de leurs communautés d'accueil, en faisant preuve d’une forte solidarité dans l’action. Nous espérons que cela aura un effet direct sur la vie de millions de personnes.