Un atelier pour tisser des liens

L'entreprise de textile zurichoise Social Fabric emploie deux couturières et un tailleur issus de l'asile. Une fois par semaine, elle propose également un atelier pour faire découvrir l'art de la couture aux réfugiés.

Bijoux, originaire de la République démocratique du Congo, participe à la création et à la fabrication des produits destinés à la vente, travaillant ainsi sur un pied d'égalité avec le reste de l'équipe.
© HCR/Mark Henley

Au beau milieu d’étoffes colorées et de machines à coudre, Jamila étend sur une table une robe noire et jaune, en ajuste les extrémités ici et là et la défroisse. Elle travaille sur cette robe depuis un mois. Dans quelques jours, elle pourra la ramener chez elle, terminée. 


Il y a quelques mois, Jamila a participé pour la première fois à ce cours de couture destiné aux réfugiés, organisé une fois par semaine dans les ateliers zurichois de la société Social Fabric. «J’avais surtout envie d’apprendre quelque chose et de rencontrer de nouvelles personnes», déclare cette Afghane de 57 ans, arrivée en Suisse il y a près de sept ans.

C’est en 2015 qu’Heather Kirk, canadienne d’origine et biologiste moléculaire de formation, décide de fonder Social Fabric sur son temps libre. Son objectif: allier production durable et collaboration avec les réfugiés. Elle s’était auparavant déjà beaucoup intéressée aux conditions de production des textiles. C’est donc naturellement que son choix s’est porté sur ce secteur. Le projet s’est rapidement professionnalisé: Social Fabric collabore aujourd’hui avec près de 30 partenaires, qui vendent ses produits dans toute la Suisse. La société propose également des sacs, coussins, écharpes et tissus sur son site internet – tous les produits sont fabriqués à partir de matériaux recyclés ou provenant de sources durables.

«L’apprentissage de la couture se fait en grande partie par la démonstration et l’imitation. C’est important pour que les participants puissent travailler rapidement sur leurs propres projets.»

Heather, fondatrice du projet Social Fabric

Dès le départ, Social Fabric a donné la possibilité aux réfugiés de fabriquer leurs propres vêtements au cours d’un atelier organisé chaque jeudi matin. Jusqu’à 20 personnes originaires des pays les plus divers y participent chaque semaine, sélectionnent leurs tissus, guidés par les couturières de Social Fabric, les découpent et les transforment. «L’apprentissage de la couture se fait en grande partie par la démonstration et l’imitation. C’est important pour que les participants – qui ne parlent souvent que peu l’allemand quand ils arrivent – puissent travailler rapidement sur leurs propres projets», explique Heather.

  • De gauche à droite: Heather, Lisa, Bijoux, Helka et Cissé travaillent ensemble dans les locaux zurichois de Social Fabric.
    De gauche à droite: Heather, Lisa, Bijoux, Helka et Cissé travaillent ensemble dans les locaux zurichois de Social Fabric.  © HCR/Mark Henley
  • Cissé a travaillé comme tailleur en Côte d'Ivoire durant 11 ans. Entre-temps, il a décroché un emploi fixe chez Social Fabric.
    Cissé a travaillé comme tailleur en Côte d'Ivoire durant 11 ans. Entre-temps, il a décroché un emploi fixe chez Social Fabric. © HCR/Mark Henley
  • Social Fabric ne se limite pas à proposer des cours de couture: deux couturières et un tailleur, tous trois réfugiés, complètent l'équipe zurichoise.
    Social Fabric ne se limite pas à proposer des cours de couture: deux couturières et un tailleur, tous trois réfugiés, complètent l'équipe zurichoise.  © HCR/Mark Henley
  • Jamila est venue au cours de couture pour la première fois il y a quelques mois. «J'avais surtout envie d'apprendre quelque chose et de faire la connaissance de nouvelles personnes»
    Jamila est venue au cours de couture pour la première fois il y a quelques mois. «J'avais surtout envie d'apprendre quelque chose et de faire la connaissance de nouvelles personnes»  © HCR/Mark Henley
  • «En Suisse, on utilise beaucoup de patrons et on passe énormément de temps à préparer son travail en plaçant des épingles. Dans mon pays d'origine, ces étapes se font dans la tête, c'est plus simple et plus rapide», explique-t-il avec espièglerie.
    «En Suisse, on utilise beaucoup de patrons et on passe énormément de temps à préparer son travail en plaçant des épingles. Dans mon pays d'origine, ces étapes se font dans la tête, c'est plus simple et plus rapide», explique-t-il avec espièglerie.  © HCR/Mark Henley
  • Dès son lancement, Social Fabric a offert à des réfugiés la possibilité de réaliser leurs propres vêtements dans le cadre d'un atelier organisé tous les jeudis matins.
    Dès son lancement, Social Fabric a offert à des réfugiés la possibilité de réaliser leurs propres vêtements dans le cadre d'un atelier organisé tous les jeudis matins.  © HCR/Mark Henley

Mais Social Fabric ne se limite pas à proposer des cours de couture. Deux couturières et un tailleur, tous trois issus de l’asile, complètent l’équipe déjà constituée de cinq autres personnes: Bijoux est originaire de la République démocratique du Congo, Zaid d’Érythrée et Cissé de Côte d’Ivoire. Tous participent à la création et la fabrication des produits destinés à la vente. Cissé a travaillé comme tailleur en Côte d’Ivoire durant 11 ans. Il a toutefois dû s’habituer à d’autres méthodes de travail: «En Suisse, on utilise beaucoup de patrons et on passe énormément de temps à préparer son travail en plaçant des épingles», explique-t-il avec espièglerie. «Dans mon pays d’origine, ces étapes se font dans la tête, c’est plus simple et plus rapide.» En 2016, Social Fabric a lancé une campagne de Crowdfunding afin de pouvoir financer durant six mois le salaire de cet Ivoirien de 26 ans. Entre-temps, il a décroché un emploi fixe dans la société.

Bijoux et Zaid sont arrivées chez Social Fabric grâce à un programme de l’organisation urbaine d’aide sociale et d’encouragement à l’intégration (AOZ). Ce programme leur permet de travailler durant 12 mois dans un organisme à but non lucratif (Social Fabric est organisée en S.A.R.L., mais également en association). L’objectif consiste à faciliter leurs futures recherches d’emploi. Bijoux a exercé le métier de couturière durant plusieurs années dans son pays d’origine ainsi qu’en Afrique du Sud. Âgée de 34 ans, elle est mère de deux enfants (de six et trois ans). Elle travaille chez Social Fabric depuis septembre 2016 et s’est rapidement adaptée. Elle a notamment participé à la création d’un modèle de pull-over qui a fait l’objet d’une campagne sur Facebook. «J’étais très fière de voir ma signature personnelle sur le vêtement fini», commente Bijoux.

«Je suis très fière de voir ma signature personnelle sur le vêtement fini»

Bijoux, couturière originaire de RDC

«Pour les réfugiés qui sont en cours de procédure d’asile en Suisse – une procédure qui peut parfois durer plusieurs années – il est très difficile de trouver un travail», constate Heather. Elle estime qu’il est donc d’autant plus important de créer des lieux où ils peuvent exercer une activité créative, mais aussi entrer en contact avec d’autres personnes – autochtones comme étrangers. Bijoux, qui vit en Suisse depuis début 2011, a retrouvé une vie sociale grâce à ce travail chez Social Fabric: «C’était vraiment difficile d’être à la maison toute la journée et de ne rien pouvoir faire. D’autant plus pour quelqu’un comme moi, qui a travaillé durant de nombreuses années.» Jamila connaît bien cette situation elle aussi: pour rester active, elle s’engage pour différents projets en tant que volontaire, notamment auprès de la paroisse locale, et participe aussi à un cours de cuisine pour réfugiés.

«Notre objectif n’est pas uniquement d’aider les réfugiés. Nous voulons collaborer avec toutes ces personnes afin d’exploiter ensemble leurs potentiels créatifs, qui sont aussi très précieux pour notre entreprise»

Heather, fondatrice du projet Social Fabric

Pour la jeune entreprise, les influences multiculturelles de ses employés sont très bénéfiques: en 2018,  elle prévoit par exemple de lancer une collection de sacs à dos et d’écharpes aux influences africaines qui portera la signature de Zaid, Bijoux et Cissé. Social Fabric a par ailleurs inauguré la plateforme Goodtee pour permettre aux jeunes designers d’utiliser ses modèles et ses motifs sur leurs propres tissus. «Notre objectif n’est pas uniquement d’aider les réfugiés. Nous voulons collaborer avec toutes ces personnes afin d’exploiter ensemble leurs potentiels créatifs, qui sont aussi très précieux pour notre entreprise», explique Heather. A moyen terme, le cours de couture hebdomadaire devrait aussi accueillir plus d’autochtones, de manière à permettre aux réfugiés de nouer des relations plus directes avec la population suisse.

Visiter le site internet de Social Fabric pour soutenir le projet.