Questions/Réponses : Ouvrir autant de portes que possible pour les réfugiés à long terme

Originaire de Singapour, Janet Lim a acquis une vaste expérience pendant ses 26 années au service de l'UNHCR. Elle dirige aujourd'hui le bureau pour l'Asie de l'agence et est responsable d'un grand nombre de pays, dans une région qui va du golfe Persique au sud du Pacifique. Elle nous parle des situations de réfugiés prolongées en Asie.

Janet Lim, directrice du bureau pour l'Asie de l'UNHCR.  © HCR/S.Hopper

GENEVE, 1 juin (UNHCR) - Originaire de Singapour, Janet Lim a acquis une vaste expérience pendant ses 26 années au service de l'UNHCR. Elle dirige aujourd'hui le bureau pour l'Asie de l'agence et est responsable d'un grand nombre de pays, dans une région qui va du golfe Persique au sud du Pacifique. Cette région compte 5,82 millions de personnes relevant de la compétence de l'UNHCR, dont 4,1 millions de réfugiés et de demandeurs d'asile. Nombre d'entre eux se trouvent dans des situations de réfugiés prolongées : sur les 1,48 million de personnes hébergées dans les camps de réfugiés en Asie, la majorité s'y trouve depuis plus de 15 ans. Janet Lim a parlé de ces situations de réfugiés prolongées au début de cette semaine avec les rédacteurs des sites web de l'agence, Haude Morel et Leo Dobbs. Voici quelques extraits de cette interview :

Une grande partie du travail du bureau pour l'Asie est consacré aux situations de réfugiés prolongées. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les situations de réfugiés prolongées sont une des priorités dans la région.... L'une d'entre elles concerne la situation des camps de réfugiés d'ethnie karen en Thaïlande. [Un programme de réinstallation à grande échelle est actuellement en cours pour les Karen du Myanmar]. Nous nous occupons également de la situation prolongée des réfugiés originaires du Bhoutan se trouvant au Népal. Nous avons aussi une autre situation prolongée au Bangladesh ; elle semble être très limitée. Il s'agit d'environ 20 000 personnes, celles qui restent d'une population de Rohingyas du Myanmar qui était très nombreuse, dont l'essentiel est rentré.

Dans la région nous avons aussi, bien sûr, la situation prolongée de la population afghane. D'autres situations prolongées existent dans les centres urbains. Lorsqu'on pense aux situations prolongées, on imagine souvent les camps, car ils sont plus visibles et on peut se rendre compte qu'ils sont toujours là après 15 ou 16 ans. Ces situations prolongées datent toutes d'une ou deux décennies.

Si on y pense, en prenant un peu de recul, on parle de générations entières qui ont grandi dans les camps si nous ne traitons pas les situations prolongées, nous nous exposons à d'autres problèmes dans le futur, surtout dans le monde dans lequel nous vivons actuellement. Dans les camps où se trouvent des jeunes, nous savons qu'ils sont très frustrés, qu'ils ne sont pas tranquilles ; ils ne mènent pas une vie normale. On parvient à répondre à leurs besoins essentiels minimum, mais au fond leur vie est gâchée. L'éducation est limitée.... Il est extrêmement urgent de trouver des solutions pour ces situations prolongées en Asie.

Nous savons que des réinstallations à grande échelle de Karen sont en cours. Qu'en est-il de la situation de réfugiés prolongée au Népal, un pays où vous vous êtes récemment rendue avec le Haut Commissaire António Guterres ?

Un processus très positif pour les réfugiés s'est mis en place dans les camps au Népal, grâce à un groupe de pays qui se sont engagés dans la recherche de solutions. La question est bien sûr de savoir si ces pays offrent des possibilités de réinstallation. Les Etats-Unis en ont proposé un nombre très élevé - 60 000 ou plus - et d'autres pays appartenant à ce groupe ont exprimé leur intérêt.

C'est la première fois qu'on observe un pareil tournant. Jusqu'à présent, on savait que les deux pays [le Népal et le Bhoutan] voulaient résoudre la question de manière bilatérale. Ces 15 dernières années, ils ont tenu 15 ou 16 séries de négociations sur la manière de résoudre le problème, ce qui signifiait pratiquement que soit ils rentraient chez eux, soit ils restaient au Népal.

Maintenant, une autre solution est envisageable grâce à la communauté internationale. Il s'agit vraiment d'une grande opportunité. Cela signifie que la communauté internationale prend en charge la plus grande partie du problème. Si les offres de réinstallation se concrétisent, et si les réfugiés sont prêts à les accepter, la responsabilité à assumer pour le pays de retour et pour le pays hôte sera bien moins grande.

Quelles sont les options possibles pour trouver des solutions aux réfugiés dans ces situations prolongées ?

Je pense que nous devons faire preuve de beaucoup de flexibilité et d'imagination dans notre recherche de solutions. Nous nous répétons souvent qu'il existe trois solutions : la réinstallation, l'intégration locale et le rapatriement volontaire. Nous tâchons de promouvoir le rapatriement autant que possible, parce que c'est la meilleure solution. Mais cela dépend de l'amélioration des conditions dans le pays d'origine, et cela ne dépend pas de nous. Généralement, l'option sur laquelle nous exerçons un contrôle, c'est la réinstallation ... lorsque des pays la proposent.

Les réfugiés eux-mêmes ont leurs propres aspirations. Tous ne sont pas d'accord pour être réinstallés. D'un autre côté, une fois que la réinstallation commence, elle entraîne une certaine dynamique dans les camps parmi les réfugiés qui autrement penseraient : « Pourquoi est-ce que j'irais aux Etats-Unis ou en Norvège ou ailleurs, alors qu'il n'y a aucun Karen là-bas, aucun Rohingyas, aucun Bhoutanais. »

Si cela se produit, souvent cela permet de mettre en oeuvre plus facilement les deux autres solutions, car le pays hôte a alors davantage de marge de manoeuvre et, parfois, le pays de retour aussi. Alors nous essayons de nous adapter ... si nous sommes trop rigides, les pays diront que nous ne pouvons pas avoir de réinstallation sans rapatriement ou sans intégration locale.

L'idée bien sûr est d'essayer et de résoudre le problème de tous, ce qui veut dire que nous devrions essayer de donner autant de choix que possible à l'ensemble des réfugiés. Malheureusement, parfois dans un camp, il y a des gens qui veulent utiliser les réfugiés à des fins politiques et alors ils essayent de faire pression pour une solution plutôt qu'une autre. Mais je crois que c'est le rôle de l'UNHCR de s'assurer que les réfugiés ont la liberté de choix. Tout d'abord, nous tentons d'ouvrir autant de portes que possible, d'où notre plaidoyer auprès des pays de réinstallation.

En Asie, nos actions ont relativement bien abouti. C'est pourquoi la réinstallation commence en Thaïlande, et nous espérons débuter aussi bientôt au Népal. Et au Bangladesh, il y a des retours à grande échelle, mais il reste encore un groupe pour lequel nous devons trouver des solutions. Je crois qu'il est de la responsabilité de l'UNHCR d'essayer d'ouvrir autant de portes que possible pour pouvoir dire aux réfugiés : « Nous voulons être sûrs que vous ayez la liberté de choix. »

Quelles sont les conséquences de ces situations prolongées de réfugiés sur le plan humain ?

L'impact le plus important concerne certains jeunes qui ont du potentiel, mais ne peuvent pas mener une vie normale. Les conséquences touchent aussi les familles. Nous avons la preuve que dans une situation de camp fermé le niveau de violence au sein de la famille est très élevé.

Vous avez des adultes qui n'ont pas de travail, ils n'ont rien à faire de la journée. Je pense que les violences sexuelles et à l'encontre des femmes, la violence domestique sont des conséquences des conditions dans lesquelles ils sont forcés de vivre. Il y a aussi des problèmes dans les camps autour des structures de pouvoir. Vous avez des groupes qui tentent d'utiliser leur pouvoir pour assujettir les autres. C'est une situation vraiment malsaine.

Que pouvez-vous dire des réfugiés urbains de long terme ?

Il est très important de prêter attention à leur situation car nous parlons de cas individuels. Souvent, en milieu urbain, leur situation perdure car nous ne trouvons pas de solution pour eux. Dans un contexte urbain, la solution est souvent la réinstallation. Si ces personnes ne sont pas réinstallées, c'est parce que leur profil ne correspond pas aux règles de réinstallation de certains pays et elles sont rejetées par les pays, les uns après les autres.

Ca va quand c'est juste pendant un an ou deux. Mais si ça dure cinq ans, six ans ou plus, vous pouvez vraiment observer le stress mental de ces personnes. J'ai vu des cas où elles envisagent le suicide ; elles vivent dans une société qui leur est étrangère. Nous continuons à les présenter dans un pays après l'autre. A la fin, nous devons en appeler d'urgence au pays de réinstallation : « Ne prêtez pas seulement attention au fait de savoir si ces personnes répondent ou non à vos critères de réinstallation, mais voyez les aussi d'un point de vue humanitaire. »

Vous devez adopter une nouvelle façon d'aborder cette situation. Dans les camps, vous pensez à une population importante, mais ici, vous voyez des cas individuels, vous voyez des enfants. J'ai discuté avec des réfugiés iraquiens qui sont bloqués dans plusieurs capitales asiatiques ; les parents ne peuvent pas travailler ; les enfants ne peuvent pas aller à l'école, ils commencent à souffrir de problèmes psychologiques.

Ces réfugiés urbains sont partout où il y a des réfugiés. Dans tous les pays où nous sommes présents, ces cas individuels viennent vers nous. Nous devons étudier leur situation, voir si elles correspondent aux critères du statut de [réfugié]. Si c'est le cas, alors nous commençons à les aider et à essayer de trouver des solutions pour eux. Cela a des conséquences non seulement pour les personnes, mais aussi pour l'UNHCR en tant qu'organisation. Il est extrêmement coûteux d'aider ces individus. Très souvent, les pays ne veulent rien payer. « Ils relèvent de votre responsabilité », disent-ils à l'UNHCR.

Les donateurs se lassent-ils de financer des situations sans fin ?

Il y a toujours un danger qu'un jour les donateurs disent : « Nous ne pouvons pas continuer à injecter de l'argent ». Et pas seulement ça. Vous n'injectez pas de l'argent pour apporter une solution positive, vous injectez de l'argent pour garder les personnes dans une situation restrictive. Alors, oui, du point de vue de l'investissement, ce n'est pas une très bonne idée.... Les camps devraient toujours être le dernier ressort. Nous devrions essayer de trouver d'autres solutions le plus vite possible.

Comment voyez-vous l'avenir ?

Dans toute situation de réfugiés, qu'il s'agisse d'un camp ou d'un contexte urbain ... vous devez simplement trouver des solutions pour ces personnes. Je crois qu'il est très important pour nous de ne pas abandonner. Il est très facile de se contenter de continuer, jour après jour, année après année, à chercher du financement et à continuer d'organiser la livraison de l'aide. Ce n'est pas, je le crois, faire bien notre travail. Nous ne devrions pas garder les réfugiés perpétuellement dans une situation durable de vide.