Questions/Réponses : Une Jordanienne réunit des enfants réfugiés réinstallés aux Etats-Unis sur un terrain de football

Luma Mufleh a grandi en Jordanie et a émigré aux Etats-Unis. En 2004, elle a créé les Fugees, une équipe de football pour les jeunes réfugiés de Clarkston, petite ville du sud de l'Etat de Géorgie aux Etats-Unis. Depuis six saisons, Luma Mufleh entraîne son équipe, composée de joueurs d'horizons différents, et tente de trouver des soutiens pour son équipe.

Luma Mufleh avec les membres de l'équipe de football Fugees.  © et avec l'aimable autorisation du « Fugees Family »

WASHINGTON, D.C., Etats-Unis, 4 mai (UNHCR) - Luma Mufleh a grandi en Jordanie et a émigré aux Etats-Unis pour y suivre des études supérieures. En 2004, elle a créé les Fugees, une équipe de football pour les jeunes réfugiés de Clarkston, petite ville du sud de l'Etat de Géorgie aux Etats-Unis. Clarkston accueille de nombreux réfugiés qui ont été réinstallés aux Etats-Unis, après avoir fui la persécution en Afghanistan, en Bosnie, au Burundi, au Congo, en Gambie, en Iraq, au Kosovo, au Libéria, en Somalie et au Soudan. Depuis six saisons, Luma Mufleh entraîne son équipe, composée de joueurs d'horizons différents et tente de trouver des soutiens pour son équipe. Elle a été récemment interviewée par Stephanie Getson, stagiaire au service de l'information du bureau de l'UNHCR à Washington. Voici quelques extraits de cet entretien :

Comment avez-vous eu l'idée des Fugees ?

Toute ma vie, j'ai joué au football. En circulant à Clarkston, j'ai vu des enfants en train de jouer à l'extérieur, les pieds nus et d'une manière très désorganisée, cela m'a rappelé la Jordanie. En regardant ces enfants, j'ai compris qu'en fait ils n'avaient pas l'opportunité de jouer d'une façon organisée. Je me suis identifiée avec eux, car je suis arrivée aux Etats-Unis comme une immigrée et je voulais travailler avec des gens avec lesquels j'avais plein de choses en commun.

Comment votre expérience d'immigrée vous a-t-elle aidée à entraîner des réfugiés ?

Même si on peut croire que c'est facile, venir aux Etats-Unis est très dur et on se sent très isolés. J'ai fait cette expérience ; je connais cela, donc je peux comprendre ce que vivent ces familles. De plus, je suis musulmane et la moitié de l'équipe est de la même religion. Le fait d'avoir en commun la religion et de parler arabe et français leur permet de s'identifier à quelque chose. Aux yeux de mes joueurs, je suis un exemple de succès. Les enfants et les parents se disent que si je peux le faire, peut-être ils peuvent y arriver aussi.

Qu'avez-vous appris en entraînant les Fugees ?

J'ai appris qu'il suffit de peu de chose pour être heureux. Vous pouvez sortir avec les enfants quel que soit le jour dans la semaine et taper dans un ballon ; les enfants adorent ça et ils ne se plaignent pas en demandant autre chose. La résistance et la force de ces gens, en particulier des mères, me surprendront toujours. Malgré toutes les épreuves qu'elles ont dû endurer, elles ont toujours le sourire et travaillent dur tous les jours. Ces enfants et leurs familles auraient toutes les raisons pour laisser tomber, mais ils ne le font pas. Lorsque vous les regardez, vous n'avez pas le droit de vous plaindre de votre vie.

Comment les garçons de votre équipe trouvent-ils un équilibre entre l'école, l'entraînement et l'adaptation à leur nouvelle vie aux Etats-Unis ?

Je pense que c'est très difficile pour eux. Il m'est arrivé de perdre des enfants car ils n'aiment pas les règles que nous imposons par rapport à leurs résultats scolaires, ni l'obligation de suivre des cours de soutien. C'est encore plus problématique pour les enfants plus âgés, qui n'ont jamais été à l'école de toute leur vie ; c'est dur pour eux d'admettre qu'ils ont besoin d'aide ou qu'ils ne savent pas lire. Ceux qui le comprennent et font des efforts réussissent. La plupart des joueurs parlent au moins trois ou quatre langues et je leur dis que cela dépasse les connaissances de leurs enseignants. J'essaie de leur donner confiance et d'apprécier ce qu'ils savent faire. Je leur répète à longueur de journée qu'ils ne pourront pas s'en sortir sans une bonne éducation.

A quelles difficultés votre équipe a-t-elle dû faire face ?

Les Etats Unis sont l'un des seuls pays au monde où vous devez avoir de l'argent pour jouer au football. De nombreuses ligues au sein desquelles nous jouons font payer les parents 3 000 ou 5 000 dollars par saison pour que leurs enfants aient des entraîneurs professionnels et puissent jouer sur des terrains incroyables. De nombreux enfants dans ce pays ne peuvent pas faire cela. Il est difficile de se battre pour un terrain chaque année lorsque nous sommes mis à l'écart parce qu'une autre équipe peut payer et nous non. Parfois des gens du quartier décident qu'ils ne nous aiment pas et qu'ils n'aiment pas le football, alors ils ne nous autorisent pas à jouer. J'essaye de protéger les enfants pour qu'ils ne soient pas du tout impliqués dans ces débats d'ordre politique, mais il est parfois difficile de rester calme. Quelquefois les enfants sont victimes d'injures raciales sur le terrain ou s'entendent dire qu'ils doivent rentrer en Afrique. Cela se passe à chaque saison.

Par opposition, avez-vous aussi reçu des soutiens de la communauté ?

Depuis la parution d'un article sur nous dans le New York Times [en janvier dernier], nous avons reçu de nombreux soutiens à travers tout le pays. Les enfants d'autres ligues de football dans le pays ont récupéré pour nous des équipements de seconde main et organisé des collectes de fond. Je suis intervenue dans plusieurs lycées sur les problèmes des réfugiés. Je me suis aperçue que nombre de gens aux Etats-Unis ne savent pas ce qu'est un réfugié, ce à quoi il doit faire face ou quelle assistance lui est fournie quand il est ici. Je crois que certains de ces préjugés viennent de l'ignorance. La majorité des gens ont juste besoin d'être sensibilisés.

Comment se présente l'avenir pour les Fugees ?

Des discussions sont en cours pour réaliser un film sur notre équipe. Nous recherchons toujours un terrain permanent. Nous avons reçu plusieurs propositions de terrain en dehors de la ville, mais nous ne pouvons transporter les enfants à l'extérieur. Je crois aussi que ça transmet un mauvais message à mes joueurs, comme s'ils n'étaient pas assez bien pour jouer au sein de leur communauté, alors nous travaillons avec le maire pour trouver une place à Clarkston même.

Quel est votre lien avec la campagne ninemillion.org ?

C'est simple : je suis profondément convaincue que les enfants, où qu'ils soient, doivent avoir le droit de jouer. Le ballon a un pouvoir énorme et peut changer la vie des enfants, je le constate tous les jours. Le but de ninemillion.org est le même que le nôtre ; nous nous servons aussi du football comme d'un outil pour donner une meilleure éducation aux enfants. De plus, les enfants qui jouent dans nos équipes sont exactement les mêmes qui se trouvaient dans les camps de réfugiés, auxquels ninemillion.org s'adresse. Si nous arrivons à impliquer encore plus d'enfants, peut-être nos vies seront-elles plus tranquilles.