Une sœur de cœur française pour un jeune afghan
Epuisé par les problèmes à Calais, Shir Bahadar a accepté l'offre d'une bénévole d'emménager avec elle.
LES LILAS – FRANCE - Dans le chaleureux salon de Marion, pas moins de trois canapés forment un large demi-cercle où chacun peut prendre ses aises. L’appartement est fait pour recevoir. Shir Bahadar, jeune afghan de 26 ans et son petit frère Abdurrahman, 16 ans, sont assis l’un à côté de l’autre sur l’une des banquettes, et Marion leur tend une assiette de biscuits. Elle mène la conversation : « Raconte leur Shir Bahadar, comment on s’est connu ? », « À Calais… Et après toi et moi, en voiture, on est venus à Paris. », répond le jeune Afghan dans une grammaire encore basique, mais suffisante pour se faire comprendre.
« Ça faisait quelques mois que je passais régulièrement dans la Jungle pour donner un coup de main », complète Marion, « Je faisais un peu de tout là bas, j’épluchais les oignons, je distribuais les fringues, je donnais des cours de français aussi.
Un jour, un membre d’une association m’a demandé si je pouvais amener un jeune en voiture à Paris pour son rendez-vous à l’OFPRA. Je rentrais justement sur Paris, donc, Shir Bahadar est venu et il est resté la nuit chez moi. Mais, comme je ne le connaissais pas et que j’habite toute seule, j’ai demandé à des gens de l’association de rester avec nous. C’était un couple, ils passaient aussi par Paris pour rentrer chez eux, je crois qu’ils habitaient à Avignon ou quelque chose comme ça. Donc ils ont tous dormi ici la première nuit, le lendemain les bénévoles sont repartis, Shir Bahadar a eu son rendez-vous à l’OFPRA, et comme j’ai vu que c’était un gentil garçon, je lui ai dit qu’il pouvait revenir. »
Les mois suivants, le jeune homme fait de nombreux aller-retours entre la Jungle et l’appartement de Marion en banlieue parisienne, « Je suis reparti à Calais, car j’avais mon adresse là-bas pour le courrier et tout, les papiers, mes affaires, c’était tout là-bas. Mais, il y avait des problèmes, tout le monde se bagarrait, moi j’aime pas la bagarre, donc après j’ai décidé que Calais c’était fini pour moi. J’ai téléphoné à Marion, j’ai demandé "Je peux revenir ?", elle m’a dit de venir. » La cohabitation se prolonge depuis près d’un an et des liens forts se sont tissés entre le réfugié et son hôtesse.
Il y a six mois environ, une nouvelle a bouleversé le quotidien de la petite colocation des Lilas : Abdurrahman, le jeune frère de Shir Bahadar, que tout le monde croyait mort, a retrouvé la trace de son aîné sur Internet. « En fait il était en Allemagne », raconte Shir Bahadar, « On est partis ensemble d’Afghanistan et on a été séparés en Bulgarie par la police. Moi, j’ai dit « c’est mon frère, je reste avec lui », mais ils m’ont dit non. On a été séparés, on n’avait pas de téléphone, alors on s’est perdus pendant six ou sept mois quelque chose comme ça. Il était blessé, et après plusieurs personnes m’ont dit « Ton frère, il est mort ». Tout le monde a pleuré, mes parents ils ont pleuré, c’est comme ça. Mais moi, dans ma tête, j’étais pas sûr, je me disais peut-être qu’il est pas mort… »
Le jeune Abdurrahman, véritable miraculé, rejoint son frère en France où il est pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance. « Ils font un super job », affirme Marion, « Quand il a débarqué ici, ils l’ont pris en charge tout de suite, sinon je l’aurais hébergé évidemment. Il a été placé dans un foyer. Il vient souvent ici, peut-être un jour sur deux. Il est le bienvenu, quand il veut ! » Shir Bahadar se dit très heureux, car désormais il a son petit frère avec lui en France, « et aussi ma sœur », ajoute-t-il en posant la main sur l’épaule de Marion.
Cet article fait partie du chapitre français de l'exposition 'No Stranger Place' que le photographe Aubrey Wide a développée en partenariat avec le HCR pour dresser le portrait de réfugiés et de leurs hôtes en Europe. L'exposition sera ouverte au public à Ground Control à Paris le 20 juin 2018.