Grâce à une opération de parrainage, des liens d'amitié entre des demandeurs d'asile et leurs hôtes à Madrid

Un programme lancé il y a deux ans pour permettre de tisser des liens entre les Madrilènes avec des réfugiés et demandeurs d'asile est submergé de bénévoles.

Jose Maria Zamarrón (à droite) avec la famille réfugiée colombienne dont il est parrain, Jose Ricaute, sa femme Nelly ainsi que leurs enfants Luis Fernando et Flor Maria.
© HCR/Susan Hopper

Nelly Ricaute, une fermière colombienne exilée, fait face au Guernica, la toile murale monumentale de Picasso qui dépeint des personnages et des animaux terrifiés par les bombardements aériens de la ville espagnole du même nom il y a 80 ans.


Nelly, qui a été chassée de sa ferme familiale sous la menace des armes et qui a été témoin de bombardements et d’exécutions, ressent immédiatement un lien avec l’œuvre.

« Ce qu'on voit dans ces personnages... c'est ce que j'ai vécu dans ma chair », murmure-t-elle dans la galerie bondée. « Même les animaux ressentent la douleur de ce moment », ajoute-t-elle.

Nelly, son mari et deux de ses enfants visitent le Musée Reina Sofia de Madrid en compagnie de José María Zamarrón, bénévole d’un projet qui aide les réfugiés et demandeurs d'asile à s’installer dans leur nouvelle vie en Espagne.

Depuis sa création il y a deux ans par l'ONG espagnole Rescate, le programme de parrainage a mis en contact 23 nouveaux arrivants issus de pays aussi divers et lointains que la Colombie, le Cameroun et le Pakistan, tels les Ricautes, avec un réseau de 60 Madrilènes tels que José María.

« À d’autres époques, l'Espagne a généré elle aussi, de nombreux réfugiés et, en Amérique Latine, nous avons été accueillis à bras ouverts », commente José María, un ingénieur à la retraite. « En tant qu’êtres humains, il n'est que normal que nous nous aidions les uns les autres. »

« En tant qu’êtres humains, il n'est que normal que nous nous aidions les uns les autres. »

José María accompagne les Ricautes pour découvrir l’une des œuvres d'art les plus célèbres d'Espagne à l'occasion de l’exposition qui marque son 80e anniversaire, tout comme il les a emmenés dans la station de sports d’hiver de Navacerrada pour leur premier contact avec la neige et qu’il les aide également pour des tâches pratiques comme remplir des formulaires compliqués ou s'inscrire à des cours.

« C'est fondamental, fondamental », dit José Ricaute de l'aide que José María et un deuxième mentor, Ricardo, apportent à sa famille. « Ils nous accompagnent… ils nous disent où aller… et… les conseils qu'ils nous donnent sont très précieux. »

Le projet de Rescate est soutenu par le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, et par España con ACNUR, son association nationale, qui reçoit chaque mois des dons de plus de 425 000 personnes qui soutiennent les programmes du HCR à travers le monde. Ensemble, ils mettent chaque réfugié ou demandeur d'asile qui leur est envoyé par les travailleurs sociaux en rapport avec deux, trois ou quatre mentors locaux bénévoles choisis dans la liste des supporteurs du HCR.

  • Le mentor espagnol José Maria Zamarrón (à droite) avec la famille réfugiée colombienne qu'il parraine, Jose Ricaute, sa femme Nelly et deux de leurs enfants, devant le Guernica de Picasso.
    Le mentor espagnol José Maria Zamarrón (à droite) avec la famille réfugiée colombienne qu'il parraine, Jose Ricaute, sa femme Nelly et deux de leurs enfants, devant le Guernica de Picasso.  © HCR / Susan Hopper
  • Le demandeur d'asile Ismael joue au football avec son parrain espagnol Javier.
    Le demandeur d'asile Ismael joue au football avec son parrain espagnol Javier.  © HCR / Susan Hopper
  • Jimena Castaño et Hussain discutent autour d'un café dans la maison de Hussain à Madrid.
    Jimena Castaño et Hussain discutent autour d'un café dans la maison de Hussain à Madrid.  © HCR / Susan Hopper

Ismaël Ali, 25 ans, fait partie de ceux qui ont été ainsi mis en rapport avec des parrains et marraines locaux, après avoir échappé au recrutement forcé et à la mort aux mains de militants de Boko Haram chez lui, dans le nord du Cameroun.

« Au début, quand je suis arrivé ici... j'étais seul.... je réfléchissais trop, je n'avais pas confiance en moi », dit-il en se souvenant de la solitude des premiers jours à Madrid, quand il ne parlait pas l'espagnol et « n'avait personne, ni famille, ni amis ».

Dirigé vers Rescate, il a été mis en contact avec Gonzalo Fuertes, conseiller en investissement dans une banque, et Javier López, un étudiant chercheur ; depuis, il les retrouve régulièrement pour aller prendre un verre, aller à des concerts, au cinéma ou pour des parties de football improvisées. Un troisième parrain, Jesús, a quitté Madrid, mais ils sont restés en contact grâce à un groupe WhatsApp qu'ils appellent “amiguetes” – équivalent espagnol de “potes”.

« Chaque jour, je remercie Dieu pour mes amis espagnols et l'association. »

« L'idée, c'était d'aider Ismael à avoir des contacts, à découvrir des choses et à parler espagnol », explique Gonzalo, autour d'un verre et d'une assiette de patatas bravas, des pommes de terre épicées, dans un bistrot animé de la banlieue de Madrid. « On s'entend vraiment bien, on discute, on prend quelques bières. Ismael est tout simplement devenu un autre membre du groupe. »

Gonzalo et son épouse attendent leur premier enfant — une petite fille — dans quelques semaines et il imagine déjà un nouveau rôle pour Ismaël : baby-sitter. « Tu viendras t'occuper d'elle ? », demande-t-il. Avec un grand sourire, Ismael répond : « Ça me va ! »

« Chaque jour, je remercie Dieu pour mes amis espagnols et l'association (Rescate) », dit-il. « Ils m'ont énormément aidé à aller de l’avant. »

Ismael Ali (C) retrouve ses deux parrains espagnols Gonzalo Fuertes (à gauche) et Javier López dans un restaurant à Madrid.   © HCR / Susan Hopper

Cette semaine, Filippo Grandi, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, s'est fait l'écho de ces propos. Évoquant l'accueil des réfugiés et leur intégration à Madrid au cours d’une conférence, il a remercié les Espagnols pour leur « engagement admirable » en faveur de l'accueil et de l'intégration des réfugiés au sein de leurs propres communautés.

« C'est ensemble, avec les réfugiés eux-mêmes, qu'ils créent la différence entre inclusion et marginalisation, entre autosuffisance ou dépendance, entre reconstruire une vie ou rester dans un état de perte et de désespoir », a déclaré Filippo Grandi.

Selon certains mentors, la prédisposition à aider les réfugiés résulte du vécu du conflit et du déplacement en Espagne pendant la guerre civile de 1936-1939. D'autres l'attribuent aux racines culturelles catholique, juive et musulmane du pays, qui ont créé un sens profond de la tolérance culturelle.

Témoin du soutien en faveur des réfugiés en Espagne, le programme d’accompagnement de Rescate a été inondé de candidatures de mentors potentiels, avec 230 candidatures dont 90 ont été retenues.

« L'accueil a été formidable, époustouflant », témoigne Mayra Garcia, une travailleuse sociale de Rescate qui voudrait étendre le projet à d'autres villes espagnoles s’ils peuvent trouver le financement nécessaire. « La liste d'attente ne cesse de s'allonger, car le projet n'a pas les capacités de répondre favorablement à tout le monde. »

« L'accueil a été formidable, époustouflant. La liste d'attente ne cesse de s'allonger. »

La chaleur humaine et la simple humanité que crée le programme sont également ce qu'apprécie Hussain*, un journaliste qui a fui les menaces de mort des militants dans son Pakistan natal il y a trois ans pour venir s'installer dans un quartier ouvrier de Madrid avec son épouse Naseema* et leurs quatre jeunes fils.

« Quand nous sommes arrivés, nous étions totalement, totalement seuls », raconte-t-il. « Je ne savais même pas dire 'holà' », même si les choses sont en train de changer.

On sonne à la porte et son mentor, Jimena Castaño, entre. Toute la famille la salue et l'embrasse, et elle parle en espagnol, langue que Hussain parle facilement maintenant.

Avoir un nouvel ami amène de la vie, des discussions et des rires dans le petit appartement et cela aide à combler le vide pour Hussain qui a vécu avec beaucoup de difficulté la perte de son emploi prestigieux, de sa maison et de sa famille au Pakistan.

« L’accompagnement, c’est un bon projet… Ils viennent souvent à la maison pour dîner avec nous et ils nous invitent aussi à aller dans les plus beaux endroits de Madrid », dit-il.

Pour Jimena, assistante personnelle de direction, la rencontre avec Hussain et sa famille l'a également aidée à « évoluer, en tant que personne », témoigne-t-elle.

« Etre marraine, ça vous fait oublier les petites soucis, le quotidien, et ça vous donne plein d’énergie. Ça m'a beaucoup apporté. »

 

* Les noms ont été changés pour protéger les personnes.